Intervention de Pierre René Lemas

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 11 mars 2015 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre-René Lemas directeur général du groupe caisse des dépôts

Pierre René Lemas, directeur général du groupe Caisse des dépôts :

Je vous remercie de m'accueillir dans cette maison que j'ai toujours plaisir à retrouver.

La Caisse des dépôts et consignations (CDC) est, depuis l'origine, un partenaire privilégié des collectivités territoriales. Cette relation prend d'autant plus d'importance que nous entrons dans une nouvelle période : les collectivités, sur lesquelles pèse un engagement dans une politique forte d'investissement, tandis que les dotations de l'État diminuent et qu'elles n'ont que peu de prise sur la fiscalité locale, voient se réduire leurs marges de manoeuvre. La Caisse des dépôts se doit d'être présente à leurs côtés.

C'est une conviction que j'ai tenu à affirmer dès mon arrivée à la tête du groupe : la Caisse des dépôts doit être un levier de l'investissement territorial. Elle doit accompagner l'investissement et aller dans le sens des territoires. Les entreprises ne sont pas des acteurs économiques hors sol ; c'est en s'inscrivant dans un écosystème territorial que l'on assurera le développement de notre tissu économique. J'ai été frappé, pour m'être rendu dans plusieurs départements, de constater le dynamisme des initiatives locales, loin du discours national sur la morosité de l'économie. Pour accompagner ce dynamisme, les territoires ont besoin d'un appui financier, juridique, technique, bancaire, qui se trouve plus volontiers localement qu'à l'échelon national. Une entreprise ne se vit pas comme une « TPE » ou une « ETI » ; ce qui fait l'objet de ses préoccupations, c'est son besoin concret, à un certain moment de son développement, d'acheter des machines et de répondre à des commandes.

Cette ambition qui est la mienne, j'ai voulu la traduire dans l'organisation du groupe, en créant, en premier lieu, une direction de l'investissement et du développement local, afin de réunir en une même main les moyens, notamment en fonds propres, dont dispose la Caisse au service du développement local. Elle se mettra au service du développement territorial sur le fondement d'une doctrine d'investissement claire, et pourra s'appuyer sur une masse financière agrégée - jusqu'à présent dispersée entre l'établissement public et certaines filiales outils. CDC Infrastructures, CDC Climat et CDC Numérique sont désormais réintégrées dans cette grande direction, aujourd'hui opérationnelle, et à la tête de laquelle Mme Gauthey a pris, depuis quinze jours, ses fonctions. Outre les économies d'échelle qu'autorise le regroupement, les capacités de financement de cette nouvelle direction atteignent 700 millions d'euros.

En deuxième lieu, une direction des territoires et du réseau a été créée, qui chapeaute les vingt-cinq directions régionales, lesquelles ont vocation à représenter la Caisse sur l'ensemble du territoire. Si j'ai voulu la création de cette nouvelle direction, qui m'est directement rattachée, et à la tête de laquelle j'ai nommé l'ancien chef de l'inspection générale de l'administration, ce n'est pas que je sois animé par un penchant préfectoral, comme on a pu m'en soupçonner en interne, mais parce que j'entends déconcentrer autant que possible les capacités de décision, donc de financement - en termes de prêts ou d'apport en fonds propres. Et cela dans tous les métiers que les directions régionales ont vocation à exercer : métiers du prêt, de l'investissement, métiers bancaires - notamment en relation avec les 35 milliards de dépôt des professions réglementées, ce qui n'est pas rien -, ainsi que l'ensemble de nos activités touchant à la retraite - n'oublions pas que la Caisse des dépôts gère un retraité sur cinq, notamment ceux du secteur hospitalier ou de la fonction publique territoriale.

Telle est ma double ambition : regrouper, pour se donner une force d'investissement axée sur quelques grands secteurs - numérique, transition écologique et énergétique, infrastructures, équipements publics, aide à l'activité économique - et s'appuyer sur un réseau bien articulé.

