Séance en hémicycle du 12 mars 2015 à 15h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur les services à la personne.

Je me permets d’appeler votre attention, mes chers collègues, sur le fait que ces questions cribles thématiques sont appelées à disparaître, au profit de questions d’actualité, …

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

… suivant la décision prise par le bureau de notre assemblée sur le rapport de MM. Roger Karoutchi et Alain Richard, dont je salue la présence dans l’hémicycle.

Pour l’heure, ces questions cribles thématiques vont être posées à Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.

Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe.

Je rappelle également que ce débat est retransmis en direct sur France 3 et sur Public Sénat.

La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour le groupe UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question précède de quelques jours la discussion au Sénat du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, dont la philosophie est le maintien des personnes âgées à domicile.

J’ai présenté le 4 juin dernier, avec notre collègue Dominique Watrin, un rapport sur le sujet.

Pour ce qui concerne les publics les plus fragiles, personnes âgées et handicapées, notre constat est alarmant : le système est à bout de souffle et doit être réformé d’urgence. En effet, les services d’aide à domicile sont confrontés depuis plusieurs années à une dégradation de leur situation financière qui peut aller jusqu’à menacer leur pérennité.

Notre rapport formule treize propositions regroupées autour de trois axes. La discussion du projet de loi permettra de développer notre point de vue. Je me limiterai aujourd’hui à la question financière.

Permettre aux seniors de rester chez eux le plus longtemps possible est une aspiration largement répandue dans toutes les catégories sociales. Le maintien à domicile est d’ailleurs l’orientation prioritaire de votre projet de loi, madame la secrétaire d'État. Malheureusement, le doute est permis quant aux moyens d’y parvenir. C’est pourtant la voie d’avenir.

À l’heure actuelle, l’aide à domicile représente environ 8 500 structures et 557 000 salariés. Par ailleurs, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, estime à 300 000 le nombre de créations d’emplois d’ici à 2020 dans le secteur des services à la personne.

Les aides à domicile des personnes fragiles souffrent néanmoins d’un grave problème de financement. La part de l’État n’a cessé de baisser depuis l’origine – de 50 % à la création de l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, cette part s’est réduite à 28 % en 2014 –, de sorte que ce sont les départements qui, aujourd’hui, assurent l’essentiel du financement. Or, vous le savez, madame la secrétaire d’État, leurs finances sont exsangues.

Il faudra donc réformer l’APA, fixer un tarif national de référence et augmenter ses fonds d’intervention.

Madame la secrétaire d’État, que prévoyez-vous pour répondre à la situation alarmante que je viens d’évoquer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Vanlerenberghe, la réforme de l’APA à domicile est en effet un axe central du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, que votre assemblée examinera la semaine prochaine et qui devrait être définitivement adopté avant la fin de l’année, en vue d’une application pleine et entière au 1er janvier 2016.

Ce projet de loi est une véritable réforme de justice sociale : il permettra d’attaquer les inégalités à la racine et se concrétisera par des moyens supplémentaires, qui changeront la vie quotidienne de nos concitoyens âgés ainsi que celle des personnes qui les aident.

En particulier, la réforme de l’APA à domicile prévue dans ce projet de loi offrira une meilleure couverture des besoins couplée à une réduction significative du reste à charge.

Par exemple, les personnes en GIR 1 ou 2 – groupes iso-ressources – qui ont déjà atteint le plafond d’aide bénéficieront d’une heure d’APA supplémentaire. Les personnes moins affectées bénéficieront, elles, d’une heure supplémentaire par semaine. De surcroît, tous les bénéficiaires de l’ASPA, l’allocation de solidarité aux personnes âgées, pourront désormais voir leur plan d’aide totalement pris en charge, sans reste à charge.

La réforme de l’APA marquera aussi la création d’un droit nouveau pour les aidants : le droit au répit. Nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement la semaine prochaine.

Elle prévoit également une contribution de 25 millions d’euros par an afin d’améliorer les conditions de travail des salariés du secteur. C’est une mesure que j’ai anticipée dès 2015.

L’ensemble de cette réforme représente un financement nouveau de plus de 450 millions d’euros, soit une revalorisation de l’APA à domicile de 13 % en une seule fois. C’est une avancée totalement inédite. Je précise que ces dépenses nouvelles seront entièrement compensées auprès des départements, chefs de file en matière de politique gérontologique.

Ainsi, le taux de compensation par l’État des dépenses liées à l’APA, après avoir effectivement chuté de 12 points entre 2002 et 2012, passant de 43 % à 31 % – niveau auquel il est resté depuis lors, selon les analyses conjointes de l’ODAS, l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée, et de l’ADF, l’Assemblée des départements de France –, remontera, grâce à la future loi, à 36 %. La charge des départements s’en trouvera soulagée d’autant.

Enfin, je voudrais évoquer la méthode qui a présidé au financement des mesures de ce projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Il vous faudrait conclure, madame la secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Laurence Rossignol, secrétaire d'État

En un mot, quelque 650 millions d’euros seront consacrés au vieillissement suivant une méthode originale, qui consiste à déterminer le volume des dépenses en fonction des recettes de la CASA – contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie. Mais j’aurai certainement l’occasion de revenir sur ce point en répondant à une autre question.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

J’ai pris note des données chiffrées que vous avez citées, madame la secrétaire d’État. En vérité, nous les connaissions déjà puisque la commission des affaires sociales s’est, bien entendu, déjà penchée sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.

Je pense que, même après l’adoption de cette réforme, il restera un effort supplémentaire à accomplir. Il suffit d’écouter toutes les associations ou les entreprises d’aide à domicile pour comprendre que leur pérennité est aujourd’hui menacée.

Compte tenu du vieillissement de la population et d’une demande qui va croissant, l’effort que vous avez évoqué ne suffira malheureusement pas.

Quoi qu’il en soit, nous aurons l’occasion d’y revenir la semaine prochaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Lemoyne

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accompagnement tout au long des âges de la vie est un sujet majeur.

C’est vrai dès l’arrivée d’un enfant dans un foyer, qui requiert la mise en place d’une nouvelle organisation, notamment pour que les parents puissent concilier vie professionnelle et vie familiale.

C’est vrai également avec l’allongement de la durée de la vie, qui nécessite, à partir d’un certain âge, le recours à des aides pour accomplir des tâches ménagères ou recevoir des soins à domicile.

Plusieurs types d’intervenants se mobilisent pour faire face et nous aider, à titre individuel ou collectif, à relever ces défis.

Je pense aux aidants, aux proches, qui, de façon bénévole, avec cœur et générosité, se dévouent sans compter.

Je pense aux dirigeants et aux salariés des associations d’aide à domicile et, plus largement, du secteur privé non lucratif, qui rendent de précieux services, en particulier dans les zones rurales, pour que l’éloignement des personnes âgées ne soit pas synonyme d’isolement définitif.

Ce que je vois dans mon canton de Chéroy, dans l’Yonne, me permet de témoigner du professionnalisme et de la bonté déployés par les organismes membres de l’UNA, l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles, et de l’ADMR. Je suis persuadé que tous les collègues pourraient apporter un témoignage semblable concernant leur canton respectif.

Je pense également à toutes celles et ceux qui interviennent auprès de particuliers employeurs.

À quelques jours de l’examen en séance publique du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, je tenais, madame la secrétaire d’État, à appeler votre attention sur plusieurs problèmes qui appellent des décisions afin de pérenniser l’ensemble de ce précieux tissu.

S’agissant de l’aide à domicile, la réduction drastique des financements par les CARSAT, les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, et les caisses de retraite pour les heures octroyées aboutit à des aberrations, dont je peux citer des illustrations concrètes : par exemple, une personne aveugle qui conserve sa mobilité n’est pas éligible pour recevoir un dossier, ne serait-ce que pour que sa situation soit examinée !

Mme Françoise Laborde acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Lemoyne

Par ailleurs, les réductions budgétaires ont pour effet de plonger dans le rouge nombre d’associations.

S’agissant des particuliers employeurs, le Sénat avait adopté dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 une mesure visant à augmenter l’allégement de charges pour l’emploi d’un salarié à domicile. Malheureusement, vous en avez considérablement réduit la portée en ciblant le dispositif d’une manière beaucoup trop précise.

Madame la secrétaire d’État, vous l’avez compris, les retours d’expérience du terrain montrent qu’il faut ajuster un certain nombre de dispositifs.

Je ne doute pas de votre engagement personnel, mais vous donnez-vous les moyens de pérenniser et de développer ces activités non délocalisables, et qui répondent à de véritables besoins ?

Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Je vous remercie, monsieur le sénateur, de saluer mon engagement personnel. Croyez bien qu’il est à la hauteur de celui de l’ensemble du Gouvernement.

Depuis mon entrée en fonction, il y a un an, j’ai effectivement pris la mesure des difficultés rencontrées par le secteur de l’aide à domicile, grâce aux visites que j’ai effectuées sur le terrain, grâces à mes rencontres avec les fédérations, mais aussi grâce à la lecture des excellents rapports de MM. Dominique Watrin et Jean-Marie Vanlerenberghe.

Mon action consiste à essayer de structurer une offre d’accompagnement qui soit solide, innovante et viable. On ne peut pas continuellement soutenir un secteur sur la base d’un fonds provisoire reconduit chaque année, même si, depuis 2012, ce dernier a permis de mobiliser 130 millions d’euros en faveur de 1 400 services. Il nous faut donc réfléchir à une réforme structurelle et organisationnelle.

C’est ce que je fais en mobilisant le secteur autour de la création des SPASAD, les services polyvalents d’aide et de soins à domicile, qui résultent de la fusion entre les SIAD, les soins infirmiers à domicile, et les SAD, les services d’aide à domicile.

En outre, comme je l’ai laissé entendre il y a un instant, l’État va engager, à travers cette réforme, 450 millions d’euros supplémentaires en direction du secteur de l’aide à domicile, qui recevra ainsi une véritable bouffée d’oxygène.

J’ai obtenu une augmentation salariale de 25 millions d’euros pour les salariés de l’aide à domicile, avec un rattrapage d’un point au 1er juillet 2014, alors que les salaires étaient restés gelés pendant de nombreuses années.

À court terme, le chantier de la refondation est lancé avec mes collègues et le vote du projet de loi cette année sera le signe d’une véritable mobilisation. Croyez-moi, nous ne lâchons rien sur le soutien de l’aide à domicile, qui est en effet la condition du maintien des personnes âgées chez elles.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Lemoyne

Je vous remercie de ces précisions, madame la secrétaire d’État.

Les paroles sont là, mais nous attendons des actes. En l’occurrence, nous attendons que, la semaine prochaine, vous acceptiez un certain nombre d’amendements de la commission des affaires sociales visant notamment à aider les départements qui, eux, sont en première ligne pour ce qui est de l’accompagnement des personnes âgées.

Il faut en effet avoir en tête que l’APA est financée à hauteur de 70 %, quasiment, par les départements. Nous aurons donc l’occasion d’examiner des amendements tendant à réviser la répartition des fonds de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, en faveur des départements. C’est un enjeu vraiment crucial !

Vous évoquez les revalorisations, mais encore faut-il que les associations ne subissent pas d’effet de ciseaux, car les décisions prises par les CARSAT risquent d’entraîner une diminution des heures de travail et donc du « chiffre d’affaires » des associations, alors même que leurs frais augmentent.

Il y a là un danger réel qui peut remettre en cause l’existence d’associations dans certains territoires. Restons donc mobilisés et soyons au rendez-vous la semaine prochaine pour l’examen des amendements de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son acception la plus large, la notion de services à la personne englobe une grande diversité d’acteurs et de publics. Ce secteur en plein développement fait face à plusieurs écueils ; divers rapports parlementaires lui ont d’ailleurs été consacrés.

La semaine prochaine, nous aborderons ces thématiques lors de l’examen du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, qui apporte en la matière des améliorations notables.

Ma question porte plus spécifiquement sur les services aux personnes atteintes de handicap et aux personnes âgées, à qui l’aide à la personne permet de continuer à vivre aussi longtemps que possible chez elles.

Cette aide à domicile est, de l’avis de tous, un système à bout de souffle. La réforme à venir ne répond pas totalement, malgré la nouvelle affectation de la CASA, à la question de sa soutenabilité financière pour les départements, alors que leurs dépenses sociales ont connu une forte hausse ces dernières années, comme l’indique une étude récente de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – DREES.

J’aimerais également connaître la position du Gouvernement sur le passage de l’ensemble des services aux personnes handicapées ou en perte d’autonomie sous le régime unique de l’autorisation, auquel tend un amendement adopté en commission des affaires sociales.

Enfin, le 7 mars dernier, à l’occasion d’une quinzaine de rassemblements sur l’ensemble du territoire, plusieurs réseaux d’aide à domicile ont demandé la mise en place d’un nouveau fonds d’urgence pour 2015. La réforme devant entrer en vigueur au 1er janvier 2016, j’aimerais savoir, madame la secrétaire d’État, ce que compte leur répondre le Gouvernement.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Il eût peut-être mieux valu, au moment où cette loi a été votée, isoler les services aux personnes âgées et aux personnes handicapées.

Il reste que la loi a aujourd’hui dix ans et que de nombreux services se sont développés sur son fondement. C’est l’existant, et il nous revient de le gérer avec responsabilité, en ayant par conséquent le souci de rendre le secteur plus lisible mais aussi de sauvegarder l’emploi.

La préoccupation que je partage avec Marisol Touraine et Ségolène Neuville, c’est celle de l’accompagnement à domicile des personnes fragilisées, et notre action en la matière tend à répondre à trois enjeux tout à fait clairs : la structuration territoriale de l’offre, notamment dans les zones rurales et isolées ; la qualité de l’accompagnement, et donc la professionnalisation ; les conditions de solvabilisation de la demande pour limiter le reste à charge.

Faut-il pour autant mettre fin à la dualité agrément et autorisation ? Nous devons réfléchir, me semble-t-il, à un régime unifié et promouvoir une contractualisation pluriannuelle. Cet objectif fait d’ailleurs l’objet d’une proposition que partagent les derniers rapports rendus sur le sujet par la Cour des comptes et les parlementaires. Mais, derrière le consensus sur la cible, se pose la question de la méthode et du calendrier. Je souhaite, pour ma part, construire un projet responsable et pérenne.

La commission des affaires sociales du Sénat a introduit un article 32 bis dans le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement. Lors de mon audition par celle-ci, j’avais indiqué que j’étais à l’écoute des propositions du Parlement sur ce dossier complexe. Nous aurons l’occasion d’en discuter plus avant la semaine prochaine, mais la rédaction retenue par la commission des affaires sociales soulève des problèmes importants en matière de rythme d’application et d’effet sur le secteur.

Il nous faut donc, madame Laborde, viser la cible et préserver l’existant, tout en le faisant évoluer.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Merci pour cette réponse très claire, madame la secrétaire d’État.

Nous connaissons, bien sûr, le contexte budgétaire contraint dans lequel cette réforme doit s’opérer. Je souhaitais cependant vous alerter sur le décalage entre les objectifs assignés à cette politique publique et les moyens qui y sont affectés. Nous aurons, bien sûr, l’occasion d’en débattre la semaine prochaine.

La mise en place de mutualisations et d’expérimentations va dans le bon sens, mais nous serons particulièrement vigilants quant à la revalorisation et à l’amélioration de l’APA. Nous serons également attentifs aux mesures destinées à rendre plus attractif le secteur de l’aide à domicile, mesures qui sont indispensables.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le dispositif du chèque emploi-service, remplacé en 2006 par le chèque emploi-service universel, le CESU, a fêté ses vingt ans en décembre dernier. Ce moyen de paiement et de déclaration, d’une commodité exemplaire, a permis de simplifier les modalités d’emploi à domicile et de faire reculer considérablement la non-déclaration des employés.

Sécurité et simplicité d’utilisation, larges possibilités de cofinancement et avantages fiscaux et sociaux ont contribué au succès du dispositif, que ce soit dans sa forme déclarative – 1, 4 million de particuliers employeurs l’utilisent – ou préfinancée, puisque 806 millions de titres ont été émis en 2014.

Le CESU vient grandement faciliter la vie des personnes qui ont recours à des services ; je le disais à l’instant, 1, 4 million de particuliers employeurs l’utilisent, sur les 3, 7 millions que compte notre pays. Il s’agit donc d’un secteur important de notre économie puisque ces employeurs versent chaque année 12, 2 milliards d’euros à 1, 6 million de salariés.

Les avantages du CESU pour l’employeur doivent se retrouver du côté du salarié ; des avancées notables ont d’ailleurs été réalisées à cet égard. Ainsi, un partenariat a été instauré entre les représentants de l’emploi à domicile et Pôle emploi en 2009.

Il reste néanmoins du chemin à parcourir dans la voie de la simplification. Ainsi, en cas d’arrêt maladie, les salariés doivent demander à chacun de leurs employeurs, lorsqu’ils en ont plusieurs, ce qui est fréquent, de remplir un formulaire, d’ailleurs assez compliqué. S’il manque un seul de ces documents, l’indemnisation n’est pas versée !

Prenons l’exemple d’un jardinier qui travaille pour huit employeurs différents ; en cas de maladie, on le comprend très vite, sa demande d’indemnisation relève du parcours du combattant !

Pourtant, madame la secrétaire d’État, les documents nécessaires existent déjà !

Dès lors, quelles mesures comptez-vous prendre pour que les employés rémunérés grâce au CESU profitent eux aussi, lorsqu’ils tombent malades, d’une gestion simplifiée de leur dossier ?

Mmes Catherine Procaccia, Colette Mélot et Marie-Annick Duchêne, ainsi que M. Jacques Gautier applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Monsieur le sénateur, avant de répondre à votre question sur la complexité de certaines situations particulières, je veux à mon tour me féliciter de la simplicité du CESU. Il s’agit en effet d’un dispositif facile à manier, notamment pour les employeurs.

Debut de section - Permalien
Laurence Rossignol, secrétaire d’État

Puisque nous ne sommes jamais en retard pour dénoncer les complexités, n’hésitons pas à saluer les réussites en matière de simplification !

Du reste, c’est bien parce qu’il est simple que le CESU est utilisé chaque mois par plus d’un million d’employeurs et un demi-million de salariés.

Ce dispositif est aujourd’hui arrivé à maturité ; il couvre la quasi-totalité de la population des particuliers employeurs éligibles. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 l’a en effet ouvert à l’outre-mer, et le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement prévoit la déclaration des accueillants familiaux par le biais du CESU.

Vous déplorez cependant que certaines démarches restent complexes dans la mesure où le CESU ne les prend pas en charge. Vous évoquez plus particulièrement le cas des arrêts maladie.

La réponse proposée par le Gouvernement consiste à garantir la diffusion d’une meilleure information ; grâce au portail unique net-particulier.fr, par exemple, les particuliers employeurs et leurs salariés disposent d’une information étendue sur la protection sociale de base et complémentaire, ainsi que sur les démarches à réaliser en cas de congés ou de fin de la relation de travail.

La suggestion que vous faites – permettre une simplification des démarches liées aux arrêts maladie pour les utilisateurs de CESU et leurs salariés à partir des données déjà disponibles et des circuits existants – suppose de réaliser une analyse de faisabilité. Cela dit, c’est une piste de simplification qui paraît très pertinente au Gouvernement. Mon collègue Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification, toujours très attentif à ce type de propositions, ne manquera pas d’être très intéressé par la vôtre, monsieur le sénateur. Nous demanderons également aux services de l’assurance maladie et de l’URSSAF de bien vouloir l’étudier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

M. Jean Desessard. Quel bonheur de vous entendre, madame la secrétaire d’État !

Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Mme la secrétaire d’État a été positive ; je l’en remercie, mes chers collègues !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Le CESU, c’est vrai, a simplifié la vie des employeurs. J’ai cependant évoqué les problèmes que pouvait rencontrer une personne rémunérée grâce au CESU en cas d’arrêt maladie. En effet, elle est alors obligée d’aller voir chacun de ses employeurs pour leur faire remplir des papiers compliqués.

Mme la secrétaire en est convenue : ces documents existent déjà, ils sont connus. Il suffirait donc de demander aux employeurs de valider la demande d’arrêt maladie, sans avoir à remplir d’autres formulaires.

Je vous remercie donc de votre réponse, madame la secrétaire d’État ; je serai attentif aux suites qui seront données à ce dossier par M. Thierry Mandon.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Dominique Watrin, pour le groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Nombreuses sont les fédérations d’aide à domicile qui dénoncent le décalage entre le coût de revient de leurs prestations et les tarifs horaires sur la base desquelles elles sont rémunérées.

Madame la secrétaire d’État, cela fait presqu’un an que Jean-Marie Vanlerenberghe et moi-même vous avons remis un rapport, adopté à l’unanimité par la commission des affaires sociales du Sénat, vous alertant sur cette situation.

L’une des principales propositions qui y figurent consiste à mettre en place un tarif national de référence à la hauteur des coûts de revient. Où en est la réflexion de vos services à ce sujet ? Où en est l’étude nationale des coûts qui avait été diligentée par la direction générale de la cohésion sociale ? Confirme-t-elle la nécessité d’une tarification autour de 22 euros de l’heure pour permettre l’équilibre économique de ce secteur et assurer la qualité des prestations offertes ? Je le rappelle, en effet, deux tiers des départements, sur fond de désengagement de l’État, pratiquent des tarifs moyens inférieurs à 20 euros de l’heure.

Les associations d’aide à domicile subissent aussi le contrecoup des contraintes budgétaires que connaissent les CARSAT, ce qui les amène à recentrer leurs interventions d’aide ménagère auprès de publics de plus en plus âgés, c'est-à-dire des personnes de 75 ans, voire 80 ans, alors que, voilà quelques années, elles concernaient plutôt des personnes de 65 ans.

Que comptez-vous faire pour mettre fin à ce recul considérable en matière d’accompagnement à domicile et de prévention, qui est en totale contradiction avec les objectifs affichés par le projet de loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement ?

Les salariés de ces associations, dont 98 % sont des femmes, perçoivent en moyenne 832 euros par mois. Dès lors, la hausse d’un point d’indice n’est qu’une aumône, d’autant que cette profession attend une vraie revalorisation depuis 2009 !

Madame la secrétaire d’État, quels financements comptez-vous mobiliser pour répondre à tous ces défis ?

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Monsieur le sénateur, les questions de reconnaissance des coûts de revient des services d’aide à domicile et d’émergence d’un tarif national de référence APA sont récurrentes. J’ai d’ailleurs bien en tête le rapport que vous avez co-écrit avec Jean-Marie Vanlerenberghe sur le sujet.

S’agissant, tout d’abord, de la partie de votre question relative au coût de revient, je vous rappelle qu’il s’agit là d’une activité économique largement solvabilisée par la puissance publique. J’entends sans cesse parler du nécessaire engagement de l’État en la matière. Or ce sont 21 milliards d’euros de fonds publics qui sont consacrés chaque année à la prise en charge de la dépendance. Ayons donc ce chiffre en tête lorsque nous traitons de ce sujet.

Avant d’évoquer d’éventuels financements complémentaires, il convient de répondre à plusieurs questions. De quoi parle-t-on ? De quel panier de prestations ? Dans quelles zones d’intervention? Quelle est la qualification des intervenants ? En résumé, quel est le service rendu aux personnes accompagnées à domicile ?

Pour répondre à ces questions, il faut d’abord avoir une connaissance précise de la situation. C’est pourquoi j’ai fait accélérer deux études très attendues par le secteur : l’évaluation par l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – des expérimentations tarifaires des services d’aide et d’accompagnement à domicile – SAAD –, actuellement conduites dans une quinzaine de départements ; une étude nationale des coûts et des prestations dans cinquante services, répartis dans dix départements.

Le rapport de l’IGAS sera disponible avant l’été et l’étude nationale des coûts, en septembre. Ils permettront notamment d’avoir une mesure objective des différences de tarifs observables sur le territoire. Je m’engage d’ailleurs, monsieur Watrin, monsieur Vanlerenberghe, à vous transmettre ces deux rapports dès que je les aurai reçus, afin de solliciter votre avis.

J’en viens à votre deuxième question : faut-il un tarif national de référence APA ? À ce stade des travaux, je n’y suis pas favorable. Il serait en effet fixé assez bas pour permettre aux départements de l’ajuster en fonction des spécificités.

Pour ma part, je souhaite davantage travailler autour de la généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM, qui sont au cœur de l’expérimentation conduite entre l’Assemblée des départements de France et les fédérations du secteur. Ces CPOM permettent de financer la prestation directe au domicile de l’usager, mais aussi de prendre en compte les spécificités des services, comme les interventions en zone rurale, les horaires élargis et les démarches de qualité.

