La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Notre présidente, Françoise Laborde, ayant été retenue cet après-midi, il m'échoit de présider cette réunion de notre commission d'enquête, au cours de laquelle nous entendrons successivement en trois tables rondes, les syndicats des personnels de direction et d'inspection du ministère de l'éducation nationale, des syndicats d'enseignants ainsi que des fédérations de parents d'élève.

Je me réjouis que nous abordions l'expertise d'usage dans ces auditions.

Nous débutons par les représentants des personnels de direction et d'inspection de l'éducation nationale :

- M. Patrick Fournié, secrétaire général du syndicat « Indépendance et direction » (FO) ;

- Mme Claudie Paillette, secrétaire nationale chargée de la politique éducative et de la formation professionnelle, et M. Michel Flores-Garcia du Syndicat général de l'éducation nationale (CFDT) ;

- M. Patrick Roumagnac, secrétaire général du Syndicat de l'inspection de l'éducation nationale (UNSA) ;

- M. Philippe Tournier, secrétaire général du Syndicat des personnels de direction de l'éducation nationale (UNSA) ;

- M. Paul Devin, secrétaire général du Syndicat national des personnels d'inspection (FSU).

Consciente du rôle essentiel que jouent les personnels de direction et d'inspection de l'éducation nationale, notre commission d'enquête a souhaité vous entendre pour recueillir votre analyse sur l'état actuel de la transmission des valeurs républicaines, dont la laïcité.

La commission d'enquête veut également connaître votre position sur les mesures annoncées dans le cadre de la mobilisation de l'école pour les valeurs de la République, ainsi que les autres évolutions qui vous sembleraient appropriées.

Comme la loi le permet, cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié dans le Recueil des travaux des commissions, diffusé en version papier et sur le site Internet du Sénat.

Avant de vous passer la parole, le formalisme des commissions d'enquête me conduit à vous demander de prêter serment. Je suis également tenue de vous indiquer que tout faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vous invite, à tour de rôle, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité : levez la main droite et dites « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Fournié, Mme Claudie Paillette, MM. Michel Flores-Garcia, Patrick Roumagnac, Philippe Tournier et Paul Devin prêtent serment.

Compte tenu du nombre élevé d'intervenants, ce dont je me félicite, je vous propose de nous faire part, chacun à votre tour, de vos observations durant un maximum de sept minutes par organisation, après quoi notre rapporteur, Jacques Grosperrin, et les membres de la commission qui le souhaitent pourront vous poser leurs questions. Chaque représentation disposera d'un temps global de cinq minutes pour répondre. J'insiste sur l'importance que revêt le respect des temps de parole, afin que tous puissent s'exprimer et nourrir un échange constructif.

Debut de section - Permalien
Patrick Fournié, président d'Indépendance et direction-Force ouvrière (Id-FO

Id-FO est la deuxième organisation de personnels de direction de l'éducation nationale. Elle représente 20 % des personnels de direction.

Notre fédération FO et notre syndicat ont été quelque peu surpris quand, dans les paroles prononcées aussitôt après les événements dramatiques du mois de janvier, l'école et ses personnels ont été les premiers mis en cause. Nous avons le sentiment que les personnels de direction et des établissements scolaires n'ont pas démérité dans la lutte contre l'extrémisme et dans leur mission de transmission des repères républicains. Il y a danger à placer systématiquement l'école en première ligne, à créer des attentes qu'elle ne pourra pas satisfaire à court ou moyen terme. L'école ne peut pas tout même si elle peut faire beaucoup.

À la suite de ces attentats, nous avons apprécié de voir figurer sur le portail Internet du ministère de l'éducation nationale Eduscol un certain nombre de documents pour aider les personnels enseignants à répondre aux questions, souvent évacuées des salles de classe, relatives à ces repères républicains : le rappel de la loi, des textes législatifs... Il y a là des éléments de langage, clairs et simples.

Quand on parle de repères républicains, on entend parfois perte de repères républicains. Nous sommes plutôt dans une situation de concurrence de repères, avec des valeurs aujourd'hui médiatisées, portées par d'autres institutions qui en diminuent le poids et la force de transmission au sein de notre institution scolaire. Il y a là matière à réflexion, cette concurrence des repères traduit aussi un affaiblissement du poids de la parole publique et de l'image de l'État. Quand on voit la situation dégradée de l'emploi dans les quartiers difficiles, on comprend que la République peine à faire entendre sa voix et à susciter l'adhésion des jeunes dans les classes. Oui au rappel des textes, mais rappeler pour rappeler n'a aucune utilité si l'on ne s'en tient qu'à des discours creux. Les enseignants peuvent rappeler les valeurs républicaines au travers des disciplines enseignées. Nous pensons avec force que l'enseignement de la langue et ses premiers apprentissages sont impératifs pour que des rappels aux valeurs républicaines puissent s'ancrer dans les esprits et produire leurs effets.

Au vu des résultats à la sortie de l'école primaire et du collège, on ne peut qu'être surpris du nombre, trop élevé, d'élèves qui ne maîtrisent pas la langue, ce qui leur interdit de rentrer dans ce récit national que l'on voudrait faire passer au travers des repères républicains. En tant que personnels de direction, nous sommes inquiets du nombre de jeunes qui échappent à l'institution scolaire, à l'école, à ses valeurs, à ses transmissions de savoirs. Cette situation concerne des populations en grande difficulté mais aussi des populations plus aisées et plus favorisées. Les enseignants ont de moins en moins de prise sur un certain nombre d'élèves.

Oui à l'acquis de repères républicains, mais n'oublions pas que d'autres réformes sont nécessaires, notamment sur la question de la mixité sociale dans les établissements scolaires, compte tenu des différentes formes de ségrégations qu'ils connaissent aujourd'hui, géographiques, économiques ou ethniques. Avec uniquement de simples rappels aux textes ou encore la rénovation de l'enseignement civique, dispose-t-on réellement des éléments essentiels pour agir ? Nous pouvons agir dans nos établissements scolaires, en débattant avec les collégiens, avec les lycéens, avec les délégués, sur le règlement intérieur, sur le climat scolaire..., mais nous ne pouvons pas tout résoudre. C'était la position de notre fédération à propos de la loi sur la refondation de l'école. Elle a créé l'illusion que l'école pouvait refonder la République, mais elle ne le peut pas.