Notre maillage territorial est un atout. La réorganisation des régions qui a été votée nous imposera certes d'adapter notre découpage à cette réalité nouvelle, mais je n'en souhaite pas moins maintenir une présence infrarégionale forte. Car en matière d'activité économique et d'équipements, le niveau régional est, à mon sens, trop large, quand il convient de s'appuyer sur la réalité de la demande dans ce que j'appellerais des bassins de clientèle. Cela passe aussi par un renforcement du lien entre nos directions régionales et les 42 implantations régionales de Bpifrance, détenue à parité par l'Etat et la CDC. Bpifrance, qui a accordé plus de 10 milliards de prêts l'an dernier, joue un rôle majeur dans le financement du tissu économique. Elle est capable d'apporter des fonds propres, d'accorder des garanties, de monter des projets, le tout avec une vraie culture bancaire, qui vient de loin puisqu'elle remonte à Oséo. Et c'est pour assurer une cohérence d'action que j'ai souhaité exercer la présidence de son conseil d'administration.

Quelles sont les activités que nous menons ? Il est vrai qu'elles entrent très largement dans le champ qui est celui de votre commission. Nous mobilisons, tout d'abord, les prêts des fonds d'épargne. La Caisse des dépôts est redevenue un prêteur de long terme pour les projets locaux, et je souhaite qu'elle le reste, car c'est une tâche d'intérêt général que le marché n'assure pas. Il serait bon, à mon sens, que l'enveloppe de 20 milliards décidée il y a un an et demi soit pérennisée. En un an, la moitié en a été engagée, qui a permis de rénover des hôpitaux, des lycées, des collèges, des infrastructures d'assainissement, etc. Au total, 700 projets ont été financés, depuis ceux de très grosses collectivités - c'est ainsi qu'un engagement pluriannuel à hauteur de 4 milliards a été passé avec la Société du Grand Paris - jusqu'aux projets plus modestes des petites collectivités, dont je rappelle que nous pouvons, s'ils ne dépassent pas un million, financer 100 % du besoin d'emprunt. Pour amplifier ce levier, nous nous sommes tournés vers la Banque européenne d'investissement (BEI), avec laquelle nous avons passé une convention, renouvelée l'an dernier. L'idée est que la BEI utilise les directions régionales de la CDC, je ne dirai pas comme guichet, car il semble que dans le volapük européen, ce soit là un mot tabou, mais comme « point d'entrée », ceci afin d'éviter une double instruction des projets. Le même raisonnement vaut pour le plan Juncker, sur lequel je ne me permettrai pas de porter une appréciation, pour m'en tenir à constater, sans état d'âme, que puisqu'il y a là une capacité de financement, il faut rechercher les moyens de la mobiliser au plus vite. Car le problème n'est pas tant de mobiliser des fonds que de les mobiliser rapidement. C'est ce que j'ai plaidé à Bruxelles, auprès de M. Katainen et de M. Juncker, pour que soit retenu un principe de subsidiarité et que la CDC et ses homologues européennes, soient retenues comme le lieu principal d'instruction des projets, afin d'éviter tout retard.

Nous jouons, en deuxième lieu, un rôle d'investisseur en fonds propres. Nous intervenons, en co-investissement, dans des situations de carence de marché mais aussi en tant qu'investisseur avisé : j'y tiens beaucoup, car si la CDC n'attend pas un minimum de rendement, nous nous engageons sur le territoire de la subvention, ce qui n'est pas le rôle de la Caisse des dépôts, dont je rappelle qu'elle n'est pas alimentée par le budget de l'Etat, dont elle est au contraire contribuable, mais, pour l'essentiel, par l'épargne populaire, c'est à dire les fonds du livret A. Nous n'avons, en somme, d'autre actionnaire, si je puis pousser ainsi la métaphore, que le Parlement.

Troisième axe de notre action : avec sa capacité d'ingénierie technique et financière, la Caisse des dépôts accompagne la mise en place et la gestion des grands projets d'investissement territoriaux.