Bien entendu, nous aurons l’occasion de poursuivre cette discussion la semaine prochaine, monsieur le sénateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Dominique Watrin, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Madame la secrétaire d’État, vous ne m’avez pas répondu sur le financement.

Vous invoquez les « contraintes financières » pour écarter l’idée, pourtant largement partagée, d’un tarif national de référence à la hauteur des coûts de revient qui garantirait l’équilibre.

Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, que notre assemblée examinera dans quelques jours, contient effectivement quelques timides avancées pour les usagers. Mais elles reposent uniquement sur la CASA, une taxe de 0, 3 % qui pèse sur les seuls retraités…

Puisque vous prétendez manquer de moyens, pourquoi ne pas instaurer une contribution de solidarité des actionnaires qui rapporterait autant que la CASA ? Il suffirait de prélever 1 % sur les dividendes des seuls groupes du CAC 40 ou 0, 3 %, comme pour les retraités, sur l’ensemble des 200 milliards d’euros versés aux actionnaires dans notre pays. N’y a-t-il pas là une piste à étudier si l’on veut vraiment répondre aux défis du vieillissement ?

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour le groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le secteur des emplois à domicile représente 3, 6 millions d’employeurs et 1, 6 million de salariés. Il continue de subir un fort recul, avec une perte estimée à 35 000 équivalents temps plein sur les années 2012 et 2013. Les chiffres de 2014 ne sont pas encore disponibles, mais on sait que la masse salariale sera toujours en net recul pour l’ensemble du secteur.

Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, un abattement forfaitaire doublé avait été introduit par amendement pour les particuliers employant une personne à domicile pour des services liés à la garde d’enfants, aux personnes âgés dépendantes et aux personnes handicapées. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme. Pour ma part, j’avais déposé un amendement tendant à porter la déduction forfaitaire par heure travaillée pour l’ensemble des emplois concernés de 75 centimes à 1, 50 euro.

Indépendamment du nombre d’emplois supprimés, la situation résultant de la décision du Conseil constitutionnel laisse supposer un retour à, au moins, une part de travail non déclaré.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Ces emplois sont souvent occupés par des personnes en situation précaire qui voient alors leurs cotisations de sécurité sociale et de retraite diminuer fortement, quand elles n’ont pas complètement perdu leur emploi, ce qui les conduit à relever de l’assurance chômage.

Nous le savons d’expérience, les variations des dispositifs fiscaux et sociaux ont des effets directs et rapides sur les emplois à domicile et sur leur déclaration ou leur non-déclaration.

Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Sans vouloir revenir intégralement aux dispositions qui existaient auparavant – je pense à l’abattement de 15 points sur les cotisations sociales des ménages qui déclaraient leurs employés à domicile sur la base du réel, dispositif supprimé par le gouvernement précédent –, nous souhaiterions connaître les mesures que le Gouvernement envisage de prendre pour remédier à cet état de fait, préjudiciable pour les personnes concernées, c'est-à-dire les employeurs et les salariés, mais également néfaste pour la situation de l’emploi dans notre pays et l’équilibre des différents organismes sociaux.

Debut de section - Permalien
Laurence Rossignol, secrétaire d'État

Monsieur Godefroy, la baisse du nombre d’heures déclarées n’a pas commencé l’année dernière ni même voilà deux ans ; elle est engagée depuis 2009 ! Chacun peut donc y prendre sa part de responsabilité. En outre, elle n’est corrélée ni à l’essor de pratiques illégales ni aux évolutions réglementaires ou fiscales récentes.

Comme la Cour des comptes l’a souligné au mois de juillet 2014, c’est principalement l’évolution à la baisse du revenu disponible des ménages et la maturité atteinte par le secteur depuis la fin des années 2000 qui expliquent les tendances observées.

Les chiffres du secteur pour 2013 nous montrent que la baisse de 3, 5 % des heures rémunérées par rapport à 2012 est uniquement imputable au recul de l’emploi direct.

L’activité des services à domicile prestataires, quant à elle, reste stable. L’emploi en mode prestataire a même augmenté de 1, 7 %. On assiste en effet depuis 2002 à un vaste mouvement de basculement de l’emploi direct vers le recours aux prestataires. Ainsi, les services prestataires sont passés de 19 % du marché en 2002 à 41 % en 2013.

Vous l’avez rappelé, le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif voté par le Parlement au mois de juillet 2014. Le Gouvernement n’a pas souhaité y revenir. En effet, cette mesure présentait plusieurs limites. D’une part, elle n’excluait pas les services de confort et risquait donc de s’avérer mal ciblée. D’autre part, elle aurait été inopérante pour les publics fragiles : les particuliers employeurs en perte d’autonomie bénéficient déjà d’une exonération totale des cotisations patronales de sécurité sociale et sans plafond de rémunération pour l’emploi d’une aide à domicile, quelles que soient la forme et la durée du contrat de travail.

Je terminerai en évoquant la garde d’enfant. Le Gouvernement a fait le choix de cibler son effort en apportant un soutien financier pour la garde des enfants âgés de six à treize ans révolus, qui ne bénéficie aujourd’hui d’aucune aide autre que l’abattement de 75 centimes et la réduction d’impôts. En doublant l’abattement en faveur de la garde de ces enfants, le Gouvernement a mis en place une mesure de solidarité, pour un coût de 75 millions d’euros, qui s’inscrit dans l’ensemble des outils de la politique familiale.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Madame la secrétaire d’État, votre réponse contient des éléments positifs.

Cependant, ce serait, me semble-t-il, une erreur de ne pas prendre en compte l’effet des modifications du régime fiscal sur le volume d’emplois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

D’ailleurs, il suffit de se renseigner auprès des personnes employant des salariés à domicile pour s’apercevoir que les mesures fiscales ont eu des conséquences directes sur les conditions d’emploi et le nombre d’heures travaillées.

Je pense qu’une réflexion s’impose. Certains avaient qualifié le dispositif auquel j’ai fait référence de « niche ». Mais lorsqu’une niche permet d’employer des personnes qui cotiseront à la sécurité sociale et aux caisses de retraite, elle mérite que l’on s’y intéresse.

J’engage donc le Gouvernement à considérer la nécessité de revoir les dispositions relatives aux emplois à domicile dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Applaudissements sur de nombreuses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Cyril Pellevat

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les services d’aide à la personne permettent, à travers la diversité de leurs activités, d’apporter une réponse globale aux besoins des personnes âgées, handicapées ou malades à leur domicile.

Ces services sont indissociables des politiques sociales menées par l’État depuis les années 1950. Ce secteur est un vivier important d’emplois pour notre pays. Avec le plan Borloo en 2005, il a connu une accélération importante sur la période 2003-2009 : plus de 180 000 postes ont ainsi été créés.

On constate malheureusement, depuis 2008 et 2009, une fragilisation du secteur de l’aide à domicile. Celle-ci est en effet étroitement dépendante des financements publics.

Ce phénomène de fragilisation des organismes d’aide à domicile s’est accentué dernièrement. On assiste à une baisse significative des capacités financières de ses principaux contributeurs : caisses de retraite, sécurité sociale, mutuelles et, plus encore, conseils généraux. Ces derniers ont su combler les déficits, mais de telles solutions restent ponctuelles et locales, d’autant que les dotations de l’État diminuent fortement.

Les services à domicile voient leur trésorerie se réduire. De nombreuses associations ont d’ailleurs mis la clé sous la porte. On estime à plus de 300 le nombre des structures qui seraient menacées.

Face à des difficultés économiques croissantes, les organismes publics et privés à but non lucratif demandent qu’une réflexion soit menée sur le système de financement des services d’aide à domicile.

Déjà éprouvés par des décisions successives de suppression d’exonérations, les organismes prestataires ou mandataires demandent notamment que la CASA, mise en place depuis 2013, soit effective et que les 650 millions d’euros prélevés cette année sur les retraites imposables soient enfin alloués à l’accompagnement des personnes âgées.

Madame la secrétaire d’État, il est du devoir de la Nation de prendre en charge la dépendance et son accompagnement.

Soutenir l’aide à domicile, c’est maintenir la solidarité en milieu rural dans des zones déjà lourdement frappées par le chômage ou la désertification des services ; c’est garantir le maintien de l’autonomie à domicile alors que les structures adaptées pour personnes dépendantes manquent de lits ; c’est veiller au bien-être des professionnels qui exercent un métier difficile en évitant le morcellement du travail, conséquence des économies que doivent faire les organismes ; c’est assurer un vivier d’emplois importants, les projections pour le secteur permettant d’envisager la création de près de 100 000 équivalents temps plein en cinq ans et de 200 000 à 240 000 équivalents temps plein dans les vingt prochaines années.

Madame la secrétaire d’État, il est temps de penser à réformer le système de financement et de tarification de l’aide à domicile. Quelles mesures d’urgence le Gouvernement compte-t-il prendre, quels moyens financiers compte-t-il mobiliser, pour répondre à ce défi, qui relève de la cohésion sociale ?

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Monsieur le sénateur, je vous remercie de me donner ainsi l’occasion de compléter la réponse que j’avais adressée tout à l’heure à M. Lemoyne.

Votre collègue m’interrogeait à propos d’une rétractation des CARSAT sur l’aide à domicile.

M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Nous partageons tous vos constats, monsieur Pellevat. Nous recherchons des solutions en matière d’évolution de la tarification. C’est le sens du chantier que j’ai engagé le 17 décembre dernier. Avec l’Assemblée des départements de France, nous avons élaboré la feuille de route des réformes à mener en 2015. Comme je viens de le préciser, j’attends avec impatience le rapport de l’IGAS sur l’évaluation des expérimentations tarifaires, pour en tirer toutes les conséquences.

Enfin, j’attends beaucoup de la rédaction du cahier des charges des SPASAD intégrés, que j’ai lancée le 19 février. Je ne fétichise pas les SPASAD, mais je suis convaincue qu’ils représentent une réforme à la fois de l’organisation du travail, de la qualité de l’offre et de l’intervention auprès des personnes âgées et de la qualité de l’emploi et de professionnalisation des personnels qui y travaillent. On ne peut plus se contenter de remettre de l’argent dans le secteur sans faire évoluer les conditions de tarification et la structure.

À mon sens, l’avenir du secteur passe très probablement par l’intégration de l’aide à domicile et des soins infirmiers à domicile.

Debut de section - PermalienPhoto de Cyril Pellevat

M. Cyril Pellevat. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État, même si je vous avoue qu’elle me laisse un peu déçu. Les attentes dans le secteur sont très fortes. Nous avons vraiment besoin de moyens pour avancer.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, faisant écho à la question posée par M. Desessard, j’aimerais vous renvoyer à la lecture du compte rendu intégral des débats de la séance du 10 novembre 1993, publié dans le Journal officiel de la République française, séance au cours de laquelle le Sénat avait débattu de la création du chèque emploi-service. J’ai quelques souvenirs des discussions de l’époque…

Je me réjouis de constater que ce dispositif fait aujourd'hui l’unanimité. Il est des bonnes idées qui mettent du temps à cheminer… C’est en tout cas la preuve que, même dans des formations politiques dont la sensibilité s’apparente largement à celle de l’actuelle majorité sénatoriale, on peut être à l’origine d’avancées en matière sociale !

Sourires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur les services à la personne.

Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux.

La commission des affaires économiques propose la candidature de M. Franck Montaugé.

Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de loi, renvoyée en commission, tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, présentée par M. Henri Tandonnet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 2013 2014, texte de la commission n° 318, rapport n° 317).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Tandonnet

M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au travers de cette proposition de loi, je vous invite à une douce aventure sur les chemins ruraux ! Cela pourra vous reposer, monsieur le secrétaire d'État, de vos voyages à l’étranger et vous permettra peut-être de retrouver ainsi l’air du Lot-et-Garonne.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Tandonnet

Je tiens tout d’abord à remercier notre rapporteur, Yves Détraigne, du travail effectué sur cette proposition de loi qui a suscité un vif intérêt de la part des membres de la commission des lois et de son président. Nous pouvons, de ce fait, procéder dès à présent à un nouvel examen de ce texte.

En effet, le délai dont avait disposé notre rapporteur lors du premier examen de la proposition de loi était si court qu’il était nécessaire d’approfondir la réflexion sur nos chemins ruraux, qui constituent un objet juridique hybride et complexe, recouvrant pratiquement la notion de domaine public, mais classifié par la loi dans le domaine privé, afin, c’est l’évidence, de ménager les finances publiques.

Je me réjouis donc de constater que ce retour en commission n’a pas débouché sur une impasse et a donné lieu à un travail constructif.

Une réponse au problème de la disparition silencieuse des chemins ruraux soumis à la prescription acquisitive est proposée. Il me semble que ce texte porte des mesures fortement attendues par nos collègues maires des territoires ruraux en pleine mutation.

Tout d’abord, je souhaite rappeler comment j’ai été amené à rédiger cette proposition de loi.

Elle est le fruit du constat que j’ai pu faire tout au long de ma vie professionnelle d’avoué à la cour d’appel d’Agen, qui traite beaucoup d’affaires rurales et dont la compétence s’exerce sur le Lot, le Gers et le Lot-et-Garonne, mais aussi à travers mon investissement au sein de la commission des maires ruraux du Lot-et-Garonne.

Qu’ai-je pu constater de ces points d’observation privilégiés durant de nombreuses années ? J’ai relevé un contentieux récurrent et aigu entre les communes et différents propriétaires privés sur des questions patrimoniales ayant pour origine la prescription acquisitive opposée au conseil municipal qui prend l’initiative de remettre en valeur une partie de son patrimoine.

Les exemples sont aussi divers que la nature du patrimoine rural qui compose notre territoire : cela va du puits au jardin du presbytère, en passant par le lavoir, le glacis des remparts, les dégagements autour des églises, les places, les jardins et, bien entendu, la plupart des chemins ruraux.

Cette problématique est née du fait que, pendant près d’un demi-siècle, ce patrimoine a vu ses fonctions disparaître, notamment en raison de l’exode rural.

Dans certains départements tels que le Gers ou le Lot, des villages entiers ont été abandonnés. Je peux vous citer le cas de la commune de Largade-Fimarcon, village castral laissé aux mains de deux ou trois habitants qui, au fil du temps, s’étaient approprié l’essentiel des lieux privés et publics de la commune. Il s’est ensuivi des procès sans fin avec la municipalité lorsque cette dernière a voulu reconstituer ses biens et mettre en valeur son patrimoine.

Cette question de la prescription acquisitive est très sensible sur l’ensemble des chemins ruraux. C’est clairement le plus grand patrimoine privé communal.

Ces chemins ruraux desservent les exploitations agricoles et relient les communes rurales entre elles. Ils ont fait l’objet de nombreuses appropriations pour des raisons assez simples : bien souvent, ils gênent les exploitations et, du fait de l’agrandissement de celles-ci ainsi que de l’adoption des nouveaux modes de culture, ils ont été labourés, clôturés et donc soumis à une prescription acquisitive.

Ce n’était pas un problème jusqu’en 1959, date à laquelle a été redéfinie la voierie communale dans son ensemble, avec la nouvelle classification des chemins ruraux incorporés dans le domaine privé des communes. Qu’a-t-on vu à partir de 1990, soit trente ans après ? Des particuliers se sont opposés à la réouverture de ces chemins !

Dès lors, les contentieux ont explosé, d’autant que les territoires se sont attachés à l’aménagement et à la réouverture de ces chemins ruraux dans le cadre d’une valorisation touristique, culturelle ou sportive.

Je citerai l’exemple des chemins de grande randonnée, les GR, notamment sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Localement, nous avons créé chez nous un chemin à thème clunisien de 104 kilomètres allant de Moissac à Moirax, et nous nous sommes trouvés face à ce type de difficulté, le chemin étant interrompu par une prescription acquisitive au milieu d’un bois.

Dans ma proposition de loi initiale, j’avais préconisé, de façon générale, de rendre imprescriptible le domaine privé immobilier des collectivités publiques, sachant que l’essentiel était constitué par les chemins ruraux.

Deux objections ont émergé dans les débats : d’une part, la protection de la propriété privée ; d’autre part, la distinction entre domaine public et domaine privé.

Retenir ce principe d’imprescriptibilité, qui s’ajouterait à celui de l’insaisissabilité, ne remet pas en cause l’ensemble des nombreuses autres règles du droit privé : aliénation, gestion, juridiction judiciaire compétente. Cela ne me semblait donc pas constituer un grand bouleversement.

Cependant, si la nécessité de rendre possible l’échange de parcelles comportant des chemins ruraux fait l’unanimité, l’imprescriptibilité a suscité de fortes réticences chez certains de nos collègues.

Je comprends les craintes de voir bousculer le principe régissant la propriété privée. C’est pourquoi la solution alternative et pragmatique adoptée par la commission des lois me convient, car mon objectif principal est bien la conservation des chemins. Cette solution sera un bon outil afin de stopper l’hémorragie à laquelle nous assistons.

La mise en place d’un dispositif incitant les communes à procéder à l’inventaire de leurs chemins et à délibérer sur leur devenir est nécessaire et appropriée.

Sont donc prévues à cet effet, d’une part, la suspension pendant deux ans du délai de prescription pour l’acquisition des parcelles comportant des chemins ruraux et, d’autre part, une procédure permettant à une commune, engagée dans une démarche d’inventaire, d’interrompre ce délai.

Enfin, la commission a repris ma proposition d’échange de parcelles avec des chemins ruraux pour en modifier le tracé. Elle a amélioré cette proposition en simplifiant la procédure de façon adroite. Cette mesure accompagnera opportunément la première partie de la proposition de loi.

Comme l’a signalé Yves Détraigne dans son rapport, « l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture a vu dans la possibilité d’échange proposée une manière paisible de procéder à un réaménagement du parcellaire agricole en vue de l’adapter aux nouvelles pratiques sans en passer par un remembrement ».

Outre le fait que cette faculté d’échange mettra un terme à une jurisprudence mal comprise du Conseil d’État, elle permettra aussi de favoriser le dialogue pour éviter les conflits d’usages.

Bien entendu, je serais très heureux que cette proposition de loi puisse être votée à une large majorité : l’objectif de renforcer la protection des chemins ruraux étant ainsi partagé, il n’en aurait que plus de chances d’être atteint. J’ajoute que j’approuve tout à fait le nouveau titre de la proposition de loi modifiée par la commission.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Henri Tandonnet tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, dont nous avons déjà débattu dans cet hémicycle le 29 octobre dernier, soulève une vraie question : celle de la « disparition silencieuse », pour reprendre l’expression utilisée à l’instant par notre collègue, par voie de prescription acquisitive, d’une partie des 750 000 kilomètres de chemins ruraux que compte notre pays, à un moment où ceux-ci retrouvent précisément un nouvel intérêt, que ce soit pour la lutte contre l’érosion des sols, la protection de la biodiversité ou le développement des chemins de randonnée.

Néanmoins, le texte déposé par M. Tandonnet prévoyait une solution qui, en tendant à rendre imprescriptibles ces éléments du domaine privé des communes que constituent les chemins ruraux, allait à l’encontre du principe juridique bien établi selon lequel les biens du domaine privé des personnes publiques sont régis par les règles de droit commun de la propriété.

En raison du caractère hybride de ces chemins qui, bien que relevant du domaine privé, sont affectés à l’usage du public, leur aliénation échappe à ces règles. Leur vente nécessite d’abord leur désaffectation préalable, à la suite d’une procédure d’enquête publique, ce qui amène le Conseil d’État à considérer que leur échange n’est pas possible et que les communes ne peuvent procéder au déplacement de l’emprise d’un chemin rural qu’en mettant en œuvre une procédure d’aliénation, elle-même conditionnée par le constat de fin d’usage du chemin par le public et par une enquête publique suivie d’une délibération, après quoi une procédure de déclaration d’utilité publique permettra à la commune de créer un nouveau chemin.

Le régime juridique des chemins ruraux constitue donc bien un objet « hybride », plus proche de la domanialité publique que des règles usuelles de gestion du domaine privé, auquel ils appartiennent pourtant.

Néanmoins, dans la mesure où les chemins ruraux font partie du domaine privé des communes, ils peuvent faire l’objet d’une prescription acquisitive. D’où l’intérêt de la proposition de loi de notre collègue Tandonnet, qui, à défaut d’avoir convaincu le Sénat de rendre ces chemins imprescriptibles, a mis clairement en évidence la nécessité de mieux les protéger et de se donner les moyens de reconstituer plus facilement, là où cela s’avère nécessaire, la continuité de leur itinéraire.

L’imprescriptibilité des chemins ruraux n’étant pas apparue souhaitable, au regard à la fois des principes du droit privé et de leur intérêt inégal d’un endroit à un autre, la commission des lois a retenu une proposition alternative pour sauvegarder ces chemins.

Il est donc proposé, non pas de les rendre imprescriptibles, mais d’ouvrir la possibilité pour les communes, sur leur initiative, d’interrompre le cours de la prescription acquisitive des chemins ruraux par l’engagement de leur recensement.

Ce type d’inventaire, qui constitue en quelque sorte un acte conservatoire, a déjà été recommandé par une circulaire du 18 décembre 1969 qui demandait aux préfets « d’inviter les communes à dresser un tableau récapitulatif et une carte des chemins ruraux ». Cette circulaire n’a eu que peu de succès, mais on remarque aujourd’hui que des communes voulant valoriser leurs chemins ruraux ont déjà engagé une forme d’inventaire.

La mise en œuvre de ce recensement passerait par une enquête publique et le délai de prescription en cours recommencerait à courir à compter de la délibération marquant la fin de cet inventaire, qui ne pourrait lui-même excéder deux ans. Cela permettrait aux communes confrontées au problème de la disparition d’une partie de leurs chemins ruraux par « occupation de fait » ou usucapion, d’abord, de connaître précisément leur patrimoine dans ce domaine, ensuite, de distinguer, par l’établissement d’un tableau récapitulatif, les chemins ruraux qu’ils souhaitent conserver à l’issue des opérations de recensement de ceux qui ne seraient pas retenus dans cet inventaire et qui, a posteriori, échapperaient à l’interruption de la prescription et pourraient donc être prescrits dans les délais légaux sans que les propriétaires aient à souffrir d’un quelconque retard.

Afin d’inciter les communes à entreprendre ce recensement, la commission propose en outre de suspendre pendant deux ans à compter de la publication de la loi le délai de prescription pour l’ensemble des chemins ruraux, de manière à permettre aux communes de prendre connaissance de ses dispositions et de mesurer l’enjeu que représente pour elles cette faculté nouvelle de recensement.

Bien entendu, je vous proposerai également de rendre possible l’échange des parcelles pour modifier l’assiette d’un chemin rural et conserver sa continuité sans devoir passer par la procédure complexe actuelle, rapidement évoquée par Henri Tandonnet, qui nécessite sa désaffectation préalable.

Voilà, mes chers collègues, exposées rapidement mais, je l’espère, clairement, les principales dispositions que vous propose la commission des lois. Elles sont moins radicales que celles de la proposition initiale. Si elles se limitent aux chemins ruraux et n’abordent pas les autres immeubles du domaine privé des collectivités, elles sont de nature, me semble-t-il, à mieux connaître, à mieux protéger et à mieux mettre en valeur ce patrimoine communal souvent peu connu mais qui présente aujourd’hui un regain d’intérêt.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Matthias Fekl

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous me permettrez de m’adresser à M. Henri Tandonnet, qui a fait allusion aux liens que j’entretiens avec le Lot-et-Garonne : oui, je suis toujours heureux d’y être ! Je m’y trouvais la semaine dernière et j’y retourne ce soir. Entre deux séjours, généralement trop courts, dans ce département, il m’arrive en effet de faire des séances d’« apnée internationale », que vous qualifiez de « voyages » et que j’appelle pour ma part des « déplacements » ; je laisse chacun apprécier la nuance.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Matthias Fekl

La Haute Assemblée examine cet après-midi en première lecture un texte qui peut sembler technique mais qui recouvre des réalités très importantes dans nos territoires ruraux : la proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, qui avait fait l’objet d’un renvoi en commission, en octobre dernier.

Cette proposition de loi a un double objectif. Elle vise, d’une part, à rendre imprescriptible l’ensemble des biens immeubles appartenant au domaine privé des collectivités territoriales et, d’autre part, à surmonter la jurisprudence du Conseil d’État prohibant l’échange des chemins ruraux.

Le droit de la propriété des personnes publiques se fonde sur la distinction entre domaine public et domaine privé, l’appartenance d’un bien à l’un ou à l’autre déterminant le régime juridique qui lui est applicable, ainsi que la compétence juridictionnelle en cas de litige : juridiction administrative ou juridiction judiciaire.