Debut de section - Permalien
Claudie Paillette, secrétaire nationale chargée de la politique éducative et de la formation professionnelle (SGEN-CFDT)

Le syndicat de la confédération CFDT de l'éducation nationale syndique l'ensemble des personnels de l'éducation nationale, de la recherche, de la jeunesse et des sports, du personnel de l'enseignement public.

Permettez-moi d'exprimer notre étonnement quant au format d'une commission d'enquête qui laisse à penser que l'école aurait failli.

Il nous semble que les comportements antirépublicains dépassent les questions de laïcité et de religion. Nous pensons qu'il y a une cristallisation dans l'esprit des élèves dont nous avons la charge. Les valeurs de la République concernent aussi bien ce qui se passe à l'intérieur de l'école qu'à l'extérieur. La conception des valeurs de liberté, de fraternité, d'égalité est touchée par l'entaille au pacte social dans notre pays. Sur la question du rapport à l'école, il semble qu'à chaque fois que survient un problème important dans le pays, on accuse l'école, comme si elle en était à l'origine et devait résoudre un certain nombre de questions. Arrêtons de faire de l'école le lieu de transmission autoritaire des valeurs de la République. Les valeurs de la République ne s'imposent pas d'elles-mêmes à l'école. Elles se pratiquent, elles se vivent, elles s'incarnent, sans cela, il n'y pas de volonté d'intégration.

Il faut s'intéresser à ceux qui, au sein de notre communauté, sont le plus éloignés de nos valeurs républicaines. Beaucoup de gens ont été scandalisés que des jeunes n'aient pas respecté la minute de silence en hommage aux victimes des attentats du mois de janvier. Les jeunes devraient-ils être plus respectueux ou plus exemplaires que les adultes ? L'école est avant tout un lieu de formation et, par ailleurs, il n'y a pas eu de minute de silence dans toutes les entreprises, que ce soit à la Bourse ou dans les supermarchés. Quand la société française doute d'elle-même, elle se retourne vers sa jeunesse pour lui demander de lui renvoyer une image rassurante. C'est faire peser sur les jeunes une charge importante.

Nous avons apprécié la mobilisation du ministère, qui s'est empressé, après les événements, de rassembler l'ensemble des partenaires, notamment les organisations syndicales, pour faire le point et fournir des outils qui ne soient pas répressifs. La piste de l'enseignement moral et civique, seule, ne suffira pas à faire évoluer l'école.

Debut de section - Permalien
Michel Flores-Garcia, (SGEN-CFDT)

SGEN-CFDT). - Je vous précise tout d'abord que j'exerce dans le collège de Creil à l'origine de l'affaire du foulard. Les propos du principal alors en exercice ne dépareilleraient pas aujourd'hui. Ils seraient tout à fait audibles maintenant alors qu'ils ne l'étaient pas il y a une dizaine d'années. Tous les discours que j'entends aujourd'hui disent la même chose, nous n'avons pas beaucoup avancé dans la résolution des problèmes liés à l'intégration de certaines populations migrantes au niveau scolaire.

Depuis plus de vingt ans, je travaille sur ces questions qui sont mon lot quotidien. Pour illustrer mon propos, je partirai de l'histoire d'une jeune fille d'une classe de 4e d'origine immigrée, de mère, née en France, de confession musulmane et dont le père est absent. Cette jeune fille a une attitude dévergondée tant dans sa tenue vestimentaire que dans ses propos, contrastant avec l'apparence de sa mère qui vient voilée aux réunions, et qui, je n'en doute pas, a tenté de maintenir un cadre autour de sa fille. Par deux fois exclue d'un collège public et d'une maison familiale et rurale où elle préparait en internat un CAP, cette jeune fille est arrivée cassée dans mon collège et m'a avoué apprécier de ne pas s'y faire traiter de « sale arabe ». Elle a pourtant « décroché » tant la cassure était importante, son comportement est devenu ingérable au sein de l'établissement scolaire. Durant les 18 mois que nous avons passés avec elle, nous avons essayé de réinstaller l'autorité parentale et mis en oeuvre tous les dispositifs sociaux, de suivi éducatif, psychologiques... Rien n'a fonctionné.

Bien sûr il y a la morale, bien sûr il y a le règlement intérieur, bien sûr il y a la discipline, l'autorité, la laïcité... Comment une gamine qui ne sait pas vraiment d'où elle vient et qui elle est peut-elle respecter des valeurs républicaines ? Des personnes se sont penchées sur ces questions d'intégration : Françoise Lorcerie dans son livre L'école et le défi ethnique, la psychiatre et psychanalyste Alice Cherki, l'historien Benjamin Stora... Nous devons revoir le modèle d'intégration à la française des années 50 et 60 et trancher sur les questions de mixité sociale et de mixité ethnique.

Comment va-t-on s'y prendre avec ces enfants en perte de repères ? Après les attentats, j'ai vu des gamins très perturbés auxquels nous devons apporter des réponses. Des pistes commencent à être explorées dans les établissements, notamment dans le mien. Je pense à Mme Lorcerie qui a créé le Réseau international éducation et diversité (RIED) qui travaille sur ces questions. Des formations sont nécessaires tant au niveau des directeurs d'établissement que des personnels enseignants sur la laïcité. Les enfants d'origine étrangère issus de milieux sensibles ont un travail personnel et particulier à faire, que la plupart des enfants d'origine occidentale n'ont pas. Or si l'institution scolaire ne s'empare pas de ces questions, d'autres vont s'en emparer.

