Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agroalimentaire est une industrie lourde, au sens où elle constitue un enjeu essentiel pour la performance économique et territoriale de notre pays.
Cette filière stratégique représente plus de 160 milliards d’euros à travers près de l6 000 entreprises, dont 97 % de PME, qui structurent la géographie de l’économie française et dynamisent les territoires ruraux.
Ainsi, en Bretagne, une commune sur cinq accueille un site ou une unité agroalimentaire. Cette industrie représente également près de 495 000 emplois peu délocalisables, proches des sources de production et dont beaucoup sont accessibles à des personnes faiblement qualifiées et peu mobiles. Elle constitue encore, dans notre pays en voie de désindustrialisation, une pépite à l’export, avec un solde commercial positif de 8 milliards d’euros.
Toutefois, monsieur le ministre, vous le savez mieux que moi, ce résultat masque de grandes difficultés dans certaines filières, puisque le déficit commercial hors boissons est de 2, 7 milliards d’euros.
À titre d’exemple, les filières de la volaille et de la viande sont confrontées à des concurrences violentes, y compris au sein de l’Europe pour la filière porc. Quand la France traite chaque année 21 millions de porcs, l’Allemagne en traite 60 millions et 300 exportations porcines disparaissent chaque année.
Se pose aujourd’hui la question de l’avenir des abattoirs. Chacun ici connaît la situation dramatique de la Bretagne. Si l’on peut se réjouir de la reprise des abattoirs Gad, à Josselin, force est de constater qu’elle a été réalisée par un groupe de distribution, ce qui contribue à renforcer encore un peu plus une situation de dépendance des producteurs. D’autres abattoirs sont également en situation difficile – je pense notamment au site AIM, à Antrain, en liquidation judiciaire et en attente d’un repreneur.
Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, l’agriculture française occupait une place de premier plan en Europe, soutenue – il faut le reconnaître – par une politique agricole commune protectrice et généreuse. Cette situation a servi de levier de développement à une industrie alimentaire poussée par ailleurs à la modernisation de ses outils de productivité sous la pression de la grande distribution.
Depuis lors, plusieurs changements extrêmement importants sont venus affecter les conditions de concurrence et de compétitivité : la conclusion d’accords internationaux tels que l’Uruguay Round, le lancement des négociations de Doha et la politique d’ouverture des échanges poursuivie par l’Union européenne ont conduit à une diminution de la protection aux frontières de l’Union en matière de produits agricoles et alimentaires, ouvrant ainsi la compétition aux grands pays tiers producteurs agricoles développés – les États-Unis, le Canada ou l’Australie, par exemple –, mais aussi émergents, tels le Brésil et l’Argentine.
L’élargissement vers l’Europe centrale et orientale a ouvert les frontières de l’Union à des pays dont le niveau de développement favorise, dans un premier temps, l’exportation de produits et de main-d’œuvre, avant que l’élévation des niveaux de vie – attendue de l’adhésion à la Communauté européenne – ne se traduise par une augmentation de la consommation intérieure.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, la perte de compétitivité de l’agroalimentaire, longtemps fer de lance de notre économie, est réelle et inquiétante, même s’il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau – en témoignent l’excellent rapport de Philippe Rouault, alors délégué interministériel aux industries agroalimentaires, en 2010, et celui du sénateur centriste Marcel Deneux, en 1999.
Les pertes de parts de marché subies au cours des dernières années attestent de réelles faiblesses : la taille des entreprises, leur stratégie, le niveau trop élevé des prélèvements – le différentiel entre la France et l’Allemagne est de l’ordre de 90 milliards d’euros – et un coût du travail qui ne tient pas la comparaison, ce qui suscite une distorsion sociale inacceptable au sein de l’Europe, à laquelle s’ajoute une distorsion fiscale à travers le système forfaitaire allemand de TVA.
En outre, face à la combinaison dangereuse d’une tension forte sur les marges et d’une faible croissance, aggravée par des embargos, la situation ne peut qu’empirer. En effet, la faible rentabilité des industries agroalimentaires, dont le taux de marge a baissé de 15 % en moyenne en dix ans, affecte fortement leur capacité d’investissement.
Dans ce contexte, quels leviers actionner pour encourager et soutenir cette filière stratégique ? J’en citerai cinq.