Cependant, les caractéristiques propres à certains biens justifient que leur régime déroge, sur certains points, à cette distinction. Tel est le cas des chemins ruraux, comme l’explique, avec beaucoup de pertinence, M. Tandonnet dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi et comme cela a été rappelé au cours des débats.

La commission des lois a fait le choix de centrer ses travaux sur ces biens en particulier, la question de la prescription acquisitive étant en effet très sensible sur l’ensemble des chemins ruraux.

La France compte près de 750 000 kilomètres de chemins ruraux. Ces espaces ne cessent de démontrer leur intérêt pour le développement de nos territoires, pour les activités agricoles et touristiques, pour la préservation de notre environnement.

Ce sont des voies de circulation, aussi bien pour les cultivateurs et les forestiers que pour les résidents des hameaux.

Ce sont également des viviers de la biodiversité, protecteurs contre l’érosion des sols et donc des supports pour le maintien de la Trame verte et bleue.

Ce sont enfin, au moment où nous cherchons à valoriser les territoires ruraux en matière d’agritourisme et, d’une manière plus générale, de tourisme rural, des atouts pour la valorisation de nos territoires pour les randonneurs ou les cyclistes. Je pense notamment à l’écotourisme, qui s’appuie sur les « déplacements doux », et vous savez à quel point je suis attentif aux questions liées au tourisme rural.

Les chemins ruraux font toutefois l’objet de nombreuses appropriations, en particulier parce qu’ils peuvent parfois constituer une gêne pour les exploitations et les nouveaux modes de culture. Ils sont alors labourés, clôturés et donc soumis à une prescription acquisitive.

Vous souhaitez endiguer ce mouvement, pour mieux garantir la survie et la préservation des chemins existants. C’est ce dont nous allons débattre aujourd’hui et c’est un objectif largement partagé par le Gouvernement.

Pour remédier à la « vulnérabilité » des chemins ruraux, vous souhaitez lever les difficultés et les contentieux trop nombreux qui résultent aujourd’hui du droit, parfois qualifié d’hybride, qui s’applique aux chemins ruraux.

Dans cette optique, vous avez entendu explorer de la manière la plus ample les mesures à même d’assurer la protection des chemins ruraux ainsi que leurs implications juridiques. C’est la raison pour laquelle, alors que l’objet du texte était très largement consensuel au sein de votre hémicycle, vous aviez choisi, en octobre dernier, de renvoyer ce texte en commission pour en approfondir l’examen sur certains points.

Cette décision avait été soutenue par le Gouvernement ; il s’en félicite aujourd’hui, car ces semaines d’examen supplémentaires ont effectivement permis aux membres de votre commission de définir un cadre encore plus efficace de protection des chemins ruraux et d’apporter des précisions utiles sur les mesures à prendre.

Ce cadre, le Gouvernement y souscrit dans sa globalité. Il estime en effet, tout comme la commission des lois, qu’il n’est pas judicieux de rendre les biens du domaine privé des collectivités territoriales imprescriptibles dans le but d’empêcher l’application à leur encontre de la prescription acquisitive.

En premier lieu, une telle disposition emporte des conséquences juridiques potentiellement risquées dans la mesure où elle remet en cause la frontière entre le régime du domaine privé et le régime du domaine public.

En second lieu, introduire l’imprescriptibilité des immeubles du domaine privé représenterait un vrai bouleversement. Au-delà du risque de confusion entre les domanialités, il faudrait alors effectuer une revue précise de tous les types d’immeubles appartenant au domaine privé. En effet, c’est l’unique moyen par lequel nous serions en mesure d’évaluer les conséquences pratiques d’un tel renversement de la règle.

Concernant la proposition de limiter l’imprescriptibilité aux seuls chemins ruraux, le Gouvernement partage le constat de la commission des lois : cette disposition créerait, là aussi, une confusion puisqu’elle accorderait à un élément du domaine privé une caractéristique juridiquement propre au domaine public.

Lors de l’examen en commission, un amendement visant à inciter les communes à procéder au recensement de leurs chemins ruraux a été adopté. Cette disposition semble de nature à faciliter la mise en œuvre par les communes d’une stratégie cohérente en matière de protection des chemins ruraux.

Cela va dans le bon sens, car il est difficile, pour une municipalité, notamment dans les territoires ruraux, d’avoir une connaissance exhaustive et tout à fait précise des dizaines de kilomètres de chemins ruraux qui jalonnent son territoire. Il arrive d’ailleurs qu’une commune découvre qu’un tiers est fondé à lui opposer la prescription acquisitive le jour où elle prend l’initiative de mettre un de ces biens en valeur.

Il s’agit donc d’aider les collectivités et les élus qui les administrent dans leurs efforts de mise en valeur, d’investissement, voire tout simplement de sauvegarde de leur patrimoine historique ou de la physionomie de leur terroir. Il faudra veiller à ce que cette disposition soit effectivement applicable dans les faits, et il convient de savoir quels sont les chemins ruraux pour pouvoir les protéger.

Enfin, l’introduction du principe d’échange de parcelles des chemins ruraux paraît particulièrement intéressante dans la mesure où celui-ci permettra de combler un vide juridique.

La plupart du temps, le maire qui essaie de redresser les chemins de sa commune ou de les restructurer doit procéder par voie de vente. Il en résulte souvent deux actes successifs : une vente et un achat engendrant des frais inutiles, ainsi que des discussions sans fin sur la valeur des terrains. Or un simple échange permettrait de conserver ou même de récupérer le chemin déjà prescrit ou en voie de prescription, son nouveau tracé évitant par exemple de passer au bord d’une ferme, de couper un champ labouré ou d’entraver un système d’irrigation ; ce sont là des réalités très concrètes que vous connaissez toutes et tous ici.

Cette simplification permettra non seulement de réduire les frais, mais aussi de sécuriser l’opération, car le projet de rétablissement sera conçu en une seule opération avec le propriétaire concerné, évitant ainsi de nombreux contentieux pour nos petites communes.

Tel qu’il est conçu, le dispositif d’échange proposé par votre rapporteur n’aura vocation à être mis en œuvre que dans l’hypothèse où il s’agira de faire perdurer le chemin rural, en ajustant son tracé par échanges de parcelles. Ce resserrement du champ d’application du dispositif nous semble une bonne solution, car il garantit que celui-ci ne sera pas un biais pour abandonner un chemin rural.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous le voyez, le Gouvernement soutient dans ses grandes lignes le texte que vous examinez aujourd’hui. Celui-ci apporte des garanties importantes pour la protection de nos chemins ruraux et va dans le sens d’un renforcement nécessaire de la maîtrise publique du foncier.

Cette ressource fait l’objet de tensions fortes, du fait notamment des phénomènes de périurbanisation, de l’artificialisation des sols, de la nécessaire préservation des espaces naturels et agricoles. Ce n’est qu’au travers de sa maîtrise raisonnée par la puissance publique que nous pourrons garantir un développement équilibré et durable de tous les territoires de la France.

Aussi, sous réserve de l’adoption des quelques évolutions techniques que j’ai indiquées dans mon propos, le Gouvernement est favorable à la présente proposition de loi.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, incontestablement, Henri Tandonnet doit déjà mieux respirer !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Le Sénat honore en effet, grâce aux initiatives et à la diligence du rapporteur de la commission des lois, l’engagement qu’il avait pris en adoptant le renvoi en commission, celui-ci devant être vu non pas comme un « enterrement de première classe », mais comme le signe d’une volonté réelle et unanime d’approfondir la question de la préservation des chemins ruraux, que vous avez eu, mon cher collègue, l’immense mérite de poser.

Ce travail a été réalisé dans un laps de temps très court et l’excellent rapport de M. Détraigne a pour première qualité de faire le point sur la situation actuelle des chemins ruraux.

Le chemin rural est effectivement un être hybride : il relève du domaine privé par détermination de la loi quand bien même il remplit intrinsèquement les critères de la domanialité publique. Il est d’autant plus hybride – je le dis avant M. Mézard

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Ne nous payons pas de mots : par les temps qui courent, il n’est pas tout à fait illégitime que des communes, placées dans la situation financière que l’on sait, considèrent que, s’il faut bien sûr protéger ce qui doit être protégé, dans le même temps, on doit pouvoir aliéner ce qui n’a pas à être protégé.

En effet, cette préoccupation est également prise en compte dans notre démarche, et je l’assume ; si nous ne le faisions pas, nous n’irions pas au bout des potentialités de cette proposition de loi.

Notre seconde préoccupation, fort bien rappelée par M. le rapporteur et fort modestement – le style, c’est l’homme ! – acceptée par notre collègue Tandonnet, était de ne pas remettre en cause, au hasard d’une proposition de loi, la summa divisio entre le domaine public et le domaine privé, telle qu’elle a été précisée par le Conseil d’État dans ses arrêts sur l’allée des Alyscamps et le port de Bonneuil-sur-Marne. Les raisons de ce choix n’étaient pas seulement esthétiques : cette distinction entraîne des conséquences juridiques, contractuelles et en termes de responsabilité. Il ne fallait donc pas déstabiliser excessivement ce cadre, même si les chemins ruraux ont un statut hybride.

Dans ces conditions, y avait-il une solution permettant d’atteindre l’objectif sans remettre en cause la cohérence de la construction ? C'est là que vous apparaissez, monsieur le rapporteur !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Après avoir dressé un diagnostic sans faille, vous avez proposé une démarche pragmatique, en décidant de commencer par un recensement des chemins ruraux existant sur leur territoire. Toujours avec le même pragmatisme, dont aurait pu aussi faire preuve Jacques Mézard, qui a tant fait pour la défense des départements – j’en profite pour remercier le Gouvernement de les avoir conservés

M. Jacques Mézard s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Il était nécessaire de prévoir un amendement visant, à l’heure de la réforme territoriale, à articuler la compétence départementale avec la protection des intérêts touristiques et cynégétiques, voire bucoliques

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le recensement est très important, d’autant plus qu’il sera suivi d’une révision du plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée.

J’aimerais soulever un autre point, même s’il n’est pas très populaire de le faire. J’ai examiné toute la jurisprudence du Conseil d’État sur les chemins ruraux depuis vingt ans. Or, dans les commentaires de doctrine, il n’y a pas un seul professeur de droit pour considérer que les conditions d’aliénation des chemins ruraux posent problème. C'est une question importante à un moment où les communes subissent de lourdes contraintes financières. Le recensement est le préalable ; c'est une priorité absolue pour la protection de ces chemins ruraux.

Grâce à votre habilité, monsieur le rapporteur, nous avons déjà obtenu un avantage énorme, avec la possibilité qui est offerte aux communes, alors qu’elle était jusqu’à présent prohibée par le Conseil d’État, d’échanger des chemins ruraux, si – et seulement si – cet échange permet de garantir la continuité des itinéraires de promenade. Après le recensement, les maires – j’en connais beaucoup ! – devront choisir s’ils veulent garder ou vendre les chemins ruraux.

Voilà le pragmatisme que le groupe socialiste m’a demandé d’afficher. Toutefois, je tiens à dire que nous avons pris plaisir à travailler avec vous, monsieur Tandonnet !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Abate

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous allons poursuivre cette partie de plaisir ! En effet, nous sommes bien engagés sur la voie du consensus, ce qui me semble d'ailleurs assez normal.

Je veux simplement rappeler ici notre réticence au renvoi en commission d’une proposition de loi examinée dans le cadre des niches parlementaires. Ces renvois doivent, selon nous, rester l’exception. À défaut, l’initiative parlementaire, en particulier celle de l’opposition, risquerait d’être mise à mal.

Comme l’a rappelé à l’instant, avec un grand talent, notre collègue René Vandierendonck, ce travail a été réalisé avec l’accord de l’auteur de la proposition de loi. Loin de l’enterrer, la commission a réécrit le texte avec beaucoup d’intelligence et de pragmatisme. Aujourd'hui, la proposition de loi revient devant nous.

Sur le fond, M. le rapporteur nous rappelle, à bon droit, dans son rapport que « s’il y a un problème de protection de ces chemins affectés à l’usage du public et appartenant au domaine privé des communes, il était souhaitable de rester dans le schéma traditionnel selon lequel, hormis leur insaisissabilité, les biens du domaine privé des personnes publiques sont – contrairement aux biens du domaine public – régis par les règles de droit commun de la propriété, sous réserve de quelques dérogations. »

Je tiens à remercier notre collègue Henri Tandonnet d’avoir permis, avec l’aide de M. le rapporteur, d’expliciter des points de droit concernant les chemins ruraux, lesquels sont l’unique objet de cette proposition.

Au-delà des aspects juridiques liés au régime de domanialité des collectivités, se pose une véritable question : celle de la capacité de nos communes, et surtout des plus petites d’entre elles, à maîtriser le développement de leur territoire et l’évolution de leur patrimoine, tout particulièrement en milieu rural.

Parce qu’ils sont justement à l’usage du public, ces chemins ruraux remplissent de véritables missions d’intérêt général, et un certain nombre d’associations et de riverains font pression sur les communes pour qu’ils fassent l’objet d’un entretien régulier. Les communes n’ont aucune obligation d’entretien puisqu’ils font partie de leur domaine privé. Néanmoins, la pression est là, et il est parfois difficile d’y résister, d’autant que cet entretien peut se révéler particulièrement utile.

Dans le même temps, le régime actuel, qui autorise une absence d’entretien des chemins ruraux, justifie que ceux-ci deviennent, au bout d’un certain temps, la propriété exclusive de particuliers riverains.

C’est sans doute contestable, car cela prive les communes de capacités d’intervention sur leur patrimoine à des fins de développement touristique, de préservation de leur patrimoine naturel et de la biodiversité, d’augmentation du nombre de liaisons douces et de voies vertes communales ou intercommunales.

Nous sommes tous d’accord pour convenir qu’une telle situation n’est pas satisfaisante et inquiets quant à la capacité de nos communes de protéger, à l’avenir, leur patrimoine, d’autant que – je veux y insister – les ressources financières des collectivités et, par là même, leurs capacités d’intervention diminuent loi de finances après loi de finances.

Elles ont donc de moins en moins les moyens d’entretenir tous les chemins ruraux, comme, du reste, bien d’autres éléments patrimoniaux du domaine privé à rénover : je pense aux moulins, aux granges, aux fontaines et autres fours à pain, qui sont les vestiges d’une époque révolue, mais dont nous devrions pouvoir garder la trace. Ces éléments méritent toute notre attention et même – pour continuer dans la partie de plaisir – l’utilisation de nos réserves parlementaires…

Il faut saluer le travail qui a été effectué, car, finalement, le nouveau texte que nous examinons apporte une réponse concrète à un véritable problème. Facilitateur et pragmatique, il tend à renforcer la maîtrise foncière des élus, en prévoyant la réalisation d’un état des lieux d’un patrimoine qui, certes, est hybride, mais qui est aussi tellement utile. Si l’on n’y prend pas garde, en effet, ce patrimoine pourrait disparaître du paysage, au sens propre comme au sens figuré.

Nous voterons donc ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe votera le texte qui nous est proposé. À mon tour, je tiens à remercier M. le rapporteur, Yves Détraigne, d’avoir tenu compte des observations que nous avions formulées.

Nous avions bien conscience que l’objectif de l’auteur de la proposition de loi, Henri Tandonnet, était tout à fait louable, mais nous étions totalement opposés à l’idée de rendre les chemins ruraux, qui font partie du domaine privé de nos communes, imprescriptibles. Cela nous paraissait poser un problème juridique de fond s’agissant de la distinction entre le domaine public et le domaine privé : sa proposition conduisait à créer une troisième catégorie, alors que nous en avions déjà assez de deux !

Monsieur le rapporteur, je constate que, bien que vous soyez publiciste, vous avez su arrondir les angles dans le domaine du droit privé, ce qui est relativement rare !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Pourquoi étions-nous réticents sur la question de l’imprescriptibilité ? Les conflits sont tout de même relativement rares. J’attends toujours, monsieur le secrétaire d'État – je crois que j’attendrai jusqu’à la fin de mon existence, au moins parlementaire –, que l’on me communique le nombre de litiges portés devant les tribunaux de grande instance en matière d’usucapion trentenaire, ce qui suppose d'ailleurs que l’administration connaisse ce terme !

Nous savons qu’il y a peu de cas et qu’il ne peut y avoir utilisation de la prescription contre les communes que si le tribunal est saisi pour faire constater que les conditions de l’usucapion trentenaire sont remplies. Pour autant, la rareté des cas de contentieux ne signifie pas qu’il n’y a pas de problèmes sur le terrain.

Toutefois, pour pouvoir bénéficier de la prescription acquisitive, il faut remplir les conditions de l’article 2261 du code civil, c’est-à-dire prouver que, pendant trente ans, la possession a été paisible, publique, non équivoque et continue, ce qui est tout de même assez difficile à établir.

De deux choses l’une : soit le chemin rural dessert une seule parcelle, et la commune a tout de même intérêt à céder le chemin rural au seul bénéficiaire ; soit il dessert plusieurs parcelles appartenant à des propriétaires différents, ce qui fait que la possession n’est pas paisible, publique et continue et que la prescription acquisitive ne peut alors jouer.

Comme l’a rappelé très justement le Gouvernement, il y a 750 000 kilomètres de chemins ruraux. Quelle est la situation sur le terrain ? Je regrette que le groupe qui représente la défense de l’environnement ne se soit pas senti concerné par cette intéressante question…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Nombre de chemins ruraux ne sont pas entretenus par les communes parce que celles-ci n’ont pas les moyens de le faire : voilà la réalité !

C’est un véritable problème. Que des associations de randonneurs souhaitent ouvrir tel ou tel chemin, c’est tout à fait louable. Néanmoins, il existe déjà des dispositions juridiques qui permettent de le faire, en particulier l’article L. 361-1 du code de l’environnement, qui est relatif au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée et qui offre toute une série de solutions.

Ces chemins ne sont donc, pour la plupart, pas entretenus. Le côté tout à fait positif de cette proposition de loi, c'est de permettre aux communes d’entreprendre un recensement. Il existe un cadastre, dont on nous dit qu’il n’est pas précis. Cependant, si toutes les communes de France font ce recensement – c’est une bonne chose de leur en avoir donné la possibilité et les garanties juridiques –, je vous assure qu’il faudra embaucher quelques dizaines de milliers d’experts-géomètres ! En effet, le travail est tellement considérable qu’il ne pourra jamais être réalisé dans les délais impartis.

Ce texte marque donc un progrès, parce qu’il donne la possibilité aux communes de lancer des procédures de recensement dans de bonnes conditions, tout en interrompant la prescription. Nous y sommes tout à fait favorables, tout comme aux échanges, qui sont une bonne solution.

Cette proposition de loi aura permis, cher Henri Tandonnet, de faire des progrès, ce qui était nécessaire. Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, il faudra bien prendre conscience que le véritable problème, c’est de donner aux communes les moyens, soit d’entretenir les chemins ruraux, soit de les céder facilement.

En effet, aujourd'hui, dans des milliers de communes, non seulement les maires n’ont plus les moyens d’entretenir les chemins, mais les citoyens ne sont pas non plus en mesure, soit de faire-valoir à l’amiable leur volonté de devenir acquéreurs de ces chemins, soit de saisir les tribunaux. Et cette situation aboutit à la déshérence de dizaines de milliers de kilomètres de chemins.

De ce point de vue, la présente proposition de loi constitue un progrès. Toutefois, il faudra peut-être chercher des solutions complémentaires pour que les chemins communaux pouvant légitimement revenir à des propriétaires privés leur soient cédés plus facilement et pour que ceux qui doivent rester dans le giron du domaine de la commune puissent y demeurer et être entretenus.

Évidemment, et j’en termine sur ce point, monsieur le secrétaire d'État, il s’agit là de problèmes très ruraux… Nous savons combien il est difficile d’y sensibiliser les gouvernements successifs, quels qu’ils soient ! Toutefois, je ne doute pas que, compte tenu de votre présence régulière sur le terrain, vous ne manquerez pas de nous faciliter le travail.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux, au nom du groupe UDI-UC, saluer la persévérance de notre collègue Henri Tandonnet, qui a déposé la présente proposition de loi au début de l’année 2014.

Depuis lors, la proposition de loi a été examinée en séance publique – c’était en octobre dernier – et renvoyée en commission pour un examen plus approfondi. Comme cela a été évoqué par mes prédécesseurs à la tribune, celui-ci a permis d’améliorer considérablement la qualité du texte, grâce à la compétence du rapporteur, M. Yves Détraigne, dont je tiens à saluer le travail, la lecture de son rapport m’ayant particulièrement passionné.

De quoi parlons-nous ? Du patrimoine des communes, lequel, depuis l’ordonnance de 1959, est divisé entre les voies communales, issues des chemins vicinaux, et les chemins ruraux. Ce point est important.

Alors que, initialement, j’étais moi aussi assez sensible à la proposition d’éviter la prescription acquisitive trentenaire des chemins ruraux par un certain nombre de riverains, les différents arguments mis en avant par le rapporteur m’ont convaincu que procéder ainsi serait peut-être aller un peu vite en besogne et qu’il valait mieux suivre une autre voie.

Ce sujet est particulièrement important dans les 36 000 communes de notre pays, dont la plupart, vous le savez, mes chers collègues, sont rurales. Les élus ruraux, dont nous sommes, sont attachés au maintien de cette voirie dans le patrimoine communal.

Or, force est de le constater, les maires n’ont pas toujours la capacité de vérifier que ces chemins restent bien dans le domaine communal et ne sont pas utilisés par des particuliers ou appropriés par différentes personnes, notamment par certains agriculteurs, malgré l’article D. 161-14 du code rural et de la pêche maritime, qui leur défend « de labourer ou de cultiver le sol dans les emprises de ces chemins et de leurs dépendances ».

En effet, cette vérification demanderait de faire appel aux hommes de l’art que sont, en l’espèce, les géomètres, ce qui induirait des coûts que les collectivités ne peuvent pas toujours assumer, surtout lorsque ce sont de petites parcelles qui sont concernées : pour celles-ci, le coût de vérification apparaît prohibitif au regard des enjeux.

Mes chers collègues, le fait que les collectivités tendent à ne pas pouvoir s’occuper de ce problème, notamment pour des raisons financières, est particulièrement préjudiciable, les chemins ruraux constituant tout simplement une vraie richesse pour chacune de nos communes.

Bien sûr, certains chemins sont utilisés conformément à leur vocation initiale, c'est-à-dire la desserte des parcelles qu’ils sont censés désenclaver, mais de nombreux autres usages en ont été développés. Ainsi, les promeneurs, les chasseurs ou encore les cavaliers sont, de plus en plus, amenés à utiliser l’ensemble de ces voies. Pour cette raison, il importe absolument que celles-ci soient maintenues dans le patrimoine communal et il faut prêter attention aux conditions et aux moyens qui sont mis à la disposition des maires pour leur permettre de les entretenir.

Vous le voyez, ce sujet est particulièrement important pour les élus ruraux et le patrimoine des communes.

Si, aujourd'hui, un certain nombre d’usages de ces chemins sont connus, tous ne peuvent être prévus. En particulier, les communes ont parfois laissé les riverains s’approprier des chemins, considérant que ceux-ci n’avaient pas d'utilité, avant de s’apercevoir qu’elles en avaient finalement besoin, par exemple pour assurer la continuité d’itinéraires de randonnée ou pour desservir de nouvelles parcelles issues de cessions de terrains, y compris, en certaines circonstances, de divisions de parcelles. Il convient d’en tenir compte.

Dans le rapport d’Yves Détraigne, j’ai lu qu’en Picardie – c’est un exemple parmi d’autres – une association avait recensé 40 000 kilomètres de chemins ruraux dans le cadastre et seulement 30 000 sur le terrain. Autrement dit, la part des chemins qui ont fait l’objet d’une appropriation s’élève à 25 %. C’est significatif !

À cet égard, décider de faire le point sur la situation et d’engager les élus à réaliser cet inventaire, de façon à pouvoir vérifier que les chemins recensés par le cadastre figurent bien dans le patrimoine communal, me semble une très bonne solution : cela permettra d’apporter les réponses appropriées aux préoccupations exprimées par Henri Tandonnet et ses collègues au travers de la présente proposition de loi.

Se pose également la question des échanges de terrains, à laquelle je suis moi-même confronté, en tant que maire d’une commune rurale. Aujourd'hui, les textes ne donnent pas véritablement aux élus les outils nécessaires pour assurer ces échanges dans de bonnes conditions, laissant bien souvent à la jurisprudence une grande marge d’interprétation – on connaît la façon très restrictive dont le Conseil d'État a tranché un certain nombre de litiges dont il a été saisi.

