Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous saluons la tenue de ce débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire. De nombreuses questions sont posées depuis de nombreuses années. Je souhaiterais pour ma part aborder deux points : les négociations commerciales et les quotas laitiers.
Les négociations commerciales entre la grande distribution et les entreprises agroalimentaires relèvent, convenons-en, d’un exercice de funambule. Les négociations pour 2015 n’ont pas échappé à la règle. Comment peut-il en être autrement, alors que quatre grandes centrales concentrent désormais 93 % des achats ?
À cet égard, la commission des affaires économiques a reconnu en octobre dernier l’existence d’un déséquilibre persistant des rapports de forces, au détriment des producteurs de produits agroalimentaires, et de tensions récurrentes que rien ne semble pouvoir apaiser.
C’est pourquoi elle a décidé de saisir pour avis l’Autorité de la concurrence, afin de « mieux identifier l’impact de la concentration des centrales d’achat de la grande distribution sur le marché d’approvisionnement en produits agroalimentaires ».
Nous sommes encore une fois dans l’attente de propositions pour améliorer la situation face à la concentration des achats de produits agroalimentaires et, donc, de solutions pour les acteurs de toute la filière agricole, durement touchée par la crise.
Ce déséquilibre des rapports de force n’est pas nouveau, et le Gouvernement le souligne dans chacune de ses réponses aux questions de nombreux parlementaires. La déréglementation des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, notamment par la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, a affaibli les producteurs. Tous les responsables du monde agricole en conviennent, la grande distribution maintient une pression à la baisse sur les prix d’achat, obligeant les producteurs à vendre bien en deçà de leurs coûts de production.
Ces situations de dépendance économique continuent de favoriser les mauvaises pratiques. Après le déni de négociation de la part des grandes enseignes, l’association des industries agroalimentaires dénonce, entre autres choses, l’apparition de demandes de compensation de marges rétroactives jusqu’en 2013 et l’augmentation des déréférencements partiels lors de la période de négociation. Or ces négociations ont un impact sur toutes les filières agricoles.
Le problème de fond des agriculteurs et des pêcheurs est clairement identifié : l’absence de garantie d’un prix de vente rémunérateur pour leur production.
Or la contractualisation décidée par le gouvernement précédent n’empêche pas la concurrence entre producteurs ou entre bassins de production. Elle n’empêche pas davantage le dumping social et environnemental. Elle ne permet pas non plus de garantir un revenu décent aux agriculteurs. Quelle portée la contractualisation peut-elle avoir quand on sait que sept centrales d’achat et 12 000 entreprises agroalimentaires font face à 507 000 exploitations agricoles ?
Voilà plusieurs années que les sénateurs du groupe CRC formulent en la matière des propositions dont l’adoption aurait peut-être permis d’encadrer réellement les pouvoirs exorbitants des distributeurs dans la négociation des prix. En effet, il faut agir sur ces derniers ! Il fut un temps où les parlementaires de gauche soutenaient l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi, par exemple, à tous les produits agricoles périssables…
De même, nous souhaitions autoriser les interprofessions à définir des prix minima indicatifs dans le cadre d’une conférence bisannuelle rassemblant les producteurs, les fournisseurs et les distributeurs, ainsi que l’ensemble des syndicats agricoles. Ce prix minimum indicatif pourrait servir de référence dans la négociation pour la contractualisation.
Il s’agit non pas de s’entendre sur les prix ni de les tirer vers le bas, mais au contraire de constituer un « filet de sécurité » pour la profession : il faut mettre en place des garde-fous permettant au secteur agricole de ne pas être totalement soumis à la volatilité des marchés et aux appétits insatiables des grandes centrales d’achat.
Et tant pis pour le droit à la concurrence ! Celui-ci et son encadrement européen peuvent et doivent s’adapter aux situations de crise. On ne peut pas continuer à produire à des prix sacrifiés. Les entreprises de la filière, ainsi que leurs salariés, doivent, à chaque étape, renouer avec les profits. Eh oui, mes chers collègues, le problème, ce ne sont pas les profits – il en faut ! –, mais la manière dont on les partage !
Nous devons repenser le cadre des relations commerciales, réinventer le rapport que chaque acteur de la filière entretient avec l’autre, remettre la valeur au cœur du système.
Le drame humain et industriel causé par cette politique, à l’image de ce qu’il s’est passé avec les groupes Doux, Gad et Tilly-Sabco, qui ont licencié des centaines de personnes en Bretagne, pour ne citer que cette région, doit cesser. C’est d’autant plus impératif que, demain, la fin des quotas laitiers entraînera une libéralisation du secteur, ce qui suscite des interrogations et des inquiétudes.
Cette semaine, le journal Les Échos écrivait : « À quelles conditions la diversité et les spécialités gastronomiques peuvent-elles se maintenir une fois le pays engagé dans une course à la concurrence mondiale face à des puissances telles que la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et l’Australie ? » Il poursuivait : « Comment préserver le modèle français et ses 1 000 fromages ? »
Si nous voulons imposer le modèle de l’agroécologie, il faut le soustraire de manière raisonnable, pragmatique et efficace aux logiques purement marchandes, à commencer, monsieur le ministre, mes chers collègues, par le périmètre des négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange.
Il faut le faire non seulement pour protéger nos terroirs et nos filières agricoles, tout particulièrement l’élevage, mais également pour assurer à nos concitoyens une alimentation saine et de qualité.