Intervention de Philippe Tournier

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 16 mars 2015 à 15h00
Table ronde — Syndicats de direction et d'inspection de l'éducation nationale

Philippe Tournier, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale-Union nationale des syndicats autonomes (SNPDEN-UNSA) :

Je rappellerai, en avant-propos, que le SNPDEN-UNSA constitue la principale organisation des personnels de direction, avec 67 % des voix aux dernières élections professionnelles. Comme Claudie Paillette, je m'interroge sur le format de la commission d'enquête. Les faits constatés ne sont, en effet, ni les premiers, ni les plus graves que l'école ait connus ces dernières années. Toutes les minutes de silence organisées dans les établissements scolaires ont fait l'objet d'incidents. Ainsi, lors des attentats de Toulouse, ces faits étaient plus nombreux et, d'une certaine manière, plus sérieux.

L'école est cependant, une nouvelle fois, mise en cause. Or, faut-il rappeler que les terroristes n'ont pas été radicalisés dans les cours de récréation, mais en prison ? Pour autant, le fait que les projecteurs soient aujourd'hui pointés sur les difficultés de la société peut accélérer une prise de conscience, à condition que l'on ne cherche pas à désigner des coupables.

Je souhaiterais tout d'abord procéder à une analyse des causes. Force est de constater qu'il existe un écart insupportable entre d'un côté ce que disent la République et l'école, et de l'autre la réalité, y compris physique, vécue par les jeunes au quotidien. On constate, en effet, une ethnicisation à la fois territoriale et des formations. Ce phénomène est frappant lorsque l'on s'intéresse à la composition des classes des établissements polyvalents. Les élèves ne sont pas les mêmes en terminale S, STG ou en bac professionnel. Néanmoins, il n'est pas facile d'avoir une idée précise de l'étendue de ces clivages de nature ethnique dans la mesure où il n'existe pas de statistique.

Cela fait longtemps que la jeunesse tire la sonnette d'alarme. Sans remonter à la parenthèse intégrationniste « black, blanc, beur », je rappellerai qu'il y a dix ans, nous avons connu trois semaines d'émeutes urbaines. Or, aucune réponse n'a été apportée. Certes, des tramways et des ronds-points ont été construits, des quartiers ont été rénovés, mais il n'y a pas eu de réponse structurelle. On peut dès lors concevoir qu'une partie de la jeunesse considère que la société dans laquelle nous vivons n'est pas la sienne. Pour autant, s'il y a eu des provocations ostentatoires, de nombreux jeunes n'ont simplement rien dit. Un pic d'absentéisme a pu être constaté le jour de la minute de silence. Par ailleurs, face à ces difficultés, les réponses apportées par l'État ont pu apparaître en décalage avec les besoins. Ainsi, le registre guerrier des propos tenus a gêné certains d'entre nous. On considère aujourd'hui qu'il y a deux croyances dans les cours de récréation : la laïcité et une religion. En outre, les annonces de mesures qui se succèdent et qui constituent souvent un « recyclage » des mesures précédentes qui n'ont pas été mises en oeuvre, nourrissent un sentiment d'impuissance de l'État et exercent un effet démoralisateur sur la société française.

Le projet d'éducation morale et civique ne semble pas très différent de ce qui se fait depuis de nombreuses années. Il n'est pas sûr, par conséquent, que cela soit le bon registre de réponse.

La première des réponses doit être de clarifier la question de la laïcité. Le SNPDEN a été l'une des rares organisations à soutenir l'idée d'une loi sur le port des signes religieux à l'école. Or, quand la réponse de l'État est claire, comme cela a été le cas sur cette question, son message est compris. Cet exemple apparaît toutefois comme une exception au milieu d'une grande confusion. La question des accompagnatrices de sortie scolaire voilées est symptomatique : l'État a changé quatre fois d'avis au gré des trois ministres qui se sont succédé. Cette question devient un objet de polémique récurrent.

Il nous faut aussi travailler sur la réduction de l'écart entre le discours tenu et ce qui se passe réellement. La réforme du collège, actuellement engagée, est intéressante mais trop centrée sur l'école. Elle ne répond pas suffisamment à la question de la réduction de cet écart. Tant que cette question ne sera pas résolue, on ne pourra pas empêcher une partie de la population d'avoir le sentiment d'être exclue de la République et on ne pourra pas lui reprocher de vouloir se construire une autre identité.

Enfin, notre pays doit avoir une politique de la population, qui passe par les établissements scolaires mais qui ne se limite pas à cette question, et doit offrir des perspectives à sa jeunesse. D'autres pays ont apporté des réponses. Je pense aux États-Unis qui ont pris cette question à bras le corps, même si les résultats ne sont pas toujours probants. Il est regrettable que beaucoup des initiatives prises dans les banlieues émanent des ambassades des États-Unis ou du Qatar.

Se pose en outre une question de fond tenant au fait que notre pays n'aime pas sa jeunesse. Les jeunes sont toujours présentés comme « mal élevés ». Au fil des décennies, on a eu les apaches, les zazous, les blousons noirs, aujourd'hui ce sont les jeunes des cités. Le résultat est que notre jeunesse n'a pas le moral, comparée à celle de nos voisins.

Par ailleurs, les formes radicalisées sont devenues aujourd'hui des objets culturels autonomes. Même si les conditions sociales favorisant ce type de comportements venaient à être supprimées, ce phénomène perdurerait. Cela rend le travail éducatif beaucoup plus complexe qu'il ne l'aurait été s'il avait été engagé il y a dix ans. L'école peut participer à la mise en oeuvre d'une action de l'État, à condition que celui-ci ne change pas d'avis tous les cinq ans et qu'elle ne la conduise pas seule.

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