Il importait donc de donner aux élus la sécurité juridique dont ils avaient besoin en la matière. Je me réjouis tout particulièrement que le texte apporte des clarifications sur ce point : cela permettra à nos collègues élus de mieux cerner la réalité du patrimoine qu’ils ont à gérer durant leur mandat.

Pour conclure, je veux remercier M. le rapporteur, ainsi que notre collègue Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi. Bien entendu, le groupe UDI-UC votera ce texte, dont nous espérons qu’il puisse aboutir le plus rapidement possible !

Applaudissements.

M. Daniel Gremillet applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous vivons un petit moment de bonheur, ce qui n’est pas si courant dans cet hémicycle

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

En effet, de nombreux maires de petites communes se sont retrouvés confrontés à la tâche extrêmement complexe que constitue la définition des chemins ruraux. Pour une petite commune rurale, dont les moyens sont, par nature, limités, il n’est pas si simple d’avoir une connaissance exhaustive des chemins ruraux qui jalonnent son territoire, surtout quand ceux-ci représentent des centaines de kilomètres, ni de détenir une liste à jour de l’ensemble de ces biens.

Lors de son inscription à l’ordre du jour, en octobre dernier, la présente proposition de loi avait fait l’objet d’un renvoi en commission, afin d’approfondir la réflexion.

Si l’une des dispositions initiales du texte, qui consistait à permettre l’échange en matière des chemins ruraux, a été approuvée par la commission, il n’en a pas été de même de celle qui rend ces chemins imprescriptibles.

En effet, s’il y a bien aujourd’hui un problème de protection de ces chemins, qui appartiennent aux communes et sont affectés à l’usage du public, tout en faisant partie, paradoxalement, de leur domaine privé, il est souhaitable de conserver le schéma traditionnel du droit civil, qui prévoit que, hormis pour ce qui concerne leur insaisissabilité, les biens du domaine privé des personnes publiques, contrairement à ceux de leur domaine public, sont régis par les règles de droit commun de la propriété.

Toutefois, l’affectation au public des chemins ruraux conduit parfois à déroger aux règles communément admises pour la gestion du domaine privé des personnes publiques.

Tout d'abord, il existe un régime d’aliénation dérogatoire au droit commun pour ces chemins, du fait de leur nature hybride. De plus, le Conseil d’État prohibe leur échange.

Ensuite, si les chemins ruraux ne sont pas couverts par le régime des contraventions de voirie et si la commune n’a pas d’obligation d’entretien de ces chemins, le pouvoir de police et de conservation du maire lui fait obligation de faire cesser toute atteinte qui leur serait portée, comme le rappelait l’orateur précédent. Parfois, en vertu d’arrangements passés entre le maire et les exploitants agricoles, ceux-ci sont autorisés à labourer les chemins qui ne servent plus, à condition de recréer ces chemins quand la commune en aura besoin. Néanmoins, je sais d’expérience ce qu’il advient ensuite de tels arrangements…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Pour l’ensemble de ces raisons, il est apparu que le basculement des chemins ruraux dans le domaine public des communes était difficilement envisageable, compte tenu des charges d’entretien qu’il en résulterait pour les communes.

La commission des lois, sur proposition de son rapporteur, que je remercie et félicite pour son travail, a cherché et trouvé le meilleur moyen d’enrayer le mouvement de disparition des chemins ruraux, sans pour autant bouleverser les principes qui régissent la domanialité des personnes publiques, ce qui est important. Ainsi, elle a décidé d’ouvrir la possibilité, non pas de faire échapper les chemins ruraux à la prescription acquisitive, mais d’interrompre le cours de celle-ci, afin de permettre aux communes, dans un délai de deux ans, de recenser les chemins et de s’interroger sur leur devenir.

Un acte de type conservatoire, tel que le recensement, n’ayant pas d’effet interruptif de prescription, la commission des lois a inscrit dans le texte un cas supplémentaire d’interruption de prescription, spécifiquement applicable aux chemins ruraux, le temps de permettre aux communes de recenser ceux-ci.

D’ailleurs, ce type d’inventaire a déjà été prescrit par une circulaire de 1969, qui demandait aux préfets « d’inviter les communes à dresser un tableau récapitulatif et une carte des chemins ruraux ».

En conclusion, après avoir renouvelé mes remerciements à la commission, tout particulièrement à son rapporteur, je me réjouis de pouvoir dire que le groupe UMP votera, bien entendu, ce texte. Celui-ci comme je le soulignais en préambule de mon propos, simplifiera la vie des maires et permettra de pérenniser un certain nombre de chemins, par ailleurs nécessaires au développement du tourisme – activité ô combien essentielle en période de crise – de notre beau pays.

Applaudissements.

Debut de section - Permalien
Matthias Fekl

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux simplement saluer la qualité de cette discussion générale : elle rejoint celle des travaux de fond réalisés par la commission.

Il me semble qu’un large consensus existe pour avancer dans le sens indiqué dans ce texte et pour répondre, de manière très précise, très concrète et très pragmatique, à des préoccupations qui sont quotidiennes dans les territoires ruraux de notre pays ; les différents orateurs ont tous insisté sur ce point.

Le Gouvernement connaît bien ces problèmes, qui reflètent la réalité de la vie sur le terrain dans la ruralité, à laquelle nous sommes très attachés. Le travail de simplification engagé a pour objectif de faciliter la vie dans les collectivités et dans la ruralité. Le débat d’aujourd'hui en a plus que jamais montré la nécessité.

J’ai été interpellé sur les statistiques portant sur un certain nombre de contentieux. Nous allons vérifier si ces chiffres existent : si tel est le cas, ils vous seront communiqués, monsieur Mézard, dans les plus brefs délais ; dans le cas contraire, vous en serez également informé, bien entendu.

Mesdames, messieurs les sénateurs, encore une fois, je tiens à vous remercier de la qualité de cette discussion générale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Après l’article L. 161-6 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 161-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 161-6-1. – Le conseil municipal peut, par délibération, décider le recensement des chemins ruraux situés sur le territoire de la commune. Cette délibération interrompt le délai de prescription pour l’acquisition des parcelles comportant ces chemins.

« L’interruption produit ses effets jusqu’à la délibération arrêtant le tableau récapitulatif des chemins ruraux, prise après enquête publique réalisée conformément au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. Cette délibération ne peut intervenir plus de deux ans après la délibération prévue au premier alinéa.

« L’interruption est non avenue à l’égard des chemins que la commune aura choisis de ne pas faire figurer au tableau récapitulatif. »

L'article 1 er est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L'amendement n° 1, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les conditions prévues à l'article L. 361-1 du code de l'environnement, le département révise le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée pour tenir compte du recensement des chemins ruraux mené par les communes.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des intervenants, M. le secrétaire d'État et les représentants des différents groupes, de leur soutien unanime à la proposition de loi, telle qu’elle est présentée aujourd’hui.

Cela prouve que le renvoi à la commission n’est pas nécessairement un enterrement de première classe. Bien souvent, lorsqu’une proposition de loi est renvoyée à la commission, son avenir est plutôt sombre… Toutefois, nous apportons cette fois la preuve qu’une telle procédure peut être utile, et je souhaite que cela vaille pour d’autres textes !

Cet amendement n° 1, dont la paternité revient en réalité à notre collègue René Vandierendonck, a pour objet d’inciter les départements à réactualiser le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, afin de tenir compte du recensement des chemins ruraux mené par les communes, dans la mesure où ces itinéraires utilisent bien souvent les chemins ruraux. La proposition de loi que nous nous apprêtons à adopter vise donc à mettre à jour la liste de ces chemins ruraux.

En effet, dès lors que l’on mobilise les collectivités territoriales sur cette question des chemins ruraux, il nous semble bienvenu d’inciter aussi les départements à réviser leur plan des itinéraires de promenade et de randonnée.

Debut de section - Permalien
Matthias Fekl, secrétaire d'État

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les itinéraires de promenade et de randonnée inscrits dans les plans départementaux peuvent, avec l’accord des communes concernées, emprunter aussi des chemins ruraux.

Le travail de recensement de ces chemins permettra d’offrir de nouvelles possibilités pour les itinéraires de promenade et de randonnée. Cela conduira probablement les départements à réactualiser leurs plans.

Toutefois, il ne nous apparaît pas nécessaire de rendre obligatoire cette révision. Comme vous le savez, le Gouvernement partage une préoccupation légitime et régulièrement exprimée dans cet hémicycle, qui est de limiter la production de normes applicables aux collectivités territoriales. Or il nous semble que cet amendement est justement susceptible de tomber dans cette catégorie de textes.

Toutefois, comme nous n’avons pas d’objection de fond concernant cet amendement, nous nous en remettons à la sagesse de la Haute Assemblée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

On ne peut que saluer le désir de simplification administrative exprimé par M. le secrétaire d'État.

Néanmoins, si le verbe « réviser » est employé ici, c’est justement parce que l’on sait que les départements sont déjà très impliqués dans la politique de protection des itinéraires de promenade.

Les communes devront procéder à un recensement à grande échelle. Les départements bénéficient d’une recette financière : la taxe départementale des espaces naturels sensibles. Ils ont aussi la possibilité de demander des crédits européens au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER.

De même que nous avons eu le souci d’accompagner les communes au moment où elles avaient des contraintes financières, nous devons avoir la même préoccupation pour les départements. Et c’est parce que les juristes rédigent au présent de l’indicatif que le terme « réviser » est conjugué ainsi. Il me semble qu’il s’agit là d’un point important.

Monsieur le secrétaire d'État, l’opposabilité de ces documents varie d’un département à l’autre. De même qu’un recensement aura lieu dans les communes, il y aura peut-être une homogénéité plus grande dans les départements.

Par conséquent, et même si je n’en fais pas un casus belli, je soutiens la rédaction de cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Il s'agit en effet d’un sujet très intéressant : le recensement porte sur des parcours qui sont orphelins de financement. Comme vous venez de le dire, monsieur Vandierendonck, il existe peut-être des moyens budgétaires à l'échelon communautaire, ainsi qu’une nécessité et une volonté de simplification.

Néanmoins, nous pourrions aussi trouver des moyens économiques simples pour entretenir ces itinéraires. Je pense, par exemple, aux agriculteurs, qui, pour la plupart, habitent à proximité de ces chemins et qui pourraient avoir la charge de les entretenir.

Le problème est que les périmètres dans lesquels ces itinéraires se trouvent ne figurent pas aujourd’hui dans les déclarations au titre de la politique agricole commune. Si, à l’inverse, nous avions l’habileté d’étendre et de reconnaître la nécessité d’entretenir ces espaces, nous trouverions un moyen très économe et surtout très efficace. Et nous pourrions faire en sorte que ce recensement ne soit pas une simple image d’Épinal, qui, au fil des années, perdrait toute sa valeur parce que la nature reprendrait le dessus.

Mes chers collègues, nous pourrions élaborer ici une politique d’aménagement du territoire. À l'évidence, une projection très ambitieuse sur l’ensemble de notre territoire est possible, et c’est vrai aussi bien pour l’agriculture que pour les espaces forestiers.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.

Le délai de prescription pour l’acquisition d’une parcelle comportant un chemin rural est suspendu pendant deux ans à compter de la publication de la présente loi. –

Adopté.

I. – Après l’article L. 161-10-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 161-10-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 161-10-2. – Lorsque l’échange de parcelles a pour objet de modifier l’assiette d’un chemin rural, la parcelle sur laquelle est sis le chemin rural peut être échangée selon les conditions prévues aux articles L. 3222-2 du code général de la propriété des personnes publiques et L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales. L’acte d’échange comporte des clauses permettant de garantir la continuité du chemin rural. »

II. – L’article L. 3222-2 du code général de la propriété des personnes publiques est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’échange d’une parcelle sur laquelle est sis un chemin rural n’est autorisé que dans les conditions prévues à l’article L. 161-10-2 du code rural et de la pêche maritime. » –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires.

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

M. le président. Mes chers collègues, je constate que la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des présents.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures vingt.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Je rappelle que la commission des affaires économiques a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée, et je proclame M. Franck Montaugé membre du conseil d’administration de l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire, organisé à la demande du groupe UDI-UC.

La parole est à Mme Françoise Gatel, orateur du groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agroalimentaire est une industrie lourde, au sens où elle constitue un enjeu essentiel pour la performance économique et territoriale de notre pays.

Cette filière stratégique représente plus de 160 milliards d’euros à travers près de l6 000 entreprises, dont 97 % de PME, qui structurent la géographie de l’économie française et dynamisent les territoires ruraux.

Ainsi, en Bretagne, une commune sur cinq accueille un site ou une unité agroalimentaire. Cette industrie représente également près de 495 000 emplois peu délocalisables, proches des sources de production et dont beaucoup sont accessibles à des personnes faiblement qualifiées et peu mobiles. Elle constitue encore, dans notre pays en voie de désindustrialisation, une pépite à l’export, avec un solde commercial positif de 8 milliards d’euros.

Toutefois, monsieur le ministre, vous le savez mieux que moi, ce résultat masque de grandes difficultés dans certaines filières, puisque le déficit commercial hors boissons est de 2, 7 milliards d’euros.

À titre d’exemple, les filières de la volaille et de la viande sont confrontées à des concurrences violentes, y compris au sein de l’Europe pour la filière porc. Quand la France traite chaque année 21 millions de porcs, l’Allemagne en traite 60 millions et 300 exportations porcines disparaissent chaque année.

Se pose aujourd’hui la question de l’avenir des abattoirs. Chacun ici connaît la situation dramatique de la Bretagne. Si l’on peut se réjouir de la reprise des abattoirs Gad, à Josselin, force est de constater qu’elle a été réalisée par un groupe de distribution, ce qui contribue à renforcer encore un peu plus une situation de dépendance des producteurs. D’autres abattoirs sont également en situation difficile – je pense notamment au site AIM, à Antrain, en liquidation judiciaire et en attente d’un repreneur.

Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, l’agriculture française occupait une place de premier plan en Europe, soutenue – il faut le reconnaître – par une politique agricole commune protectrice et généreuse. Cette situation a servi de levier de développement à une industrie alimentaire poussée par ailleurs à la modernisation de ses outils de productivité sous la pression de la grande distribution.

Depuis lors, plusieurs changements extrêmement importants sont venus affecter les conditions de concurrence et de compétitivité : la conclusion d’accords internationaux tels que l’Uruguay Round, le lancement des négociations de Doha et la politique d’ouverture des échanges poursuivie par l’Union européenne ont conduit à une diminution de la protection aux frontières de l’Union en matière de produits agricoles et alimentaires, ouvrant ainsi la compétition aux grands pays tiers producteurs agricoles développés – les États-Unis, le Canada ou l’Australie, par exemple –, mais aussi émergents, tels le Brésil et l’Argentine.

L’élargissement vers l’Europe centrale et orientale a ouvert les frontières de l’Union à des pays dont le niveau de développement favorise, dans un premier temps, l’exportation de produits et de main-d’œuvre, avant que l’élévation des niveaux de vie – attendue de l’adhésion à la Communauté européenne – ne se traduise par une augmentation de la consommation intérieure.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, la perte de compétitivité de l’agroalimentaire, longtemps fer de lance de notre économie, est réelle et inquiétante, même s’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau – en témoignent l’excellent rapport de Philippe Rouault, alors délégué interministériel aux industries agroalimentaires, en 2010, et celui du sénateur centriste Marcel Deneux, en 1999.

Les pertes de parts de marché subies au cours des dernières années attestent de réelles faiblesses : la taille des entreprises, leur stratégie, le niveau trop élevé des prélèvements – le différentiel entre la France et l’Allemagne est de l’ordre de 90 milliards d’euros – et un coût du travail qui ne tient pas la comparaison, ce qui suscite une distorsion sociale inacceptable au sein de l’Europe, à laquelle s’ajoute une distorsion fiscale à travers le système forfaitaire allemand de TVA.

En outre, face à la combinaison dangereuse d’une tension forte sur les marges et d’une faible croissance, aggravée par des embargos, la situation ne peut qu’empirer. En effet, la faible rentabilité des industries agroalimentaires, dont le taux de marge a baissé de 15 % en moyenne en dix ans, affecte fortement leur capacité d’investissement.

Dans ce contexte, quels leviers actionner pour encourager et soutenir cette filière stratégique ? J’en citerai cinq.

Le premier, c’est l’exportation. Il s’agit d’un levier d’ampleur, sachant que la production agricole mondiale doit augmenter de 70 % d’ici à 2050 pour répondre à la demande alimentaire de 9 milliards d’habitants. L’export constitue un relais de croissance indispensable pour notre industrie, face à un marché national mature et complètement atone.

L’agroalimentaire, dont 80 % de la valeur est créée en France, constitue le deuxième solde positif de notre commerce extérieur après l’industrie aéronautique, mais le premier poste d’exportation en valeur absolue. Or seuls 27 % du chiffre d’affaires de notre industrie agroalimentaire sont réalisés à l’export, les deux tiers de ces mêmes exportations étant le fait d’entreprises de plus de 250 salariés.

Le potentiel est donc considérable, mais encore faut-il le rendre accessible. La marque France, synonyme de produits de qualité, de savoir-faire et de sécurité alimentaire, bénéficie d’une excellente image à l’étranger.

Si l’offre de soutien en matière d’exportation est variée et abondante pour nos entreprises, beaucoup d’entrepreneurs – vous le savez, monsieur le ministre – déplorent le manque de lisibilité du dispositif public d’aide à l’export ou la redondance de certaines actions publiques. Il faut instaurer davantage de cohérence dans l’action des différents organismes de soutien, réfléchir à un guichet unique destiné à guider et accompagner nos PME au travers des différents types d’aides à l’export.

Des barrières non tarifaires, parfois injustifiées ou exagérées, constituent également des freins importants. Ainsi, les industriels français sont en attente de nombreux textes définitifs d’application du nouveau système de sécurité sanitaire des États-Unis, en cours de révision profonde. Le volet dédié à la sécurité des importations, par exemple, fait reposer sur les importateurs la responsabilité de la conformité de leurs produits aux nouvelles règles de sécurité alimentaire.

Aussi est-il impératif d’obtenir la reconnaissance de l’équivalence du système européen de sécurité sanitaire, reconnu comme l’un des plus performants au monde, pour les produits dépendant de la Food and Drug Administration.

Il nous faut, monsieur le ministre, une véritable diplomatie économique, dont l’action plus cohérente et plus efficace serait mise au service des entreprises, afin de leur ouvrir et leur faciliter l’accès à l’export.

En ce sens, la mise en place du « comité Asie » est une excellente chose. Ce dernier a vocation à soutenir et promouvoir les exportations agroalimentaires françaises vers l’une des zones dotées du plus fort potentiel de développement, puisque l’Asie représente 13 % des exportations agroalimentaires.

La Chine est ainsi devenue un importateur essentiel. N’étant plus en mesure d’assurer son autosuffisance alimentaire, elle se situe désormais au quatrième rang mondial des importateurs de denrées agroalimentaires. Cette forte progression est liée certes à la croissance d’une classe moyenne urbaine en pleine expansion, mais également aux scandales sanitaires à répétition, qui renforcent l’intérêt des produits étrangers importés aux yeux des consommateurs chinois.

Grâce au « comité Asie », des discussions resserrées se sont tenues entre les entreprises, les représentants professionnels, les opérateurs et les pouvoirs publics, en vue de susciter des plans d’action destinés à accompagner au mieux nos entreprises ; des moyens doivent être mis en œuvre pour développer ce type d’initiatives.

Le deuxième levier sur lequel je souhaite insister est l’allègement des lourdeurs administratives – c’est une ritournelle que l’on entonne dans tous les domaines, mais avec raison – et l’harmonisation des réglementations sanitaires et environnementales.

La réglementation sanitaire et environnementale, dont la raison d’être est de protéger et de rassurer le consommateur, est indispensable à notre industrie ; d’ailleurs, la sécurité alimentaire de notre production constitue pour la France un atout considérable, comme l’a montré la création par un groupe chinois d’une unité de production de lait en Bretagne, à Carhaix.

Seulement, monsieur le ministre, par sa surenchère normative au-delà des exigences européennes et par l’interprétation tatillonne, parfois variable selon les lieux, qu’elle fait des textes réglementaires, la France fabrique une véritable machine à perdre, qui pénalise notre industrie en matière d’exportations.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Non seulement les normes sont excessives – ainsi, un yaourt hier qualifié de « 100 % végétal » ne peut plus être considéré comme tel aujourd’hui, sous prétexte qu’il contient de l’eau, ce qui a toujours été le cas… –, mais, je le répète, il arrive que leur interprétation diffère d’une administration ou d’une région à l’autre : par exemple, un fromage peut s’appeler « fromage aux noix » dans une région, tandis que, dans une autre, un fromage identique se voit refuser cette appellation !

Monsieur le ministre, il faut agir vite et fort pour mettre fin aux lourdeurs administratives dont souffre notre économie, d’autant que l’allègement des procédures et l’accélération de la délivrance des autorisations et des permis de conduire sont des mesures qui ne coûtent pratiquement rien à l’État. Imaginez que, dans mon département d’Ille-et-Vilaine, une entreprise désireuse de renforcer son autonomie énergétique par l’installation d’une éolienne a dû attendre quatre ans pour parvenir à ses fins, quand, en Allemagne, six mois suffisent !

Il faut également harmoniser, au moins au niveau européen, les réglementations imposées aux entreprises en matière de traçabilité des produits. Je pense en particulier au poulet d’importation, au soja OGM et aux fruits et légumes espagnols pour la culture desquels sont utilisés, par dérogation, des produits interdits dans le reste de l’Europe. Sans parler des produits incorporés aux plats cuisinés – chacun ici se souvient de la viande de cheval retrouvée dans des lasagnes.

Le troisième levier que nous devons actionner est celui de l’attractivité et du coût du travail.

Les métiers des industries agroalimentaires souffrent d’une image négative très peu attractive, liée certes à des présupposés, mais aussi à de réels facteurs de pénibilité du travail, en particulier les horaires matinaux, l’exposition au froid et les risques de troubles musculaires. De ce fait, certains postes demeurent non pourvus, ce qui met nos industries en difficulté.

Il importe de lutter contre ce déficit d’attractivité en valorisant les métiers très divers qu’offre l’industrie agroalimentaire, qui ne sont pas tous manuels : nous avons la chance, en effet, de disposer d’une industrie constituée de nombreuses PME, et comportant donc des centres de décision en région. Il convient aussi d’adapter les dispositifs de formation et d’offrir aux salariés de ce secteur de réels parcours professionnels.

Parmi les facteurs expliquant la perte de compétitivité de notre industrie agroalimentaire, l’écart de coût du travail avec l’Allemagne figure au premier rang. Les usines allemandes, nous le savons, emploient massivement du personnel venu des pays d’Europe de l’Est, dont les salaires sont établis selon les critères du pays d’origine. Outre-Rhin, entre 50 % et 80 % des personnels d’usine travaillent sous ce régime, notamment dans les chaînes d’abattage et de découpe.

Afin d’augmenter la productivité et de limiter les tâches manuelles difficiles pour les salariés, il convient de poursuivre l’action que vous avez entreprise, monsieur le ministre, pour encourager la modernisation et la robotisation des chaînes d’abattage et de découpe.

De manière plus générale, la modernisation du secteur constitue, monsieur le ministre, avec le soutien à l’innovation, le quatrième levier sur lequel il me semble que nous devons agir.

La restructuration des industries agroalimentaires françaises permettrait de renforcer leur compétitivité. En effet, en s’agrandissant ou en coopérant entre elles, les PME, dont le tissu représente une part importante du secteur, pourraient plus facilement développer une stratégie globale d’innovation et d’expansion à l’étranger.

De ce point de vue, monsieur le ministre, le programme d’investissements d’avenir que vous avez lancé à la fin de l’année dernière est une excellente initiative. Reste que nos dirigeants de PME sont tout bonnement tétanisés par la complexité des dossiers à présenter. Faudra-t-il qu’ils aient tous réussi le concours de l’ENA pour survivre dans cet enfer administratif ?

Il faut saluer et encourager les initiatives innovantes, à l’image de la « Milk Valley », le pôle de compétence laitière, d’envergure internationale, mis en place dans le Grand Ouest, qui illustre la capacité des acteurs régionaux à innover en associant les industriels et chercheurs, ou encore du projet à forte valeur ajoutée mis en œuvre en Bretagne par le groupe Tilly, en rupture totale avec le modèle avicole traditionnel : après avoir été sauvé de la liquidation judiciaire vers laquelle il s’acheminait à la suite de la suppression des aides européennes, ce groupe, sous la conduite de nouveaux actionnaires, s’est engagé dans un projet innovant visant à assurer l’alimentation des poulets à partir d’algues, grâce aux recherches locales menées depuis des décennies sur les molécules d’algues.

