Intervention de Claude Revel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 mars 2015 à 9h15
Interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et autoriser l'échange en matière de voies rurales — Examen des amendements au texte de la commission

Claude Revel, déléguée interministérielle à l'intelligence économique :

Rattachée depuis 2013 aux services du Premier ministre, la délégation interministérielle à l'intelligence économique assure quatre missions : la veille et l'anticipation sur l'environnement international, la sécurité économique de l'immatériel (savoir-faire, données, normes, etc.), l'influence dans les lieux de décision juridique et la formation des acteurs privés et publics au réflexe d'intelligence économique. Loin de se limiter à des enjeux sécuritaires, l'intelligence économique constitue un outil de management au service de l'État et des entreprises. Au sein de la délégation, nous travaillons à partir de sources ouvertes, car nous ne sommes pas un service de renseignement.

Le droit est un vecteur de compétition dans le monde globalisé, une arme au service des États, même si cette idée n'est pas encore assez développée en France. Le classement Doing Business de la Banque mondiale, par exemple, constitue une manoeuvre d'influence, ainsi que l'avouaient les rapports de 2004 et 2006. Nous sommes dans un monde de compétition normative et réglementaire, au niveau des États comme des entreprises.

Une entreprise française qui se développe à l'international peut utiliser n'importe quel droit. Néanmoins, le droit français offre souvent des avantages, comme j'ai pu le constater, au cours des nombreuses années où j'ai travaillé dans le privé. Dans le BTP, notamment, sur les grands projets d'infrastructure, le droit français offre une sécurité juridique appréciable tout en étant peu coûteux, car moins long à mettre en oeuvre que le droit anglo-saxon. Celui-ci a pourtant pris une importance capitale dans le droit des affaires, où il couvre 75 % des transactions. Il a été particulièrement bien promu par les États-Unis dans les nouveaux pays d'Europe de l'Est. Peut-être devrions-nous les imiter.

Nous travaillons avec le ministère des Affaires étrangères pour améliorer la protection des investisseurs étrangers en France, ainsi que pour les actionnaires minoritaires. Nous disposons déjà de certains atouts spécifiques, et bien que nous brillions moins pour la vitesse de délivrance des permis, nous proposons des sécurités juridiques très appréciées des investisseurs étrangers.

Nous avons également beaucoup réfléchi au texte sur le secret des affaires, qu'avaient précédé la proposition de loi de M. Carayon puis celle de M. Urvoas. L'objectif est d'assurer la protection des informations stratégiques détenues par les entreprises en matière d'innovation. Aux États-Unis, le dispositif de protection pour garantir le secret des affaires est très important : protection civile au niveau des États et protection pénale au niveau fédéral avec l'Espionage Act de 1996. Une directive européenne est en cours d'élaboration pour harmoniser les systèmes de protection qui ont cours dans les États membres et qui sont souvent meilleurs que celui dont nous disposons en France. Aux États-Unis, le comité chargé de contrôler les investissements étrangers (CFIUS) est d'autant plus efficace que son champ d'intervention reste ouvert, avec comme seul objectif la sécurité nationale. Nous ne disposons pas du même niveau de protection en France.

Les sanctions extraterritoriales qu'appliquent les États-Unis sont énormes. En plus de l'amende forte qu'elles doivent verser, les entreprises voient leur réputation mise à mal. Or ce sont souvent les Européens qui font les frais de ces sanctions - à 80 %, soit les trois quarts des entreprises concernées. À l'amende pécuniaire s'ajoute l'obligation de mettre en place un monitor adoubé par les autorités américaines et ayant accès à toutes les informations concernant l'entreprise sanctionnée. Le risque de fuite est important. Pour nous protéger, nous disposons de la loi dite de blocage, promulguée en 1968 et modifiée en 1980, grâce à laquelle les entreprises peuvent faire intervenir le ministère des Affaires étrangères quand on leur demande des informations stratégiques. L'un des objectifs du texte sur le secret des affaires était de renforcer ce dispositif, en luttant notamment contre la procédure intrusive de discovery utilisée par les anglo-saxons pour obtenir des données sensibles, voire confidentielles.

Le droit français nécessite d'être renforcé pour pouvoir offrir aux investisseurs étrangers le même niveau de protection qu'ailleurs. Au niveau européen, un règlement du 22 novembre 1996 prévoit une protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers. Il faisait suite à l'adoption des lois Helms-Burton aux États-Unis. Il n'a jamais été abrogé, mais personne ne l'applique. C'est dommage.

Je ne crois pas que les entreprises françaises aient de problème particulier à arbitrer entre les différents droits qu'elles peuvent utiliser. Si elles décident de passer des contrats internationaux, elles devront se doter d'un service juridique de qualité et choisir le droit qui leur sera le plus favorable. Le recours à un droit étranger ne les fragilise pas, sauf si elles se laissent imposer un droit qui ne sert pas leurs intérêts. Le droit est un enjeu stratégique, dont la direction de l'entreprise doit se saisir en amont de la négociation du contrat, en s'entourant des meilleurs conseils pour opérer les bons arbitrages. En Chine, on sait par exemple qu'une cour est favorable aux étrangers, tandis que l'autre ne l'est pas.

Le droit sera de plus en plus vecteur d'influence. Aux intrusions des pirates s'ajoutent les intrusions légales, du type de la procédure discovery, mais aussi les achats de pépites technologiques par des investisseurs étrangers. À nous de savoir protéger nos entreprises les plus intéressantes, susceptibles de générer des milliers d'emplois, plutôt que de les laisser partir.

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