Intervention de Claire-Lise Campion

Réunion du 12 mars 2015 à 9h00
Débat sur le thème : « dix ans après le vote de la loi du 11 février 2005 bilan et perspectives pour les personnes en situation de handicap »

Photo de Claire-Lise CampionClaire-Lise Campion :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, trente ans après le texte fondateur de 1975, la loi du 11 février 2005 a incontestablement fait avancer la cause et la situation des personnes handicapées. Cette belle loi a à la fois affirmé de grands principes et posé des jalons pour la mise en œuvre d’une politique forte en faveur des personnes handicapées. Pour la première fois, elle a donné une définition du handicap qui intègre toutes les formes de déficience : physique, sensorielle, mentale, cognitive, psychique. Elle dépasse l’approche médicale et souligne l’importance de l’environnement dans la constitution du handicap.

C’est une loi ambitieuse, car elle visait, au travers d’une approche transversale, à couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées, et ce quel que soit leur âge : compensation du handicap, scolarisation, formation et emploi, accessibilité. Son entrée en vigueur a enclenché une dynamique inédite et des efforts incontestables ont été déployés.

Les mentalités ont évolué. Le regard de notre société se modifie lentement, trop lentement. La différence fait moins peur et le handicap est davantage perçu comme un facteur de progrès et de lien social.

Cependant, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux et la déception est grande parmi les personnes handicapées. À l’occasion de chaque rencontre ou échange, des personnes me disent que les choses ne vont pas assez vite, que cela fait quarante ans qu’elles attendent, qu’elles n’ont plus confiance. Je reçois des courriers qui relatent des difficultés inadmissibles ou décrivent le parcours du combattant accompli au quotidien afin de trouver une solution pour la prise en charge ou l’accueil d’un proche. Je comprends le sentiment d’usure des familles. Cette situation est intolérable, et notre responsabilité est engagée.

Mais je sais aussi le travail qui a été mené depuis 2012 et la volonté politique du Gouvernement de faire avancer les choses, dont témoigne sa forte mobilisation, compensant le manque d’engagement politique observé sous le précédent quinquennat.

J’aborderai successivement les thèmes de l’accessibilité, du travail et de la formation, de la santé.

La loi du 11 février 2005 a introduit le concept d’accessibilité universelle pour désigner le processus visant à éliminer toutes les barrières qui peuvent limiter l’exercice par une personne de ses activités quotidiennes. Toutefois, même si de réels progrès ont été accomplis, force est de constater que l’objectif n’avait pas été atteint à l’échéance du 1er janvier 2015.

La sensibilisation et la mobilisation des acteurs n’ont pas été à la hauteur de l’enjeu. L’application de la loi n’a pas été assez accompagnée et soutenue politiquement, comme Isabelle Debré et moi-même l’avons relevé dans le rapport, remis le 4 juillet 2012, que nous avons rédigé au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Une fois ce constat posé, la forte volonté politique du gouvernement de Jean-Marc Ayrault s’est mise en branle, avec le pragmatisme pour mot d’ordre. À l’issue d’une concertation nationale inédite – plus de 140 heures d’échanges et d’écoute –, il a été décidé de mettre en place des agendas d’accessibilité programmée, les Ad’AP, et une nouvelle réglementation tenant compte des retours d’expérience, afin de mettre un terme à de nombreuses incohérences. Nous reviendrons, à l’occasion de la ratification de l’ordonnance, sur ces éléments, mais je tiens à réaffirmer ici qu’il ne s’agit aucunement d’un recul.

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault faisait le constat dès son entrée en fonction, en 2012, que nous étions dans une impasse. Il n’était pas concevable de laisser la question se régler devant les tribunaux, en prenant ainsi le risque de devoir revenir sur l’objectif de la loi. Des tentatives en ce sens sont à déplorer, et nous ne devons pas les oublier. Cette réforme évite un retour en arrière. Elle nous inscrit dans un temps encadré, contrôlé. Nous ne renonçons à rien, nous donnons un délai pour atteindre l’objectif.