Vous semblez trouver, monsieur le ministre, que mon propos mérite d’être nuancé ; je maintiens que le projet mis en œuvre par ce groupe est un exemple d’innovation, grâce auquel un grand nombre d’emplois ont été sauvegardés.

La production comme la transformation doivent se concevoir en fonction d’un marché qui n’est pas monolithique : les entreprises doivent être présentes sur toute la gamme. En effet, si certains consommateurs privilégient le haut de gamme en achetant des produits AOC ou détenteurs d’un label, 80 % d’entre eux fondent leur achat sur le critère du prix. Les entreprises ont donc besoin d’être accompagnées pour développer des capacités de décryptage des tendances de consommation et de détection des clefs d’accès aux marchés porteurs ; il s’agit de les aider à mettre sur le marché des produits correspondant aux attentes des clients.

Les entreprises ont également besoin de développer des stratégies de diversification de leurs circuits de distribution, pour desserrer l’étau que leur impose la grande distribution. La distribution de type multicanal doit permettre aux entreprises de toucher leur clientèle potentielle à travers un plus grand nombre de points de contact ; elle insufflera un nouveau dynamisme marchand propre à accroître la consommation et à permettre à l’entreprise d’attirer de nouveaux clients en diversifiant son offre.

À cet égard, l’intégration du numérique dans les stratégies commerciales et marketing des entreprises représente un réel potentiel de développement pour les industries agroalimentaires, qui ont besoin de retrouver une relation plus directe avec les consommateurs.

Ainsi, dans l’alimentation, la vente en ligne est promise à une progression significative, on le sait, grâce à la capacité d’innovation digitale des acteurs de la distribution, mais aussi à l’augmentation des achats par internet. C’est une bonne occasion de développer une relation plus directe entre les producteurs et les consommateurs, contrairement à la situation actuelle, dominée par la grande distribution.

Cette observation me conduit au cinquième et dernier levier dont je souhaite parler : la lutte contre les abus de la grande distribution.

Face à des grands groupes de distribution peu nombreux et bien implantés, dont on peut considérer qu’ils jouissent d’une position dominante, de nombreux industriels, qui sont à 97 % des TPE ou des PME, se retrouvent dans un rapport de force complètement biaisé, en position – je pèse mes mots – de faiblesse destructrice.

Distributeurs et fournisseurs sont certes confrontés à la stagnation de la consommation alimentaire intérieure. Dans ce contexte, les enseignes se livrent une guerre des prix sans merci pour conquérir des miettes de marché ou ne pas en perdre. Dès lors, les distributeurs sont enclins à rechercher la stabilité dans les tarifs de leurs fournisseurs, lesquels se retrouvent étranglés au point d’être incapables de dégager les marges nécessaires à leur modernisation, voire à leur survie.

Vous connaissez, monsieur le ministre, la tension violente – je pourrais parler de maltraitance – dont s’accompagne la période des négociations annuelles entre la distribution et les producteurs. Lors de ces négociations, les dirigeants de PME doivent se battre contre des clients tout-puissants, qui représentent parfois 20 % de leur chiffre d’affaires – une proportion énorme pour une PME. Le rapport de force se fait sentir dans toute sa violence lorsque certains distributeurs procèdent, y compris pendant les périodes de négociations, à des déréférencements sauvages de produits.

La grande distribution a joué dans notre pays un rôle extrêmement positif, créant des volumes, encourageant l’innovation et favorisant l’optimisation de la production. Seulement, à un moment où le marché intérieur stagne, la guerre des prix entre les opérateurs de la distribution est une folie destructrice.

Un yaourt vaut aujourd’hui moins cher qu’il y a dix ans, alors que le produit n’a cessé d’évoluer grâce à l’innovation !

Cette année, le contexte est encore plus difficile pour les producteurs, qui doivent faire face au rapprochement de puissantes centrales d’achat. Résultat : les fournisseurs se retrouvent face à quatre acteurs de poids quasiment égal, représentant chacun entre 20 % et 25 % du marché. Dans ces conditions, les pouvoirs publics doivent faire preuve d’une vigilance accrue, afin d’assurer la régularité et l’équité des transactions pour tous les maillons de la chaîne alimentaire. La distribution porte une responsabilité dans le maintien des savoir-faire nationaux.

Monsieur le ministre, vous le savez, aujourd’hui, c’est le produit local qui finance le produit de grande consommation. C’est ce que veut dire Serge Papin, président de Système U, lorsqu’il explique que, en Bretagne, c’est le coco de Paimpol – un haricot blanc excellent que je vous invite à déguster – qui finance le Coca-Cola américain ! En d’autres termes, les grandes surfaces vendent plus cher des produits fabriqués par les PME.

Monsieur le ministre, vous défendez l’industrie agroalimentaire avec conviction. En vérité, nous devons tous soutenir ce secteur, aussi bien sur le marché européen et mondial que sur le marché national.

À cet égard, le plan industriel agroalimentaire pour la nouvelle France industrielle, lancé en juin 2014 au service de produits innovants et d’une alimentation sûre, saine et durable, mérite d’être salué ; élaboré en concertation avec les industriels, ce plan a accueilli plus de 530 projets d’entreprises agroalimentaires sélectionnés par appel à projets. Monsieur le ministre, dans quelle mesure les outils de financement destinés aux entreprises qui mènent ces projets seront-ils mobilisés ?

Le Gouvernement et nous-mêmes devons être à l’origine d’un pacte d’avenir et de confiance entre tous les acteurs concernés, salariés, consommateurs, pouvoirs publics, chercheurs et industriels, afin de pérenniser une filière exemplaire, dont l’activité contribue à la performance économique de notre pays et concourt à garantir non seulement notre cohésion sociale, mais aussi l’équilibre de notre organisation territoriale. Nous, sénateurs, ne pouvons qu’y être éminemment sensibles, nous qui nous préoccupons régulièrement de l’hyper-ruralité.

Monsieur le ministre, l’agroalimentaire ne doit pas être la sidérurgie de demain !

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie agroalimentaire occupe une place essentielle dans notre économie : elle demeure notre premier secteur économique par son chiffre d’affaires, qui est de 161 milliards d’euros par an, comme par le nombre d’emplois qu’elle représente, qui est presque de 500 000.

Avec l’aéronautique, l’agroalimentaire joue donc un rôle stratégique dans notre activité économique. Je rappelle que, avec le soutien de l’État et de votre administration, monsieur le ministre, ce secteur a enregistré en 2013 une croissance de ses exportations plus forte que tous les autres.

Il faut aussi souligner la stabilité des effectifs employés par l’agroalimentaire : de fait, elle est le seul secteur industriel à avoir pratiquement maintenu le nombre de ses emplois depuis les années soixante-dix. Ces emplois sont de surcroît répartis sur nos territoires.

Le présent débat nous invite à réfléchir aux freins à la production et aux futurs leviers de croissance pour ce secteur. Mon intervention s’ordonnera autour de trois axes.

En premier lieu, je m’attacherai aux enjeux du XXIe siècle auxquels l’agroalimentaire va devoir faire face. L’expansion démographique mondiale sera-t-elle une chance pour notre industrie agroalimentaire, ou bien regarderons-nous les autres saisir les occasions qu’elle offre ? De fait, l’accroissement démographique à travers la planète place notre pays devant un véritable défi : l’agriculture et l’industrie agroalimentaire françaises auront-elles la volonté et les moyens d’investir les nouveaux marchés qui vont s’ouvrir ?

La diversité considérable de nos terroirs et de nos savoir-faire est notre chance, de même que la grande variété de nos agricultures et de nos entreprises agroalimentaires. Peu de pays au monde jouissent d’une si grande diversité !

Nous pouvons également compter sur la force de frappe de notre industrie agroalimentaire, qui est capable de rivaliser avec ses concurrentes étrangères, ainsi que sur la qualité de nos produits, fruit d’efforts de traçabilité et de respect des normes environnementales alliés au souci de la compétitivité.

Pour répondre à cette demande, il est nécessaire d’adopter une politique offensive. Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, nous avons su créer la capacité de production requise. Nous avons garanti la satisfaction alimentaire à la population, tout en participant à une amélioration sans précédent de l’espérance de vie en France.

Il est temps d’adopter une vision positive des progrès techniques, car ils permettront à notre agriculture et à notre industrie agroalimentaire de répondre aux défis du temps tout en s'inscrivant dans une démarche environnementale et sociale responsable.

Aussi, monsieur le ministre, il faut avoir le courage de dire que les biotechnologies peuvent apporter des réponses et assurer la compétitivité de nos filières agroalimentaires, pourvu que l’on se dote de véritables pôles de recherche en la matière, sans abandonner ce terrain à nos concurrents étrangers. La France doit consacrer toute son énergie à adapter ses outils industriels et à rester compétitive.

Je dirai un mot sur la silver economy : le vieillissement de la population – un sujet qui sera abordé la semaine prochaine au Sénat – crée un nouveau marché, et, là encore, il est nécessaire de saisir cette occasion.

Le deuxième point que je souhaitais évoquer concerne la fin des quotas laitiers. En effet, nous sommes maintenant à quelques jours d’un événement historique.

Depuis la création de la politique agricole commune, il était gravé dans le marbre qu’un paysan pouvait produire même sans clients, puisque l'Europe payait – d’où les montagnes de beurre et de poudre de lait…

M. le ministre acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Ensuite, nous avons eu les quotas laitiers, qui ont eu l’avantage d’attacher, dans les territoires, la production laitière à la production industrielle. C'était la première fois que le secteur laitier, dès lors qu’il n’avait plus de débouchés, n’avait pas non plus de client. C'était aussi la première fois que l'Europe abandonnait d’une manière responsable la filière laitière.

À cet égard, je voudrais vous encourager, monsieur le ministre, à prendre des initiatives pour que les producteurs aient encore envie d’investir. Vu les conditions d’emprunt actuelles, je pense qu’il serait temps d’accorder, comme le font certains pays, des prêts de carrière à taux zéro. Je sais que vous travaillez sur le plan de modernisation des bâtiments, mais pour encourager ceux qui, d’une façon générale, veulent se lancer dans des investissements lourds, je vous conseille vivement de trouver les moyens de mettre en place un filet de sécurité.

Le troisième et dernier point que je voulais évoquer concerne l’obligation qu’a notre pays d’afficher une politique très claire et volontariste en matière agroalimentaire. Nous avons une chance formidable avec l’espace, l’eau et le savoir-faire dont nous disposons. Toutefois, nous sommes toujours très timides ; nous sommes toujours piégés par notre incapacité à arbitrer entre politique environnementale et volontarisme industriel.

Monsieur le ministre, si nous ne donnons pas confiance aux producteurs et aux entreprises agroalimentaires, si nous ne définissons pas de règles précises, si nous n’avons pas une stratégie et une ambition, la France passera effectivement à côté d’une occasion absolument formidable pour ses territoires.

C'est cette confiance et cette dynamique que je voulais évoquer aujourd'hui avec vous. C'est cette chance qu’a la France, forte de la diversité de son pôle agroalimentaire, d’écrire de nouvelles pages d’histoire dans ce secteur.

Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux qu’ait été organisé ce débat sur l’une des principales forces de notre pays : son industrie agroalimentaire. Je remercie notre collègue, Françoise Gatel, de cette initiative.

Je souhaite rappeler à mon tour les bons chiffres – quand il y en a, autant insister ! – du secteur, même s’ils sont connus. Les industries agroalimentaires en France représentent 160 milliards d’euros de chiffre d'affaires, près de 500 000 emplois directs et près de 12 000 entreprises ! Elles constituent le premier secteur industriel français.

Parfaitement connecté avec l’amont agricole, ce secteur achète et transforme 70 % de la production agricole française. Sa contribution positive à la balance commerciale nationale, à hauteur de 9, 2 milliards d’euros, en fait le deuxième atout de la France, juste derrière l’aéronautique. La France se tient à la quatrième place mondiale des exportateurs en ce qui concerne l’agroalimentaire. La viticulture contribue pleinement à ces bonnes performances ; bien sûr, en tant que viticulteur, je m'en félicite !

Malgré les drames économiques et sociaux connus de tous et contre lesquels le Gouvernement a fait son maximum – Gad et Doux notamment – et malgré les conséquences de la crise russe, l’association nationale des industries agroalimentaires estime avoir plutôt bien résisté à la crise.

Il y a quelques bonnes nouvelles dont nous pouvons nous enorgueillir, avec, on l’a dit, des investissements étrangers sur notre territoire – je pense à l’investissement chinois dans la poudre de lait dans le Calvados – qu’explique la séduction exercée par nos produits, et de nouveaux marchés ouverts à l’exportation – je pense encore à la Chine, concernant cette fois le jambon de Bayonne. Au total, l’an dernier, quelque 1 400 emplois ont été créés dans le secteur agroalimentaire, l’un des premiers à inverser la courbe du chômage.

Le tableau que je viens de vous brosser pourrait laisser penser que tout va pour le mieux dans le monde de l’industrie agroalimentaire. Pour autant, il y a des points d’achoppement, notamment dans les relations entre distributeurs et producteurs.

Le Gouvernement s’est saisi de ces enjeux. Engagée par Mme Delga, M. Montebourg et vous-même, monsieur le ministre, une prise de conscience inédite s’est opérée sur l’inégal partage des marges entre distributeurs et producteurs. Au sein de l’exécutif, beaucoup ont accepté l’expression de « guerre des prix », longtemps taboue. D’ailleurs, lors du salon de l’agriculture, j’ai eu le plaisir de réentendre Mme Delga et vous-même déclarer : « La guerre des prix est arrivée à ses limites, car les bons produits ont un coût, et nous devons avoir comme objectifs la qualité et la protection de la santé. »

Si la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », a déjà corrigé les aspects les plus dangereux de la loi de modernisation de l’économie de Mme Lagarde, il reste des progrès à accomplir.

Le décret instituant le nouveau dispositif de sanctions – ainsi élargies et renforcées – des pratiques abusives introduit par loi Hamon a été publié le 30 septembre 2014. Le décret sur la clause de renégociation des prix en cas de forte volatilité des coûts des matières premières a été publié le 18 octobre 2014. Enfin, le Gouvernement a saisi l’autorité de la concurrence au sujet du rapprochement de certaines enseignes de la distribution annoncé en octobre 2014, ce qui a remodelé considérablement le paysage et donc l’équilibre des forces dans les négociations.

J’utilise le terme de « négociation », mais nous connaissons tous le rapport de forces déséquilibré qui prévaut trop souvent : le racket au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – le CICE – est une réalité contre laquelle les services de l’État luttent quotidiennement. Espérons que les conclusions de l’Autorité de la concurrence rebattront un peu les cartes.

Il est difficile d’aborder les problématiques agroalimentaires sans évoquer des enjeux qui, au premier abord, peuvent sembler purement agricoles. C’est par exemple le cas concernant la certification : s’agit-il d’une question qui concerne les exploitants, les industriels ? Il faut évidemment prendre en compte l’ensemble de la filière pour être complet.

Ainsi, lors du salon de l’agriculture, j’ai été interpellé sur l’initiative de M. Jégo. J’ai beaucoup de respect pour le label « Origine France garantie » qu’il a créé et qui contribue au rayonnement du made in France dans notre pays. Toutefois, j’ai quelques doutes concernant sa remise en cause par amendement, dans la loi pour la croissance et l’activité, de la démarche « Viandes de France ».

M. le ministre acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

M. Jégo définit comme une pratique commerciale frauduleuse toute utilisation du drapeau tricolore sur un produit vendu en France qui ne bénéficie pas d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique ou qui n’a pas fait l’objet d’un processus de certification attestant son origine française. En l’état actuel de sa rédaction, cet article reviendrait à interdire, demain, la démarche « Viandes de France » lancée et contrôlée par l’ensemble des filières de viandes françaises et par les services de l’État.

En effet, INTERBEV, la filière de la viande bovine, précise que, juridiquement, Viandes de France n’est pas une appellation d’origine, ni une indication géographique, ni un processus de certification. Pour autant, Viandes de France est soumis à un contrôle permanent réalisé par des organismes indépendants, qui est gage de qualité et de confiance.

J’aimerais, monsieur le ministre, avoir quelques éléments concernant votre position sur ce sujet. Comme beaucoup d’entre nous, je soutiens toutes les démarches valorisant le made in France. Néanmoins, je trouverais regrettable que l’on remette en cause le travail effectué sur Viandes de France.

Bien sûr, les labels et appellations constituent l’un des atouts de notre agriculture, ainsi qu’une reconnaissance de qualité. Riz, sel, taureau de Camargue, Roquefort, Comté, Piment d’Espelette, volailles du Languedoc, beurre d’Isigny : à travers les seuls noms de ces produits sont évoqués un territoire, marqueur fort d’une identité et d’une compétence.

Chacun, dans nos régions et nos départements, nous sommes fiers de citer nos produits qui révèlent un savoir-faire et une culture teintée d’art de vivre. Dans l’Hérault – j’y reviendrai –, je peux citer spontanément des dizaines de produits, du navet de Pardailhan à l’huître de Bouzigues en passant par les Pélardons que l’on déguste avec nos vins, reflets de nos territoires.

En effet notre pays s’est engagé depuis plus d’un siècle sur la voie de la qualité et de l’origine des produits agricoles et agroalimentaires. C'est un gage de protection qui permet aux producteurs et aux acteurs économiques d’arborer la diversité, la qualité et la typicité de leurs produits. C'est aussi un gage d’image et de notoriété pour notre pays, dont la gastronomie est célèbre dans le monde entier.

Insister sur ces noms de produits, les valoriser, les porter avec fierté et afficher ces chiffres de réussite démontre que la France a su relever de nombreux défis : ceux de la concurrence mondiale, de l’évolution des goûts des consommateurs et de la transformation des métiers. Cela montre aussi la détermination de nos agriculteurs et de toutes les filières, qui ont su s’adapter, produire et vendre mieux, non seulement sur les marchés intérieurs, mais aussi à l’export, en s’engageant fermement sur la voie de la qualité.

Ce sont là des enjeux et une stratégie que le Gouvernement, sous votre pilotage, monsieur le ministre, a su concrétiser l’an dernier avec la loi d’avenir agricole. Nous nous devions de nous poser les bonnes questions, pour que, demain, la France soit toujours citée pour son modèle agricole, ses agriculteurs responsables et ses industries.

Ces enjeux sont à la base du triptyque du développement durable.

Tout d'abord, il y a les enjeux sociaux : quel devenir pour les métiers de la terre et de la mer ? Quel avenir pour nos jeunes, avec tous les problèmes de transmission d’exploitations que l’on connaît ?

Ensuite, viennent les enjeux économiques : il s'agit de maintenir l’industrie agroalimentaire à sa place de deuxième employeur de l’Hexagone, de soutenir les entreprises dans leur volonté de modernisation et de favoriser les groupements pour faciliter la mutualisation.

Enfin, il y a les enjeux environnementaux : préserver la ressource en eau, le foncier face à l’artificialisation des terres et, bien sûr, la biodiversité.

Dans l’Hérault, j’aime répéter que nous devons viser une agriculture qui soit raisonnée et raisonnable, pour pouvoir être durable. De nombreux agriculteurs se sont tournés vers le bio. En termes de surfaces, le Languedoc-Roussillon est le premier vignoble en France en agriculture biologique. Parmi les exploitants, ceux qui se sont lancés depuis des années dans cette nouvelle façon de produire – certains étaient de vrais pionniers, qui ont engagé une évolution des pratiques et des mentalités – l’ont fait à double titre : dans une démarche de conscience, mais aussi de stratégie d’entreprise.

Ils se sont posé les bonnes questions : quelle terre pour demain ? Comment développer la compétitivité tout en préservant l’environnement ? Grâce à la traçabilité et à des cahiers des charges précis et exigeants, tout en s'engageant auprès des consommateurs français, ils ont gagné en termes d’image à l’international.

En effet, les goûts et les habitudes d’achat ont évolué, avec en toile de fond des préoccupations de santé, d’art de vivre et de « bien consommer ». Les exemples concrets sur mon territoire comme sur les vôtres, monsieur le ministre, sont tellement nombreux qu’il est impossible d’en dresser des listes exhaustives. Ils concernent la biodiversité, les circuits courts et les démarches qualité.

À Clermont-l’Hérault, notre huilerie coopérative s’est engagée dans la labellisation AOC de son huile d’olive, alors que nos taureaux de Camargue ont déjà obtenu ce label, tout comme une soupe de poisson à Sète. Cela souligne les partenariats engagés sur l’ensemble de la chaîne : du producteur jusqu’au distributeur, pour arriver chez le consommateur.

Agrilocal est également un exemple fort de la valorisation des circuits courts – j’en ai déjà parlé dans cet hémicycle. Née dans la Drôme, cette plateforme concrétise le slogan « du producteur au consommateur ». Et ça marche ! Aujourd’hui, ce sont plus de 3 000 producteurs et artisans qui vendent directement via cet outil dans toute la France. Je me félicite de la déclinaison nationale de la généralisation des circuits courts que vous avez opérée, monsieur le ministre.

Le 2 décembre 2014, un guide pratique pour favoriser l’approvisionnement local et de qualité en restauration collective a été diffusé aux élus de la France entière. Il offre aux donneurs d’ordre les outils juridiques permettant d’accorder toute leur place aux produits locaux, dans le respect du code des marchés publics.

Plus largement, en Languedoc-Roussillon, plus de 20 % des exploitants agricoles vendent en circuit court – les chiffres atteignent même 56 % pour les producteurs de miel et 46 % pour les producteurs de légumes. C’est dire l’intérêt des agriculteurs pour ce moyen de diversification de leurs revenus.

La biodiversité, l’agriculture raisonnée et bien sûr l’agriculture biologique, relayées ensuite via des circuits de proximité, sont autant de réponses qui conjuguent l’éthique, le respect de la terre et les préoccupations sociales et humaines.

L’agroalimentaire français peut donc compter sur l’engagement et l’audace de ses agriculteurs et de ses chefs d’entreprise. Le Gouvernement soutient ces démarches d’avenir. Ainsi, le 30 janvier 2015, vous avez annoncé, monsieur le ministre, le lancement d’une version 2 du plan Écophyto, avec notamment un objectif de réduction de 25 % de l’usage des pesticides à l’horizon 2020 et de 50 % d’ici à 2025.

Le plan précédent visait une réduction de 50 % des pesticides en dix ans. Or aucune tendance à la baisse n’a pu être observée depuis son lancement en 2008, même si une « révolution culturelle est en marche ».

Afin de mettre en œuvre le projet agroécologique porté par la majorité, le nouveau plan se structure autour de six axes : agir aujourd’hui et faire évoluer les pratiques ; améliorer les connaissances et les outils pour demain et encourager la recherche et l’innovation ; évaluer et maîtriser les risques et les impacts ; inscrire le plan dans une logique de territoires et de filières ; accélérer la transition vers le zéro phyto dans les jardins et espaces à vocation publique ; communiquer et renforcer le suivi du plan.

Pour conclure, j’ajouterai que nous avons le devoir, en tant que parlementaires, de soutenir nos agriculteurs sur la voie de l’excellence, en leur proposant quelques pistes d’amélioration : clarifier les labellisations pour une meilleure compréhension et lisibilité des consommateurs ; simplifier les procédures et raccourcir les délais d’obtention d’un label ; inciter à une relation de qualité entre les producteurs et les distributeurs pour améliorer les marges dans un juste équilibre pour chacun. C’est important, car il y va de la survie de certaines exploitations.

L’innovation est un facteur clef de la compétitivité de notre industrie. La filière agroalimentaire est constituée à 98 % de PME et TPE, qui consacrent moins de 1, 8 % de leur valeur ajoutée à la recherche et au développement. C’est peut-être là que réside notre faiblesse.

Je sais, monsieur le ministre, que le Gouvernement avait de grandes ambitions en la matière : le contrat de filière alimentaire, signé en juin 2013, prévoyait en effet que le programme d’investissements d’avenir, ou PIA, permette de soutenir les projets de modernisation – mécanisation, robotisation et utilisation du numérique – des entreprises alimentaires ayant pour objectifs d’améliorer leur productivité. Au moment où le Président de la République annonce un rechargement du PIA, que pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, sur ce sujet ?

La filière agroalimentaire doit s’inscrire dans la logique d’un aliment bien-être et durable, d’un emballage intelligent et d’une usine du futur. Les perspectives de développement passeront par la capacité à s’insérer parfaitement dans l’internationalisation des échanges, ainsi qu’à remplir les exigences liées à la sécurité, à la qualité et à l’environnement.