Debut de section - Permalien
Patrick Roumagnac, secrétaire général du syndicat de l'inspection de l'éducation nationale-Union nationale des syndicats autonomes (SIEN-UNSA)

Quelques mots pour présenter mon organisation : syndicalement, traditionnellement majoritaire chez les inspecteurs de l'éducation nationale, le SIEN-UNSA a encore confirmé son influence lors des dernières élections professionnelles en progressant de plus de 13,5 % en nombre de suffrages, ce qui lui a permis de conserver quatre sièges sur cinq en commission administrative paritaire nationale (CAPN) ainsi que plus de 85 % des sièges dans les commissions administratives paritaires académiques. Il est le seul syndicat d'inspection à siéger au conseil technique ministériel et au conseil supérieur de l'éducation. Dans cette seconde instance, notre syndicat est le seul qui représente les inspecteurs de toutes catégories.

Je me permettrai de mettre en avant la responsabilité qui est la nôtre en tant qu'organisation syndicale et, par écho, celle des inspecteurs de l'éducation nationale sur la question du système éducatif et sa capacité à apporter un certain nombre d'éléments de réponse pour reconstruire un lien social de plus en plus distendu et pour essayer d'aider véritablement tous les jeunes à s'intégrer dans notre société.

Je tiens à préciser bien clairement que l'objectif des cours d'encadrement n'est en aucun cas de l'ordre de la contrainte ou de la stigmatisation, mais entend aider tous les enseignants à permettre aux jeunes de trouver par eux-mêmes leur place naturelle dans notre système social. Nous n'avons pas la volonté de pointer tous les disfonctionnements, mais d'en repérer certains et d'en établir un constat. Chercher une quelconque responsabilité chez ces jeunes ou dans une carence de l'école par rapport à eux serait extrêmement réducteur et ne permettrait pas de construire un projet éducatif pour l'ensemble de la population.

Or c'est là que nous pouvons agir aujourd'hui et, en ce sens, nous soulignons tout l'intérêt que représentent pour nous les onze mesures mises en place par le ministère de l'éducation nationale, qui, bien évidemment, ne sont pas exhaustives. L'important est que ces mesures s'inscrivent toutes dans une logique de construction éducative et pédagogique et permettent de décliner des actions en termes de formation des élèves et des personnels. Cette question de la formation apparaît cruciale aujourd'hui.

Je citerai quelques exemples de formations et d'actions mises en place suite aux terribles événements que nous avons connus en janvier. Ces événements, rapidement caractérisés comme relevant de l'esprit du 11 septembre 2001, ont suscité une émotion au-delà de laquelle une pédagogie est nécessaire. Des actions de formation sont mises en place dans toutes les académies. Je pense à un projet, antérieur aux événements du mois de janvier, de Mooc (massive open online course - cours en ligne ouvert à tous) sur l'éducation aux médias et à l'information qui revêt maintenant une importance toute particulière. 3 000 inscriptions étaient prévues au départ, 10 000 au moins sont attendues. Au-delà de la proposition du ministère, la demande d'enseignants en attente de solutions est extrêmement forte. Et nous ne ferons rien sans eux. Pour faire écho aux propos de M. Flores-Garcia, nous n'avons aucune chance d'aboutir si nous imposons des méthodes. Il faut absolument que tous les acteurs se fédèrent autour de cet objectif. C'est à ce stade qu'interviennent les corps d'encadrement et, notamment, les inspecteurs dont le rôle est de mobiliser, encourager, redonner confiance aux enseignants afin qu'ils redonnent eux-mêmes confiance aux élèves dans leur capacité à s'insérer dans un système social qu'ils ne subiront plus mais dont ils seront les acteurs.

Debut de section - Permalien
Philippe Tournier, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale-Union nationale des syndicats autonomes (SNPDEN-UNSA)

Je rappellerai, en avant-propos, que le SNPDEN-UNSA constitue la principale organisation des personnels de direction, avec 67 % des voix aux dernières élections professionnelles. Comme Claudie Paillette, je m'interroge sur le format de la commission d'enquête. Les faits constatés ne sont, en effet, ni les premiers, ni les plus graves que l'école ait connus ces dernières années. Toutes les minutes de silence organisées dans les établissements scolaires ont fait l'objet d'incidents. Ainsi, lors des attentats de Toulouse, ces faits étaient plus nombreux et, d'une certaine manière, plus sérieux.

L'école est cependant, une nouvelle fois, mise en cause. Or, faut-il rappeler que les terroristes n'ont pas été radicalisés dans les cours de récréation, mais en prison ? Pour autant, le fait que les projecteurs soient aujourd'hui pointés sur les difficultés de la société peut accélérer une prise de conscience, à condition que l'on ne cherche pas à désigner des coupables.

Je souhaiterais tout d'abord procéder à une analyse des causes. Force est de constater qu'il existe un écart insupportable entre d'un côté ce que disent la République et l'école, et de l'autre la réalité, y compris physique, vécue par les jeunes au quotidien. On constate, en effet, une ethnicisation à la fois territoriale et des formations. Ce phénomène est frappant lorsque l'on s'intéresse à la composition des classes des établissements polyvalents. Les élèves ne sont pas les mêmes en terminale S, STG ou en bac professionnel. Néanmoins, il n'est pas facile d'avoir une idée précise de l'étendue de ces clivages de nature ethnique dans la mesure où il n'existe pas de statistique.

Cela fait longtemps que la jeunesse tire la sonnette d'alarme. Sans remonter à la parenthèse intégrationniste « black, blanc, beur », je rappellerai qu'il y a dix ans, nous avons connu trois semaines d'émeutes urbaines. Or, aucune réponse n'a été apportée. Certes, des tramways et des ronds-points ont été construits, des quartiers ont été rénovés, mais il n'y a pas eu de réponse structurelle. On peut dès lors concevoir qu'une partie de la jeunesse considère que la société dans laquelle nous vivons n'est pas la sienne. Pour autant, s'il y a eu des provocations ostentatoires, de nombreux jeunes n'ont simplement rien dit. Un pic d'absentéisme a pu être constaté le jour de la minute de silence. Par ailleurs, face à ces difficultés, les réponses apportées par l'État ont pu apparaître en décalage avec les besoins. Ainsi, le registre guerrier des propos tenus a gêné certains d'entre nous. On considère aujourd'hui qu'il y a deux croyances dans les cours de récréation : la laïcité et une religion. En outre, les annonces de mesures qui se succèdent et qui constituent souvent un « recyclage » des mesures précédentes qui n'ont pas été mises en oeuvre, nourrissent un sentiment d'impuissance de l'État et exercent un effet démoralisateur sur la société française.

