Intervention de Antoine Garapon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 mars 2015 à 9h15
Interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et autoriser l'échange en matière de voies rurales — Examen des amendements au texte de la commission

Antoine Garapon :

Les affaires BNP Paribas et Alstom nous obligent à un revirement stratégique. La France avait implicitement choisi une justice faible, n'intervenant pas sur les questions de corruption, de sorte que les poursuites auxquelles nous avons renoncé sont désormais conduites par la justice américaine, et que les amendes infligées par elle alimentent le Trésor des États-Unis. Nos institutions sont, à juste titre hélas, décriées à l'étranger : notre justice fait aussi peu contre la corruption. Or c'est essentiellement par le département de la justice américain, les autorités anglaises, allemandes et italiennes que nous serons jugés. Est crédible une justice qui intervient dans des délais pertinents et se donne les moyens d'obtenir les informations nécessaires. La nôtre en est empêchée par la complexité accrue des affaires - Thalès travaille par exemple avec 70 régulateurs dans le monde - et par le fait que la preuve ne se trouve plus désormais dans l'espace public, mais est détenue par le privé. D'où l'apparition aux États-Unis d'une profession spécialisée dans l'obtention, à titre onéreux, des preuves : les forensics. Leur coût de plus en plus élevé rend les enquêtes insoutenables économiquement.

Si notre justice n'est pas crédible, c'est parce qu'elle n'est pas en mesure de traiter des contentieux vivants et parce que la répartition des magistrats entre juridictions administratives, comptables et judiciaires fait que les juges judiciaires sont tenus éloignés de la vie des entreprises, qu'ils ne connaissent pas. La force de leurs collègues américains ou allemands tient au contraire à la très grande porosité entre professions du droit et à la circulation des élites entre les postes de juges, de régulateurs et d'acteurs économiques.

Alors que les Pays-Bas ont infligé une amende de 450 millions, qu'Alstom a dû s'acquitter de 850 millions de dollars et BNP Paribas de 9 milliards de dollars, Safran a été condamnée en France à 500 000 euros, sanction qui a d'ailleurs été cassée en appel. Le manque de moyens de la justice s'aggrave de la faiblesse de ses condamnations.

Les entreprises françaises prennent désormais conscience que nous avons besoin d'une justice capable d'interventions et de répressions crédibles, pour éviter que d'autres fassent le ménage chez nous. Si nous disposons de l'équipement législatif nécessaire, il n'est pas mis en oeuvre par le travail de la justice. Il est indispensable de créer un nouveau statut de procureur financier, qui ne soit plus soumis au « verrou » de Bercy et bénéficie de la plénitude de juridiction. Ce pourrait être un ancien directeur juridique ou un acteur économique connaissant bien le milieu des affaires, comme cela se fait dans de nombreux pays et ainsi que cela se pratique un peu à l'Autorité de la concurrence ou à l'Autorité des marchés financiers.

La perspective de la répression en sera transformée : notre justice cherchera moins à punir qu'à redresser et les amendes transactionnelles donneront une seconde chance aux entreprises, pourvu qu'elles prennent des engagements fermes et définitifs.

Il importe que nous nous dotions d'un statut d'avocat d'entreprise - une occasion de le créer a été manquée avec la loi « Macron ». Les directeurs juridiques des grandes entreprises françaises sont de moins en moins des Français, parce que notre culture manque d'un juste respect pour la loi : la moindre condamnation soulève contre le « gouvernement des juges » un tollé dont nos partenaires étrangers s'étonnent. Lors d'une réunion des directeurs juridiques du CAC 40 organisée par un grand cabinet américain, il y avait deux Français sur douze. Or la fonction de directeur juridique d'entreprise revêt une importance décisive pour la question qui nous préoccupe.

Dans la guerre économique que nous livrons, il importe de ne pas nous tromper de bataille : les standards internationaux du droit sont là, nous ne les changerons pas. L'enjeu n'est plus de défendre le droit français, mais de nous mettre en ordre de bataille pour que la place de Paris, pour que la France soient en mesure de jouer pleinement leur rôle dans cet univers de grande concurrence économique. La fonction juridique, le droit et la justice judiciaire sont appelés pour cela à jouer un rôle majeur.

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