Elle est, enfin, à travers ses filiales comme la SNI, Transdev ou la Compagnie des Alpes, un opérateur. Nos filiales agissent au service de l'intérêt général mais aussi comme acteurs de marché, parce qu'elles se trouvent dans un univers concurrentiel. Quand Transdev propose un tramway à telle collectivité, elle est en concurrence avec Keolis et bien d'autres.

Ce que nous souhaitons, c'est être, pour les collectivités, un partenaire global de long terme. L'idée est de signer, comme nous l'avons fait à Angers ou à Metz, des conventions de partenariat pouvant s'étendre sur la durée d'un mandat. Mais notre action peut aussi être plus circonscrite, autour de besoins spécifiques comme la rénovation thermique des bâtiments. C'est aussi une manière d'anticiper la baisse des dotations de l'État.

J'en viens aux deux sujets plus précis que vous avez évoqués, le numérique et la transition énergétique. Je l'ai dit, la Caisse des dépôts se fixe une double priorité, l'investissement et les territoires. Mais des priorités n'ont de sens que si l'on se projette sur un objectif de moyen terme. Pour la Caisse des dépôt, cela a été la reconstruction dans les années 1960, le logement dans les années 1980, la décentralisation dans les années 2000, l'adaptation à une logique d'ouverture des marchés plus récemment, époque où la CDC a pris une image de grande institution bancaire - ce qu'elle n'est pas vraiment - parce qu'elle a su s'adapter à la mondialisation et à la financiarisation des marchés. Notre perspective de moyen terme, aujourd'hui, ce sont les transitions : numérique, écologique, énergétique, démographique, territoriale. La CDC doit les accompagner, parce qu'elles sont porteuses de création de valeur.

La CDC accompagne depuis dix ans, aux côtés de l'État, les collectivités territoriales dans l'aménagement numérique des territoires et le déploiement d'infrastructures haut et très haut débit. La Caisse est actionnaire d'un quart des réseaux d'initiative publique ; elle n'est pas étrangère au fait que notre pays dispose d'offres très haut débit compétitives, et d'une administration électronique parmi les plus avancées au monde. La France a également su bâtir un réseau d'aide aux entrepreneurs du numérique, qui bénéficient de la meilleure infrastructure européenne de capital investissement après celle du Royaume-Uni.

Plus récemment, nous avons accompagné le plan très haut débit - sans en être co-auteurs, car nos suggestions n'ont pas toujours été retenues par les pouvoirs publics : nous avons contribué aux 89 schémas départementaux d'aménagement numérique, versé près d'un milliard de subventions au titre du plan investissements d'avenir (PIA) et près de 300 millions de prêts sur fonds d'épargne. Nous assurons également la gestion administrative et financière du Fonds national pour la société numérique. Le paysage s'est un peu complexifié dans la mesure où l'instruction des dossiers des collectivités a été reprise par la mission très haut débit, qui intègre l'Agence pour le numérique, en cours de création. Nous attirons l'attention des pouvoirs publics sur ce point : prenons garde à ne pas complexifier à l'excès le cadre institutionnel. Nous partageons cependant les interrogations des acteurs et de l'État quant au rythme et au coût du déploiement. Nous insistons sur le fait que l'on n'y parviendra qu'en attirant davantage de capitaux privés sur ces projets. Non pas dans une logique de partenariat public-privé, instrument dont le procès a été largement instruit, mais plutôt de mise aux enchères des crédits publics, qui peuvent jouer un effet de levier.

Le numérique, on le sait, va submerger des pans entiers de notre économie. On l'a vu pour les médias et les industries culturelles hier, on le voit aujourd'hui pour les assurances, les services énergétiques, la construction - domaine dans lequel certains partenaires privés sont prêts à nous accompagner.

Entre une logique de ligne Maginot réglementaire dont la France a parfois la nostalgie et la création de mastodontes nationaux à vocation mondiale, il y a une voie médiane, sur laquelle la Caisse des dépôts peut accompagner les pouvoirs publics. Telle est ma conviction. Je ne saurai en dire plus, car ce sont des travaux que je viens de lancer.

Sur la transition écologique et énergétique, nous sommes depuis longtemps mobilisés. Le Grenelle a fait de nous l'un des acteurs publics en la matière. Nous avons financé la réhabilitation de près de 250 000 logements sociaux et plus de 2,5 milliards ont été engagés, depuis 2009, au titre de l'écoprêt. Le Gouvernement a autorisé la Caisse à réserver, sur l'enveloppe de 20 milliards, 5 milliards en faveur de prêts « croissance verte » aux collectivités. A la date de février, nous avions déjà engagé 2,3 milliards, principalement pour des projets de transports durables ou de réhabilitation de bâtiments publics. Cela montre bien que le besoin existe. Dans les énergies renouvelables, près de 350 millions de fonds propres ont été mobilisés, qui ont suscité 2,8 milliards d'investissement. J'ajoute que la Compagnie nationale du Rhône, filiale de la CDC, a généré une capacité de 400 mégawatt d'énergie renouvelable - et je souhaite qu'elle s'emploie à devenir l'un des champions français en la matière. Bpifrance, enfin, gère plus de 2,5 milliards d'encours de prêts aux entreprises dans le domaine de la transition énergétique.

Bref, nous intervenons en prêts, en fonds propres, en co-investissement, de manière accélérée. Nous nous employons également à construire des dispositifs de financement innovants. Nous avons ainsi créé une filiale de tiers-financement pour la rénovation thermique des bâtiments, Exterimmo, qui fonctionne plutôt bien, même si les acteurs attendent encore de savoir ce qu'il ressortira de la loi. Nous avons également créé un fonds de tiers-financement pour l'efficacité énergétique d'installations industrielles, qui commence à fonctionner. Notre filiale CDC Biodiversité, enfin, travaille avec l'administration sur le projet de loi à venir sur le sujet.

Le Gouvernement a confié à la CDC la gestion du fonds spécial pour la transition énergétique, doté de 1,5 milliard. La négociation interministérielle est en cours sur ce que seront ses sources de financement. La CDC est prête à participer en fonds propres, et à y mettre une part du PIA. S'y ajouteront des recettes issues des certificats d'économie d'énergie et d'autres issues de l'activité énergétique en général. Je sais que la ministre a la volonté de voir ce fonds rapidement opérationnel. Cela obligera tous les acteurs nationaux, l'Ademe, Bpifrance, la CDC et le ministère, à travailler ensemble.

Je n'oublie pas, enfin, que 2015 est l'année de la Cop 21, à laquelle est associée la CDC, qui a pris plusieurs initiatives. Avec la BEI et notre homologue allemande, la KFW, nous organisons un colloque à l'Unesco le 22 mai prochain sur la finance climatique, intitulé « Comment déplacer les trillions ». L'idée est de faire travailler les financiers ensemble sur le sujet. Car, je le répète, j'en suis convaincu, la transition écologique et énergétique ne réussira que si l'on parvient à mobiliser les capitaux privés. On n'obtiendra de résultats macroéconomiques qu'à cette condition. Les collectivités ont souvent été en avance sur les États. J'attends de ce colloque qu'il nous mette en situation de prendre, d'ici à la Cop 21, des engagements chiffrés sur le verdissement de nos portefeuilles de placement, tant ceux que nous gérons au titre des fonds d'épargne que ceux qui relèvent de la section générale. Ce serait un vrai signal.

La Caisse des dépôts, c'est là son premier rôle, est le protecteur de l'épargne populaire. Il ne faut pas l'oublier. Ce n'est pas une corne d'abondance dans laquelle on pourrait puiser sans fin. Sa capacité à alimenter ses fonds propres est conditionnée par le prélèvement de l'État, à hauteur de quelque 75 % de son résultat. Étant dépourvue d'actionnaires, elle ne peut augmenter son capital, à l'instar des grandes institutions financières. On ne saurait donc conduire aucune politique volontariste sans tenir compte de ces contraintes de bilan.

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