Intervention de Patrice Gélard

Réunion du 26 octobre 2004 à 16h00
Aménagement protection et mise en valeur du littoral — Débat sur l'application d'une loi

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard, rapporteur :

Ces remarques préliminaires étant faites, un constat s'impose : la loi littoral, loi importante, reflétant des préoccupations modernes, a connu une mise en oeuvre difficile et quelque peu conflictuelle.

D'abord, comme l'a souligné le président Alduy, le littoral connaît, depuis 1986, d'importantes mutations : sa population s'accroît et continuera de croître ; des activités connaissent, le long du rivage, un développement continu tandis que d'autres - je pense aux activités primaires, comme la pêche ou l'élevage des salmonidés ou autres poissons, à la conchyliculture, sans oublier les exploitations agricoles en bord de mer - subissent ou vont subir des difficultés croissantes.

Ensuite, les conflits d'usage se multiplient, qu'il s'agisse des pêcheurs, de l'activité portuaire, des éoliennes, des plaisanciers, etc. Il n'est pas simple de faire cohabiter des intérêts divergents, voire antagonistes.

Par exemple, nous assistons à la transformation progressive de terrains de camping en lotissements, avec des espèces de caravanes ayant en fait vocation à demeurer au même endroit. Les maires sont complètement démunis et ne savent pas comment réagir pour empêcher la transformation de leurs terrains de camping en zones d'habitation permanente.

Cette situation découle en fait, et M. Alduy l'a dit tout à l'heure, de mesures d'application tardives ou incomplètes.

Le très mauvais décret du 20 septembre 1989 a aggravé la loi et a rendu plus difficile son application. Il ne correspond à aucune réalité. On peut d'ailleurs s'interroger sur les motifs qui ont conduit les auteurs de ce décret à rendre d'application quasi générale des dispositions de la loi. Ainsi, toute lande ou toute dune ont vocation à devenir des sites remarquables, même si elles ne présentent aucun caractère remarquable. Il faut intégralement réécrire ce décret.

Le décret du 26 novembre 2000 a limité la possibilité de construire dans les espaces remarquables. Heureusement, ce décret a été corrigé par le décret de mars 2004. Il n'en demeure pas moins que le pouvoir réglementaire a déformé la volonté du législateur.

Bien sûr, nous nous félicitons de la parution, dix-huit ans après l'adoption de la loi, du décret du 29 mars 2004, qui fixe la liste des communes riveraines des deltas et des estuaires, ainsi que du décret précisant les modifications de délimitation du domaine public.

Cela étant, il manque encore au moins deux décrets : le décret fixant la liste des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques du littoral ; le décret sur les concessions de plages, dont la parution est extrêmement urgente.

Autre décret très attendu : celui qui permettrait l'application de l'article L. 146-6-1 du code de l'urbanisme, lequel prévoit l'élaboration d'un schéma d'aménagement pouvant autoriser la reconstruction dans la zone des cent mètres.

Il faut noter aussi l'absence des documents locaux de planification. A l'heure actuelle, il n'existe qu'un seul schéma de mise en valeur de la mer : celui de l'étang de Thau ; d'autres schémas sont en cours d'élaboration, mais ils n'ont toujours pas été adoptés. De même, il n'existe qu'une seule DTA, qui concerne les Alpes-maritimes ; trois sont toutefois en cours d'élaboration. L'absence de ces documents de planification est extrêmement gênante.

A cela s'ajoute une jurisprudence qui a pris une trop grande place, qui est parfois contradictoire et qui aboutit à un certain nombre de dysfonctionnements. Je citerai notamment l'inadaptabilité de la loi littoral à certaines configurations de territoire. Ainsi, la Corse est soumise simultanément à la loi littoral et à la loi montagne, ce qui rend impossible la mise en valeur touristique de l'île.

Voilà le bilan qu'il convenait de dresser.

Que faut-il faire dans les mois à venir ?

Comme l'a dit tout à l'heure le président Alduy, il est nécessaire de mettre en place une gestion intégrée du littoral. Cela ne peut être fait par l'Etat parce que les littoraux sont différents : on ne peut appliquer la même règle à la Corse, aux Alpes-maritimes, au Languedoc-Roussillon, au Nord-Pas-de-Calais, à la Manche et au pays de Caux !

Le problème est de savoir qui devra être le maître d'ouvrage d'une telle gestion intégrée. Au sein du groupe de travail, nous sommes tombés d'accord pour faire du SCOT le document majeur qui doit animer cette gestion intégrée. Or il se trouve fort heureusement que les SCOT sont en cours d'élaboration et ne sont donc pas encore adoptés. Ainsi, ils se substitueront aux schémas de mise en valeur de la mer.

Mais deux précautions devront être prises : il faudra impérativement que soient pris l'avis de la commission supérieure des sites et que le préfet donne son accord. Ces deux éléments sont nécessaires pour que les dispositions qui relevaient normalement de la compétence de l'Etat soient intégrées dans le SCOT et deviennent les dispositions essentielles.

C'est d'ailleurs ce que nous avions proposé dans l'amendement que nous avons présenté lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, l'article 75 de ce texte visant à faire du SCOT l'élément fondamental. Je regrette d'ailleurs que l'Assemblée nationale ait, dans une certaine mesure, dénaturé la proposition que nous avions faite ici même et que le Sénat avait adoptée. En effet, elle a permis le maintien des schémas de mise en valeur de la mer à côté des SCOT. Donc, il y aurait deux régimes juridiques différents. Au cours de la navette, nous devrions pouvoir résoudre ce problème, afin que, sous le contrôle du préfet et de la commission des sites, un seul document traite de la gestion du littoral : le SCOT.

