Intervention de Harlem Désir

Réunion du 10 mars 2015 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 19 et 20 mars 2015

Harlem Désir :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord remercier le Sénat et sa commission des affaires européennes de l’organisation de ce débat préalable au Conseil européen des 19 et 20 mars prochains, qui se tiendra sur deux jours en raison du nombre et de l’importance des points inscrits à son ordre du jour.

Vos analyses et vos observations nous seront très utiles dans la perspective des négociations à venir. J’en tiendrai naturellement le plus grand compte en vue du conseil Affaires générales de la semaine prochaine.

Ce Conseil européen portera en premier lieu sur le projet d’Union de l’énergie dont la France a souhaité la mise en œuvre et qui sera une nouvelle étape de la construction européenne.

Le débat se fondera sur les trois communications présentées par la Commission européenne le 25 février dernier.

La première de ces communications a trait au cadre stratégique de l’Union de l’énergie. Elle s’articule autour de cinq piliers : la sécurité énergétique, le marché intérieur, l’efficacité énergétique, la décarbonation de l’économie, la politique de recherche et d’innovation. À nos yeux, ces cinq piliers constituent un ensemble cohérent, et nous veillerons au maintien de cette cohérence dans le lancement des travaux de mise en place de l’Union de l’énergie et dans les conclusions du Conseil européen. Respecter cette cohérence, c’est aussi respecter l’équilibre auquel nous sommes parvenus lors du Conseil européen d’octobre 2014 sur le cadre énergie-climat pour 2030.

Certains, dans la préparation de ce Conseil européen de mars, sont tentés de privilégier un seul élément, par exemple le marché intérieur ou la sécurité d’approvisionnement énergétique. Ce serait, à notre sens, une erreur. Pour construire l’Europe de l’énergie, il faut avancer sur toutes ses dimensions : les infrastructures, les approvisionnements, les économies d’énergie et l’efficacité énergétique, qui sont aussi des éléments de l’indépendance énergétique de l’Europe, ainsi que les énergies renouvelables et les autres sources d’énergie décarbonées, comme le nucléaire, sans oublier, plus généralement, le soutien aux filières industrielles, à la recherche et à l’innovation dans le secteur des technologies à bas carbone.

Nous devrons donc rester vigilants, pendant toute la phase de préparation de ce Conseil européen, sur le respect de cette approche cohérente, intégrée, globale, ainsi que sur certains sujets concernant la régulation, comme celui des tarifs réglementés, parce qu’il y va du service public. En tout état de cause, cette communication de la Commission, qui sera le point de départ de la discussion, nous semble constituer une bonne base de travail.

La deuxième communication de la Commission porte sur les interconnexions. Elle comporte des mesures pour atteindre l’objectif minimal de 10 % d’interconnexion électrique au plus tard en 2020, au moins pour les États membres ne présentant pas encore un niveau minimal d’intégration au sein du marché intérieur de l’énergie, comme les États baltes, le Portugal et l’Espagne, ou pour ceux qui constituent leur principal point d’accès au marché intérieur de l’énergie.

Pour la Commission, la réalisation des interconnexions électriques constitue ainsi la première étape concrète de la construction de l’Union de l’énergie. Lors du sommet de Madrid de la semaine dernière, qui rassemblait le Président de la République, les Premiers ministres espagnol et portugais et le président Juncker, celui-ci a évoqué de nouveau l’importance qu’il attachait à ce sujet et le soutien que la Commission apporterait au financement des infrastructures nécessaires. Ce point est évidemment crucial, compte tenu de l’ampleur des investissements à réaliser, qu’il s’agisse d’interconnexions électriques ou gazières, notamment entre l’Espagne et la France. Une ligne enterrée à haute tension de très haute technologie vient d’être inaugurée par les Premiers ministres français et espagnol, mais la création de trois autres lignes à haute tension est en projet – l’une passera sous la mer, dans le golfe de Gascogne, et les deux autres à travers les Pyrénées –, ainsi qu’un renforcement des interconnexions gazières.

La troisième communication expose la vision de l’accord de la COP 21 de Paris sur le climat qui doit, selon la Commission, être défendue par l’Union européenne.

La Commission européenne insiste sur plusieurs aspects qui nous paraissent essentiels : l’ambition, sur le fond –l’objectif de réduction des émissions – comme sur la forme – la mise en place d’un instrument juridiquement contraignant –, la clarté des engagements, la transparence et la responsabilisation, l’agenda des solutions, l’adaptation au changement climatique et, bien sûr, le financement.

