Intervention de Jean Bizet

Réunion du 10 mars 2015 à 21h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 19 et 20 mars 2015

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat préalable au Conseil européen est un rendez-vous auquel nous sommes tous très attachés. Le thème principal de la réunion des 19 et 20 mars sera l’Union de l’énergie. Nous venons tout juste de voter le projet de loi relatif à la transition énergétique. Il était donc très important que le Sénat puisse débattre des perspectives européennes en la matière.

Je remercie le président du Sénat et la conférence des présidents d’avoir donné suite à la demande de la commission des affaires européennes, ainsi que M. le secrétaire d’État pour sa disponibilité.

Quelle est la situation énergétique en Europe ? L’Union importe 53 % de l’énergie qu’elle consomme ; elle dépense plus de 1 milliard d’euros par jour pour acquitter sa facture énergétique ; elle importe 90 % de son pétrole brut, 66 % de son gaz naturel, 42 % de ses combustibles solides et 40 % de ses combustibles nucléaires. En ce qui concerne le gaz, il provient à hauteur de 39 % de Russie, qui est son fournisseur principal, 50 % du gaz russe importé transitant par l’Ukraine.

Ces chiffres suffisent à montrer tout l’intérêt d’une véritable politique européenne coordonnée en matière énergétique.

Le traité de Lisbonne donne les bases juridiques pour agir ; il faut s’en féliciter. Le Conseil européen de juin 2014 a fait de la création d’une Union de l’énergie « dotée d’une politique en faveur du climat tournée vers l’avenir » un axe prioritaire. Le président Juncker l’a par la suite inscrite en bonne place parmi les projets prioritaires de la nouvelle Commission.

Cette démarche doit être soutenue, mais dans quelle direction faut-il aller ?

L’Union européenne subit une désindustrialisation aux causes certes multiples, mais dans laquelle le prix de l’énergie joue un rôle croissant depuis la révolution du gaz de schiste aux États-Unis. On ne peut faire l’impasse sur la mise à disposition d’une énergie sécurisée, bon marché et bénéficiant de larges interconnexions sur le territoire européen.

L’Union européenne est en pointe dans la lutte contre le changement climatique. Elle doit aussi veiller à ne pas se fragiliser de manière unilatérale : des millions d’emplois directs et indirects sont en jeu.

Une réponse internationale est requise, d’où l’intérêt de la COP 21, qui se tiendra à Paris en 2015. La France a par ailleurs une grande expertise en matière d’énergie nucléaire. C’est un élément important de la compétitivité de notre pays, ne l’oublions pas. En vue de la COP 21, il faut réfléchir à élargir le périmètre des énergies décarbonées, pour y inclure le nucléaire.

L’objectif de la transition énergétique est consensuel, mais cette transition rencontre des difficultés qui tirent leur origine de l’intermittence subie. En l’absence de capacité de stockage digne de ce nom et faute de « réseaux intelligents » à même de caler partiellement la consommation d’énergie sur la production, les lignes à haute tension subissent des variations. L’absence de ces réseaux déstabilise l’ensemble du marché.

Nous devons aussi nous interroger sur le financement de la transition dans des conditions qui assurent la réindustrialisation de l’Union européenne. Les faibles prix de revient caractérisant la filière électronucléaire apportent la seule ressource disponible à même de financer une évolution que les considérations techniques imposent d’inscrire dans la durée.

Je veux aussi insister sur le rôle moteur que doivent jouer la France et l’Allemagne. Nos deux pays sont les deux principaux producteurs d’énergie renouvelable au sein de l’Union européenne. Ils sont aussi les principaux producteurs d’énergie toutes catégories confondues, ainsi que les deux principaux consommateurs. Ils doivent donc promouvoir une coopération leur permettant d’élaborer des schémas cohérents d’investissements.

Je souhaiterais maintenant aborder la situation en Ukraine, qui continue de susciter de vives inquiétudes. La France et l’Allemagne ont joué un rôle déterminant pour promouvoir le nouvel accord de Minsk. Je dois saluer en la circonstance l’action déterminante du Président de la République et de la Chancelière, ce couple franco-allemand retrouvé qui a suscité l’adhésion de l’ensemble des États membres.

Néanmoins, nous savons que cet accord demeure fragile. Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il n’existe pas de solution militaire à cette crise ; seule une issue négociée dans le cadre des accords de Minsk peut être acceptable. L’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine doivent être respectées. L’Union européenne doit donc utiliser les moyens de pression à sa disposition, notamment les sanctions individuelles, contre ceux, y compris en Russie, qui soutiennent les actions militaires des séparatistes. L’Union européenne doit aussi agir pour favoriser l’émergence d’une solution politique. Comme l’a souligné le président Larcher lors de ses récents entretiens en Russie et en Allemagne, le Sénat, qui a une grande expérience de la décentralisation, est prêt à apporter un concours en la matière, au travers notamment de l’implication de l’OSCE.

À travers le partenariat oriental, l’Union européenne doit définir des lignes claires pour approfondir ses relations avec ses partenaires orientaux. Le sommet de Riga, en mai prochain, sera important à cet égard. Le partenariat doit respecter le cadre fixé dans la déclaration de Prague de 2009, notamment les principes de conditionnalité et de différenciation. Il doit être distinct de la politique d’élargissement, je tiens à le redire. Lors du sommet de Vilnius de novembre 2013, cette distinction a clairement été maintenue. Nous devons aussi être pragmatiques et privilégier une logique de projets pour avancer dans la bonne direction.

Enfin, le Conseil européen clôturera la première phase du semestre européen. Notre commission aura un échange sur ce thème, avec une communication de Fabienne Keller et François Marc. Nous entendrons demain, avec la commission des finances, le vice-président Dombrovskis sur la recommandation de la Commission européenne concernant le déficit public de la France. J’indique à nos collègues que cette audition sera ouverte à tous les sénateurs. Le Conseil devait adopter aujourd’hui même la recommandation de la Commission européenne visant à ce qu’il soit mis fin à la situation de déficit public excessif en France. La lecture de cette recommandation, que je vous conseille, est édifiante ; la crédibilité de notre pays est en jeu. Nous devons respecter nos engagements budgétaires et engager enfin un programme de réformes structurelles. Nous avons trois mois devant nous ; la date du 10 juin prochain sera importante, voire fatidique. Je souhaite que la Commission regarde avec beaucoup d’objectivité les efforts et les engagements structurels que notre pays aura engagés dans les prochains mois.

Au-delà, la zone euro ne peut fonctionner sans discipline commune. Elle doit se conjuguer avec une action résolue pour renforcer la compétitivité des entreprises et la croissance. L’euro est fondé sur la responsabilité de chacun des États membres de veiller à faire converger les politiques budgétaires et économiques. C’est dans ce cadre que la nécessaire solidarité peut jouer tout son rôle. Le cas de la Grèce nous préoccupe. Nous souhaitons une solution réaliste, qui ne peut faire l’impasse sur des engagements fermes concernant les réformes indispensables. Avec l’Allemagne, la France a apporté une large contribution pour soutenir ce pays avec lequel nous avons des liens très forts, rappelés tout à l’heure par le président du groupe d’amitié France-Grèce du Sénat. Je souligne que l’engagement de la France en faveur de la Grèce s’élève à 48 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 20 milliards d’euros au titre de la réassurance, soit un total de 68 milliards d’euros, c’est-à-dire à peine moins que l’Allemagne. Il ne faut pas l’oublier, les contribuables français sont directement concernés par l’évolution de ce dossier. Oui à la solidarité, mais oui à la responsabilité également !

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