Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 10 mars 2015 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 19 et 20 mars 2015

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen traitera de sujets variés et particulièrement importants. Étant donné la richesse de son ordre du jour, je me concentrerai plus particulièrement sur les questions liées à l’Union de l’énergie et au semestre européen.

L’énergie est sans aucun doute l’un des grands domaines stratégiques dans lesquels une intégration européenne s’avère particulièrement nécessaire et porteuse de valeur ajoutée.

Les enjeux sont gigantesques. Ils concernent d’abord la sécurité de notre approvisionnement, dans un contexte géopolitique tendu avec la Russie et plus qu’incertain en Libye et au Moyen-Orient. Ils sont ensuite intimement liés à la compétitivité de nos entreprises et au pouvoir d’achat des ménages, touchés par la crise économique. Ils ont enfin un lien très direct avec nos engagements en matière de lutte contre le changement climatique, au regard notamment de la prochaine conférence mondiale sur le climat, qui se tiendra à Paris en décembre 2015.

La situation n’est pour l’heure guère satisfaisante. L’Europe importe aujourd’hui près de 55 % de son énergie, la facture atteignant 400 milliards d’euros par an. L’électricité et le gaz y sont substantiellement plus chers qu’aux États-Unis, et nos transports sont dépendants de carburants fossiles presque intégralement importés.

La Commission européenne estime à 2 000 milliards d’euros les investissements à réaliser d’ici à 2025 pour moderniser et interconnecter notre système énergétique, et l’adapter à l’émergence des énergies renouvelables.

Une action européenne déterminée sur le long terme est indispensable. Or l’Europe de l’énergie est toujours très loin d’être une réalité. Le cadre stratégique présenté le 25 février dernier représente donc un pas en avant important pour relever les défis qui se présentent à nous, et le socle intersectoriel proposé apparaît comme une base de discussion solide.

Cependant, nous n’en sommes qu’au tout début d’un processus qui sera long et ardu. Étant donné le caractère hautement stratégique de ce secteur et la grande diversité des situations des États membres, les écueils seront nombreux.

Quelques principes devront toutefois guider la négociation des textes à venir. L’intégration et l’interconnexion du marché intérieur devront certes renforcer la résilience de nos systèmes énergétiques et engendrer de réelles économies, mais il faudra surtout jouer sur la complémentarité des mix énergétiques nationaux et s’appuyer sur l’ensemble des sources d’énergie disponibles, notamment sur l’énergie nucléaire, pour l’instant parent pauvre de cette stratégie.

Il faudra également donner un cap solide aux investisseurs. Si les instruments financiers de la BEI, la Banque européenne d’investissement, du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, des fonds structurels et du Fonds européen pour les investissements stratégiques pourront être mobilisés, c’est bien sur les entreprises que reposera l’essentiel de la charge des investissements. Ces acteurs devront donc pouvoir bénéficier d’un environnement favorable à l’investissement, y compris bien sûr au niveau national, pour mener à bien les projets nécessaires.

La transition et l’amélioration de l’efficacité énergétiques devront permettre d’atteindre nos objectifs en matière environnementale, mais elles devront aussi ouvrir de réelles opportunités pour conférer une avance technologique durable aux entreprises européennes et leur permettre de développer des filières d’excellence compétitives à l’échelon mondial.

Enfin, la coordination des accords intergouvernementaux et des contrats commerciaux dans le secteur du gaz devra permettre d’adresser des messages forts et cohérents aux partenaires stratégiques et aux fournisseurs.

L’équilibre sera toutefois particulièrement difficile à trouver entre cette nécessaire coordination, la mise en place d’un système efficace de gouvernance globale de l’Union de l’énergie et la liberté, pour les États membres, de conduire la politique énergétique la mieux adaptée à leurs besoins et à leurs impératifs politiques et stratégiques.

Les étapes à franchir sont donc encore nombreuses et complexes avant que l’Union de l’énergie soit le succès que nous appelons de nos vœux. Celle-ci est une chance pour la France, qui, avec trente-sept interconnexions sur six frontières, se trouve au carrefour des échanges européens. Notre pays dispose d’entreprises leaders sur le plan mondial dans ce domaine. Le Gouvernement devra donc montrer une implication sans faille et jouer un rôle moteur dans les négociations à venir pour tirer le meilleur parti de ce projet.