Le premier, c’est l’exportation. Il s’agit d’un levier d’ampleur, sachant que la production agricole mondiale doit augmenter de 70 % d’ici à 2050 pour répondre à la demande alimentaire de 9 milliards d’habitants. L’export constitue un relais de croissance indispensable pour notre industrie, face à un marché national mature et complètement atone.
L’agroalimentaire, dont 80 % de la valeur est créée en France, constitue le deuxième solde positif de notre commerce extérieur après l’industrie aéronautique, mais le premier poste d’exportation en valeur absolue. Or seuls 27 % du chiffre d’affaires de notre industrie agroalimentaire sont réalisés à l’export, les deux tiers de ces mêmes exportations étant le fait d’entreprises de plus de 250 salariés.
Le potentiel est donc considérable, mais encore faut-il le rendre accessible. La marque France, synonyme de produits de qualité, de savoir-faire et de sécurité alimentaire, bénéficie d’une excellente image à l’étranger.
Si l’offre de soutien en matière d’exportation est variée et abondante pour nos entreprises, beaucoup d’entrepreneurs – vous le savez, monsieur le ministre – déplorent le manque de lisibilité du dispositif public d’aide à l’export ou la redondance de certaines actions publiques. Il faut instaurer davantage de cohérence dans l’action des différents organismes de soutien, réfléchir à un guichet unique destiné à guider et accompagner nos PME au travers des différents types d’aides à l’export.
Des barrières non tarifaires, parfois injustifiées ou exagérées, constituent également des freins importants. Ainsi, les industriels français sont en attente de nombreux textes définitifs d’application du nouveau système de sécurité sanitaire des États-Unis, en cours de révision profonde. Le volet dédié à la sécurité des importations, par exemple, fait reposer sur les importateurs la responsabilité de la conformité de leurs produits aux nouvelles règles de sécurité alimentaire.
Aussi est-il impératif d’obtenir la reconnaissance de l’équivalence du système européen de sécurité sanitaire, reconnu comme l’un des plus performants au monde, pour les produits dépendant de la Food and Drug Administration.
Il nous faut, monsieur le ministre, une véritable diplomatie économique, dont l’action plus cohérente et plus efficace serait mise au service des entreprises, afin de leur ouvrir et leur faciliter l’accès à l’export.
En ce sens, la mise en place du « comité Asie » est une excellente chose. Ce dernier a vocation à soutenir et promouvoir les exportations agroalimentaires françaises vers l’une des zones dotées du plus fort potentiel de développement, puisque l’Asie représente 13 % des exportations agroalimentaires.
La Chine est ainsi devenue un importateur essentiel. N’étant plus en mesure d’assurer son autosuffisance alimentaire, elle se situe désormais au quatrième rang mondial des importateurs de denrées agroalimentaires. Cette forte progression est liée certes à la croissance d’une classe moyenne urbaine en pleine expansion, mais également aux scandales sanitaires à répétition, qui renforcent l’intérêt des produits étrangers importés aux yeux des consommateurs chinois.
Grâce au « comité Asie », des discussions resserrées se sont tenues entre les entreprises, les représentants professionnels, les opérateurs et les pouvoirs publics, en vue de susciter des plans d’action destinés à accompagner au mieux nos entreprises ; des moyens doivent être mis en œuvre pour développer ce type d’initiatives.
Le deuxième levier sur lequel je souhaite insister est l’allègement des lourdeurs administratives – c’est une ritournelle que l’on entonne dans tous les domaines, mais avec raison – et l’harmonisation des réglementations sanitaires et environnementales.
La réglementation sanitaire et environnementale, dont la raison d’être est de protéger et de rassurer le consommateur, est indispensable à notre industrie ; d’ailleurs, la sécurité alimentaire de notre production constitue pour la France un atout considérable, comme l’a montré la création par un groupe chinois d’une unité de production de lait en Bretagne, à Carhaix.
Seulement, monsieur le ministre, par sa surenchère normative au-delà des exigences européennes et par l’interprétation tatillonne, parfois variable selon les lieux, qu’elle fait des textes réglementaires, la France fabrique une véritable machine à perdre, qui pénalise notre industrie en matière d’exportations.