M. André Gattolin applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les chiffres ont déjà été cités. Comme ils nous font plaisir, je n’hésiterai pas à les rappeler !

Premier producteur européen, quatrième exportateur mondial, un chiffre d’affaires global supérieur à 160 milliards d’euros, 600 000 personnes employées, près de 13 000 entreprises : nous ne pouvons qu’être fiers de l’industrie agroalimentaire française.

Ce tableau élogieux cache cependant des réalités parfois plus sombres. Il est ainsi impossible de passer sous silence la crise de la filière porcine, qui dure depuis plusieurs années et qui, malgré les efforts déployés, ne semble pas en passe d’être résolue.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Nous avons laissé la qualité de nos productions se dégrader, en adoptant pour seule vision les volumes de production, la minimisation des coûts et la standardisation. Les salaisonniers français s’approvisionnent même désormais à l’étranger pour trouver des porcs adaptés à la production de jambon sec. On importe des produits à plus forte valeur que ceux que nous exportons !

Il est urgent d’opérer une transition qualitative pour redresser la filière. Cela commence par mettre les porcs sur la paille, et non les éleveurs.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Le secteur laitier est également en crise. La situation est en passe de s’aggraver lourdement avec la suppression des quotas au 1er avril prochain, laquelle ne relève malheureusement pas du canular.

L’organisation européenne des producteurs laitiers, le European Milk Board, enjoint les décideurs européens à mettre en place un « programme de responsabilisation face au marché », pour contrer une éventuelle catastrophe.

Ce programme obligerait les producteurs augmentant leur production en dépit d’une saturation du marché à payer une taxe, tandis qu’il accorderait une prime à ceux qui réduiraient leur production. Ce système de régulation pourrait éviter une surproduction massive du marché dans un contexte baissier.

De même, la fin du système de négociation du prix par l’ensemble des acteurs de la filière, sans qu’il soit remplacé par un autre mécanisme, a pour effet d’étrangler les producteurs : une augmentation des marges des distributeurs est observée à leur détriment, ce qui n’est d’ailleurs pas un problème propre au seul marché du lait.

Nous avons la chance, en France, de posséder un outil productif de très grande qualité, des savoir-faire reconnus dans le monde entier, une culture alimentaire et culinaire classée au patrimoine immatériel de l’humanité. Nous devons être à la hauteur de notre réputation et chercher inlassablement la qualité de nos productions, plutôt que les volumes de production ou la baisse des coûts.

Notre agriculture, qui est à la base de notre industrie agroalimentaire, est en pleine mutation. Nous devons accompagner une telle transformation. C’est d’ailleurs le sens de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, défendue par vous-même, monsieur le ministre, et adoptée en octobre dernier. Nous sommes aujourd'hui à un tournant économique, écologique et climatique : les choix que nous opérons en ce moment sont lourds de conséquences, positives comme négatives.

Globalement, le fond de mon propos tient en quatre mots : indépendance, relocalisation, agroécologie et gouvernance alimentaire.

Si l’indépendance est aussi importante, c’est parce que, malgré la puissance de notre agriculture, nous ne sommes absolument pas autosuffisants sur le plan alimentaire. Pour citer un seul exemple, un million d’hectares de terres en Amérique latine servent à faire pousser du soja destiné uniquement à nourrir les élevages intensifs de Bretagne !

J’en viens à la relocalisation. Aujourd’hui comme hier, un pot de yaourt peut effectuer 5 000 kilomètres en camion avant d’arriver sur notre table. J’ignorais que la Normandie était aussi éloignée de Paris ! Les circuits courts, l’agriculture bio, les fermes de proximité, sont bien plus intensives en emploi et bien plus respectueuses de l’environnement que la monoculture.

Vous avez contribué à populariser le terme d’agroécologie, monsieur le ministre, et nous vous en remercions.

Jusqu’à présent, nous avons préféré mettre des chimistes dans les champs. Toutefois, ce sont les agronomes qui nous permettront de restaurer les sols, pour qu’ils deviennent riches et vivants, en diminuant drastiquement la quantité d’intrants chimiques que nous épandons. Il faudra aussi réfléchir à la manière de rémunérer les services écosystémiques rendus par les sols et l’agriculture en général, afin d’accélérer la transition indispensable que nous appelons de nos vœux.

Nous devons suivre le nouveau modèle agricole promu par la réforme de la PAC, dont l’objectif est d’aider d’abord les exploitations de taille petite et moyenne. Les « fermes usines » sont donc à bannir.

Je renouvelle ici la requête formulée dans cet hémicycle à deux reprises par mon collègue Joël Labbé, qui vous a demandé, monsieur le ministre, un chiffrage financier précis du coût des externalités négatives de l’agriculture industrielle classique et des bénéfices que nous retirons des externalités positives d’une agriculture reposant sur les principes de l’agroécologie.

Enfin, je veux souligner la nécessité d’une véritable gouvernance alimentaire mondiale. Nous ne pouvons plus continuer de tolérer la spéculation financière sur les denrées alimentaires ; nous ne pouvons plus tolérer que certains pays soient dépossédés de leurs terres, celles-ci étant vendues au plus offrant, à défaut d’être exploitées par leurs habitants.

Monsieur le ministre, pour conclure, j’évoquerai la décision que vous avez prise de réduire de 25 % les aides au maintien en agriculture biologique pour 2014.

Parce qu’elle fait le choix de ne pas dégrader notre environnement commun, l’agriculture biologique est plus soumise aux aléas de production que l’agriculture chimique. Si les aides de long terme à l’agriculture biologique sont elles-mêmes soumises à des aléas, le soutien à cette filière, dont se prévaut le Gouvernement, perd tout son sens.

Votre ministère évoque dans la presse des « contingences techniques ». Il est crucial, monsieur le ministre, d’apporter une réponse politique. Les quelques millions d’euros qui font défaut ne doivent pas peser sur cette filière d’avenir qui est fragile. Les écologistes comptent sur vous !

Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Abate

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous saluons la tenue de ce débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire. De nombreuses questions sont posées depuis de nombreuses années. Je souhaiterais pour ma part aborder deux points : les négociations commerciales et les quotas laitiers.

Les négociations commerciales entre la grande distribution et les entreprises agroalimentaires relèvent, convenons-en, d’un exercice de funambule. Les négociations pour 2015 n’ont pas échappé à la règle. Comment peut-il en être autrement, alors que quatre grandes centrales concentrent désormais 93 % des achats ?

À cet égard, la commission des affaires économiques a reconnu en octobre dernier l’existence d’un déséquilibre persistant des rapports de forces, au détriment des producteurs de produits agroalimentaires, et de tensions récurrentes que rien ne semble pouvoir apaiser.

C’est pourquoi elle a décidé de saisir pour avis l’Autorité de la concurrence, afin de « mieux identifier l’impact de la concentration des centrales d’achat de la grande distribution sur le marché d’approvisionnement en produits agroalimentaires ».

Nous sommes encore une fois dans l’attente de propositions pour améliorer la situation face à la concentration des achats de produits agroalimentaires et, donc, de solutions pour les acteurs de toute la filière agricole, durement touchée par la crise.

Ce déséquilibre des rapports de force n’est pas nouveau, et le Gouvernement le souligne dans chacune de ses réponses aux questions de nombreux parlementaires. La déréglementation des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, notamment par la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, a affaibli les producteurs. Tous les responsables du monde agricole en conviennent, la grande distribution maintient une pression à la baisse sur les prix d’achat, obligeant les producteurs à vendre bien en deçà de leurs coûts de production.

Ces situations de dépendance économique continuent de favoriser les mauvaises pratiques. Après le déni de négociation de la part des grandes enseignes, l’association des industries agroalimentaires dénonce, entre autres choses, l’apparition de demandes de compensation de marges rétroactives jusqu’en 2013 et l’augmentation des déréférencements partiels lors de la période de négociation. Or ces négociations ont un impact sur toutes les filières agricoles.

Le problème de fond des agriculteurs et des pêcheurs est clairement identifié : l’absence de garantie d’un prix de vente rémunérateur pour leur production.

Or la contractualisation décidée par le gouvernement précédent n’empêche pas la concurrence entre producteurs ou entre bassins de production. Elle n’empêche pas davantage le dumping social et environnemental. Elle ne permet pas non plus de garantir un revenu décent aux agriculteurs. Quelle portée la contractualisation peut-elle avoir quand on sait que sept centrales d’achat et 12 000 entreprises agroalimentaires font face à 507 000 exploitations agricoles ?

Voilà plusieurs années que les sénateurs du groupe CRC formulent en la matière des propositions dont l’adoption aurait peut-être permis d’encadrer réellement les pouvoirs exorbitants des distributeurs dans la négociation des prix. En effet, il faut agir sur ces derniers ! Il fut un temps où les parlementaires de gauche soutenaient l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi, par exemple, à tous les produits agricoles périssables…

De même, nous souhaitions autoriser les interprofessions à définir des prix minima indicatifs dans le cadre d’une conférence bisannuelle rassemblant les producteurs, les fournisseurs et les distributeurs, ainsi que l’ensemble des syndicats agricoles. Ce prix minimum indicatif pourrait servir de référence dans la négociation pour la contractualisation.

Il s’agit non pas de s’entendre sur les prix ni de les tirer vers le bas, mais au contraire de constituer un « filet de sécurité » pour la profession : il faut mettre en place des garde-fous permettant au secteur agricole de ne pas être totalement soumis à la volatilité des marchés et aux appétits insatiables des grandes centrales d’achat.

Et tant pis pour le droit à la concurrence ! Celui-ci et son encadrement européen peuvent et doivent s’adapter aux situations de crise. On ne peut pas continuer à produire à des prix sacrifiés. Les entreprises de la filière, ainsi que leurs salariés, doivent, à chaque étape, renouer avec les profits. Eh oui, mes chers collègues, le problème, ce ne sont pas les profits – il en faut ! –, mais la manière dont on les partage !

Nous devons repenser le cadre des relations commerciales, réinventer le rapport que chaque acteur de la filière entretient avec l’autre, remettre la valeur au cœur du système.

Le drame humain et industriel causé par cette politique, à l’image de ce qu’il s’est passé avec les groupes Doux, Gad et Tilly-Sabco, qui ont licencié des centaines de personnes en Bretagne, pour ne citer que cette région, doit cesser. C’est d’autant plus impératif que, demain, la fin des quotas laitiers entraînera une libéralisation du secteur, ce qui suscite des interrogations et des inquiétudes.

Cette semaine, le journal Les Échos écrivait : « À quelles conditions la diversité et les spécialités gastronomiques peuvent-elles se maintenir une fois le pays engagé dans une course à la concurrence mondiale face à des puissances telles que la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et l’Australie ? » Il poursuivait : « Comment préserver le modèle français et ses 1 000 fromages ? »

Si nous voulons imposer le modèle de l’agroécologie, il faut le soustraire de manière raisonnable, pragmatique et efficace aux logiques purement marchandes, à commencer, monsieur le ministre, mes chers collègues, par le périmètre des négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange.

Il faut le faire non seulement pour protéger nos terroirs et nos filières agricoles, tout particulièrement l’élevage, mais également pour assurer à nos concitoyens une alimentation saine et de qualité.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Arnell

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie agroalimentaire est un secteur clef de notre économie : 160, 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013, plus de 500 000 emplois et un soutien à la balance commerciale de l’ordre de 8, 5 milliards d’euros.

Cette industrie, qui transforme les trois quarts de la production agricole française, est donc un important vecteur du dynamisme territorial et garantit une agriculture diversifiée. Toutefois, elle est menacée eu égard à l’internationalisation croissante des échanges. Pour preuve, la France est passée de la place de deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires au cinquième rang, derrière les États-Unis, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Brésil.

L’excédent commercial français demeure cependant très fragile, dans la mesure où il repose essentiellement sur l’industrie des vins et des boissons alcooliques, secteur lui-même fortement soumis à la concurrence internationale.

Par conséquent, l’érosion des parts de marché françaises appelle une réponse forte et coordonnée de la part des pouvoirs publics et de tous les acteurs du marché.

À plusieurs reprises, le problème de la désindustrialisation de la France et du manque d’efficacité des dispositifs de soutien aux exportations a été relevé. Je pense notamment au travail mené récemment par nos collègues Martial Bourquin et Alain Chatillon sur la réindustrialisation de nos territoires, mais aussi à la mission de contrôle de la commission des finances du Sénat, qui, en 2013, faisait état de l’éparpillement des structures et de la nécessité de consolider une stratégie globale des intervenants.

Par la suite, le Gouvernement a engagé des réformes, notamment la création, au 1er janvier de cette année, de Business France, une structure issue de la fusion d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux. Cette étape devrait permettre de mieux accompagner les industriels de l’agroalimentaire, entre autres, dans leur conquête des marchés à l’international.

Nous sommes tous d’accord, et vous en conviendrez, monsieur le ministre, pour affirmer qu’il est nécessaire d’encourager auprès de nos entreprises une véritable culture de l’exportation, qui pourrait passer, par exemple, par des regroupements de PME, afin de mutualiser les moyens et de favoriser l’accès aux marchés.

Par ailleurs, le rôle de l’Union européenne dans la protection des industries agroalimentaires de pays de l’Union est fondamental. Il est double.

Tout d’abord, il est nécessaire de prévenir les problèmes de compétitivité d’entreprises au sein de l’Union européenne, qui nuisent à l’économie de marché et au développement des entreprises nationales. Nous avons pu le déplorer en 2013 avec l’affaire des producteurs de volailles, qui a mis en évidence une distorsion de concurrence entre la France et l’Allemagne au sein de la filière d’abattage et de découpe.

En ce sens, il me semble opportun de procéder à une réflexion globale sur une éventuelle harmonisation des politiques sociales au sein des États membres. Pourquoi pas par l’instauration de minima sociaux à l’échelon européen ?

Ensuite, s’agissant de l’équilibre que souhaite garantir l’Europe entre la protection du marché intérieur et l’ouverture aux marchés de pays tiers à l’Union, il apparaît nécessaire que Bruxelles apporte des réponses adéquates au protectionnisme déguisé de certains de nos partenaires.

Les accords de libre-échange entre l’Europe et certains pays d’Amérique latine passés en 2013 sont symptomatiques d’une mise en danger de secteurs clefs de notre économie, plus particulièrement de l’économie antillaise. En effet, monsieur le ministre, le sucre, la banane et le rhum sont désormais concurrencés par ceux de ces pays qui les produisent à des coûts bien moindres, sans parler des conditions de travail.

Enfin, mes chers collègues, l’avenir de l’industrie agroalimentaire passe également par une meilleure transparence de la qualité des produits, ainsi que de leur traçabilité.

À ce sujet, deux points me semblent devoir être abordés, car ceux-ci posent question quant au respect des consommateurs.

Le premier a trait à la problématique des ajouts de sucre dans les produits agroalimentaires vendus dans les collectivités territoriales d’outre-mer, leur teneur en sucre étant souvent bien supérieure à celle des produits vendus en métropole, sous le seul prétexte que notre population y est plus sensible.

En 2013, M. Victorin Lurel, alors ministre des outre-mer, faisait adopter à l’unanimité une loi visant à interdire toute différence dans les taux de sucre entre les produits vendus outre-mer et en métropole. Mais alors, comment expliquer, au regard des enjeux de santé publique, que nous attendons toujours les arrêtés ministériels nécessaires à l’entrée en vigueur de ce texte ?

La seconde préoccupation, également issue de cette même loi du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, porte sur les dates limites de consommation et les dates limites d’utilisation optimale des produits.

En effet, les produits sont soumis à des dates plus tardives outre-mer. Un alignement des dates de péremption entre les produits qui sont vendus dans l’Hexagone et ceux qui le sont dans les territoires d’outre-mer était légitimement demandé. Là encore, nous sommes dans l’attente des textes d’application d’une loi consensuelle.

Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je voulais formuler sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire, dont le groupe RDSE souhaite qu’elle soit fermement soutenue, afin d’être plus compétitive et mieux armée pour conquérir de nouveaux marchés, le tout dans le respect des consommateurs, où qu’ils se trouvent.

Vos actions, monsieur le ministre, sont appréciées.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Merci !

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Arnell

M. Guillaume Arnell. Aussi, nous comptons sur votre détermination pour aller encore plus loin dans la protection des intérêts de la filière, et ce malgré les obstacles de toute nature.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean Bizet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que notre pays connaît une crise économique particulièrement grave, je me réjouis vivement de l’organisation de ce débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire, laquelle dispose d’un potentiel de développement tout à fait considérable.

Je le rappelle, elle représente 15 % des emplois industriels dans notre pays et plus de 500 000 emplois – quatre fois plus si l’on considère les emplois induits. C’est donc un pan tout à fait significatif de l’activité industrielle de la France.

L’industrie agroalimentaire, avec un solde excédentaire de l’ordre de 8 milliards d’euros chaque année, joue un rôle particulièrement important dans la balance commerciale française, laquelle enregistre chaque année un déficit compris entre 50 milliards et 60 milliards d’euros. C’est dire le rôle prépondérant du secteur agroalimentaire pour la santé économique et financière de la France, car l’avenir de notre pays passe aussi par un rétablissement de l’équilibre de sa balance commerciale, avant que celle-ci ne redevienne excédentaire, comme celle de l’Allemagne.

Vous le savez, mes chers collègues, grâce à l’agroalimentaire, environ 70 % de la production primaire de notre pays sont valorisés, tant dans le secteur agricole que dans celui de la pêche. Il est donc important que l’activité agricole comme les activités maritimes et halieutiques se portent bien.

Cela a été dit par les précédents orateurs, l’agriculture rencontre elle aussi des difficultés. Dans le département du Finistère, que je connais bien, ce sont chaque année une centaine de jeunes qui s’installent, sur un total de 10 000 exploitations, soit un ratio de 1 à 100. Ce niveau de renouvellement est loin d’être satisfaisant si l’on veut assurer l’avenir.

L’agriculture est aussi un facteur d’aménagement du territoire extrêmement important. Avec l’agroalimentaire, elle est un facteur de maintien de la population et de la vitalité de nos villages et de nos territoires, comme à Berrien, une commune que vous connaissez bien, monsieur le ministre, mais aussi dans ceux du Finistère, de la Bretagne, voire de la France tout entière.

En septembre 2013, le Président de la République affirmait sa volonté de promouvoir une nouvelle France industrielle ; on ne pouvait que se réjouir de cette ambition affichée de relancer l’industrie. Entre autres objectifs, il avait défini un plan d’action en faveur du secteur agroalimentaire.

Aussi, monsieur le ministre, je dois vous dire que nous avons été particulièrement déçus par la disparition du ministère délégué à l’agroalimentaire lors du changement de gouvernement. L’existence d’un tel ministère était, aux yeux des professionnels du secteur, significative de la prise en compte de leurs problèmes et de la nécessité d’agir à leurs côtés. Force est de constater que, nonobstant les intentions affichées par le Président de la République, ce ministère délégué a, hélas, disparu, ce qui ne se traduira pas, je l’espère, par une moindre prise en compte par le Gouvernement de ce secteur.

Ce que les entreprises souhaitent, vous le savez bien, c’est que l’on agisse sur l’innovation, sur les emballages, sur le froid durable, sur la qualité et sur la compétitivité. S’agissant de ce dernier point, je rappelle la volonté déjà exprimée par le groupe de l’UDI-UC de voir les charges sociales baisser significativement dans notre pays. Pourquoi ? Tout simplement parce que si l’on veut que ce secteur, qui est confronté à la concurrence internationale et dont les produits sont vendus à des prix parfois extrêmement bas, continue d’être compétitif, il faut que les acteurs économiques pratiquent des prix adaptés aux marchés internationaux.

Cela passe par une maîtrise et une réduction des coûts de production. Étant donné qu’il n’est pas possible d’agir sur les prix des matières premières, qui sont déjà très extrêmement bas, il faut jouer sur les coûts de production, notamment les charges sociales, qui en constituent une part importante.

Nous souhaitons également accompagner et encourager les entreprises dans leur démarche qualitative. À cet égard, monsieur le ministre, je dois vous faire part de l’étonnement que m’a causé la lecture des résultats d’un audit mené par l’inspection des plans de maîtrise sanitaire dans les établissements de transformation de viandes, qu’a publié votre ministère.

Cet audit se concluait par ces mots : « En conséquence, les auditeurs considèrent que l’inspection officielle des plans de maîtrise sanitaire dans les établissements de fabrication de produits à base de viande, telle qu’elle a été observée dans la plupart des sites audités, ne permet pas d’évaluer avec une précision suffisante la fiabilité du dispositif mis en place par les professionnels pour prévenir les risques sanitaires. »

C’est extrêmement grave, car les pays étrangers font confiance à la qualité sanitaire de notre production, à la maîtrise dont nous faisons preuve à cet égard, et plus particulièrement à l’action de l’administration.

Si nous voulons éviter de connaître des difficultés eu égard aux exigences sanitaires que pourraient formuler un certain nombre de pays étrangers, nous devons manifester une vigilance particulière sur ce plan. Il faut, en particulier, que l’administration puisse certifier que la qualité des produits français est très grande et découle du respect d’un process indispensable à son maintien.

Sur le froid durable, il s’agit évidemment de permettre aux entreprises d’engager les démarches nécessaires au titre de la transition énergétique, là encore pour réduire les coûts.

Quant aux emballages, ils doivent être plus sûrs, plus propres, il faut que l’on puisse les valoriser encore plus, afin de créer des emplois. Il convient également de pouvoir mieux identifier l’origine des produits : c’est une demande récurrente des professionnels de l’agriculture.

S’agissant de l’innovation, il est important que nous soyons en mesure de soutenir tout ce qui y concourt, y compris les formations comme celle qui est dispensée au sein de l’Institut des métiers de la viande, à Sallertaine, en Vendée. Je pense également à cette initiative prise en Cornouaille, dans le Finistère, pour développer la Green Valley autour du projet Ialys. Je pense, enfin, à tout ce qui concourra à favoriser l’innovation par les entreprises, lesquelles n’utilisent pas encore suffisamment, à mes yeux, le crédit d’impôt recherche. Pourtant, un grand nombre d’acteurs économiques y ont recours, puisque l’on s’aperçoit qu’en 2011, par exemple, les entreprises du secteur de l’agroalimentaire ont bénéficié de ce crédit d’impôt à hauteur de 46 millions d’euros, alors qu’il représente au total plus de 4 milliards d’euros pour l’ensemble de notre pays. C’est dire le chemin qui reste à parcourir sur ce point !

Monsieur le ministre, je conclurai en évoquant la nécessité de limiter les contraintes administratives en tous genres qui entravent la production, en particulier dans le domaine porcin. En effet, on observe depuis sept ans une baisse dramatique de 6 % de la production, alors que d’autres pays voient leur production porcine augmenter. Il importe que l’administration agisse en la matière.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP. – M. Guillaume Arnell applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques jours, le Président de la République a évoqué « la France qui gagne » lors d’une visite d’une jeune entreprise innovante, spécialisée dans le textile. Il aurait pu dire la même chose pour l’industrie agroalimentaire.

C’est parfait, ou plutôt imparfait tant on a l’impression que ce succès appartient au passé et, si l’on y regarde d’un peu plus près, la situation de notre industrie commence à se fragiliser et perdre des parts de marché.

Nous sommes face à une situation paradoxale : partout dans le monde, les industriels de l’agroalimentaire sont optimistes, sauf en France. Partout en Europe, nos concurrents envient notre situation et nos atouts incontestables, en termes de qualité et d’image, et l’on sait combien l’image est importante auprès des consommateurs. En outre, pour l’agroalimentaire, la France est aussi une marque. Pourtant, malgré ces atouts, nous sommes à la peine et nos concurrents progressent.

Il ne s’agit pas d’accuser tel ou tel, car – soyons très clairs et honnêtes – cette dégradation ne date pas d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas non plus de donner des conseils aux entreprises, qui sont les mieux placées pour faire les bons choix. Toutefois, il s’agit de réfléchir à ce que, tous ensemble, élus et pouvoirs publics, nous pouvons faire pour les soutenir.

Je vais aborder deux sujets : les questions institutionnelles et juridiques, d’une part, et les questions économiques et stratégiques, d’autre part.

Sur le premier point, il est clair que les industries agroalimentaires sont handicapées par deux types de contraintes.

Il y a, d’abord, le droit lui-même, en particulier l’excès de normes, chacun d’entre nous l’a dit. Il existe certes des normes européennes, mais aussi et surtout des normes nationales. Ainsi, dans le domaine agricole, nous avons la conditionnalité qui est liée au respect des règlements européens, et les bonnes conduites agroenvironnementales, ou BCAE, qui elles, sont des règles nationales. Chaque pays a donc les siennes et la France a sans aucun doute les plus rigoureuses. Nous voulons toujours faire mieux et en voulant faire mieux, monsieur le ministre, on fait mal.