Les relations avec la Russie et la crise ukrainienne ont bien sûr une résonance très forte dans le domaine de l’énergie, mais c’est naturellement le conflit se déroulant à nos portes qui occupe aujourd’hui tous les esprits. Je laisserai toutefois mes collègues sénateurs de l’UMP s’exprimer sur ce sujet au cours du débat interactif.

Le prochain Conseil européen conclura enfin la première phase du semestre européen. Évidemment, les résultats des dernières élections en Grèce nous ont tous interpellés, s’agissant notamment de la question centrale de la coordination des budgets nationaux et des réformes structurelles à mener au sein des économies de la zone euro.

Je souhaite toutefois me concentrer sur la situation française.

Le bilan approfondi et les recommandations faits par la Commission sont inquiétants. Le niveau de l’effort budgétaire demandé pour 2015 a été fixé à 0, 5 % du PIB, ce qui signifie qu’au moins 4 milliards d’euros d’économies devront être dégagés à très court terme. La Commission avait dans un premier temps préconisé, sur la base du programme de réformes présenté par le Gouvernement, un effort de 0, 3 % du PIB. L’ajustement est donc important et témoigne du peu d’efficacité des réformes mises en œuvre jusqu’à présent. Dans son analyse, la Commission conclut d’ailleurs assez explicitement que le CICE et le pacte de responsabilité n’auront pour ainsi dire pas d’effet réel sur la compétitivité des entreprises, et donc sur la croissance, alors qu’il s’agissait de leur objectif premier.

Certes, deux années de délai ont été accordées pour redresser les comptes publics ; certes, d’autres pays se trouvent dans une situation similaire de déséquilibre excessif ; mais, en la matière, c’est la trajectoire qui compte : la France passe cette année au stade suivant de la procédure.

À politique inchangée, le déficit français ne pourra pas repasser sous la barre des 3 % en 2017. Les économies budgétaires devront donc d’ici là être très largement supérieures, de près de 30 milliards d’euros, à celles qu’avait prévues le Gouvernement, alors même que le ministre de l’économie a annoncé ces derniers jours qu’aucun effort supplémentaire ne serait fourni.

Une liste de réformes macroéconomiques devra également être présentée d’ici au mois de mai, faute de quoi la France pourrait finalement être mise en demeure, première étape vers la prise de sanctions.

Le bilan et les perspectives ne sont pas réjouissants. Je cite le rapport de la Commission : « Une reprise modeste est attendue pour 2015. Le taux de chômage ne devrait pas refluer de manière significative au cours des prochaines années. Les investissements ont diminué en 2014. La dépréciation de l’euro et les réformes récentes ne suffiront pas à enrayer les pertes de parts de marchés des exportations. L’inflation devrait tomber à zéro en 2015. »

Pourtant, les carences économiques de la France sont désormais largement connues. Elles imposent notamment d’agir résolument en faveur de la compétitivité des entreprises, afin de leur permettre de restaurer leurs marges pour investir, d’innover pour embaucher, et enfin de redresser la balance commerciale du pays. Cela exige d’abaisser de façon réelle le coût du travail et le niveau de la pression fiscale et des dépenses publiques, qui ne cessent de croître. Cela impose aussi de s’attaquer sans faiblesse aux rigidités du marché du travail, ainsi qu’à la complexité et à la lourdeur réglementaires, qui pèsent de plus en plus sur nos entreprises dans la compétition internationale. Nous savons bien que, dans une économie ouverte et concurrentielle, ne pas résoudre ces problèmes équivaut à terme à accepter l’échec.

La France échappe pour l’instant de justesse à l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif, mais elle restera, jusqu’à l’expiration du nouveau délai, sous la pression de la Commission et des États membres qui font les efforts nécessaires au redressement de leur situation sans pourtant bénéficier d’autant de mansuétude. L’image de notre pays n’en sera que davantage ternie.

La France est la deuxième économie de la zone euro. Elle entretient des liens commerciaux, financiers et bancaires étroits avec les autres États membres. Par conséquent, si nos problèmes structurels ne sont pas corrigés, cela aura des répercussions fortes sur nos partenaires.

Le louvoiement n’est plus possible et la France ne peut demeurer le mauvais élève de la classe européenne. Le redressement réel de notre économie est urgent et indispensable. Il l’est d’abord, naturellement, pour nos concitoyens, mais il l’est également pour l’ensemble des Européens, car il s’agit d’une clé du retour de la croissance en Europe. Il y va donc de la responsabilité européenne de notre pays.

Monsieur le secrétaire d'État, vous l’avez compris, nos attentes sont fortes ; pouvez-vous nous rassurer ce soir ?

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