Intervention de Yves Détraigne

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 mars 2015 à 9h35
Interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et autoriser l'échange en matière de voies rurales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur :

La proposition de loi déposée par Henri Tandonnet et neuf de ses collègues tend à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et autoriser l'échange en matière de voies rurales. Examinée par notre commission le 15 octobre dernier et discutée en séance le 29 octobre suivant, elle a fait l'objet d'un renvoi en commission. Si la commission a approuvé la disposition autorisant l'échange de chemins ruraux - sur lesquels je vous avais proposé de recentrer la proposition - elle a refusé les dispositions sur l'imprescriptibilité. Une majorité de nos collègues a considéré que, s'il y a un problème de protection de ces chemins affectés à l'usage du public et appartenant au domaine privé des communes, il était souhaitable de rester dans le schéma traditionnel selon lequel, hormis leur insaisissabilité, les biens du domaine privé des personnes publiques sont - contrairement aux biens du domaine public - régis par les règles de droit commun de la propriété, sous réserve de quelques dérogations.

Le régime d'aliénation des chemins ruraux est dérogatoire du fait de leur nature hybride. L'article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime impose une désaffectation préalable du chemin à l'usage du public, puis une décision d'aliénation prise par le conseil municipal, après réalisation d'une enquête publique dans les formes prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le texte permet aux « intéressés groupés en association syndicale » de s'opposer à l'aliénation du chemin, s'ils s'engagent à en assurer l'entretien. Par ailleurs, en vertu de la loi du 22 juillet 1983, modifiant la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre communes, département, régions et État, un chemin rural inscrit par le conseil général sur le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR) peut être aliéné uniquement si une voie de substitution a été mise en place. Le Conseil d'État prohibe l'échange des chemins ruraux sur la base du même article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime en considérant « qu'il résulte de ces dispositions que le législateur n'a pas entendu ouvrir aux communes, pour l'aliénation des chemins ruraux, d'autres procédures que celles de la vente dans les conditions ci-dessus précisées ». Ainsi, les communes ne peuvent procéder au déplacement de l'emprise d'un chemin rural qu'après une procédure d'aliénation elle-même conditionnée par le constat de fin d'usage du chemin par le public et une enquête publique suivie d'une délibération, puis d'une procédure de déclaration d'utilité publique destinée à la création d'un nouveau chemin... Vous conviendrez qu'il s'agit là d'un droit singulièrement complexe pour des chemins du domaine privé. D'autant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 161-5 du code rural et de la pêche maritime, le maire est tenu de faire cesser toute atteinte aux chemins ruraux alors même qu'ils ne sont pas couverts par le régime des contraventions de voirie et ne donnent pas lieu à une obligation d'entretien.

Pour autant, appartenant au domaine privé des communes, les chemins ruraux peuvent faire l'objet d'une prescription acquisitive ou usucapion - d'où l'intérêt de la proposition de loi de notre collègue Tandonnet. L'hypothèse du basculement des chemins ruraux dans le domaine public des communes est peu envisageable, compte tenu des charges d'entretien ainsi créées pour les communes. On peut imaginer de procéder à des reversements ponctuels de chemins ruraux vers la voirie publique via une procédure de « reconnaissance », comme l'ont prévu, par le passé, les lois du 21 mai 1836 et du 20 août 1881. Ce sont d'ailleurs ces chemins ruraux reconnus qui ont pu être incorporés aux voies communales à la suite de l'ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959. En l'absence de recensement général récent des chemins ruraux, le ministre a indiqué qu'ils représenteraient aujourd'hui 750 000 kilomètres, après la disparition de 250 000 kilomètres. Cette disparition d'un quart des chemins semble correspondre à une extrapolation des recensements réalisés en région Picardie à l'initiative de l'association « Chemins de Picardie » et comparant les indications portées au cadastre avec des relevés opérés sur le terrain. La plupart du temps, les communes s'aperçoivent de la disparition d'un chemin lorsqu'elles veulent mettre en valeur ce patrimoine, au regard de l'attrait nouveau des chemins ruraux, outre leur rôle premier de voie de circulation : lutte contre l'érosion des sols, vivier de biodiversité, maintien de la Trame verte et bleue, chasse, randonnées équestres ou pédestres, VTT...

Il importe que le législateur trouve un moyen pour enrayer ce mouvement de disparition des chemins ruraux. La proposition de loi d'Henri Tandonnet maintient les chemins ruraux dans le domaine privé des communes, tout en leur conférant l'imprescriptibilité, qui était jusqu'ici l'apanage du seul domaine public. Cette solution garantit les chemins ruraux de toute appropriation et découragerait sans doute certains comportements de fermeture à la circulation ou d'appropriation indue de la part de riverains, situation qui n'est pas rare si l'on en croit un certain nombre de personnes entendues en audition. Elle favoriserait probablement les échanges de parcelles.

Dans la mesure où, si le domaine public présente une homogénéité de règles, il n'en va pas de même pour le domaine privé des collectivités, la proposition mérite, me semble-t-il, d'être examinée. Pour autant, l'imprescriptibilité ne risquerait-elle pas d'être contre-productive en n'incitant pas les élus à mieux connaître et mieux gérer ce patrimoine ?

J'ai donc examiné la possibilité, sans faire échapper les chemins ruraux à la prescription acquisitive, d'en interrompre le cours, afin de permettre aux communes de recenser les chemins ruraux et de s'interroger sur leur devenir. Un acte de type conservatoire, tel le recensement, n'interrompant pas la prescription, je vous proposerai d'inscrire dans la loi un cas supplémentaire d'interruption de prescription, spécifiquement applicable aux chemins ruraux, le temps de permettre aux communes de recenser leurs chemins ruraux et d'en dresser l'inventaire. Ce type d'inventaire a déjà été prescrit par la circulaire du 18 décembre 1969 qui demandait aux préfets « d'inviter les communes à dresser un tableau récapitulatif et une carte des chemins ruraux »... circulaire qui a connu un succès mitigé... La mise en oeuvre de ce recensement après enquête publique, interromprait le délai de prescription. Un nouveau délai commencerait à courir, à compter de la délibération marquant la fin du recensement et au plus tard dans les deux ans.

Enfin, je vous proposerai de faciliter les échanges de chemins ruraux pour en rectifier l'assiette.

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