Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, plus de dix-huit ans après son adoption à l'unanimité, la loi littoral est à nouveau au coeur de nos préoccupations.
Plusieurs rapports y ont été consacrés au cours des derniers mois : un document de la DATAR, mais également les comptes rendus de deux groupes de travail parlementaires, l'un à l'Assemblée nationale et l'autre au Sénat Nous avons pu apprécier la pertinence des propositions du groupe de travail sénatorial, présidé par Jean-Paul Alduy et dont le rapporteur est Patrice Gélard.
Il convient de bien remettre en perspective l'objet de ces différents travaux parlementaires. Plusieurs associations de protection de l'environnement se sont en effet émues du contenu de ces deux rapports et ont dénoncé l'attitude de certains parlementaires, désireux, selon elles, de permettre un « bétonnage » accru des côtes.
Que les choses soient bien claires : l'objectif visé par le groupe de travail sénatorial et, je le suppose, par nos collègues de l'Assemblée nationale était de dresser un bilan de l'application de cette loi et d'améliorer le dispositif existant sans le dénaturer, de manière qu'elle puisse véritablement s'appliquer.
En effet, la loi littoral a mis en place un dispositif prometteur, mais celui-ci s'est avéré trop contraignant et difficile à mettre en oeuvre en l'absence de décrets d'application.
La loi littoral est avant tout une loi d'aménagement et d'urbanisme qui vise à la protection des équilibres biologiques et écologiques, à la préservation des sites, des paysages et du patrimoine culturel et naturel du littoral, à la préservation et au développement des activités économiques liées à la proximité de l'eau, à la mise en oeuvre d'un effort de recherche et d'innovation portant sur les particularités et les ressources du littoral.
Toutefois, au cours des dernières décennies, la loi littoral n'a pu, à elle seule, permettre que soit maîtrisé l'ensemble des mutations auxquelles le littoral a été confronté. Je pense bien sûr à la pression démographique, les zones littorales cumulant une densité très forte et un rythme de croissance de la population supérieur à celui de la population totale, sans oublier la saturation des ports de plaisance.
Plus préoccupante encore pour l'élu local que je suis est la situation des activités primaires. Si les activités de conchyliculture ont bien résisté, il n'en est pas toujours de même pour l'agriculture littorale, qui subit de plein fouet les conséquences de la pression foncière.
Ainsi, les élus locaux sont aujourd'hui confrontés à nombre de problèmes qui restent sans réponse : conflits d'usage, réduction de l'activité agricole sous l'effet de la pression foncière, saturation ponctuelle des ports de plaisance, occupations illégales du domaine public maritime.
Par ailleurs, l'absence de clarté du texte, faute de décrets d'application, a favorisé la résolution des conflits par la voie contentieuse, au grand désarroi des élus et des professionnels.
En effet, la loi littoral renvoyait, pour la détermination de son champ d'application, à des décrets : sur la liste des communes riveraines des estuaires et des deltas, sur celle des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux et, enfin, sur celle des estuaires les plus importants. Si le décret relatif aux estuaires a finalement été publié le 29 mars 2004 - dix-huit ans après la loi ! -, le décret fixant la liste des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux fait encore défaut ; d'où le développement d'importants contentieux.
Par ailleurs, l'article L. 146-6-1 du code de l'urbanisme, qui prévoit l'élaboration d'un schéma d'aménagement pouvant autoriser la reconstruction d'une partie des constructions ou des bâtiments existant dans la bande des cent mètres n'est pas applicable en l'absence de décret. C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, je me permets d'attirer votre attention sur la nécessité d'une publication rapide de celui-ci.
Enfin, les décrets d'application relatifs aux espaces remarquables sont très contestés, en raison de l'extension de la notion d'« espace remarquable » qu'ils introduisent. Les classements élaborés au milieu des années quatre-vingt-dix par les services de l'Etat ont ainsi pu englober des espaces naturels n'ayant de remarquable que le fait de n'être pas urbanisés, ou des espaces agricoles intensifs sans valeur écologique évidente.
De plus, la classification en zone remarquable n'est pas toujours très conforme à la réalité. Si je prends l'exemple de mon département, le Morbihan, dans la petite commune de Sainte-Hélène, où 50 % du territoire communal est classé en zone NDs, le blocage de la construction a entraîné une baisse significative de la population.
En outre, le décret n° 2000-1272 du 26 novembre 2000, modifiant l'article R. 146-2 du code de l'urbanisme, a limité la possibilité de construire, dans les espaces remarquables, aux seuls locaux d'une superficie maximale de vingt mètres carrés de surface hors oeuvre brute.
Ce décret a eu, dans les territoires agricoles et conchylicoles, des conséquences très importantes puisque ne pouvaient plus être construits des bâtiments d'exploitation agricoles ou conchylicoles Outre qu'elle constitue une entrave majeure au développement de ces activités, cette disposition a même fait obstacle à la mise aux normes des bâtiments imposée notamment par les textes européens.
De plus, le premier alinéa de l'article n'autorisait que la réalisation de chemins piétonniers, interdisant ainsi le passage des cyclistes, ce qui, dans certaines zones touristiques, soulève des problèmes majeurs.
