Intervention de Olivier Cadic

Réunion du 12 mars 2015 à 9h00
Débat sur le thème : « dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005 bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap »

Photo de Olivier CadicOlivier Cadic :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, seulement 15 % des personnes handicapées le sont de naissance ou le deviennent avant l’âge de 16 ans. Qui parmi nous peut se prétendre à l’abri d’un coup du sort ? Faut-il être personnellement affecté pour changer de regard ?

« Nous sommes tous handicapés », clame Theodore Zeldin, historien et sociologue britannique. « Nous sommes tous handicapés, parce que chacun d’entre nous a ses faiblesses, et celui qui n’en a pas conscience est le plus handicapé de tous ! »

Le vote de la loi du 11 février 2005 signa une avancée législative considérable, notamment en matière d’accessibilité, thème que j’aborderai en premier lieu. J’évoquerai ensuite quatre autres points clefs de cette loi, à savoir la création des maisons départementales des personnes handicapées, le droit à compensation des conséquences du handicap, l’accès à la scolarisation et l’insertion professionnelle.

Qu’est-ce que l’accessibilité ? En France, il faut croire que c’est un rêve…

Je citerai Philippe Croizon, amputé des quatre membres, qui œuvre aux côtés de l’Association des paralysés de France : « Je rêve que la personne en situation de handicap dise : Je vais au cinéma, je vais faire mes courses, je vais prendre le métro, je travaille grâce aux compétences acquises pendant toute ma formation scolaire. »

Selon l’INSEE, son rêve est partagé par 9, 6 millions de personnes. Vous avez bien entendu, mes chers collègues : pour près de 10 millions de nos compatriotes, la ville est un parcours d’obstacles. Ce chiffre, incroyable, excède bien sûr largement celui de la population qui circule en fauteuil roulant, comme l’a rappelé Dominique Watrin.

Il y a dix ans, Jacques Chirac faisait voter la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dite « loi Handicap ». L’adoption de cette loi traduisait la volonté des pouvoirs publics de généraliser l’accessibilité dans tous les domaines de la vie sociale – éducation, emploi, cadre bâti, transports… –, cela dans un délai de dix ans.

Et voilà que le gouvernement socialiste veut oublier les échéances de la loi de 2005 ! Cette loi donnait dix ans pour réaliser les aménagements nécessaires afin de rendre accessibles les établissements recevant du public, d’une part, et les transports publics, d’autre part, les dates butoirs étant fixées, respectivement, au 1er janvier 2015 et au 13 février 2015.

Sentant qu’il ne pourrait jamais tenir les engagements de ses prédécesseurs, le Gouvernement a approuvé, lors du conseil des ministres du 25 septembre 2014, un projet d’ordonnance visant à redéfinir les modalités de mise en œuvre du volet « accessibilité » de la loi. Ainsi est né l’agenda d’accessibilité programmée, nouveau dispositif d’échéanciers de réalisation des travaux de mise en conformité par les acteurs publics et privés.

Voilà exactement un an, Philippe Croizon lançait une campagne et une pétition pour que le Gouvernement se ressaisisse, avec pour mot d’ordre : « Accessibilité : la liberté d’aller et de venir ne peut pas attendre 10 ans de plus ! » En effet, l’ordonnance permet d’octroyer de nouveaux délais de trois ans, de six ans ou même de neuf ans, selon les cas de figure !

Au début du mois de février dernier, des centaines de personnes en fauteuil roulant ont manifesté dans les rues d’une trentaine de villes de France. On lisait, sur leurs pancartes : « liberté, égalité, accessibilité » ou encore : « accéder, c’est exister ».

C’est le temps du bilan. En matière d’accessibilité, l’application de la loi du 11 février 2005 est un échec, je dirais même une indignité nationale, constatée dans une parfaite indifférence.

La loi du 11 février 2005 visait à faire de l’accessibilité une arme contre l’exclusion et la discrimination. Ce sera pour plus tard : demain, toujours demain.

Les chiffres sont affolants : une école primaire publique sur deux, six lignes de bus sur dix ou, tenez-vous bien, plus de 80 % des établissements recevant du public ne sont pas aux normes en matière d’accessibilité.

