Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, aujourd’hui, selon l’INSEE, quelque 9, 6 millions de personnes sont en situation de handicap au sens large, de façon permanente ou conjoncturelle.
La politique en faveur des personnes handicapées mobilise des moyens financiers importants : près de 38 milliards d’euros en 2013, dont 14, 2 milliards d’euros provenant de l’État, 15, 8 milliards d’euros de la sécurité sociale, 1 milliard d’euros de la CNSA, 6, 3 milliards d’euros des départements, hors transferts de la CNSA, et 0, 4 milliard d’euros de l’AGEFIPH.
Malgré les très fortes tensions qui pèsent, depuis 2008, sur les finances publiques, les dépenses en matière de handicap ont non seulement pu être préservées, mais ont augmenté de 32, 4 % entre 2005 et 2010, une grande partie de cette augmentation ayant été supportée par les départements.
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a représenté une belle avancée sociale, particulièrement pour les plus dépendants. Elle a promu l’ambition d’une société plus accueillante, d’une société de l’inclusion, prenant en compte la personne, son projet de vie et ses besoins, ainsi que ses droits individuels, condition nécessaire à l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière.
La loi de 1975 n’était plus adaptée. Il fallait sortir de l’assistanat, de la compassion, du cantonnement dans l’aide sociale.
La loi de 2005 affirme que doit être garanti à toute personne – y compris celle qui « ne peut exprimer seule ses besoins » – « l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens », c’est-à-dire les soins, le dépistage, la prévention, la formation scolaire et professionnelle, l’emploi, le logement, les déplacements, le tourisme, la culture, etc. C’est le principe de l’accessibilité universelle qui est invoqué, ouvrant l’accès à tout pour tous sans restriction.
Cependant, sa mise en œuvre s’est faite dans la précipitation. Une grande partie des décrets publiés en décembre 2005 étaient applicables dès le 1er janvier 2006. Les conseils généraux se souviennent des locaux à trouver, des logiciels à harmoniser, des commissions exécutives à installer en une semaine, des personnels – libres de rester ou non – à remplacer et des bénéficiaires rendus exigeants par les grandes déclarations nationales.
Les bilans montrent la réactivité des départements et le rapport de 2012 des sénatrices Claire-Lise Campion et Isabelle Debré souligne les avancées majeures permises par la loi de 2005, tout en relevant que les résultats demeurent en deçà des espoirs initialement soulevés. Il est à noter que treize décrets resteraient encore à publier à ce jour – dix ans après !
Je m’attacherai à évoquer la compensation du handicap et la scolarisation des enfants handicapés.
La loi du 11 février 2005 a introduit le droit à compensation.
La prestation de compensation du handicap, versée par le conseil général – avec une participation de plus en plus faible de la CNSA, qui ne représente plus qu’un tiers de la charge –, finance des aides humaines, techniques et animalières, l’aménagement du logement ou d’un véhicule, ainsi que des charges spécifiques ou exceptionnelles.
Les conseils généraux ont versé la prestation de compensation du handicap à 170 000 personnes en 2014, contre 89 000 en 2006.
La PCH ne remplit pas toujours l’intégralité de sa vocation. Elle ne prend pas en compte, par exemple, l’intervention humaine de soutien aux jeunes parents handicapés et à leurs enfants. Certains départements prennent toutefois cette aide en charge.
La création du guichet unique des maisons départementales des personnes handicapées constitue un réel progrès. Une équipe pluridisciplinaire évalue les besoins spécifiques et les souhaits de la personne, ce qui signifie qu’à pathologie et déficience équivalentes, la réponse apportée peut être différente.
Les MDPH ont vocation à réduire les délais d’instruction des demandes, mais l’on constate encore des lenteurs et des fonctionnements disparates selon les départements en raison d’« embolies » liées à l’augmentation du nombre des sollicitations, mais également à des lourdeurs administratives, à la transformation du droit à être reçu en obligation de recevoir… Le choc de simplification et d’efficacité administrative n’a pas forcément été au rendez-vous, et les départements ont été contraints de mettre à disposition beaucoup plus de personnel que prévu : en Ille-et-Vilaine, par exemple, nous sommes passés de trente-cinq équivalents temps plein à soixante et un.
L’association des directeurs de MDPH a formulé des propositions d’allégement des procédures, comme l’a souligné M. Barbier à l’instant. Nous souhaitons que ces propositions soient examinées avec beaucoup d’attention.
Vous avez prévu, madame la secrétaire d’État, de recentrer les MDPH sur leur mission d’accompagnement global des personnes en situation de handicap et de leurs familles. Je crois que ce sera une bonne chose.
Le fonctionnement de la MDPH repose plus que jamais sur une mobilisation importante de la collectivité départementale, tant sur le plan des ressources humaines que sur celui des moyens financiers. Certains départements ont été contraints de se désengager des fonds départementaux de compensation du handicap, facultatifs certes, mais néanmoins utiles.
Un autre point fort de la loi de 2005 était l’obligation, pour le service public de l’éducation, d’accueillir les enfants en situation de handicap en milieu ordinaire. Elle a eu pour conséquence une progression très sensible du nombre des enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire : 258 710 étaient inscrits dans le premier et le second degré à la rentrée de 2014, contre 151 500 en 2005.
Ce bilan positif est toutefois à nuancer. La loi de 2005 prévoyait une étroite association des parents à la décision d’orientation de leur enfant, mais l’affectation des enfants ne coule pas de source dans de nombreux établissements, en raison d’un manque d’assistants de vie scolaire. Bien qu’en dix ans le nombre d’AVS ait plus que doublé – on en compte aujourd’hui 69 000 –, leur statut, même consolidé, demeure précaire.
Les AVS ne reçoivent pas de formation véritable sur les différentes familles de handicaps, l’approche des personnes en situation de handicap, les outils à utiliser et les méthodes à développer ; ils bénéficient tout juste d’une sensibilisation, d’une adaptation à l’emploi sur une durée de soixante heures.
L’intégration scolaire soulève quelques interrogations eu égard à ses limites : un élève qui a besoin en permanence d’un AVS à ses côtés tire-t-il un véritable profit de son intégration dans le milieu scolaire ordinaire ? Le maintien à tout prix dans un cursus ordinaire peut s’avérer, à terme, contreproductif. Il en est de même de certains adolescents maintenus en classes ULIS de lycée jusqu’à l’âge de 16 ans et qui en sortent sans solution et sans place dans le milieu spécialisé. Ces jeunes sont parfois renvoyés dans leur famille et l’un des deux parents doit alors s’arrêter de travailler. Comment introduire l’enseignement spécialisé comme une orientation adaptée, socialement acceptable pour l’enfant et ses parents ? Telle est la question qui se pose.
Que dire des surcoûts insupportables liés aux assurances exigées par les banques pour tout emprunt contracté par un handicapé voulant créer son entreprise ?
La loi du 11 février 2005 a eu le mérite de sortir la question du handicap du domaine exclusif de la santé et d’ouvrir une réflexion sur ce qu’est le handicap et sur les secteurs d’activité concernés : aménagement du territoire, scolarisation des enfants handicapés, insertion professionnelle. Assortie d’objectifs ambitieux, sa mise en œuvre se heurte à de réelles limites. Tout n’a pu être mis en place à ce jour ; il reste encore beaucoup à faire.
Nous savons pouvoir compter, madame la secrétaire d’État, sur votre engagement et votre détermination pour que le vivre-ensemble soit une réalité vécue par tous les membres d’une même société.