De façon plus générale, ces dispositions n'ont pas toujours permis d'assurer une gestion efficace de ces espaces, parfois condamnés à l'abandon alors même que leur classement en espace remarquable impliquait une hausse de la fréquentation du public. Les difficultés de gestion ont pu ainsi conduire à la dégradation de certains espaces remarquables, liée à l'impossibilité d'y réaliser les aménagements publics nécessaires.
Autre lacune : la marge d'interprétation de la loi en fonction des situations géographiques rendait nécessaire sa traduction en fonction des réalités locales, rôle imparti aux documents de planification, dont le bilan est insatisfaisant. Nous avons évoqué les SMVM, les DTA ; la superposition de tous ces documents ne donne pas aux collectivités locales les moyens de mettre en oeuvre une gestion intégrée de leur territoire.
Ces collectivités locales ont également été confrontées aux imprécisions de la loi : l'indétermination des notions retenues par celle-ci et la carence des documents de planification ont entraîné une grande période d'incertitude juridique, incertitude renforcée par l'opposabilité directe de la loi aux décisions individuelles, particulièrement préjudiciable aux communes.
Cette période a été caractérisée par une inflation de recours et d'exceptions d'illégalité des plans d'occupation des sols.
Ainsi la loi littoral a-t-elle pu être perçue par les maires comme une source importante de complications, voire comme une entrave au développement.
Pour remédier à ces lacunes, le groupe de travail sénatorial a fait des propositions équilibrées, qui devraient permettre de débloquer des situations souvent conflictuelles.
Désormais, il me paraît indispensable de renforcer la concertation avec les élus locaux. A ce titre, la création d'un Conseil national du littoral me semble intéressante, mais, surtout, je crois indispensable de renforcer la planification au niveau local. La mise en place d'une gestion intégrée du littoral suppose l'élaboration effective de documents de planification. Cette responsabilité, le doyen Gélard l'a dit, doit incomber aux collectivités territoriales par le biais des SCOT.
Il est donc indispensable d'étendre aux SCOT la possibilité actuellement réservée aux SMVM de déterminer les vocations des différents secteurs de l'espace maritime et d'édicter les sujétions particulières intéressant les espaces maritime, fluvial ou terrestre attenants, nécessaires à la préservation du milieu marin et littoral.
L'initiative et l'élaboration des dispositions à prendre à cet égard relèveront ainsi de la compétence des collectivités, l'accord de l'Etat restant bien sûr nécessaire pour les dispositions afférentes au volet maritime.
Il faut également permettre aux SCOT ou, à défaut, aux plans locaux d'urbanisme, de justifier, avec l'accord du préfet, qu'une urbanisation qui n'est pas située en continuité est compatible avec les objectifs de protection du littoral.
Je suis particulièrement intéressé par une proposition du groupe de travail concernant les espaces remarquables.
Il me semble impératif de revenir, comme cela a déjà été dit, à la définition originelle des espaces remarquables, à savoir des espaces qui présentent un intérêt exceptionnel, voire unique, requérant dès lors un régime de protection renforcé.
En revanche, les zones qui sont simplement naturelles doivent être protégées au titre d'autres législations, suffisantes pour en assurer la conservation.
Enfin, s'agissant des sites partiellement construits, à l'instar des villages classés en espace remarquable - à cet égard, il faudrait que soit définitivement arrêtée la définition d'un village, tant elle varie d'un lieu à l'autre en France -, leur déclassement serait opportun, à l'occasion d'une révision du PLU.
Le classement en espace remarquable devrait en outre être accompagné d'un projet de gestion permettant d'en assurer la mise en valeur. Ce projet, intégré dans le SCOT ou dans le PLU, définirait ainsi les aménagements et constructions nécessaires au maintien et au développement des activités traditionnellement implantées dans ces zones. C'est là la mesure qui répond le mieux aux attentes des élus locaux.
J'ai constaté que le CIADT du 14 septembre dernier avait fait siennes nombre de nos propositions concernant le Conservatoire du littoral : le renforcement du rôle de deux missions régionales, la simplification des outils de planification et de nouvelles incitations pour l'élaboration des documents de planification des « SCOT littoraux » ou des SCOT comprenant des communes littorales.
Je regrette cependant qu'il ne soit pas allé plus loin dans la démarche et que la question de la définition des espaces remarquables n'ait pas été abordée.
En conclusion, les élus locaux doivent actuellement composer avec un texte qui ne leur permet pas de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés.
Il est impératif, monsieur le secrétaire d'Etat, de le clarifier au plus vite. L'Etat doit en permettre une bonne application et publier les décrets encore en attente. Les contentieux devraient s'en trouver limités.
Il est nécessaire de développer la concertation entre les instances nationales et les élus locaux pour mieux adapter les mesures aux réalités locales.
Enfin, il est également nécessaire de trancher sur la définition du rivage, la définition actuelle retenant une limite supérieure en éternel mouvement. Monsieur le secrétaire d'Etat, dans ce domaine, ce n'est pas être conservateur que de ne point se rallier au parti du mouvement.