Sur le terrain, les agriculteurs sont plus handicapés par les règles françaises que par les règles européennes. Il faut dire halte à la surréglementation. Le Gouvernement doit bien prendre conscience de l’exaspération des acteurs sur le terrain, qu’ils soient producteurs ou transformateurs. Plus les normes sont nombreuses et plus elles sont difficiles à respecter.

À trop vouloir bien faire, on se met en incohérence avec tous, qu’ils soient producteurs ou transformateurs. C’est grave ! Il faudra bien un jour, enfin, que l’administration, les administrations facilitent la vie des opérateurs sur le terrain, au lieu de la leur compliquer.

À côté du droit, il y a, ensuite, l’interprétation du droit.

Je souhaite évoquer les doutes sur la pertinence de l’engagement de l’Autorité de la concurrence dans le domaine industriel. Des exemples récents me permettent d’illustrer ces craintes. Je n’en exposerai qu’un seul.

Voilà quatre ans, la coopérative Agrial a fusionné avec Elle & Vire. Figuraient, dans la corbeille de la mariée, deux petites cidreries, que l’Autorité de la concurrence a obligé de vendre compte tenu des risques de concentration et de position dominante qu’elles représentaient. Soit ! Mais que s’est-il passé depuis ? Agrial a donc vendu ses cidreries à son concurrent Val de Rance, qui a, au passage, réalisé une bonne opération, puisque Agrial était obligé de vendre et qu’il était le seul acheteur. Mieux, l’Autorité de la concurrence a obligé Agrial à garantir l’activité des cidreries. Ainsi, Agrial fournit des pommes à son concurrent pour une cidrerie qu’elle a été obligée de lui vendre. Pour finir, une des deux cidreries a fermé. Le résultat final est un vrai gâchis !

Voilà une intervention de l’Autorité de la concurrence aux effets contestables, on en conviendra. Dans son appréciation, l’Autorité se fondait sur la notion de marché pertinent. Les effets des concentrations sont analysés en fonction du marché. La situation n’est évidemment pas la même selon que l’on vend des avions ou du jus de pomme !

La règle est européenne ; son application est nationale et européenne selon les seuils. C’est une marge d’interprétation qui est en débat, et dans certains pays, la question ne se pose même pas.

Aux Pays-Bas, par exemple, toutes les concentrations sont analysées dans une perspective européenne. Il n’y a pas de marché national. En France, c’est différent, et l’analyse se fait au cas par cas, avec le risque, qui a été évoqué, d’une fermeture d’usine comme cela s’est produit. Si l’Autorité de la concurrence s’était mise dans une perspective européenne, cela ne serait assurément pas arrivé.

Il me semble que, dans le droit de la concurrence, l’analyse du marché pertinent doit privilégier l’approche européenne et ne garder une vision nationale que dans des cas exceptionnels.

Surtout, ces décisions nuisent à l’émergence de grands groupes de taille européenne.

J’ai évoqué ce sujet avec le président Juncker le 5 février dernier et en compagnie du président du Sénat.

Il est très bien de se doter d’autorités indépendantes, mais cette indépendance ne doit pas nuire à nos entreprises et les empêcher de croître.

Monsieur le ministre, la commission des affaires européennes du Sénat est très attentive à ce sujet. Nous sommes tout à fait prêts à travailler avec le concours de votre ministère pour faire évoluer la situation au niveau communautaire et encadrer davantage l’autorité nationale.

Après les questions juridiques, le deuxième point que je souhaite évoquer concerne les questions de stratégie.

Ce sont les entreprises qui mettent au point une stratégie industrielle, mais c’est à l’État d’élaborer une stratégie économique.

Je l’ai dit, l’agroalimentaire est un de nos points forts. Il faut toujours, et dans tous les domaines, valoriser ses points forts. L’État doit accompagner les entreprises, et certains pays sont beaucoup plus orientés vers le soutien de leurs entreprises que la France. Ce n’est pas pour rien que les Pays-Bas et l’Allemagne sont de grands exportateurs. Tout est fait pour que leurs entreprises exportent, sans tracasserie administrative supplémentaire ou menace d’impôt nouveau.

C’est un choix stratégique.

J’ai assisté récemment à une rencontre franco-allemande sur l’agroalimentaire. Le discours du ministre allemand était très clair et tout orienté sur un seul but, je dis bien un seul : la compétitivité. C’est la priorité absolue. Face à cela, les Français répondent aménagement du territoire, traditions, culture, emploi, paysage, ruralité, environnement. C’est bien, mais nous nous dispersons, et ce faisant nous nous fragilisons.

Or la période qui s’annonce est cruciale.

Ayant déjà dépassé le temps qui m’est imparti, je n’évoquerai que très brièvement le rapport que nos collègues Michel Raison et Claude Haut finalisent actuellement sur la filière laitière. Il faudra bien, un jour dans notre pays, prendre en considération certaines des orientations qu’il contient, pour éviter de fragiliser encore un peu plus notre tissu.

Permettez-moi juste un dernier mot sur les Abattoirs industriels de la Manche.

On risque la fermeture du seul abattoir porcin de Basse-Normandie. Soyons clairs : cette situation est la conséquence de fautes de gestion dont le ministère n’est nullement responsable. À ce propos, je tiens à saluer la capacité d’écoute de vos services, monsieur le ministre, ainsi que votre souci de trouver un repreneur. C’est parfois difficile d’y parvenir.

En revanche, cette situation illustre malheureusement le manque de vision politique depuis vingt ans sur l’organisation des filières. On ne peut pas conforter les outils de production si on laisse trop de place aux thèses environnementalistes et si on ne garantit pas les approvisionnements. Nous produisions 25 millions de porcs voilà vingt ans, nous en produisons à peine 19 millions aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

M. Jean Bizet. J’aurais pu poursuivre sur ce sujet, mais puisque vous me rappelez à l’ordre, monsieur le président, et c’est normal, je dirai simplement à M. le ministre que je suis très inquiet de l’évolution de la filière agroalimentaire française, en raison de choix politiques, qui datent d’hier et d’aujourd’hui, que nous n’avons pas faits.

Applaudissements sur les travées de l'U MP. – Mme Françoise Gatel et M Henri Tandonnet applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’intérêt de s’exprimer en dernier à la tribune, c’est que beaucoup a déjà été dit sur le sujet. Je reprendrai notamment des propos de nos collègues Guillaume Arnell et Michel Canevet.

L’industrie agroalimentaire est bien sûr l’un des piliers historiques de l’économie française, qui mobilise, plusieurs d’entre vous l’ont dit, près de 15 000 entreprises sur notre territoire, essentiellement, d’ailleurs, dans les territoires ruraux – elles y jouent aussi parfois un rôle dans l’aménagement du territoire – et emploie 500 000 personnes directement sur l’ensemble de notre pays. C’est aussi, vous l’avez rappelé, chers collègues, le principal débouché de l’agriculture française.

Vous avez également souligné l’importance de cette industrie agroalimentaire pour notre balance du commerce extérieur, où elle représente le deuxième solde excédentaire après l’aéronautique.

L’examen de cet excédent révèle néanmoins qu’il est principalement le fruit des exportations de vins et spiritueux, et nous ne pouvons que nous en réjouir, mais il montre que la France, vous l’avez dit, perd des parts de marché : deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires en 2000, la France se situe désormais en cinquième position.

Pourtant, ce secteur dispose d’un important potentiel de croissance au sein du marché mondial, notamment en raison de la croissance des classes moyennes dans certains pays.

Au niveau macroéconomique, nous observons que la « marque France », comme l’a dit Jean Bizet, bénéficie d’une image remarquable à l’étranger, tant pour le goût que pour la qualité des productions. Elle fait ainsi l’objet d’une demande croissante des pays émergents sur ce marché, tels que la Chine, le Brésil, le Mexique ou l’Indonésie.

Au niveau microéconomique, pour les entreprises du secteur, l’export est à la fois un tremplin vers l’innovation et, surtout, un relais de croissance significatif face à un marché national mature où la demande se contracte et la concurrence se durcit.

Aussi est-il fondamental d’orienter la stratégie de la France à l’export vers une efficience toujours renforcée en s’appuyant sur deux points principaux.

Premièrement, il faut restructurer le dispositif de soutien aux exportations agroalimentaires.

En effet, dans un rapport d’information de 2013, la commission des finances a mis en lumière la dispersion des moyens entre plusieurs ministères, quatre opérateurs et un ensemble d’acteurs publics et privés.

Cette situation n’est pas à même de garantir une gestion optimale des crédits budgétaires, qui ont tendance à faire l’objet d’un saupoudrage entre les différentes structures. De plus, cela entraîne une certaine défaillance de la gouvernance, qui souffre d’un manque de coordination.

Aussi, je prends acte de l’effort de rapprochement initié par le Gouvernement en 2012, notamment à travers la création de la filière prioritaire « Mieux se nourrir » du commerce extérieur, qui favorise la mise en œuvre d’opérations concrètes, coordonnées avec les acteurs du développement international.

À ce titre, monsieur le ministre, pourriez-vous nous dresser un bilan d’étape ou nous fournir quelques éléments de ce dispositif qui s’inscrit dans une démarche de stratégie sectorielle extrêmement importante ?

Deuxièmement, il faut renforcer la diplomatie économique.

L’action publique doit être unifiée au sein d’une diplomatie économique à même de soutenir les entreprises pour leur permettre d’accéder aux marchés étrangers.

Tout d’abord, il s’agit d’œuvrer pour lever des barrières réglementaires s’apparentant, parfois, à des alibis plus ou moins protectionnistes bloquant l’accès à certains marchés.

Ensuite, il convient de saisir les opportunités qui se font jour dans les zones de grand export : depuis quelques années, nous observons la progression des produits alimentaires transformés sur certains marchés asiatiques. En Chine, cette hausse a atteint 15 % en 2014. Imaginez, mes chers collègues, les volumes considérables qui pourraient sortir de nos usines pour répondre à cette demande !

En outre, il faut resserrer les liens entre les nombreuses entreprises de petite et moyenne taille et les grands groupes déjà internationalisés – je songe à la grande distribution, qu’il ne faut pas diaboliser –, afin de développer des stratégies de portage, de conseil et de développement de réseaux à l’échelle internationale.

Enfin, pour ce qui concerne spécifiquement les États-Unis, je songe à la révision du système de sécurité sanitaire américain. Face à cette évolution, il semble désormais important d’obtenir la reconnaissance de l’équivalent du système européen de sécurité sanitaire pour les produits dépendant de la food and drug administration.

Monsieur le ministre, ces considérations me conduisent à vous interroger quant aux objectifs et aux moyens donnés à cette diplomatie économique, particulièrement pour développer de manière significative nos exportations, notamment notre grand export.

Je ne puis achever mon intervention sans attirer votre attention sur l’impact du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, le TTIP. Cet accord fait actuellement l’objet de discussion au niveau européen, à propos des entreprises du secteur agricole et agroalimentaire. Ce texte inspire certes des craintes, mais il représente certainement des opportunités. Aussi, pourriez-vous nous communiquer des informations quant au stade où s’en trouvent les négociations concernant ce secteur et quant à la position adoptée par la France ?

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat, consacré à la situation de l’industrie agroalimentaire française, est organisé à la demande du groupe UDI-UC et notamment de Mme Gatel, que je remercie de son initiative. Nous avons là l’occasion de résumer, au cours d’une discussion dans cet hémicycle, les enjeux et les stratégies propres à ce secteur.

Cet échange de vues me semble tout à fait utile. En effet, – ce constat a été rappelé – l’agroalimentaire représente, en France, quelque 500 000 emplois. En outre, ce secteur industriel concourt à l’excédent de notre balance commerciale.

À ce titre, je tiens à rappeler que cet excédent se mesure par la différence entre ce que la France exporte et ce qu’elle importe. Les exportations ont été largement abordées au cours de ce débat. N’oublions pas que nous devons, parallèlement, relever un défi spécifique : la reconquête d’une partie de notre marché intérieur.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

On en oublierait presque que nous avons, avant tout, une responsabilité vis-à-vis de notre marché national.

Les emplois de l’agroalimentaire sont territorialisés – c’est un aspect important – et répartis au sein de PME et de PMI.

Mme Françoise Gatel acquiesce.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Nous le savons tous dans cet hémicycle pour l’observer dans nos départements respectifs, ces emplois sont liés à des territoires spécifiques. J’ajoute que, sans les activités agroalimentaires associées à l’agriculture, un certain nombre de régions seraient presque privées d’industrie. Cette filière n’en est que plus importante. Non seulement elle regroupe un grand nombre d’emplois, mais ces derniers sont très territorialisés. Voilà pourquoi nous devons veiller à préserver la capacité des entreprises concernées à pérenniser leur activité, à assurer leur développement et à financer leurs investissements.

À travers cette industrie, c’est son image que la France diffuse, en Europe et dans le monde. De surcroît, l’agroalimentaire est, pour nous, une source d’attractivité, ne serait-ce que pour le tourisme que notre pays polarise. Dans toutes les régions touristiques, chacun a sans doute à l’esprit ce que représentent la restauration et donc la production agroalimentaire française. Il faut comprendre au sens large l’enjeu dont il s’agit, sous un angle industriel mais aussi de manière culturelle, en lien avec la gastronomie.

Je l’ai souligné en ouvrant mon propos : ce débat est important en ce sens qu’il vise à définir de grandes stratégies.

Le ministère de l’agriculture suit cette double stratégie, que je viens de mentionner et qui, selon moi, est à même de faire l’unanimité : favoriser l’exportation tout en réduisant notre dépendance et nos importations si c’est possible – je vais tenter de vous prouver que tel est le cas.

Certains orateurs ont rappelé que l’agroalimentaire bénéficiait précédemment d’un ministre délégué, qui, c’est vrai, s’est révélé être un acteur important. À présent, j’assume cette responsabilité avec un jeune délégué interministériel, nommé par le Président de la République. Je l’ai dit, l’administration de mon ministère va être réorganisée, en particulier la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, la DGPAAT. Il convient d’y intégrer les enjeux de l’agroalimentaire, que ce soit en termes de pilotage politique ou sur le plan administratif. À mon sens, c’est un signal fort de l’attachement que la France voue, et que je voue moi-même à la transformation des produits agricoles.

Je suis ministre non seulement de l’agriculture mais aussi de l’agroalimentaire : aucun produit agricole n’est consommé sans avoir été transformé. §Les degrés de transformation peuvent être plus ou moins élevés. On distingue à ce titre la première, la deuxième, la troisième, la quatrième et la cinquième transformation. Quoi qu’il en soit, nous consommons des produits transformés – je ne cesse de le répéter ! – ou transportés. Les aliments ne sont pas consommés sans qu’une action soit opérée, ne serait-ce que par la récolte de la production.

Le premier enjeu, c’est la modernisation et la compétitivité. Il a été évoqué au cours de cette discussion et vaut dans les deux sens, pour notre capacité à exporter et à éviter les importations.

En la matière, je rappelle que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, comme le pacte de responsabilité, lequel permet des allégements de charges patronales sur les bas salaires, sont des dispositifs essentiels dans un secteur qui emploie beaucoup de main-d’œuvre, notamment de personnes rémunérées aux alentours du SMIC. C’est précisément la cible du CICE.

Gardons en tête les montants dont il s’agit, car il faut bien mesurer l’ampleur de l’effort accompli.

Entre 2012, époque à laquelle ces dispositifs n’étaient pas encore en vigueur, et 2015, 771 millions d’euros d’allégements supplémentaires ont été accordés à l’industrie agroalimentaire. Entre 2012 et 2017, nous ambitionnons de porter cette somme à 1, 1 milliard d’euros. Voilà l’effort qui est fait, pour une industrie qui – certains l’ont rappelé – avait besoin de retrouver de la compétitivité. Le pacte de responsabilité s’applique parfaitement à l’industrie agroalimentaire et contribue à l’amélioration de sa compétitivité.

Il fallait faire ce choix, à une condition près : que le CICE, dont bénéficient en particulier les PME, ne soit pas absorbé dans des négociations commerciales destinées, en définitive, à réduire les prix. §Je m’en assure dès que j’en ai l’occasion. Lors des négociations commerciales menées au début de cette année, j’ai systématiquement formulé ce rappel. Au titre du pacte de responsabilité, la nation mobilise un total de 32 milliards d’euros. Si cet effort se traduit par une simple baisse des prix sans conforter la compétitivité et les capacités d’autofinancement du secteur, notre pays ne pourra pas le poursuivre longtemps. Chacun doit assumer ces responsabilités.

Soyons, tous ensemble, extrêmement attentifs à ces questions, chaque fois que de telles négociations sont menées. Je le répète, chaque acteur a sa responsabilité, y compris les organisations patronales. Lorsque des pourparlers ont lieu entre la grande distribution et les industries au sein d’une instance comme le MEDEF, chacun doit garder cet impératif à l’esprit. Le ministre n’est pas censé devoir rappeler, en permanence, l’importance de l’enjeu : l’État ne mobilisera pas 32 milliards d’euros tous les ans ! Cette somme doit donc servir à la compétitivité, à l’autofinancement et aux capacités d’investissement pour l’avenir.

La Banque publique d’investissement, ou BPIFrance, est également mobilisée en faveur de ce secteur. Au reste, Guillaume Garot avait veillé à ce que cette instance consacre une ligne budgétaire spécifique aux entreprises de l’agroalimentaire. Le nombre d’entreprises soutenues a crû de 50 % entre 2011 et 2014, et le montant des prêts accordés a augmenté de 40 %. C’est un progrès. Il faut encore améliorer ces résultats. La France a besoin de ces investissements.

En outre, lors de mon arrivée au ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, j’avais constaté, avec Guillaume Garot, la faiblesse des investissements consacrés à cette industrie. Or, lorsque les investissements s’affaissent en capacité comme en rentabilité, la compétitivité décline. Il s’agit donc d’une perspective majeure pour ce secteur.

Vous le constatez, la compétitivité s’améliore, grâce au CICE et au pacte de responsabilité. Les capacités de financement et d’investissement existent. Encore faut-il être capable de déployer une stratégie à moyen et long termes. C’est, me semble-t-il, ce qui a fait défaut par le passé.

À mon sens, au-delà du débat politique portant sur ce qui a été fait ou non, il faut avant tout savoir où l’on veut aller. Voilà pourquoi les plans de la nouvelle France industrielle ont toute leur importance. Rien n’est pire que de rester statique : c’est loin d’être la meilleure manière de déterminer sa direction, de choisir un chemin, d’engager des financements et des investissements. Il faut tracer des perspectives.

Je le répète, c’est ce que fait le Gouvernement dans le cadre des plans de la nouvelle France industrielle. Heureuse coïncidence, je me suis rendu ce matin même au ministère de l’économie. Emmanuel Macron et moi-même avons fait le point sur trois plans en cours de discussion, que je vais vous détailler en présentant un certain nombre de chiffres relatifs aux financements et aux accompagnements de l’État.

Tout d’abord, nous avons examiné le plan textile. Je le dis à cette tribune : il est frappant de constater que cette industrie, il y a peu encore jugée obsolète et en voie de disparition, est en train de renaître et de se fixer, grâce aux textiles intelligents, des objectifs extrêmement ambitieux et innovants. Ces projets vont rendre à cette industrie sa place historique, qu’elle avait perdue et qu’elle doit reconquérir.

Ensuite, nous avons détaillé le plan relatif à la forêt. La filière bois est essentielle et nous lui avons consacré, dans cet hémicycle, d’importants débats au titre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Enfin, nous nous sommes penchés sur le plan relatif à l’alimentation de demain, aux industries agroalimentaires. Il se décline en cinq volets qui ont été mentionnés et sur lesquels je reviens à mon tour.

Premièrement, – c’est, pour moi, un objectif prioritaire – nous devons investir dans les abattoirs pour améliorer leur productivité. Ces investissements sont essentiels. Madame Gatel, vous l’avez souligné avec raison, pour rendre cette filière attractive, il faut tenir compte d’un certain nombre de critères, en particulier de la pénibilité.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Il faut assurer la prise en compte de ce facteur, avec toute la simplicité nécessaire pour que les chefs d’entreprise ne soient pas dans l’impossibilité de l’appliquer. C’est une nécessité absolue pour renforcer l’attractivité de ce secteur. La compétitivité des métiers de la viande et l’investissement dans les abattoirs constituent la priorité des priorités. Je le répète, le manque d’investissement dans ce domaine explique pour partie les difficultés que nous subissons aujourd’hui.

Deuxièmement, il faut ouvrir le marché de l’alimentation fonctionnelle, pour développer des productions de plus en plus adaptées aux besoins nutritionnels. Cette question a été soulevée, au cours de ce débat, à propos de la silver economy. Comment adapter les produits alimentaires selon les âges et les besoins ? Cet enjeu, essentiel pour l’avenir, compte au rang des axes stratégiques que nous avons tracés.

Troisièmement, il convient de se pencher sur les emballages du futur, qui seront connectés à un ensemble de systèmes numériques par un système de codages. Nous devrons également travailler sur ce sujet spécifique.

Quatrièmement, il faut traiter la question du froid, dans le cadre de l’entreprise verte. Il s’agit, plus précisément, des économies d’énergie qui devront être faites, demain, pour assurer aussi des gains de productivité. C’est, là encore, un point majeur : certains produits sont stockés à moins 50 ou moins 30 degrés alors qu’ils pourraient se conserver à moins 18 degrés. Est-ce nécessaire ? Ne peut-on pas dégager des économies ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Comment économiser ? Ce sont là de vrais sujets. La stratégie pour le froid figure au rang des investissements que nous devons assurer au titre de ce plan. La réunion de ce matin a permis de le rappeler. À cette occasion, le président de l’Association nationale des industries agroalimentaires, l’ANIA, en charge de ce dossier, a fait une présentation de grande qualité. Pour ma part, j’ai parfaitement assimilé ces enjeux.

Cinquièmement et enfin, il faut garantir la qualité et la sécurité des aliments et des boissons. Il s’agit concrètement de l’information digitale du consommateur et de la garantie de traçabilité – je vais y revenir.

Naturellement, – certains orateurs m’ont interrogé sur ce point – ce plan doit être accompagné. Le Gouvernement s’en chargera. Ce matin, nous avons précisément pris les décisions nécessaires pour l’accompagnement des plans qui vont être mis en œuvre, qu’il s’agisse du textile, de la forêt ou de l’agroalimentaire.

Sur cette base, le programme d’investissements d’avenir, le PIA, est mobilisé à hauteur de 120 millions d’euros sur trois ans pour l’agriculture et l’agroalimentaire. Il a été confié à FranceAgriMer.

Sur ces 120 millions d’euros pour la période 2015–2017, 14 millions d’euros sont d'ores et déjà investis dans la modernisation des serres pour améliorer leur compétitivité. L’objectif, ce sont des économies d’énergie dans la production de fruits et de légumes. Cela varie selon les régions, mais en Bretagne, par exemple, on sait de quoi il s’agit. En Normandie, dans le Sud-Est et dans le Sud-Ouest, les enjeux sont importants.

Par ailleurs, 20 millions d’euros sont destinés aux abattoirs. Les échanges avec FranceAgriMer, l’établissement public qui pilote ce PIA, sont engagés. Un accompagnement à hauteur de 20 millions d’euros sur les abattoirs est donc acquis.

Le reste est en cours de discussion. Par ce programme important, l’État se mobilise et accompagne l’effort de modernisation.

Dans ce cadre, avec le commissariat général à l’investissement, le CGI, il est également prévu de consacrer 20 millions d’euros, en plus des chiffres déjà avancés, à la dimension agroalimentaire du plan « Nouvelle France ». Il s’agit de la préparation de cette nouvelle France industrielle, avec l’abattoir du futur, l’entreprise du futur, la gestion, l’anticipation sur le froid et sur le digital. Ces points, extrêmement importants, sont en cours de mise en œuvre.

Pour relever le défi de l’emploi et de l’attractivité, il faut mettre en place un ensemble de processus. Nous y travaillons. Le conseil supérieur de la filière s’est engagé dans cette voie, un accord a été trouvé en juillet 2013, avec l’objectif de créer potentiellement 90 000 emplois, ainsi que – c’est important – 150 000 postes pour des jeunes en alternance.

Une réflexion a en outre été engagée à propos de la qualité de la vie au travail, parce que l’on sait bien que développer l’attractivité, c’est aussi donner envie de faire carrière dans ces métiers, là où les entreprises expriment des besoins.