Le projet d'éducation morale et civique ne semble pas très différent de ce qui se fait depuis de nombreuses années. Il n'est pas sûr, par conséquent, que cela soit le bon registre de réponse.

La première des réponses doit être de clarifier la question de la laïcité. Le SNPDEN a été l'une des rares organisations à soutenir l'idée d'une loi sur le port des signes religieux à l'école. Or, quand la réponse de l'État est claire, comme cela a été le cas sur cette question, son message est compris. Cet exemple apparaît toutefois comme une exception au milieu d'une grande confusion. La question des accompagnatrices de sortie scolaire voilées est symptomatique : l'État a changé quatre fois d'avis au gré des trois ministres qui se sont succédé. Cette question devient un objet de polémique récurrent.

Il nous faut aussi travailler sur la réduction de l'écart entre le discours tenu et ce qui se passe réellement. La réforme du collège, actuellement engagée, est intéressante mais trop centrée sur l'école. Elle ne répond pas suffisamment à la question de la réduction de cet écart. Tant que cette question ne sera pas résolue, on ne pourra pas empêcher une partie de la population d'avoir le sentiment d'être exclue de la République et on ne pourra pas lui reprocher de vouloir se construire une autre identité.

Enfin, notre pays doit avoir une politique de la population, qui passe par les établissements scolaires mais qui ne se limite pas à cette question, et doit offrir des perspectives à sa jeunesse. D'autres pays ont apporté des réponses. Je pense aux États-Unis qui ont pris cette question à bras le corps, même si les résultats ne sont pas toujours probants. Il est regrettable que beaucoup des initiatives prises dans les banlieues émanent des ambassades des États-Unis ou du Qatar.

Se pose en outre une question de fond tenant au fait que notre pays n'aime pas sa jeunesse. Les jeunes sont toujours présentés comme « mal élevés ». Au fil des décennies, on a eu les apaches, les zazous, les blousons noirs, aujourd'hui ce sont les jeunes des cités. Le résultat est que notre jeunesse n'a pas le moral, comparée à celle de nos voisins.

Par ailleurs, les formes radicalisées sont devenues aujourd'hui des objets culturels autonomes. Même si les conditions sociales favorisant ce type de comportements venaient à être supprimées, ce phénomène perdurerait. Cela rend le travail éducatif beaucoup plus complexe qu'il ne l'aurait été s'il avait été engagé il y a dix ans. L'école peut participer à la mise en oeuvre d'une action de l'État, à condition que celui-ci ne change pas d'avis tous les cinq ans et qu'elle ne la conduise pas seule.

Debut de section - Permalien
Paul Devin, secrétaire général du Syndicat national des personnels d'inspection-Fédération syndicale unitaire

Sur la question de la perte des repères républicains, qui serait révélée par la vie dans les établissements scolaires, il importe de retrouver des qualités d'analyse absentes de bien des commentaires médiatiques dans les semaines qui ont suivi les événements de janvier dernier. La réalité de situations singulières si graves, si inadmissibles, si inquiétantes soient elles ne peuvent être confondue avec un constat général qui témoigne, au contraire, de l'attachement d'une immense majorité des élèves aux valeurs qui garantissent les principes fondamentaux de liberté, d'égalité et de fraternité. On pourrait multiplier les témoignages qui écarteraient les hypothèses selon lesquelles la perte des valeurs républicains constituerait une caractéristique généralisée de la vie des écoles, des collèges et des lycées.

L'analyse des incidents doit faire la part des choses afin de distinguer ce qui témoigne d'un refus des valeurs républicaines et le reste. L'émotion que les attentats de janvier ont suscitée a parfois conduit à interpréter comme de la radicalisation des comportements qui ne relèvent en fait que des traits particuliers de l'adolescence : la provocation des adultes par l'expression de propos outranciers, la volonté de se soustraire à une réaction générale par anticonformisme ou par opposition systématique. Ces comportements obéissent à des phénomènes de sociabilité adolescente dont les historiens ont montré que, contrairement au sentiment d'une dégradation des comportements juvéniles, ils avaient de tout temps, sous des formes différentes, inquiété les adultes.

Reconnaissons que le choix d'une minute de silence dans des délais qui empêchaient tout travail préparatoire des enseignants conduisait à exagérer le risque de réaction spontanée.

La première condition d'une lutte contre le développement de réaction radicales est d'être capable d'une telle distinction afin d'éviter de confondre la défense des valeurs républicaines avec la justification de modèles éducatifs autoritaristes qui, au prétexte de la gravité de certaines dérives, justifieraient de privilégier des réponses disciplinaires, des exclusions et des prescriptions comportementales.

La seconde condition est que nous admettions que la construction des valeurs républicaines est un travail éducatif long et patient. L'école ne peut exiger de ses élèves un état spontané qui satisferait immédiatement à toutes les exigences citoyennes. Les valeurs ne procèdent pas d'une adhésion morale spontanée ou contrainte par l'autorité coercitive des enseignants, elles sont le résultat d'une construction intellectuelle permise par une autorité qui s'inscrit dans la capacité des enseignants à transmettre des savoirs et à construire des compétences. Il ne s'agit pas de renoncer au respect des règles mais de considérer que la mission première de l'école est de donner aux élèves les connaissances qui leur permettent de comprendre que la loi et ses contraintes garantissent la liberté individuelle et collective. Cela ne peut pas se confondre avec les illusions d'un conformisme comportemental. Une telle éducation ne peut se concevoir sans que l'école permette l'expression des opinions des élèves. Une telle liberté n'est contradictoire ni avec la lutte contre les préjugés et les stéréotypes, ni avec l'exigence que cette liberté d'expression se construise de pair avec le respect des opinions des autres.

