Intervention de Esther Benbassa

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 19 mars 2015 à 9h00
Audition de Mme Pascale Boistard secrétaire d'etat chargée des droits des femmes

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Je rends hommage à Jean-Pierre Godefroy, qui a démissionné pour les raisons que nous connaissons. C'est dire combien le sujet est clivant.

Je souscris pleinement aux propos de Catherine Génisson. J'insiste bien sur le fait que, pas plus que le reste de mon groupe, je ne suis opposée à ce texte, et je rappelle que j'avais déposé, au nom du groupe écologiste, une proposition de loi visant à abroger le délit de racolage, qui a été adoptée à l'unanimité par le Sénat. Nous ne sommes pas non plus contre la prise en charge des personnes prostituées qui voudraient s'orienter vers un métier moins contraignant, mais nous ne sommes guère optimistes, au vu du budget que vous entendez y allouer - 2,4 millions d'euros actuellement auxquels s'ajouterait le produit des amendes - sur l'efficacité de cet accompagnement.

Outre que je crains que la pénalisation du client ne fragilise la situation des personnes prostituées, j'estime, pour avoir accompagné des maraudes, que l'on ne saurait ramener le problème à la seule prostitution étrangère. Si le Gouvernement mettait plus de moyens dans la chasse aux proxénètes, au lieu de se contenter d'y affecter cinquante policiers spécialisés pour toute la France, la lutte serait sans doute plus efficace. On sait que le proxénétisme est le péché originel de la prostitution. On ne peut se contenter d'aborder le problème sous le seul angle de la victimisation. D'autant que certaines femmes se prostituent de leur propre gré, et se déclarent auto-entrepreneur. Elles ne veulent pas d'une telle loi, parce qu'elles n'ont pas d'autre moyen de survie en ces temps de chômage. Quant aux clients des call girls, qui exercent en hôtel ou à domicile, il est clair qu'ils ne tomberont pas sous le coup de la loi. Prenez donc la peine de lire le rapport suédois, que je me suis fait traduire : la situation qu'il décrit est loin d'être idyllique. La loi a certes fait reculer la prostitution de rue, mais pas sur internet et à domicile. Qui veut-on punir ? S'agit-il de s'en prendre aux plus démunis, pour donner l'impression d'une société vertueuse ? Il ne sortira aucune vertu de cela, les femmes continueront à se prostituer à domicile, via internet, dans une solitude plus grande encore. L'accompagnement qu'assurent les associations, le Bus des femmes, Médecins du monde, ne sera plus possible. Ne s'agit-il donc de rien d'autre que de donner le sentiment que la gauche, que les socialistes sont vertueux parce qu'ils veulent mettre fin au fléau de la prostitution ? Or, on n'y mettra pas fin si l'on ne s'en donne pas les moyens.

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