Je tiens tout d’abord à remercier notre rapporteur, Yves Détraigne, du travail effectué sur cette proposition de loi qui a suscité un vif intérêt de la part des membres de la commission des lois et de son président. Nous pouvons, de ce fait, procéder dès à présent à un nouvel examen de ce texte.
En effet, le délai dont avait disposé notre rapporteur lors du premier examen de la proposition de loi était si court qu’il était nécessaire d’approfondir la réflexion sur nos chemins ruraux, qui constituent un objet juridique hybride et complexe, recouvrant pratiquement la notion de domaine public, mais classifié par la loi dans le domaine privé, afin, c’est l’évidence, de ménager les finances publiques.
Je me réjouis donc de constater que ce retour en commission n’a pas débouché sur une impasse et a donné lieu à un travail constructif.
Une réponse au problème de la disparition silencieuse des chemins ruraux soumis à la prescription acquisitive est proposée. Il me semble que ce texte porte des mesures fortement attendues par nos collègues maires des territoires ruraux en pleine mutation.
Tout d’abord, je souhaite rappeler comment j’ai été amené à rédiger cette proposition de loi.
Elle est le fruit du constat que j’ai pu faire tout au long de ma vie professionnelle d’avoué à la cour d’appel d’Agen, qui traite beaucoup d’affaires rurales et dont la compétence s’exerce sur le Lot, le Gers et le Lot-et-Garonne, mais aussi à travers mon investissement au sein de la commission des maires ruraux du Lot-et-Garonne.
Qu’ai-je pu constater de ces points d’observation privilégiés durant de nombreuses années ? J’ai relevé un contentieux récurrent et aigu entre les communes et différents propriétaires privés sur des questions patrimoniales ayant pour origine la prescription acquisitive opposée au conseil municipal qui prend l’initiative de remettre en valeur une partie de son patrimoine.
Les exemples sont aussi divers que la nature du patrimoine rural qui compose notre territoire : cela va du puits au jardin du presbytère, en passant par le lavoir, le glacis des remparts, les dégagements autour des églises, les places, les jardins et, bien entendu, la plupart des chemins ruraux.
Cette problématique est née du fait que, pendant près d’un demi-siècle, ce patrimoine a vu ses fonctions disparaître, notamment en raison de l’exode rural.
Dans certains départements tels que le Gers ou le Lot, des villages entiers ont été abandonnés. Je peux vous citer le cas de la commune de Largade-Fimarcon, village castral laissé aux mains de deux ou trois habitants qui, au fil du temps, s’étaient approprié l’essentiel des lieux privés et publics de la commune. Il s’est ensuivi des procès sans fin avec la municipalité lorsque cette dernière a voulu reconstituer ses biens et mettre en valeur son patrimoine.
Cette question de la prescription acquisitive est très sensible sur l’ensemble des chemins ruraux. C’est clairement le plus grand patrimoine privé communal.
Ces chemins ruraux desservent les exploitations agricoles et relient les communes rurales entre elles. Ils ont fait l’objet de nombreuses appropriations pour des raisons assez simples : bien souvent, ils gênent les exploitations et, du fait de l’agrandissement de celles-ci ainsi que de l’adoption des nouveaux modes de culture, ils ont été labourés, clôturés et donc soumis à une prescription acquisitive.
Ce n’était pas un problème jusqu’en 1959, date à laquelle a été redéfinie la voierie communale dans son ensemble, avec la nouvelle classification des chemins ruraux incorporés dans le domaine privé des communes. Qu’a-t-on vu à partir de 1990, soit trente ans après ? Des particuliers se sont opposés à la réouverture de ces chemins !
Dès lors, les contentieux ont explosé, d’autant que les territoires se sont attachés à l’aménagement et à la réouverture de ces chemins ruraux dans le cadre d’une valorisation touristique, culturelle ou sportive.
Je citerai l’exemple des chemins de grande randonnée, les GR, notamment sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Localement, nous avons créé chez nous un chemin à thème clunisien de 104 kilomètres allant de Moissac à Moirax, et nous nous sommes trouvés face à ce type de difficulté, le chemin étant interrompu par une prescription acquisitive au milieu d’un bois.
Dans ma proposition de loi initiale, j’avais préconisé, de façon générale, de rendre imprescriptible le domaine privé immobilier des collectivités publiques, sachant que l’essentiel était constitué par les chemins ruraux.
Deux objections ont émergé dans les débats : d’une part, la protection de la propriété privée ; d’autre part, la distinction entre domaine public et domaine privé.
Retenir ce principe d’imprescriptibilité, qui s’ajouterait à celui de l’insaisissabilité, ne remet pas en cause l’ensemble des nombreuses autres règles du droit privé : aliénation, gestion, juridiction judiciaire compétente. Cela ne me semblait donc pas constituer un grand bouleversement.
Cependant, si la nécessité de rendre possible l’échange de parcelles comportant des chemins ruraux fait l’unanimité, l’imprescriptibilité a suscité de fortes réticences chez certains de nos collègues.
Je comprends les craintes de voir bousculer le principe régissant la propriété privée. C’est pourquoi la solution alternative et pragmatique adoptée par la commission des lois me convient, car mon objectif principal est bien la conservation des chemins. Cette solution sera un bon outil afin de stopper l’hémorragie à laquelle nous assistons.
La mise en place d’un dispositif incitant les communes à procéder à l’inventaire de leurs chemins et à délibérer sur leur devenir est nécessaire et appropriée.
Sont donc prévues à cet effet, d’une part, la suspension pendant deux ans du délai de prescription pour l’acquisition des parcelles comportant des chemins ruraux et, d’autre part, une procédure permettant à une commune, engagée dans une démarche d’inventaire, d’interrompre ce délai.
Enfin, la commission a repris ma proposition d’échange de parcelles avec des chemins ruraux pour en modifier le tracé. Elle a amélioré cette proposition en simplifiant la procédure de façon adroite. Cette mesure accompagnera opportunément la première partie de la proposition de loi.
Comme l’a signalé Yves Détraigne dans son rapport, « l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture a vu dans la possibilité d’échange proposée une manière paisible de procéder à un réaménagement du parcellaire agricole en vue de l’adapter aux nouvelles pratiques sans en passer par un remembrement ».
Outre le fait que cette faculté d’échange mettra un terme à une jurisprudence mal comprise du Conseil d’État, elle permettra aussi de favoriser le dialogue pour éviter les conflits d’usages.
Bien entendu, je serais très heureux que cette proposition de loi puisse être votée à une large majorité : l’objectif de renforcer la protection des chemins ruraux étant ainsi partagé, il n’en aurait que plus de chances d’être atteint. J’ajoute que j’approuve tout à fait le nouveau titre de la proposition de loi modifiée par la commission.