Par ailleurs, il faut utiliser plus systématiquement les possibilités de demande de transfert de gestion du domaine public maritime de l'Etat vers les collectivités locales. Du reste, un certain nombre de gestionnaires du domaine public maritime commencent à s'ouvrir à cette possibilité. Comment imaginer qu'un port qui assure la gestion d'un domaine maritime gère en même temps la plage située à côté et les espaces naturels ou remarquables qui sont sur ce territoire, alors que la commune voisine est tout à fait équipée pour le faire ?

S'agissant de cette gestion intégrée du littoral, nous n'avons pas souhaité résoudre la question du maître d'oeuvre. Celui-ci pourra être tantôt une région, tantôt un département, tantôt une communauté de communes ou une communauté d'agglomération, tantôt un syndicat de pays. Tout dépendra du littoral.

En tout cas, pourront être ainsi mis en oeuvre des dispositifs qui ne peuvent guère l'être actuellement. Aujourd'hui, on peut voir des cas où c'est la commune touristique importante abritant des hôtels, des restaurants et des magasins qui bénéficie de toutes les retombées financières, alors que la plage, longue de quinze kilomètres, est située sur le territoire de la commune voisine, petite commune rurale, qui n'a aucune ressource et ne peut rien faire. Il n'y a donc pas de gestion intégrée.

Cela me permet de souligner au passage quelques anomalies de la loi littoral. Cette loi s'applique à tout le territoire d'une commune, quelle que soit la profondeur de celle-ci. Si une commune compte seulement vingt mètres de littoral et a vingt-cinq kilomètres de profondeur, la loi littoral s'applique sur l'ensemble du territoire de cette commune. A l'inverse, une commune très proche du littoral, mais qui, elle, n'a pas de rivage, ne va pas être visée par la loi littoral, alors même qu'elle en vit. Il faudra corriger de telles anomalies.

Sans remettre en cause la philosophie générale de la loi littoral, nous préconisons l'adaptation de quelques règles d'urbanisme relativement simples.

Ainsi, nous proposons de revenir à la définition originelle des espaces remarquables. Cela remet en cause le décret que j'ai évoqué tout à l'heure.

Nous proposons également de prévoir que, dans les espaces remarquables, le SCOT ou, exceptionnellement, le PLU pourrait comporter, un peu à l'instar de ce que prévoit la loi montagne, un plan d'aménagement ayant reçu l'accord du préfet après avis de la commission des sites, qui définirait les conditions d'implantation des constructions et aménagements, ainsi que leur condition de localisation et de qualité architecturale. Le classement en espace remarquable devrait pouvoir être accompagné de l'élaboration d'un projet de gestion permettant, comme pour les zones Natura 2000, d'en assurer la mise en valeur, ce qui n'est pas le cas actuellement.

S'agissant de la bande des cent mètres, il serait nécessaire de publier très rapidement les décrets d'application relatifs, d'une part, à la reconstruction des équipements existants à l'intérieur de cette bande et, d'autre part, aux concessions de plage, car les maires sont privés de moyens d'action.

Je dirai quelques mots sur le problème des grands lacs, qui sont soumis à la loi littoral et, très souvent aussi, à la loi montagne.

Nous voudrions permettre au SCOT, pour les quatre plus grands lacs de plus de 1 000 hectares - lacs du Bourget, de Serre-Ponçon, d'Annecy et Léman -, d'instituer, en accord avec le préfet coordonnateur de massif et après avis du comité de massif, une limite au-delà de laquelle seule la loi montagne s'applique. En revanche, pour tous les autres lacs de plus de 1 000 hectares, nous souhaiterions que, au terme d'une période transitoire, seule la loi montagne s'applique.

On pourrait aussi songer à rétablir, outre-mer, la promenade le long des plages dans la limite des cinquante pas géométriques. En effet, à certains endroits, le passage n'est plus possible, car certains propriétaires l'ont ni plus ni moins privatisé. Il faudra progressivement, sans heurt, faire évoluer cette situation.

Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais formuler et qui avaient simplement pour objet de mettre l'accent sur quelques dysfonctionnements.

En définitive, nous souhaitons que ces dysfonctionnements disparaissent, que les collectivités locales, somme toute responsables de la qualité du littoral, disposent d'une marge de manoeuvre telle que, même très étroite, elle leur permette d'adopter certains documents d'urbanisme . C'est ainsi que nous aurons, comme les zones de montagne avec la loi montagne, des possibilités d'adaptation, de modernisation, et surtout que nous pourrons répondre aux exigences de toute sorte dont le littoral est l'objet, qu'il s'agisse des équipements ruraux, des équipements des professions traditionnelles, du nécessaire développement de la plaisance ou des activités économiques.

Pour autant, cela ne doit pas en aucune façon favoriser le bétonnage. Je crois justement, au contraire, qu'une gestion intégrée, planifiée, grâce à un document comme le SCOT, dont l'objet est d'encadrer ces développements, nous permettra d'aboutir au résultat que nous recherchons : sauvegarder le littoral dans l'intérêt de tous.

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