Dans ce domaine, mes chers collègues, le bilan est calamiteux. Il est plutôt décevant sur les quatre autres points que je vais maintenant évoquer.

Premièrement, les maisons départementales des personnes handicapées, créées par la loi de 2005, sont de nouveaux interlocuteurs de proximité ayant vocation à simplifier les démarches administratives. Elles doivent faire face à une explosion du nombre des demandeurs. Or le rapport de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, nous apprend que ces structures sont « agiles, mais fragiles ». De plus, les fonds départementaux de compensation souffrent de l’imprévisibilité de leurs ressources financières.

Madame la secrétaire d’État, vous avez annoncé un amendement gouvernemental au projet de loi relatif à la santé qui tendra à prévoir « une obligation d’orientation permanente des personnes » au sein des MDPH. Pouvez-vous clarifier la teneur de ce dispositif ?

Deuxièmement, la reconnaissance d’un droit à compensation des conséquences du handicap constitue un autre volet important de la loi de 2005. Les bénéficiaires de la PCH ont ainsi obtenu en moyenne sept heures d’aide humaine par jour, contre deux heures en moyenne précédemment. Toutefois, la PCH demeure insuffisante au regard des objectifs initiaux. Elle ne couvre pas les dépenses à hauteur des besoins réels et elle n’a jamais été étendue aux personnes devenues handicapées après l’âge de 60 ans, en contradiction avec ce que prévoyait la loi. Eu égard à la dégradation des finances départementales, comment assumer cette charge de manière pérenne ?

Troisièmement, l’accès à la scolarisation en milieu ordinaire représentait une belle promesse de la République faite au monde du handicap. Le nombre des assistants de vie scolaire a doublé en dix ans, mais reste très insuffisant. De plus, ces personnels sont souvent démunis face au handicap de l’enfant, par manque de spécialisation.

Si 42 % des jeunes entreprennent des études supérieures, seulement 9 % des élèves handicapés y parviennent. Ce trop faible niveau de qualification constitue le principal obstacle à leur insertion professionnelle.

En matière d’insertion professionnelle, précisément, si la loi de 2005 a permis des améliorations, les résultats sont loin d’être satisfaisants, le taux de chômage des personnes handicapées s’établissant à 22 %, soit le double de celui des valides. La loi de 2005 était-elle le bon véhicule législatif pour dynamiser l’insertion professionnelle ? La question se pose.

En conclusion, au-delà de la loi, c’est la société tout entière qui doit accepter le handicap. L’État ne fera jamais disparaître le handicap, ni la différence, la difformité, la souffrance, qui doivent être acceptés comme des réalités sociales, intégrés dans la « normalité », le quotidien de la vie, de l’école, des loisirs ou du monde du travail.

Tétraplégique depuis une quinzaine d’années à la suite d’une chute de cheval, Édouard Braine, ancien consul général à Londres, a pu mesurer l’écart qui séparait la France du Royaume-Uni :

« Depuis Londres, j’avais estimé notre retard sur les Britanniques à trente-cinq ans. Ce délai est celui qui sépare l’adoption de la loi principale sur le sujet votée par le parlement de Westminster, en 1970, tandis que la loi française date de 2005.

« Mon estimation était hélas optimiste, car, si les obligations d’accessibilité prévues dans notre loi étaient remises en cause, notre handicap par rapport aux Anglais dépasserait alors cinquante ans. […]

« Le mythe de la prise en charge intégrale, même dans une optique charitable, est une piste beaucoup moins efficace que l’approche pragmatique des Anglo-Saxons et de nos voisins en Europe. L’État providence […] est moins efficace qu’une société solidaire, où chacun peut trouver sa place, gagner sa vie et prouver son utilité. Les zandikapés ont moins besoin d’un ministère […] que d’une reconnaissance de leur normalité. »

Sinon, « les espoirs, nés de la prise de conscience collective révélée à l’automne 2011 par le succès du film Intouchables, inspiré du livre de Philippe Pozzo di Borgo, seraient alors réduits à néant ».

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