Intervention de François Pillet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 mars 2015 à 9h35
Accueil et protection de l'enfance — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur :

On dénombre en France 98 000 cas d'enfants en danger, dont 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque. Ces statistiques sont extraites du dossier « Maltraitance des enfants » paru dans la revue Médecins, dont la fiabilité est hors de doute. Près de 44 % des enfants maltraités ont moins de six ans. Selon le docteur Grouchka, membre du collège de la Haute Autorité de santé, 5 % des signalements émanent de médecins : 1 % des médecins libéraux et 4 % de leurs confrères hospitaliers.

Quelle est l'origine de cette proposition de loi ? Le souci de mieux protéger l'enfance maltraitée en s'interrogeant sur les raisons pour lesquelles les personnes qui constatent la maltraitance ne la signalent pas. Tous les intervenants que nous avons auditionnés - membres de la Haute Autorité de santé, des syndicats de médecins, du Conseil de l'ordre, universitaires - s'accordent sur le diagnostic et sur une partie des solutions. Le problème est psychologique : les médecins n'utilisent pas le dispositif de signalement des maltraitances par crainte des conséquences des signalements sans suite, des poursuites à leur encontre, et de ce qu'ils considèrent comme le mécanisme broyeur de la justice. Ils redoutent l'effet en retour de ces signalements sur les familles, sur leur clientèle et sur l'ensemble de leur zone de travail. Les médecins, enfin, ne sont pas du tout formés à la reconnaissance des situations de maltraitance et à la procédure de signalement. Cette proposition de loi mérite donc une étude attentive.

La réforme proposée pose néanmoins certains problèmes. Si l'article unique oblige le médecin à saisir « sans délai » le procureur de la République, cette obligation est contrebalancée par l'alinéa suivant, selon lequel sa responsabilité pénale, civile ou disciplinaire ne pourra être recherchée. Une apparente erreur de rédaction a conduit à omettre le signalement par le médecin des violences dont les victimes ne sont ni des mineurs, ni des personnes incapables, mais des femmes majeures par exemple. Ces signalements doivent pouvoir être maintenus, mais avec l'accord de la victime, car sinon ils auront pour effet de les dissuader de se rendre chez le médecin. L'obligation faite au médecin de saisir « sans délai » le procureur de la République le priverait, enfin, de la possibilité de rechercher un avis supplémentaire, ou de demander des examens complémentaires. Ces faiblesses de rédaction justifieront que nous en restions, moyennant certaines modifications que je vous proposerai, aux dispositions actuelles de l'article 226-14 du code pénal.

Le droit existant offre des protections considérables au médecin signalant des présomptions de maltraitance : le secret professionnel étant levé, sa responsabilité disciplinaire ou civile ne peut d'ores et déjà être recherchée, sauf en cas de signalement abusif. Cependant, le quatrième alinéa de la proposition de loi, en réaffirmant clairement cette irresponsabilité, améliore la lisibilité des textes. Je vous proposerai donc de le conserver. À côté de cette disposition, d'autres moyens peuvent être recherchés pour améliorer les textes en vigueur. Lorsqu'ils n'ont que de simples doutes, plutôt que d'alerter immédiatement le procureur, les médecins devraient pouvoir adresser leurs signalements à la cellule départementale de recueil des informations préoccupantes (CRIP), habilitée à effectuer des vérifications supplémentaires. Pourquoi la protection juridique dont jouissent les médecins ne serait-elle pas étendue à d'autres professions médicales, comme les puéricultrices et les infirmières ? Je vous proposerai des modifications en ce sens. Un autre amendement complète la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes, qui traite aussi des violences familiales, dont j'avais été le rapporteur, pour prévoir une formation des professionnels aux mécanismes de signalement.

À côté des modifications législatives que je vous proposerai, les auditions que j'ai menées me conduisent à relever la nécessité pour les pouvoirs publics et notamment pour la Haute Autorité de santé d'améliorer les formulaires de signalement mis à la disposition des médecins, en y ajoutant notamment la mention des dispositions qui les protègent et les formes que le signalement doit prendre.

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