Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 3 mars 2015 à 14h30
Convention de l'organisation internationale du travail relative aux agences d'emploi privées — Article unique

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Je m’exprime ici au nom du groupe socialiste.

La convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées, que l’on appelle en France les opérateurs privés de placement, a été adoptée en 1997 par la Conférence internationale du travail. Comme M. le rapporteur l’a brillamment souligné, elle vise à autoriser la création et l’activité de ces agences, qui ne sont pas une nouveauté sur notre territoire national, la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale ayant levé le monopole, au demeurant largement fictif, de l’ANPE.

La ratification de cette convention sera donc sans aucun effet sur notre droit, qui offre déjà aux travailleurs en rapport avec les agences d’emploi privées les garanties prévues par celle-ci en termes de salaires minimaux, de durée du travail, de formation, de protection de la santé et de la sécurité, de protection contre les discriminations, de traitement confidentiel des données personnelles. Surtout, notre droit prévoit depuis longtemps un principe de gratuité des services fournis aux travailleurs : aucune rétribution ne peut être demandée, directement ou indirectement, aux personnes à la recherche d’un emploi par ces agences.

Il faut aussi rappeler que Pôle emploi détient toujours des prérogatives exclusives, dont l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi, la gestion de cette liste et le contrôle de la recherche d’emploi. De plus, ses services sont gratuits pour les entreprises, qui n’ont donc pas intérêt à recourir directement aux agences privées. Cela explique que, en pratique, les opérateurs privés de placement interviennent seulement dans le cadre des appels d’offres de Pôle emploi, introduits en 2009.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que la France n’avait pas jusqu’à présent ressenti l’urgence de ratifier la convention de l’OIT relative aux agences d’emploi privées. Cela étant, cette ratification nous permettra, dans le cadre d’une mise en conformité de notre droit avec nos engagements internationaux, de dénoncer la convention précédente, datant de 1949, qui interdisait les agences de placement privées et dont les stipulations ne sont plus depuis longtemps en phase avec la réalité.

Nous regrettons simplement que l’interdiction faite à ces agences privées de mettre à disposition des travailleurs pour remplacer des salariés en grève, inscrite dans la recommandation de l’OIT adossée à la convention, ne figure pas expressément dans la convention elle-même. Cependant, il convient que de telles conventions internationales puissent être adoptées par le plus grand nombre possible d’États, ce qui implique souvent, malheureusement, la recherche d’un dénominateur commun assez petit…

En définitive, la convention dont le présent projet de loi vise à autoriser la ratification ne mérite, au regard de notre propre législation, ni un excès d’honneur ni un excès d’indignité. C’est d’ailleurs pourquoi la conférence des présidents avait initialement décidé que ce texte serait examiné selon la procédure simplifiée.

De fait, ce n’est pas exactement sur cette convention que porte le débat, comme nous avons pu le constater.

Le recours aux opérateurs privés a été instauré dans une vague d’enthousiasme libéral accompagnée de critiques virulentes contre Pôle emploi et ses agents : seule l’initiative privée allait résoudre le problème récurrent du chômage, uniquement dû, prétendument, à l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emplois. On a vu ce qui est advenu : dès 2011, le recours au secteur privé a été réduit, en raison de coûts élevés et d’un taux de placement moyen, de surcroît dans des emplois précaires. On a également pu constater que les personnels de ces agences étaient souvent eux-mêmes employés sous contrat précaire et soumis à une forte pression pour « faire du chiffre », quelles que soient les conditions réelles de placement. Pôle emploi a donc fortement diminué ses appels d’offres.

Le rapport de 2014 de la Cour des comptes sur le recours aux opérateurs privés, assez sévère, fait notamment apparaître que Pôle emploi affiche des performances meilleures que celles de ces derniers.

Pour autant, la Cour des comptes recommande de corriger les dysfonctionnements qu’elle a constatés, mais de maintenir le recours au secteur privé, en l’encadrant de conditions claires. Elle préconise en particulier d’indiquer clairement les conditions de recours à des opérateurs privés et de s’assurer de l’intégration des conseillers de Pôle emploi, de prendre davantage en compte l’offre technique dans les critères de sélection des attributaires des marchés et de rejeter les offres tarifaires anormalement basses.

La Cour des comptes recommande également de mettre en place une évaluation systématique des prestations réalisées et un contrôle qualité fondé sur un référentiel unique, de tenir compte du profil des demandeurs d’emploi et des perspectives de reclassement dans la zone géographique de recherche d’emploi.

J’ajoute que, à partir de cette année, les chômeurs les plus en difficulté relèveront à nouveau directement de Pôle emploi, afin de pouvoir bénéficier de l’accompagnement renforcé dont ils ont besoin.

La mise en œuvre de ces initiatives et de ces recommandations doit permettre d’améliorer la cohérence du traitement de la recherche d’emploi.

Il est vain de croire que l’on peut revenir en arrière, à l’heure où internet s’empare d’un pan considérable du marché de l’emploi : Linkedin, pour ne citer que ce site, rassemble les curriculum vitae détaillés de 240 millions de personnes dans le monde ; Facebook et d’autres acteurs encore font de même, à cette différence près que les entreprises doivent payer pour accéder à leurs services.

Quel est le statut de ces réseaux au regard de notre droit de la recherche d’emploi ? Quelle instance internationale s’assure de leur fiabilité et du respect des règles minimales de gratuité pour les travailleurs, par exemple ? Agissent-ils conformément à la convention n° 181 de l’OIT ?

Nous sommes face à des problèmes considérables, affectant l’ensemble de ceux qui ont besoin de travailler pour obtenir un revenu leur permettant de vivre. La ratification de la convention de l’OIT relative aux agences d’emploi privées sera utile, mais il est évident que nous devons maintenant pousser plus loin notre réflexion en la matière.

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