Ce travail, l'école le poursuit depuis longtemps et les jugements rapides qui ont mis en doute sa responsabilité suscitent l'incompréhension des fonctionnaires de l'éducation nationale qui, au quotidien, tant dans leurs enseignements disciplinaires que dans la vie scolaire, font de la formation du citoyen un objectif majeur de leur exercice professionnel et l'investissent en toute conscience de ses enjeux. Les difficultés rencontrées par les enseignants après les attentats s'inscrivent tout d'abord dans la nature exceptionnelle des événements. Un regard extérieur pourrait s'étonner de ces difficultés, considérant que l'éducation à la citoyenneté devrait s'inscrire dans la base même des compétences de tout enseignant. Le témoignage des enseignants souligne cependant l'immense complexité à trouver des réponses éducatives dont l'ambition ne se limite pas à la régulation des comportements mais vise la construction des valeurs. Permettez-moi une anecdote. À sa maitresse qui expliquait le droit de libre expression de la presse et, particulièrement, dans ses formes les plus satiriques, un élève exprimait son étonnement, percevant cette affirmation comme contradictoire avec la norme habituelle en classe interdisant de se moquer de ses camarades. Il n'est pas facile de répondre à ce type de questions. Les débats qui ont suivi les attentats de janvier ont témoigné de la complexité de ces questions dans le monde adulte, il ne faut pas négliger que cette complexité est plus grande encore avec chez les enfants et les adolescents. Pour faire face à cette complexité, les enseignants ont besoin de formation. Or, il faut reconnaître que la situation de la formation initiale et continue reste des plus préoccupantes. La mise en oeuvre d'une formation de 1 000 enseignants constitue une étape positive, mais nous pouvons être inquiets des moyens qui seront alloués à l'étape suivante, celle d'une généralisation qui, à partir de ce premier noyau, constitue une logique indispensable pour aider l'ensemble des enseignants.

Je voudrais, pour terminer, dire notre détermination en tant qu'inspecteurs, au travers de nos missions d'inspection et de formation, à contribuer à renforcer la capacité de l'école à former des citoyens instruits et responsables, capables de défendre les valeurs de la République parce qu'ils ont compris son essence même et sa nécessité sociale. Mais je ne peux affirmer cette détermination sans rappeler qu'il faut se garder d'imaginer que l'école puisse y suffire. Connaître et comprendre des droits, c'est aussi être certain de la capacité de la République à en garantir l'effectivité. Or, nous devons constater une corrélation entre les incidents les plus inquiétants qui ont pu se dérouler dans les établissements scolaire et l'environnement social et économique de ces établissements. Il serait simpliste de considérer qu'il y aurait une causalité univoque, mais les valeurs de la République resteront incompréhensibles pour les élèves de ces quartiers s'ils ne peuvent constater l'effectivité de ces valeurs dans leur vie quotidienne. L'école ne parviendra pas à ce que ces élèves s'approprient la construction intellectuelle de valeurs si ces valeurs se présentent pour eux sans lien avec la réalité sociale, économique, juridique, politique de leurs environnements quotidiens. Force est de constater qu'aujourd'hui, pour beaucoup d'élèves, cela fait obstacle à la construction d'une confiance dans la République, confiance qui reste une condition nécessaire pour permettre une adhésion pleine et entière à ses valeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Je voudrais préciser que la nécessité d'une commission d'enquête a été débattue en commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Nous avons fait ce choix afin de donner un caractère plus solennel à nos travaux face à une situation critique dans un espace sanctuarisé qu'est l'école. Certes, des manifestations ont eu lieu dans des entreprises et des prisons, mais l'école est un lieu particulier. Par ailleurs, le format de la commission d'enquête devrait permettre d'éviter les écueils dans lesquels aurait pu buter une simple mission d'information. Tout le monde se souvient des hésitations autour du rapport Obin de 2004.

Monsieur Tournier, vous avez parlé de la coexistence dans les cours de récréation de deux religions : la laïcité et une autre religion. Or, il me semble que l'on n'ose plus citer cette religion. Ce n'est pas un gros mot de dire qu'il s'agit de la religion musulmane, laquelle est valorisée par des enfants, des jeunes, des adultes par rapport à d'autres règles sociales.

Enfin, je voudrais préciser que l'objectif de cette commission d'enquête n'est pas de culpabiliser l'école. Elle n'est évidemment pas responsable de tous les maux, vous avez raison de le dire.

Je souhaiterais vous poser trois questions.

Pourriez-vous tout d'abord nous indiquer si le diagnostic d'une dégradation du climat scolaire, liée notamment aux manifestations d'appartenance religieuses au sein des établissements scolaires ainsi qu'à la dégradation de l'autorité des enseignants et de la discipline, vous paraît justifié ? Quelles sont ses conséquences sur la transmission des valeurs républicaines, et, plus largement, sur le fonctionnement de l'école ?

Par ailleurs, différents travaux ont mis en évidence qu'enseignants et chefs d'établissements ont parfois le sentiment d'être peu soutenus par leur hiérarchie en matière de discipline et d'atteintes aux valeurs républicaines. Comment peut-on y remédier ? N'y aurait-il pas également une incitation, à différents niveaux, à ne pas faire « remonter » les difficultés observées ?

Enfin, la perte d'autorité des enseignants et le défaut de discipline peuvent-ils, selon vous, expliquer la perte de repères républicains ? Comment restaurer l'autorité de l'enseignant et de l'institution ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Sur la question de la formule de la commission d'enquête, pour être honnête, ce débat a eu lieu au Sénat et il n'a pas été consensuel. Je rappelle que l'effectif des commissions d'enquête est fixé à la proportionnelle des groupes politiques et que la constitution d'une telle structure est de droit lorsqu'elle est demandée par un groupe. Je voudrais en outre préciser que l'école n'est pas la seule cible, le Sénat conduit simultanément une enquête sur les réseaux djihadistes et leur renforcement au sein des prisons, notamment.

Debut de section - Permalien
Paul Devin, secrétaire général du Syndicat national des personnels d'inspection-Fédération syndicale unitaire

Monsieur le rapporteur, la manière dont vous posez vos questions fait penser que vous auriez déjà un certain nombre de conclusions, celle notamment qu'il y aurait aujourd'hui une dégradation de l'autorité des enseignants et de la discipline. C'est une vraie question. Pour autant, lorsque l'on s'intéresse à l'histoire de l'éducation, des inquiétudes se sont exprimées, quelles que soient les époques, au sujet de la perte d'autorité des enseignants. Dans l'antiquité déjà, certains penseurs se plaignaient de l'indiscipline de la jeunesse. Mais je ne suis pas sûr que la période que nous vivons soit davantage caractérisée par une perte d'autorité des enseignants et de discipline, laquelle induirait, parmi d'autres facteurs, une perte des valeurs républicaines. Je ne dis pas que le quotidien des enseignants est simple, qu'il est facile de gérer une classe ou que la société dispose des mêmes repères que les générations précédentes, mais ces changements traduisent-ils une situation scolaire essentiellement caractérisée par la perte de l'autorité des maîtres et de la discipline ? Je ne le crois pas.

Il y a une complexité croissante, je ne le nie pas. En effet, la question des origines culturelles des élèves au sein des établissements scolaires se pose différemment d'il y a 70 ou 80 ans. Par ailleurs, la situation économique actuelle empêche l'école de jouer le rôle d'ascenseur social, quasi automatique, qui a été le sien pendant de nombreuses années.

Face à cette complexité, il me semble important de réaffirmer le rôle essentiel de la formation des enseignants pour faire face à ces questions. Or, force est de constater que les jeunes enseignants n'ont aucune idée de ce qu'est la laïcité ou des droits et des obligations du fonctionnaire. Peut-on continuer à exiger de l'école d'être capable de proposer des réponses efficaces dans une situation comme celle que nous venons de connaître alors que, dans le même temps, on abandonne la formation ? « Abandonner » est un terme fort, voire paradoxal dans la mesure où on assiste à une reconstruction de la formation initiale, mais cette formation est loin de correspondre aux besoins. Par ailleurs, la formation continue est délaissée. Comment, dans ce contexte, les enseignants peuvent-ils faire face de manière efficace à des situations difficiles portant sur des sujets complexes ? Appréhender la liberté d'expression suppose une construction intellectuelle élaborée, que ces enfants et ces adolescents n'ont pas pu encore achever. Il serait illogique de demander à l'école de transmettre les valeurs républicaines sans engager une politique volontariste en matière de formation initiale et continue, bien au-delà des moyens consacrés aujourd'hui.

Debut de section - Permalien
Philippe Tournier, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale-Union nationale des syndicats autonomes (SNPDEN-UNSA)

La dégradation du climat scolaire est associée à l'école depuis toujours. Les indicateurs, certes peu nombreux et épars, dont nous disposons ne traduisent cependant pas une dégradation marquée. Il faut se rappeler que, dans la période 1990-2000, il n'y avait pas une année sans que soit présenté un plan violence à l'école. Ces plans ont aujourd'hui disparu, même s'ils ont pu être remplacés par d'autres thèmes. En revanche, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de souffrance professionnelle ou que les enseignants s'estiment assez soutenus. Pour répondre à votre question sur les remontées des incidents, il me semble que ce phénomène appartient au passé. Le fait que des incidents aient été signalés lors de la minute de silence en est la preuve. Cela n'avait pas été le cas en 2001, par exemple. La question des réactions à la suite des évènements de Toulouse est différente dans la mesure où des incidents ont eu lieu, mais il semblerait que l'on n'ait pas eu envie de savoir...

L'autorité des maîtres ne me semble pas relever du champ des valeurs républicaines, mais des valeurs confucéennes. Les trois valeurs républicaines sont contenues dans le triptyque républicain, auquel il convient d'ajouter la laïcité. L'allongement continu de la liste des valeurs finit par brouiller le message. L'autorité des maîtres serait aussi légitime dans une monarchie !

Il me semble que l'école demeure l'une des institutions les plus respectées par ses usagers. Pour autant, le professeur n'est plus respecté en tant que représentant de l'institution, mais en tant que personne. Cette situation n'est pas sans créer une tension sur les personnes. C'est un changement qui s'est produit dans les trente ou quarante dernières années. L'autorité se construit, par conséquent, différemment au sein de l'école, mais il en va de même au sein de la sphère familiale. Cela traduit une évolution de la société.

Ce qui caractérise, en revanche, notre pays, c'est que nous avons l'école la plus stressée du monde. Seul l'Extrême-Orient fait aussi bien, ou plutôt aussi mal... Nos élèves sont stressés de venir à l'école, les enseignants sont stressés de faire classe et les parents sont stressés par la scolarité de leurs enfants. Dans aucun autre pays on ne trouve cette surabondance de publicité pour l'école après l'école.

Par ailleurs, dès qu'une difficulté se fait jour, on se retourne vers l'école, ce qui aggrave cette situation. En effet, l'école en France organise la société et la hiérarchie sociale. Le climat de compétition permanent entre les individus au sein de l'école, alors que l'institution scolaire prétend ne pas être compétitive, crée un double discours très pesant. C'est pourquoi nous défendons l'idée que la scolarité obligatoire doit être située hors du champ de la compétition, mais que l'ère de la compétition doit être explicite.

Au final, il ne me semble pas qu'il y ait une perte d'autorité. Ainsi, lorsque les élèves français se rendent à l'étranger, ils sont frappés par le caractère décontracté des enseignements. À l'inverse, ce qui frappe les élèves étrangers lorsqu'ils viennent en France, c'est la rigidité de notre système. Nous conservons donc un système extrêmement autoritaire.

Debut de section - Permalien
Claudie Paillette, secrétaire nationale chargée de la politique éducative et de la formation professionnelle (SGEN-CFDT)

Je rebondis sur les propos de M. Tournier. L'ensemble de la société a changé, les rapports d'autorité ne sont plus les mêmes, à l'école comme au sein des familles. L'autorité des enseignants, qui s'appuyait autrefois sur les savoirs, doit aujourd'hui, dans un contexte où les connaissances des professeurs sont concurrencées, trouver de nouveaux supports. Les élèves reconnaissent désormais l'enseignant dans son autorité en tant que personne, dans la mesure où il est capable d'organiser les relations dans une classe de la manière la plus juste possible. À cet égard, le rapport au règlement et à l'équité est un élément auxquels les élèves sont extrêmement sensibles, et sur lequel les tensions sont souvent très fortes.

Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit au sujet du décrochage scolaire et de la capacité de l'école à accompagner les élèves dans leur insertion au sein de la société. Il s'agit, là encore, d'une problématique qui ne facilite pas le maintien de l'autorité au sein des établissements scolaires.

S'agissant de la remontée des informations sur les incidents, je pense qu'il n'y a jamais eu de consignes précises. Des systèmes de transmission automatisés existent, mais la remontée reste principalement liée à la personnalité du chef d'établissement et à l'image qu'il souhaite donner de son établissement.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Excusez-moi de vous interrompre, pouvez-vous nous confirmer qu'il n'y a pas eu de sollicitations spécifiques adressées aux établissements pour la remontée des incidents ? Les remontées ont-elles bien été pratiquées par les chefs d'établissement dans l'exercice normal de leur mission ? C'est un sujet sur lequel notre commission d'enquête s'interroge.

Debut de section - Permalien
Claudie Paillette, secrétaire nationale chargée de la politique éducative et de la formation professionnelle (SGEN-CFDT)

Tout à fait.

Debut de section - Permalien
Patrick Roumagnac, secrétaire général du syndicat de l'inspection de l'éducation nationale-Union nationale des syndicats autonomes (SIEN-UNSA)

Les rectorats ont pu, dans certains cas, solliciter les chefs d'établissements et mettre à disposition des outils, comme des boîtes mails, pour faire remonter les difficultés, les incidents et les demandes d'assistance.

Debut de section - Permalien
Claudie Paillette, secrétaire nationale chargée de la politique éducative et de la formation professionnelle (SGEN-CFDT)

Je poursuis. Sur la formation des personnels, de direction comme enseignants, il y a des lacunes sur les points à aborder dans les établissements scolaires. Les concours de recrutement restent trop centrés sur le disciplinaire et ne permettent pas d'évaluer les futurs enseignants sur des sujets plus larges.

Debut de section - Permalien
Michel Flores-Garcia, (SGEN-CFDT)

En ce qui concerne la dégradation du climat scolaire et l'autorité des adultes, nous avons observé en janvier, comme à chaque fois - je pense notamment au lendemain de l'affaire Merah - une augmentation nette du nombre d'incidents. J'ai eu à gérer, au sein de mon établissement, des incidents plus nombreux qu'en temps normal, avec cinq conseils de disciplines, incidents que j'ai d'ailleurs fait remonter dans Civis. Heureusement, tous n'ont pas débouché sur un conseil de discipline ! Les enfants étaient réellement très perturbés.

Cela revient à ce que j'ai évoqué en avant-propos, ces problèmes de positionnement ethnique - qui je suis ? D'où je suis ? Où vais-je ? - se posent de manière très importante pour les enfants. S'ils ne sont pas traités, comme le dit madame Cherki dans son livre Violences de l'immigration, ils ressortent sous forme de bouffées incontrôlables dont les enfants ne sont pas totalement conscients.

S'agissant de la perte d'autorité, mon collègue l'a très bien définie. L'important n'est plus l'autorité du maître mais la relation que l'enseignement arrive à créer avec ses élèves. Quand un jeune enseignant arrive dans mon établissement, je lui dis qu'il faut qu'un phénomène d'adoption mutuelle se mette en place avec les élèves. La mayonnaise doit prendre entre les élèves et les enseignants, mais si on ne fournit pas d'outils adaptés aux professeurs, elle ne prendra pas.

Debut de section - Permalien
Patrick Roumagnac, secrétaire général du syndicat de l'inspection de l'éducation nationale-Union nationale des syndicats autonomes (SIEN-UNSA)

Je ne reviendrai pas sur tous les propos tenus sur la question de l'autorité, j'ajouterai simplement une observation. On parle souvent du « bon vieux temps », postulant que tout était mieux avant. Je n'en suis pas sûr. Il se passe aujourd'hui des choses intéressantes et on a aussi connu, par le passé, des périodes extrêmement complexes, dans le milieu scolaire comme dans la société au sens large. Je crois qu'il faut faire preuve de plus de sérénité.

Il a été dit que la société française n'aimait pas ses enfants, mais je ne suis pas sûr qu'elle aime ses enseignants. Ceux-ci développent aujourd'hui un profond malaise. Le paradoxe actuel est qu'on leur demande de restaurer une autorité dont ils ne pensaient pourtant pas être totalement départis, tout en leur expliquant qu'ils sont responsables de cette perte de l'autorité. Les choses sont beaucoup plus complexes. Tout d'abord, l'autorité des enseignants n'a pas complètement disparu et on le constate au quotidien dans les établissements scolaires, y compris dans les zones difficiles. Il y a un signal à envoyer à ce niveau, il faut rétablir la confiance des enseignants en eux-mêmes et leur faire accepter l'idée que, face à des situations extrêmement complexes, il n'y a pas toujours de solution simple et heureuse. Les enseignants expriment également souvent le sentiment de ne pas être soutenus par leur hiérarchie. Il s'agit d'un vrai problème qui doit être pris à bras le corps.

Nous devons répondre à ces difficultés non pas avec des injonctions, non pas avec des reconnaissances de service rendu, mais avec de la formation, qui reste aujourd'hui trop descendante. Il faut la revisiter en lien avec les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), avec la recherche et surtout avec les acteurs de terrain, que sont les enseignants eux-mêmes. Si nous les oublions dans la définition de la formation, nous avons peu de chance qu'elle soit efficacement mise en oeuvre sur le terrain.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Je vous rappelle que la loi pour la refondation de l'école de la République prévoit que les enseignants soient « formés par les universitaires dans les ÉSPÉ par l'intervention d'artistes et d'animateurs de la vie populaire, et par l'intervention de maîtres en poste venant assurer des heures pour témoigner de leur pratique ». Nous nous efforçons tous de faire respecter cette loi, ce qui n'est pas facile.

