Intervention de Claude Revel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 mars 2015 à 9h15
Interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et autoriser l'échange en matière de voies rurales — Examen des amendements au texte de la commission

Claude Revel, déléguée interministérielle à l'intelligence économique :

Le développement des entreprises françaises à l'international est suffisamment accompagné d'un point de vue quantitatif, mais pas qualitatif. L'État ne peut pas tout faire. C'est aux entreprises d'agir pour défendre leurs intérêts économiques, faire valoir leur activité de recherche, trouver le dispositif financier grâce auquel elles pourront exporter. En revanche, l'État doit développer sa politique d'accompagnement des entreprises lorsque les intérêts stratégiques de la France sont en jeu. Il ne s'agit pas seulement du nucléaire et de la défense, mais aussi, quel que soit le secteur, des intérêts stratégiques à long terme : « pépites » industrielles, filières nouvelles, transformation des PME en entreprises de taille intermédiaire... Pour l'instant, les interventions de l'État sont trop disséminées et ne se font pas suffisamment en amont pour être utiles, efficaces et rentables. Il faudrait déceler deux ou trois ans à l'avance les grands marchés et appels d'offre susceptibles de s'ouvrir à l'étranger, et relayer l'information auprès des entreprises. Les aides que l'État peut apporter aux entreprises ne sont pas seulement financières : il y a aussi l'influence, les contacts, tout ce qui relève de la diplomatie économique - que nous pratiquons déjà, heureusement.

Les entreprises limitent leur recours à la loi de blocage, car elles craignent d'entrer en conflit avec la partie adverse. C'est dommage, car les États-Unis, qui sont très hostiles à cette loi et qui favorisent le lobbying pour la faire abroger, trouvent là la preuve de son inefficience. La situation évolue : une cour du Delaware a reconnu en 2014 la validité du recours à la loi de blocage.

La protection contre l'espionnage doit être européenne et internationale. Nous travaillons avec les États-Unis sur la définition de standards internationaux en matière de propriété intellectuelle. Quant au hacking, en mettant en place des sanctions juridiques internationales, nous découragerons ceux qui s'y livrent, y compris les Chinois. Il est assez drôle de constater que chacun affirme toujours que c'est l'autre qui espionne. Pour l'instant, les Américains refusent de coopérer avec les Chinois sur le sujet. C'est une erreur.

On estime que les intrusions dans les systèmes informatiques sont le fait d'une défaillance humaine dans 60 % des cas, qu'il s'agisse de codes mal protégés, de clefs USB égarées ou d'indiscrétions sur des forums de discussion. Un simple effort de sensibilisation du personnel dans les PME ou dans les laboratoires de recherche des pôles de compétitivité suffirait à rétablir la situation en bonne partie.

Nous n'améliorerons pas la compétitivité de notre droit en procédant par « copier-coller » du droit d'outre-Atlantique. Ne cassons pas la cohérence de notre système juridique, qui s'inscrit sur la même ligne que ceux de nos partenaires européens. L'enjeu n'est pas de nous opposer au droit anglo-saxon, mais de préserver la diversité du droit, qu'il soit anglo-saxon, continental ou chinois. Un droit unique n'est pas la meilleure solution. Certains grands juristes américains nous soutiennent sur ce point.

Il est essentiel de consacrer une partie de la formation aux métiers juridiques à l'intelligence économique. Dans les pays anglo-saxons, le benchmarking est permanent, et le droit est considéré comme une arme stratégique. Dans les entreprises, le poste de general counsel ou de conseil juridique est rattaché à la présidence, l'expertise juridique intervient avant et non après les décisions. Nos élites doivent s'en inspirer. Les scientifiques, à la pointe dans leur spécialité, ont trop tendance à considérer la matière juridique comme une discipline molle, ils seraient bien inspirés de lui accorder plus de considération.

Les régions ont un rôle primordial à jouer pour anticiper les investissements et les mutations économiques, et pour lutter contre les investisseurs prédateurs. Nous avons mené une étude d'ampleur sur l'intelligence économique territoriale, en impliquant les acteurs de terrain, qu'il s'agisse des services déconcentrés, des représentants de l'association des régions de France - son président Alain Rousset s'est beaucoup investi - ou des représentants des communautés de communes. Le droit s'élabore sur le terrain, dans les territoires.

Nous avons les armes nécessaires pour lutter contre la sophistication toujours plus poussée de l'intelligence économique. Les défaillances ne sont pas uniquement techniques, elles sont aussi comportementales. L'intrusion se fait également de manière légale, en s'abritant derrière le dispositif du droit étranger, et pas seulement américain : les Brésiliens en font autant.

La loi sur la contrefaçon a été très appréciée par les petites entreprises du secteur du textile, particulièrement exposées au pillage. Les juges sont trop débordés pour accorder à cette loi l'importance qu'elle mérite. Si on leur en détaillait les enjeux, c'est-à-dire parfois des centaines ou des milliers d'emplois à la clef, on les encouragerait à s'impliquer davantage. Nous intervenons souvent sur ces questions auprès des élèves magistrats à l'école nationale de la magistrature.

Nous avons énormément travaillé pour faire aboutir le projet de loi « Macron » sur le secret des affaires, notamment avec le président Urvoas : nous avons sollicité deux agrégés de droit spécialisés sur le sujet, un ancien magistrat à la Cour de cassation, deux avocats, la responsable juridique du MEDEF, ainsi que les personnes compétentes dans les ministères. Les entreprises souhaitaient que ce texte aboutisse, afin de protéger leurs innovations en amont, qu'il s'agisse de plans stratégiques, d'ébauches de projets, de codes de couleurs sur des jacquards... toutes choses qui relèvent du secret de fabrique mais ne donnent pas lieu à brevet. Dans le droit actuel, seules les transgressions par les salariés sont sanctionnées. Le texte sur le secret des affaires visait à étendre ce droit. Un article précisait que les journalistes étaient exemptés de sanction. Le projet n'était pas du tout liberticide. Les lanceurs d'alerte n'étaient pas non plus soumis à la sanction. J'ai donc été très étonnée par la levée de boucliers à laquelle nous avons assisté, due sans doute à d'autres raisons que celles invoquées. La loi a dû déplaire à d'autres que les journalistes et lanceurs d'alerte...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion