Intervention de Joël Guerriau

Réunion du 16 mars 2015 à 21h00
Contributions au fonds de résolution unique — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous connaissez l’attachement du groupe UDI-UC à la construction d’une Europe proche des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. À ce titre, le projet d’institution d’une Union bancaire, lancé dès le mois de juin 2012, en pleine tourmente financière, a été largement approuvé.

En effet, le caractère exceptionnel de la crise que nous traversons depuis 2007 appelait des réponses exceptionnelles.

Pendant plusieurs mois, entre le déclenchement de la crise des subprimes en août 2007 aux États-Unis et la faillite de Lehman Brothers, près d’un an plus tard, nous avons vécu sur l’idée que la tempête économique s’arrêterait sur les récifs de l’Atlantique. Nous avons vécu sur l’idée que nos banques étaient structurellement plus solides que les banques anglaises et américaines. En somme, l’une des grandes leçons de la crise a été de démontrer que nous n’étions pas à l’abri en Europe, que nos banques présentaient des vulnérabilités et qu’il était du devoir des responsables politiques de tout faire pour protéger les dépôts des épargnants, limiter le recours au contribuable et rétablir un financement pérenne de l’économie.

L’une des autres leçons de la crise a été l’émergence d’un phénomène particulièrement inquiétant pour nos concitoyens : la transformation de pertes privées en dettes publiques à un niveau encore inconnu.

En effet, les conséquences de la crise bancaire et financière sur l’économie réelle ont conduit les États européens à engager massivement leur politique budgétaire en faveur de la lutte contre la récession, notamment en 2009 et en 2010.

Ces engagements et les difficultés budgétaires de la Grèce et d’autres pays après 2011 ont jeté le trouble sur les titres souverains et ont finalement fragilisé les États en même temps que les banques.

Il fallait donc rétablir la confiance dans notre système financier par des mesures fortes. Nous avions besoin de fondations nouvelles pour rassurer les déposants, les épargnants tout en assurant une croissance économique hors du champ de la spéculation. C’est justement l’objectif de l’Union bancaire : un projet politique pour une Europe capable de faire face à la crise économique. Avec l’Union bancaire, l’Europe cherche à démontrer la nécessité de son intervention dans le quotidien de nos concitoyens.

Le présent projet de loi n’est pas toute l’Union bancaire – cela a été rappelé –, tant s’en faut. La ratification d’une convention internationale peut sembler modeste pour le législateur. En l’occurrence, il n’en est rien.

Du point de vue de nos travaux, le débat de ce soir et l’examen de cet accord international se placent dans la filiation des débats que nous avions eus en 2013, lors des discussions autour de la loi de séparation des activités bancaires. Au regard de l’Union bancaire, le présent accord est une étape incontournable.

Cet accord a vocation à fondre en un fonds continental unique les différents fonds de résolution bancaire créés afin de briser l’aléa moral des crises bancaires. Plus de « too big to fail », mais l’émergence d’un principe de responsabilité à l’échelle de l’Union, symbolisé par la contribution qui alimente ce fonds.

Toutefois, je ne peux m’empêcher de formuler quelques interrogations quant à la mise en œuvre de l’accord – en particulier en raison du fait qu’il n’existe pas un modèle unique de banque en Europe.

Les structures et les marchés bancaires peuvent être très différents d’un pays à l’autre. Si nous considérons la structure comme prisme d’analyse, le constat est clair : les grandes banques françaises sont systémiques. Nous avons de grands champions nationaux, mais le risque apparaît surévalué du fait du nouveau corpus réglementaire et de la diversification de leurs activités.

À l’inverse, les établissements étrangers de dimension régionale, qui ont obtenu un système de contribution plus faible, ne présentent-ils pas des risques systémiques aussi importants ?

Or, si nous prenons le critère du marché comme prisme d’analyse, il apparaît que les banques allemandes, de dimension plus régionale, représentent des réseaux très volumineux en termes financiers.

Où se loge le risque le plus systémique ? À l’heure actuelle, je ne saurais vous dire de quel côté du Rhin le risque est le plus élevé. Cependant, le mécanisme d’abondement au fonds repose notamment sur la taille des bilans. En outre, la mutualisation du fonds à l’échelle de la zone euro privilégie les pays ayant une plus forte proportion de dépôts garantis, comme l’Allemagne. Dès lors, faut-il que les banques françaises assurent le financement des résolutions bancaires de façon disproportionnée par rapport à leur profil de risque ?

L’application de cet accord nécessitera beaucoup de vigilance. En particulier, il faudra s’assurer que l’autorité européenne de résolution saura imposer une parfaite équité dans les modalités techniques de calcul des contributions. Nous saluons les ajustements que vous avez obtenus en matière de compensation des dérivés et de traitement des intragroupes, découlant notamment des organisations mutualistes.

Pour autant, à l’avenir, il sera, je pense, nécessaire d’affiner l’assiette de la contribution chez les autres États membres afin de parvenir à une équité complète en la matière.

Avec une contribution de 15 milliards d’euros, les banques françaises participeront à hauteur de 27 % du total du fonds de résolution alors même que leur part « normale », fondée sur leur risque pondéré, devrait être de 20 %. L’écart est de l’ordre de 4 milliards d’euros supplémentaires.

L’accord que vous nous soumettez est défavorable aux banques françaises alors que les tests de résistance à des scénarios de crise ont montré en 2014 la solidité globale du système bancaire français. Aussi, la probabilité que des établissements français recourent à ce fonds est faible – tous les orateurs l’ont dit.

Dans ce contexte, comment nos banques qui seront de plus en plus sollicitées pour abonder le fonds unique parviendront-elles à assurer leur mission première, à savoir le financement de l’économie, si une nouvelle hausse de la contribution devenait nécessaire ? L’urgence n’est-elle pas de relancer l’économie ? Les 15 milliards d’euros de contribution des banques françaises au Fonds auraient pu engendrer de l’ordre de 150 milliards d’euros de nouveau crédit.

Dans le même temps, nos banques doivent faire face aux défis des normes nouvelles de Bâle III en matière de fonds propres et de liquidités, ainsi qu’à une charge fiscale fortement accrue depuis 2010, soit 2 milliards d’euros de plus en 2015.

Or la mutualisation européenne n’apporte aucune contrepartie aux efforts supplémentaires exigés de notre pays, alors que nous aurons proportionnellement à supporter une forte contribution.

À trop parier sur l’éclatement d’une catastrophe éventuelle, je crains que nous ne poussions le curseur trop loin de telle sorte qu’un excès de précaution conduise à étouffer cette reprise que nous attendons tous.

Alors qu’un Français occupe la fonction de commissaire européen aux affaires économiques, comment sommes-nous arrivés à un accord aussi défavorable pour l’économie française ? Pierre Moscovici a affirmé jeudi dernier être « amical » avec son pays, cela reste manifestement à démontrer.

Qu’en est-il de la demande française de réduire les contributions au fonds de garantie des dépôts au niveau cible de 0, 5 % des dépôts garantis au lieu de 0, 8 %, compte tenu de la concentration du secteur bancaire français ? L’enjeu est de l’ordre de 3 milliards d’euros pour nos établissements bancaires sur la période de constitution du fonds. L’Espagne aurait obtenu l’assurance d’un traitement favorable lors de la négociation du fonds de résolution alors que l’on peut s’interroger quant au profil de risque des banques espagnoles.

Comment le Gouvernement compte-t-il agir pour compenser le surcroît de charges imposées aux banques françaises et assurer une égalité de traitement avec leurs concurrents étrangers ?

La France a su développer un système bancaire performant avec une prédominance d’un mouvement coopératif né au XIXe siècle. Je suis de ceux qui pensent que c’est une force pour notre nation et une différence qui nous permet d’être performants dans le monde. Tout ce qui est de nature à affaiblir notre industrie bancaire, qui emploie près de 400 000 personnes, et à la rendre moins compétitive constitue une erreur historique.

Je suis convaincu, monsieur le secrétaire d’État, que vous aurez à cœur de répondre à ces interrogations. En l’état, le travail de mise en œuvre de l’Union bancaire, tant par les pouvoirs publics européens que par les législateurs nationaux, dont le Sénat, doit se poursuivre. Encore une fois, cet accord n’est pas toute l’Union bancaire. Cette dernière n’est pas seulement une question d’empilement de textes, c’est aussi un effort de réflexion permanente, et je suis convaincu que le Sénat y prendra toute sa part.

J’estime quant à moi que cet accord est déséquilibré en défaveur du secteur bancaire français et qu’il aura un impact négatif sur l’économie qui souffre d’un niveau de chômage élevé. Le Gouvernement a-t-il su défendre pleinement et au mieux les intérêts d’un secteur stratégique pour notre économie ?

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