S’agissant de la diplomatie du climat, la Commission mentionne le besoin d’une intense mobilisation de l’Union européenne et de ses vingt-huit États membres en 2015, lors de tous les rendez-vous internationaux – le G20, le G7, les réunions au sein de l’Organisation des Nations unies consacrées aux nouveaux objectifs de développement et celle d’Addis-Abeba – et auprès de tous les acteurs, qu’il s’agisse des autres États parties à la COP 21, des entreprises, des organisations non gouvernementales ou des collectivités locales.

À cet égard, je veux saluer l’accord intervenu lors du conseil des ministres de l’environnement, vendredi dernier à Bruxelles, sur la contribution européenne à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le document a pu être envoyé aux Nations unies avant la date qui avait été convenue à Lima. Cela permet à l’Europe d’être à l’initiative du mouvement international que nous souhaitons promouvoir en matière de lutte contre le changement climatique, d’être exemplaire et en ordre de marche dans la perspective de la COP 21.

Nous attendons maintenant des autres pays, et en particulier des grands émetteurs de gaz à effet de serre que sont les États-Unis ou la Chine, qu’ils s’engagent à leur tour. Chacun doit prendre ses responsabilités. L’Europe continuera à se mobiliser au côté de la France. C’est ce que propose la Commission européenne, c’est ce que nous demanderons au Conseil européen de décider, afin que l’ensemble des États préparent un accord ambitieux, indispensable pour limiter l’élévation de la température à moins de deux degrés d’ici à la fin du siècle.

Le semestre européen, et plus généralement les enjeux en matière de croissance et d’emploi, est le deuxième grand sujet à l’ordre du jour du Conseil européen.

Comme lors de tous les Conseils européens du mois de mars, les chefs d’État ou de Gouvernement auront un échange sur la situation économique en Europe, la situation budgétaire et la mise en œuvre des réformes structurelles au sein des États membres. Ils devraient approuver les trois piliers de l’examen annuel de croissance établi par la Commission : stimuler l’investissement, accélérer les réformes structurelles, procéder à un assainissement budgétaire responsable et favorable à la croissance. Ils devraient également encourager les États membres à tenir compte de ces trois priorités dans les programmes nationaux de réforme, ainsi que dans les programmes de stabilité ou de convergence que chaque État communiquera en avril prochain.

Permettez-moi à cet égard de revenir sur deux décisions prises aujourd’hui même par le conseil Ecofin, réuni à Bruxelles.

Premièrement, en lien avec le semestre européen, une décision a été prise sur la trajectoire budgétaire française. Les États membres ont approuvé la recommandation de la Commission, confortant ainsi le choix qui avait été fait par la représentation nationale de respecter l’obligation de passer sous les 3 % de déficit par rapport au PIB en 2017. La trajectoire que la France s’était fixée à elle-même et la trajectoire établie par l’Union européenne convergent donc sur une même cible, à un rythme et dans des conditions qui permettent de réduire le déficit sans nuire à la reprise et à la croissance.

Toutes les politiques menées dans l’Union européenne, en particulier au sein de l’Union économique et monétaire, doivent en effet se conjuguer pour conforter la croissance et l’emploi. C’est là notre conviction, et c’est la ligne que nous avons défendue tout au long de ces deux dernières années.

La politique monétaire, qui relève de la Banque centrale européenne, apporte incontestablement une contribution très importante à la reprise. Je citerai notamment le lancement, hier, d’un programme de rachat de dettes qui va fortement contribuer à encourager les investissements. Le niveau de l’euro a baissé – cela tient à des décisions prises antérieurement, telles la baisse des taux d’intérêt et les dispositions visant à injecter des liquidités dans l’économie européenne –, comme l’avait souhaité le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. C’est une bonne chose pour nos exportations. Les liquidités sont importantes et les banques peuvent apporter des financements aux entreprises.

Nous menons en France les réformes avec détermination. C’est le cas dans la plupart des pays de la zone euro. En Allemagne, elles ont été engagées voilà dix ans. Le pacte de responsabilité est entré en vigueur le 1er janvier. Il prévoit notamment la baisse des charges sur les salaires au niveau du SMIC, une montée en puissance du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, qui concerne maintenant 6 % de la masse salariale, jusqu’à deux fois et demie le SMIC. Si l’on y ajoute d’autres mesures d’allégement de la fiscalité pour les entreprises, ce sont de nouvelles marges qui sont données aux entreprises pour pouvoir investir.

Les indicateurs de croissance s’améliorent, l’emploi des jeunes également. D’autres réformes sont engagées et seront débattues devant votre assemblée, au travers par exemple du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Elles seront, elles aussi, favorables à la croissance et à l’emploi.

En ce qui concerne maintenant les investissements, nous venons aussi de franchir une étape aujourd’hui, puisque le conseil Ecofin a décidé d’appuyer le plan Juncker d’investissement de 315 milliards d’euros proposé par la Commission européenne. C’est la seconde décision du conseil Ecofin que je voulais évoquer.

Le conseil Ecofin vient en effet d’adopter à Bruxelles ce que l’on appelle une « orientation générale » sur le règlement relatif au Fonds européen pour les investissements stratégiques, c’est-à-dire d’exprimer la position favorable du Conseil avant que ne s’ouvrent les négociations avec le Parlement européen. C’est une avancée importante, qui devrait permettre, si les travaux au sein du Parlement européen sont menés avec la même célérité – j’ai insisté sur ce point auprès des chefs de délégation que j’ai rencontrés aujourd’hui même à Strasbourg –, de tenir l’échéance d’une adoption en juin de ce règlement, et donc de commencer à soutenir des projets au travers du plan Juncker dès cet été. C’est un enjeu économique majeur, mais il y va aussi de la crédibilité politique de l’Europe. La Banque européenne d’investissement, la BEI, l’a bien compris, qui s’est engagée par anticipation à mettre immédiatement en œuvre sur ses fonds propres des financements nouveaux au profit de certains projets.

La France s’engage elle aussi pleinement. À l’occasion de sa rencontre vendredi à Luxembourg avec le président de la Banque européenne d’investissement, M. Werner Hoyer, le Président de la République a annoncé une participation de 8 milliards d’euros aux projets qui seront sélectionnés dans le cadre du plan Juncker, sous forme de cofinancement via la Caisse des dépôts et consignations et BpiFrance, qui constitueront une plate-forme de soutien à ces projets. Cela nous place au même niveau que l’Allemagne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen abordera également des sujets urgents liés à la situation internationale.

Il évoquera en particulier la situation en Libye, qui a des effets sur la stabilité de l’ensemble du bassin méditerranéen et du Sahel, qu’il s’agisse des flux migratoires ou du risque de voir apparaître un nouveau sanctuaire terroriste, et la préparation du sommet de Riga des 21 et 22 mai prochains sur le partenariat oriental, qui recouvre des enjeux extrêmement importants.

Il se penchera aussi, évidemment, sur la situation dans l’est de l’Ukraine, un peu plus d’un mois après l’entrée en vigueur de l’accord trouvé à Minsk, le 12 février, grâce à l’initiative diplomatique conjointe du Président de la République et de la Chancelière allemande. À l’est de l’Ukraine, bien que les tensions restent fortes, des signes d’amélioration sont apparus depuis plusieurs semaines : le cessez-le-feu tient dans l’ensemble, malgré des tensions persistantes, notamment autour de Marioupol, et le retrait des armes lourdes est engagé. En outre, des échanges de prisonniers ont eu lieu, conformément à ce qui avait été convenu à Minsk.

Cette amélioration reste cependant fragile, et nous devons continuer à faire preuve d’une vigilance extrême pour garantir le respect de l’ensemble des engagements pris à Minsk. C’est la raison pour laquelle nous allons renforcer les moyens de la mission de l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle de surveillance, en particulier des frontières, dans l’intégralité de la zone de démarcation.

Tout cela doit nous pousser à renforcer la mobilisation diplomatique européenne pour garantir le plein respect des accords de Minsk. En effet, nous sommes convaincus que seuls le dialogue et la recherche d’une solution politique permettront de mettre durablement un terme à cette crise, de faire respecter la souveraineté de l’Ukraine et de permettre de rétablir des relations normales entre l’Ukraine et la Russie, et partant entre la Russie et l’Union européenne.

La réunion informelle des ministres des affaires étrangères qui s’est déroulée à Riga les 6 et 7 mars derniers a permis de confirmer une nouvelle fois que la France et l’Allemagne bénéficiaient, dans leurs efforts, du plein soutien de l’ensemble des États membres.

Voilà, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes questions qui seront à l’ordre du jour de ce Conseil européen, à la fois consacré au traitement des urgences qui s’imposent à l’Europe, à ses frontières comme en son sein – le point sera fait sur la mise en œuvre des décisions prises en matière de lutte contre le terrorisme –, et tourné vers l’avenir avec l’instauration de l’Union de l’énergie, qui constituera une étape décisive dans l’histoire de la construction européenne.

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