En ce qui concerne le travail et la formation, la loi de 2005 opère un changement de paradigme sur la question de l’emploi des personnes handicapées : traditionnellement appréhendée à partir de l’incapacité de la personne, elle est désormais envisagée à partir de l’évaluation des capacités de celle-ci.

S’inscrivant dans la continuité de la loi du 10 juillet 1987, la loi Handicap maintient pour tous les employeurs, privés et publics, de vingt salariés ou plus, l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés dans la proportion de 6 % de l’effectif total, tout en leur permettant de satisfaire à cette exigence selon diverses modalités. Surtout, elle étend aux employeurs publics le dispositif de contribution annuelle financière destiné à compenser le non-respect de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés, en créant le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP. La loi charge par ailleurs les maisons départementales des personnes handicapées d’évaluer l’employabilité des personnes concernées et de les orienter vers le marché du travail.

Dix ans après, les progrès sont perfectibles et trop lents. Certes, le taux d’emploi des personnes handicapées est proche de l’objectif visé. À titre d’exemple, la fonction publique territoriale est la plus vertueuse, devant la fonction publique hospitalière et la fonction publique d’État, leurs taux d’emploi de personnes handicapées s’établissant respectivement à 5, 97 %, à 5, 34 % et à près de 4 %.

Il n’en demeure pas moins que les chiffres sont en dessous de la réalité. Les salariés hésitent en effet à déclarer leur handicap, craignant que cela ne constitue un obstacle pour leur carrière.

Le fait est cependant que l’emploi des personnes handicapées a subi de plein fouet les effets de la crise économique depuis 2008. Le taux de chômage de ces personnes est deux fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population.

Si je salue l’accord signé pour trois ans au début de février 2015 entre l’État, Pôle emploi et Cap emploi, avec le soutien de l’AGEFIPH, l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, et du FIPHFP, je redis que le chemin restant à parcourir est long.

Derrière la question du chômage se cache celle de la formation. Le faible niveau de qualification des personnes handicapées est un obstacle à l’obtention d’un emploi. Dans ce domaine, l’espoir de voir s’infléchir la tendance est réel, compte tenu de la progression constatée de la scolarisation des enfants et des jeunes en situation de handicap.

Je dirai enfin quelques mots sur l’accès aux soins, qui est un droit fondamental, à l’égard duquel nous ne sommes pas tous égaux. Chacun s’accordera sur l’impérieuse nécessité de remédier aux inégalités, mais il est une fraction de la population pour qui se rendre chez le médecin de son choix relève du parcours du combattant. Les personnes porteuses de handicaps figurent indéniablement parmi celles qui rencontrent le plus de difficultés en matière d’accès aux soins et sont, partant, le plus victimes de ces inégalités, du fait à la fois de leur handicap, évidemment, d’un manque de formation des professionnels de santé, lesquels n’ont pas été préparés à accueillir et à prendre en charge les personnes handicapées dans leurs spécificités, et enfin du manque d’accessibilité des locaux, sujet trop peu souvent évoqué en matière d’entrave à l’accès aux soins.

Si l’égal accès aux soins est un enjeu de santé publique majeur pour l’ensemble des Français, des solutions devant être trouvées sous peine de rompre la promesse d’égalité républicaine, cette question se révèle bien plus saillante encore lorsqu’on l’envisage au travers du prisme du handicap.

À cet égard, je salue la signature par plus de trente organisations de la charte « Romain Jacob » pour l’accès aux soins des personnes en situation de handicap. Le Gouvernement, par la voix de Mme Neuville, a annoncé le dépôt d’amendements au projet de loi relatif à la santé tendant à permettre que les personnes porteuses de handicap puissent être prises en charge dans les meilleures conditions possible.

Mes chers collègues, nous ne manquerons pas, j’en suis sûre, de soutenir ces propositions. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons la responsabilité de faire vivre la loi du 11 février 2005. Œuvrons dans un esprit de solidarité pour que notre société permette à chacun de vivre avec ses singularités.

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