Nous poussons les filières de l’agroalimentaire à trouver un accord de branche sur le pacte de responsabilité, c’est-à-dire la contrepartie à l’ensemble du dispositif que je viens d’évoquer et qui aboutira en 2017 à un montant d’allégements de charges supplémentaires de 1, 1 milliard d’euros dans le secteur. Je tenais à le répéter car cela fait partie des enjeux. Cet accord est en négociation. Une réunion a eu lieu récemment au moment du Salon de l’agriculture pour encourager les partenaires sociaux à avancer le plus rapidement possible sur ce sujet important.

Nous en sommes donc là : l’accent est mis sur la compétitivité et l’investissement, avec des stratégies visant à reconquérir notre marché national, quand nous l’avons perdu, tout en nous donnant les moyens de conquérir des marchés à l’exportation.

Madame la sénatrice, vous avez évoqué dans votre introduction la question de la filière volaille, en parlant de Tilly-Sabco. Vous avez toutefois oublié d’évoquer Doux, contrairement à votre collègue du Finistère, M. Canevet, qui connaît Daniel Créoff.

Quand je suis arrivé, c’était la liquidation judiciaire et ses conséquences en termes de suppressions d’emplois. J’ai maintenu durant une année supplémentaire, contre l’avis de la Commission, des restitutions à l’exportation, à hauteur de 50 % de leur niveau antérieur, en 2012. Ces aides ont donc été versées tout au long de l’année 2013 jusqu’en 2014. L’engagement de les stopper à cette date avait été contracté bien avant ma prise de fonctions, en 2004, à Hong Kong, dans le cadre des négociations de l’OMC. Le paquet comprenait à l’époque la fin de ce dispositif en Europe.

Que s’est-il passé ? Cette stratégie a fait débat, je vais donc vous l’exposer clairement. Il fallait tout d’abord trouver un fonds de retournement pour régler une partie de la dette due à la banque Barclays par l’entreprise de M. Doux. Le fonds de M. Calmels, avec M. Marion, a ainsi permis de régler cette question et a investi dans l’entreprise.

Ensuite, je tiens à le dire, j’ai pris contact, à plusieurs reprises, d’abord avec l’ambassade d’Arabie Saoudite, puis avec le groupe Almunajem, afin de sécuriser le débouché à l’exportation. Ce groupe a pris, lui aussi, des parts dans l’entreprise.

Une fois ces deux points acquis, des objectifs stratégiques et économiques ont été élaborés par l’entreprise, avec un plan d’investissement, que nous avons suivi. Nous avons misé sur la parité euro-dollar : l’équilibre avait été évalué autour de 1, 30 dollar pour un euro, on est aujourd’hui à 1, 10 dollar, …

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

… et même 1, 04 dollar pour un euro, car cela continue de baisser. Monsieur le président, je vois que vous suivez l’actualité de notre monnaie.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

L’entreprise Doux est aujourd’hui capable de dégager des bénéfices, et elle a d’ailleurs annoncé récemment des créations d’emplois en CDI en Bretagne.

Ce potentiel, et ces débouchés, que nous devons organiser, éclairent la reprise de Tilly-Sabco, qui est engagée, autant que le choix stratégique d’une filière nouvelle de poulets nourris à base d’algues.

Il est vrai que pendant des années, Doux, au lieu d’investir en Bretagne pour améliorer notre propre compétitivité, notre organisation sanitaire et la structuration de la filière, s’est engagé de l’autre côté de l’Atlantique, au Brésil. Cette démarche n’a pas produit de résultat

M. Michel Canevet opine.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Heureusement, nous avons restructuré tout cela et nous sommes aujourd’hui sur la voie du redressement. Il faut rappeler de temps en temps que la France gagne aussi en agroalimentaire ! Une filière qui était pratiquement condamnée est en train de se redresser. C’est un point positif !

Dans le même temps, la reconquête du marché intérieur par la filière volaille est engagée, avec le fameux poulet standard. Je ne vais pas évoquer les poulets labellisés : venant du canton de Loué, je pourrais, vous le pensez bien, en parler longuement ! §Des engagements ont été pris par un abattoir sarthois, dont la taille est aujourd’hui suffisante et qui a investi, avec d’autres, dans la reconquête du marché des poulets standard.

Aujourd’hui, comme l’expliquait un article des Échos, nous consommons près de 80 % de produits importés. Ils viennent parfois du Brésil, mais souvent de Belgique, c’est-à-dire d’Europe. La reconquête de notre marché est donc essentielle pour réduire le déficit ou améliorer l’excédent de notre balance commerciale. Cela fait partie des objectifs que nous poursuivons aujourd’hui.

J’en viens à la filière porcine ; c’est un vrai sujet. Depuis 2010, il n’y a pas si longtemps, nous produisons entre cinq et six millions de porcs en moins.

M. Jean Bizet opine.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Une fois ce constat posé, que fait-on ? Nous mettons en œuvre les mêmes dispositions afin d’agir sur la compétitivité, avec le CICE, sur le soutien à l’investissement, c’est la question des abattoirs, sur l’accompagnement des restructurations douloureuses, comme nous l’avons fait avec Gad à Lampaul et à Josselin, avec une entreprise, SVA Jean Rosé, adossée à un grand groupe de distribution.

Madame la sénatrice, dans cette situation, lorsque la fermeture menace, avec le risque de voir disparaître des milliers d’emplois, on choisit des stratégies avec des repreneurs, voilà l’enjeu.

AIM a, malheureusement, rencontré également des problèmes, qui ne sont pas liés à la conjoncture, nous en sommes tous d’accord, mais à une structure un peu datée et à une gestion qui n’a pas été à la hauteur. Que devons-nous faire ?

Trois possibilités ont été envisagées, que nous avons étudiées, je le dis, en parfaite harmonie avec les collectivités territoriales, département et région, dont les couleurs politiques diffèrent. Cette bataille autour de la défense d’une industrie et de ses emplois a bien été menée en commun. Mais ces trois projets n’ont finalement pas pu aboutir.

Nous travaillons maintenant sur une reprise de l’abattoir sous forme de SCOP. Encore faut-il définir une stratégie par rapport à la production porcine normande et trouver le moyen de valoriser cette production à l’échelle du marché national.

Une réflexion a été engagée au ministère jusqu’au mois de juin : je ne laisserai pas la filière porcine sans apporter des réponses structurelles ! Que fait-on à partir des constats que nous établissons aujourd’hui. Ainsi, pourquoi, dans un marché au cadran, rencontrons-nous aujourd’hui des difficultés ? Quand il est orienté à la baisse, cela descend très bas, mais quand il faut que les prix remontent, ils ne peuvent le faire de plus de cinq centimes par adjudication.

Comment faire pour gérer cela d’une manière plus adaptée à la réalité du marché de la filière porcine ? Aujourd’hui, les pièces dont nous avons besoin sont variées : ce qui se vend, ce ne sont pas des carcasses entières, mais des produits de découpe de toutes sortes, selon les saisons, depuis les grillades de l’été et du printemps jusqu’aux morceaux spécifiques de l’hiver.

Il faut que la filière soit plus structurée. Nous y travaillons avec la Fédération nationale porcine, dont l’assemblée générale a lieu en juin à Ploërmel. J’entends bien y avancer des propositions afin de tracer, là encore, des perspectives de redressement.

Dans le même temps, nous avons introduit de la simplification au niveau de la production, en raccourcissant les délais en ce qui concerne les installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE. C’était un problème.

Il est inutile de prendre trois ans pour instruire un dossier s’il est possible de le faire en six mois. Ne perdons pas de temps. Nous devons à la fois être efficaces et respectueux des normes et des règles, mais ne laissons pas croire qu’il est préférable de consacrer trois ans à un dossier. Non, l’objectif est d’aller plus vite, sans remettre en cause les règles environnementales.

Des efforts stratégiques ont donc été consacrés à la filière porcine, ils continuent.

L’évocation du label « Viandes de France » me permet de répondre à la question posée par l’amendement Jégo adopté à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi « Macron ». Cette démarche est essentielle et va se prolonger. Je vous annonce ainsi que nous discutons, en particulier avec la filière porcine, pour l’étendre au-delà des viandes non transformées, vers les produits transformés, et en particulier la charcuterie. Quand la traçabilité est facile à établir, nous devons aller jusqu’au bout pour valoriser la production française. Tel est l’enjeu.

L’amendement Jégo contrarie cette stratégie, que je compte appliquer à d’autres secteurs : je vais mettre en œuvre le label « Fleurs de France » – très beau slogan : les « Fleurs de France » ! Nous avons perdu 80 % de notre production horticole, il est temps de réagir et de la mettre en valeur.

Nous travaillons également aux labels « Miels de France » et « Légumes de France », afin de permettre la valorisation de la production française, et de lui assurer des débouchés, en particulier auprès des consommateurs français qui cherchent à acheter français.

Parallèlement, je milite en faveur de l’établissement d’une stratégie européenne pour la traçabilité, à travers l’étiquetage européen sur les origines des viandes, transformées et dans les plats cuisinés en particulier. C’est un problème à gérer au niveau de l’Europe. Mais nous, nous pouvons, et nous devons, avancer. On voit bien, depuis la crise des lasagnes au cheval, que la mise en œuvre du label « Viandes de France » est un atout et nous allons continuer à mettre l’accent sur la traçabilité dans notre pays. Cela vaut donc pour plusieurs filières.

Nous devons également nous mobiliser sur la question des fruits et des légumes à l’école. J’apprends que nous disposons de 12 millions d’euros de crédits européens pour donner des fruits à l’école mais que nous n’en utilisons que 1 million d’euros ! De temps en temps, il faut vraiment secouer la boutique ! Alors que certaines productions de fruits et légumes font face à des difficultés, nous abandonnons 10 millions d’euros destinés, au surplus, à les distribuer aux écoles. Cela ne me paraît franchement pas responsable ! Nous sommes en train de régler ce problème, et je veux que cela soit fait avant le début de la saison des fruits et des légumes.

L’export : quel beau sujet ! Quand je suis arrivé au ministère, j’ai constaté que Ubifrance, Sopexa, l’AFIT agissaient, que tout le monde s’en mêlait, chacun avec sa petite boutique pour exporter, qui en Thaïlande, qui en Corée, qui en Chine… Si vous allez à Shanghai, vous verrez que les Français sont représentés ! La filière porcine, la filière bovine, les légumes, la charcuterie, tout ce que vous voulez ! Tout le monde a son petit truc.

Il est temps de mettre un peu d’ordre ! Quand je dis cela, c’est le ministre qui parle, mais ce n’est pas si facile de le faire ! Pour ce qui concerne la responsabilité du ministre, on a avancé. Mais il y a tout de même des manières de traiter et de gérer les choses. Si tout était un peu plus coordonné, c’est sûr et certain, ce serait plus efficace et cela coûterait moins cher. Pour notre part, nous avons fait ce qui était de notre responsabilité.

En effet, on a mis en place un comité export au sein de l’administration, qui fonctionne bien. Celui-ci nous a permis d’ouvrir des marchés. Il travaille aujourd’hui en particulier sur la viande bovine en Algérie, en Turquie, au Maroc, sur l’ensemble des marchés disponibles. C’est un enjeu fort.

Ce comité a également permis des ouvertures importantes ; je pense, pour la Chine, à la charcuterie, au travers d’abattoirs et de coopératives bretonnes. Ainsi, une grande coopérative des Côtes-d’Armor a aujourd'hui son agrément. Mais, je le dis au passage, si les négociations peuvent prendre fin très vite en Chine, il faut beaucoup de temps pour les faire aboutir. En l’occurrence, la négociation remonte au voyage du Président de la République en 2013 pour aboutir à un agrément en 2015. Les relations de confiance mutuelle exigent un travail continu. Nous avons beaucoup œuvré en la matière parce qu’il est très important d’ouvrir ces marchés à l’exportation.

Mieux accompagner les entreprises : il faut à la fois élaborer une stratégie pour ce qui concerne les TPE et les PME et fournir un accompagnement personnalisé.

Plus de 120 PME exportatrices ont été repérées. Nous les soutenons au travers d’une politique et d’une diplomatie économiques s’appuyant sur des attachés pour les affaires agricoles et agroalimentaires dans chacune des ambassades.

À ce titre, j’indique que je viens de nommer une attachée dans différents pays stratégiques pour la France, notamment dans la grande Afrique de l’Ouest, qui représente des enjeux importants. Dans le cadre du Quai d’Orsay, mais aussi avec les moyens du ministère de l’agriculture, on essaie donc de développer une diplomatie en la matière.

Rationaliser les outils publics d’accompagnement à l’export : le travail est en cours. Il a avancé, avec la création de Business France. Voilà qui est fait. Ce matin, lors des débats que nous avons eus sur les plans d’avenir, nous avons parlé de la disponibilité de Business France pour soutenir les entreprises et les PME à l’exportation et les aider à préparer les montages financiers.

Par ailleurs, nous sommes en train de finaliser le fameux débat entre Ubifrance et Sopexa. Il s’agit de mettre en œuvre une stratégie unique lors des grands salons internationaux, afin d’éviter que de multiples opérateurs ne viennent chacun parler de la France : il vaut mieux en parler une seule fois et de manière très claire, plutôt que d’avoir plusieurs intervenants, car cela peut conduire à une certaine cacophonie. Imaginez une dizaine de Français devant un Chinois : l’un lui parlera de l’ouest de la France, un autre du sud, un autre encore du nord ; l’un fait de la charcuterie, l’autre des légumes. Il est temps de s’organiser pour parler de la France, et c’est ce que nous sommes en train de faire. C’est très important pour favoriser les implantations et assurer un suivi des entreprises.

En effet, une entreprise qui a obtenu un débouché peut, deux ans après, faute de suivi, quitter le pays concerné et le marché est alors perdu.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Il faut donc être présent pour accompagner les entreprises qui investissent à l’étranger afin qu’elles perdurent. C’est ce que nous faisons.

J’évoquerai maintenant les relations entre l’industrie et la grande distribution.

Dès ma prise de fonctions, lorsque j’ai organisé les premières réunions avec les organisations professionnelles agricoles, la grande distribution et les industries agroalimentaires, j’ai compris combien les débats étaient houleux. Je ne les raconterai pas – peut-être rédigerai-je un jour un livre sur ce point –, mais j’ai compris que chacun se renvoyait la responsabilité. D’ailleurs, le plus facile est de cibler la grande distribution ; pendant ce temps, les transformateurs ne disent rien.

Mme Françoise Gatel fait une moue dubitative.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Chacun a sa responsabilité dans la captation d’une partie de la valeur ajoutée et de la productivité de l’agriculture. C’est ce que l’on appelle le transfert des surplus de productivité. Et, je puis vous le dire, cela va vite. Il faut donc être vigilant.

Nous disposons d’outils, avec la mise en place des tables rondes, le dialogue que l’on a imposé et l’application de la loi relative à la consommation de Benoît Hamon, qui permet d’intégrer les coûts de production dans la négociation, et de renégocier lorsque ceux-ci sont modifiés en cours d’année, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent. Certes, ces outils ne sont peut-être pas suffisants – il y a sans doute encore des choses à faire –, mais on peut d’ores et déjà y recourir.

M. Bizet a ouvert le débat sur la question de la concurrence.

Je suis d’accord, il faut voir ce qu’est un marché pertinent et ce qu’est une position dominante sur un marché pertinent. La position peut être dominante, sans être absolue ni être un problème : si elle ne modifie pas les prix pour les consommateurs. Il convient peut-être de réfléchir à la manière dont les directives relatives à la concurrence ont été conçues à l’échelle européenne. Car, quand le marché est européen, le poulet, lui, est international.

Concernant le lait, quel élément a conduit à la baisse du prix, alors que celui-ci était assez élevé l’an dernier ? C’est la chute du prix de la poudre de lait sur les marchés entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande ; il ne s’agit même pas d’une question européenne. C’est un enchaînement.

Dans les laiteries, il y a de la poudre de lait et des produits transformés – le yaourt, les fromages –, des produits qu’on valorise. Mais si 40 % du lait que vous achetez est de la poudre de lait, le prix du lait baissera dès que celui de la poudre de lait diminuera, car le prix de la poudre de lait influence et pondère le prix d’achat. Il s’agit donc d’un problème à l’échelle mondiale.

On ne peut plus raisonner en termes de concurrence si l’on ne prend pas en compte cet état de fait. Il y a là matière à engager une réflexion pour modifier le droit à la concurrence, afin de le rendre plus compatible avec la réalité internationale.

On m’a demandé des informations concernant les négociations sur le traité transatlantique.

À ce jour, je n’ai pas de nouvelles informations à vous communiquer. Les dernières remontent à ma rencontre, au Salon de l’agriculture, avec le commissaire européen et au développement rural Phil Hogan, qui revenait des États-Unis. Ce qu’il m’a dit était assez clair : il ne se passera pas grand-chose avant l’élection présidentielle américaine.

De toute façon, comme je l’ai déjà dit, concernant les grands enjeux, on reste sur la même ligne : on a indiqué à plusieurs reprises ce que l’on ne pouvait pas accepter concernant les indications géographiques protégées ou encore les conditions sanitaires de production. Des débats seront organisés sur ces points, mais la transparence sera faite, car les parlements nationaux devront se prononcer sur cet accord.

Permettez-moi maintenant de répondre aux quelques questions qui m’ont été posées.

M. Canevet m’a interrogé sur les contrôles dans les abattoirs.

La Cour des comptes nous avait mis un peu en difficulté. À mon arrivée au ministère en 2012, le nombre de suppressions de postes prévu avait été divisé par deux dans le cadre de la loi de finances pour 2013, faisant passer le nombre de suppressions de postes de 120 prévues à 60. Dans la loi de finances pour 2014, les effectifs des contrôleurs sanitaires de la DGAL, la direction générale de l’alimentation, ont été stabilisés. Dans la loi de finances pour 2015, je le rappelle, on crée 60 postes ; c’est du positif. Nous étions obligés de répondre aux remarques de la Cour des comptes, car les conditions sanitaires sont, au-delà d’être primordiales pour la santé publique, l’un des éléments déterminants de notre capacité à exporter.

Si l’on ne sécurise pas nos produits et si l’on n’inspire pas confiance à nos interlocuteurs, on risque de perdre des marchés. On a donc fait un effort en la matière. Je tiens à vous le dire, car c’est important, on est engagé pour respecter cet engagement sur les conditions sanitaires.

Monsieur Arnell, nous sommes en train de finaliser l’arrêté de la loi relative à la qualité de l’offre alimentaire dans les outre-mer dite « Lurel. Nous préparons la liste des produits concernés. C’est important, il n’y a pas de raison d’ajouter dans les produits alimentaires plus de sucre en outre-mer qu’en métropole. Victorin Lurel avait pris un engagement sur ce point ; nous y travaillons, et nous vous tiendrons informé dès que la liste des produits sera établie.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Par ailleurs, je suis allé en Guadeloupe. Aux Antilles, la banane et la canne à sucre sont bien sûr soumis à la concurrence. Mais nous avons défini des stratégies qui, nous le savons, peuvent être gagnantes. J’en veux pour preuve le plan I et le plan II en cours d’élaboration de la banane durable.

L’identification de l’origine de cette banane – cela a été finalisé au moment du Salon de l’agriculture – est très importante. C’est là aussi une manière de valoriser sur le marché français les produits d’outre-mer ; on verra si la première étape de l’agro-écologie permettra de valoriser la production de la banane : cette banane est produite avec le moins de produits phytosanitaires au monde, je le dis et je le répète. Mangez des bananes des Antilles !

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Et c’est une banane durable ! Il faut faire ce choix important.

Monsieur Gattolin, vous avez parlé des aides au maintien de l’agriculture biologique. Cette question a fait l’actualité. Je rappellerai très simplement les faits.

Dans le cadre de la loi de finances de 2013, qui prépare l’exercice de l’année 2014, 104 millions d’euros ont été débloqués pour soutenir un objectif d’augmentation des surfaces en agriculture biologique que l’on s’est fixé. Or le succès a dépassé de loin les objectifs prévus. Comme les crédits ont été fixés dans le cadre de l’article 68 de la PAC utilisé au niveau national, je ne peux pas faire de fongibilité avec les autres aides pour remplacer. On essaiera de trouver une solution pour cette difficulté sur les aides 2014.

Je suis obligé de le dire, oui, nous avons baissé de 25 % les aides au maintien de l’agriculture biologique pour 2014 ; c’est un vrai sujet. Le plan Ambition Bio 2017, qui avance bien – on a dépassé l’Allemagne en termes de surfaces agricoles biologiques ! – sera mis en œuvre en 2015.

Quand je suis arrivé au ministère, les aides au maintien de l’agriculture biologique s’élevaient à 90 millions d’euros, contre 180 millions d’euros, en 2017, à la fin du plan Ambition Bio, dont l’objectif est le doublement des surfaces agricoles. La part des surfaces biologiques est de plus de 4, 5 %, contre quelque 3 % auparavant. Je pense que nous atteindrons l’objectif fixé, et nous ferons tout pour qu’il en soit ainsi. À comparer avec l’engagement du Grenelle de l’environnement – on s’en souvient tous, 20 % de surfaces agricoles biologiques d’ici à 2018 –, on a pris un engagement crédible, qu’on est capable de tenir. Voilà ce qui est important, même si je regrette le problème que nous avons rencontré en 2014 à cause du succès plus important que prévu. À nous d’anticiper les choses et de favoriser le développement de l’agriculture biologique !

M. Gremillet a évoqué la suppression des quotas laitiers.

Dans le cadre du plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles, nous allons consacrer, à partir de 2015, avec les régions, 200 millions d’euros par an au soutien et à l’investissement, en fléchant, de manière spécifique, les salles de traite. En effet, il est nécessaire d’améliorer les conditions de travail des agriculteurs pour accroître la productivité : les salles de traite sont un enjeu. Nous favorisons les investissements dans la filière laitière, aux côtés des autres secteurs de l’élevage et agricoles.

Dans le même temps, à l’échelle européenne, on sort du système des quotas laitiers. Je ne suis pas à l’origine de cette mesure ; elle a été décidée en 2008. Il convient donc de voir comment il est possible de restructurer une politique, afin d’éviter que tous les pays ne développent leur production sans se préoccuper de ce qu’il adviendra.

Depuis ma prise de fonctions, j’ai fait trois propositions concernant le post-quotas laitiers. Cela bouge un peu : à la veille de la fin des quotas laitiers, chacun commence à se préoccuper de cette question. Le ministre belge que j’ai rencontré, et les ministres polonais et espagnol sont prêts à discuter. Au-delà du filet de sécurité qui a été mis en place, il faut définir une stratégie pour éviter une chute des prix.

En effet, quand la production ou le troupeau laitier augmente, si les débouchés prévus ne sont pas au rendez-vous, tout le lait revient sur le marché européen, ce qui fait chuter les prix. Au demeurant, les producteurs laitiers anticipent cette baisse et abattent des vaches laitières : un plus grand nombre de vaches de réforme déstabilise alors le marché de la viande. Voilà ce qui se passe. C’est pourquoi il est temps de voir ce que l’on peut faire. Nous avons fait des propositions, elles sont disponibles sur le site du ministère.

Je ne reviendrai pas sur l’amendement Jégo ; j’ai parlé du combat pour le label Viandes de France. Le Sénat va examiner le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dit « Macron ».

Je vous donne ma position : aujourd'hui, la stratégie interprofessionnelle d’identification et de traçabilité, avec l’hexagone et le drapeau bleu-blanc-rouge, est payante. Elle est payante pour les agriculteurs et pour l’industrie. Aussi, il convient de la conforter, plutôt que de la fragiliser. Vous examinerez cette question, mesdames, messieurs les sénateurs, et je vous fais confiance : vous avez compris mon message !

Pour conclure, j’évoque un document §évaluant, dans chaque région et dans chaque filière, les aides apportées aux filières agricole et agroalimentaire dans le cadre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et du pacte de responsabilité et de solidarité. Vous pouvez ainsi aller discuter des enjeux de compétitivité, des aides de l’État en faveur de la filière agroalimentaire.

Personnellement, je suis très satisfait de ce débat, dont je vous remercie. Je vous le dis, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt est mobilisé pour faire en sorte que l’industrie agroalimentaire française soit toujours – il faut qu’elle le reste ! – un enjeu en termes d’image et d’emplois et un enjeu industriel. Surtout, il s’agit d’un bel enjeu pour l’avenir de notre pays.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 16 mars 2015, à vingt et une heures :

Projet de loi autorisant la ratification de l’accord concernant le transfert et la mutualisation des contributions au Fonds de résolution unique (Procédure accélérée) (n° 798, 2013-2014) ;

Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (307, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 308, 2014-2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à dix-neuf heures trente.