Debut de section - Permalien
Patrick Fournié

Sur la question de l'autorité, à partir du moment où l'institution scolaire, comme toutes les institutions, a perdu de son poids au sein de la société - je ne reviendrai pas sur l'histoire des Trente Glorieuses - le maître se retrouve seul et sa personnalité est de plus en plus engagée dans son métier. Il faudrait, à cet égard, arrêter de dire, comme depuis des années, qu'il faut restaurer l'autorité des enseignants. Cette parole politique est déstabilisante pour l'institution. Au bout de dix ou quinze ans, lorsqu'on se rend compte que l'on en arrive toujours à poser la même question, c'est qu'on s'est planté !

Je vais peut-être vous surprendre, mais je trouve nos jeunes assez calmes et assez dociles. Les problèmes de violence ou d'absentéisme restent finalement assez concentrés. Il n'y pas le feu dans toutes les écoles ! Ce que notre société n'arrive pas à gérer, c'est la transgression et la gestion des phénomènes déviants.

Changement du métier d'enseignant, oui. Cela repose sur une évolution sociologique des personnels : au second degré, les élèves sont confrontés à un certain type de profils ; à l'école élémentaire, les jeunes élèves n'ont quasiment plus de maîtres masculins, 80 à 90 % des instituteurs étant aujourd'hui des femmes. Il ne s'agit pas de porter un jugement de valeur, au contraire, mais c'est une réalité.

Sur les questions de l'autorité et des repères, il importe de différencier l'approche selon les niveaux d'enseignements, les attentes n'étant pas les mêmes à l'école primaire, au collège ou au lycée.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Annick Duchêne

L'un d'entre vous a dit : « cette société n'est plus la leur ». Or, nous avons récemment entendu des philosophes nous dire que l'école était le reflet de la société. Il me semble y avoir aujourd'hui un vrai problème sur ce point.

Il a également été dit que l'enseignant n'est pas le représentant de l'institution, qu'il s'agit d'un individu. J'ai un ami musulman enseignant dont la fille a participé, dans son établissement, à une cérémonie de remise de diplômes, énormément appréciée de tous ses camarades, alors qu'il s'agit de formalisme pur. Dans le métier d'enseignant, il y a une certaine posture à avoir, qu'il représente l'institution ou non. Or, il semblerait aujourd'hui qu'il n'y ait plus beaucoup de posture...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Je voudrais remercier tous nos intervenants pour leurs propos que j'ai trouvés particulièrement intéressants.

Monsieur Fournié, vous nous avez dit que l'enseignement de la langue est essentiel. Je partage votre avis, car comment faire comprendre la morale laïque à des jeunes qui ne maîtrisent pas la langue, qui ne peuvent que difficilement s'exprimer ? Mais alors que faut-il faire ? N'est-ce pas un problème à traiter très tôt ? Au fond, n'est-ce pas le problème le plus important de notre système éducatif ?

Vous avez dit ensuite que l'école ne peut pas refonder à elle seule la République, et j'y souscris. Mais n'est-ce pas là encore le résultat d'un manque non pas de moyens, mais de cohérence entre politiques de la ville, de la famille et de l'école ? On y met beaucoup d'argent, mais les résultats ne sont pas à la hauteur de ce qu'on pourrait en attendre.

Monsieur Tournier, vous avez parlé de hiérarchisation ethnique. C'est vrai, il ne faut pas se le cacher. Ne s'agirait-il pas plutôt de la partie visible de l'iceberg d'une hiérarchisation culturelle beaucoup plus large ?

Vous avez par ailleurs affirmé que notre pays n'aime pas sa jeunesse. Le terme est un peu fort. Je crois plutôt que notre pays donne l'illusion de ne pas aimer sa jeunesse car il ne sait pas répondre aux aspirations, aux inquiétudes voire à la désespérance des jeunes, en matière d'éducation, d'orientation et d'emploi.

Enfin, une petite remarque concernant le choix d'une commission d'enquête, pour prolonger les explications de la Présidente et du rapporteur. En aucun cas, il ne s'agit de stigmatiser qui que ce soit. Nous sommes tous responsables, au premier rang desquels les femmes et les hommes politiques que nous sommes. Nous n'avons pas eu le courage politique de prendre les mesures qui s'imposaient, au lieu de cela on a adopté une succession de réformettes qui ont déstabilisé le système éducatif. Commission d'enquête ou mission d'information ? J'ai participé à toutes les « boîtes à outils » que la Constitution met à disposition du Parlement, et je crois que, vu l'importance du sujet, il s'agissait du moyen le mieux adapté. Ce qui est important en définitive, ça n'est pas la forme mais ce qui ressortira de cette commission d'enquête.

Debut de section - Permalien
Patrick Roumagnac, secrétaire général du syndicat de l'inspection de l'éducation nationale-Union nationale des syndicats autonomes (SIEN-UNSA)

Si on cherche une solution, peut-être ne faut-il pas se tourner exclusivement vers l'éducation nationale, mais plutôt réfléchir à l'association, voire la co-construction, des politiques éducatives locales, en lien avec les responsables de l'éducation nationale et les collectivités territoriales.

Debut de section - Permalien
Philippe Tournier, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale-Union nationale des syndicats autonomes (SNPDEN-UNSA)

Le problème de la maitrise de la langue se pose en tant que tel, pour l'échec scolaire. En revanche, il n'y a pas de superposition entre la carte de l'échec scolaire et la carte de la radicalisation. Les cadres du djihadisme sont des jeunes qui maitrisent l'expression, la culture. Le moteur de leur action n'est pas l'ignorance mais l'écart qu'ils constatent entre leurs espérances et les mécanismes de la société française, dont ils ont l'impression qu'ils les marginalisent.

Debut de section - Permalien
Michel Flores-Garcia, (SGEN-CFDT)

Sur la question de la posture des enseignants, Mme Duchêne, cela a toujours existé. Les élèves apprennent mieux quand ils s'entendent avec leur professeur. Ce qu'il faut plutôt noter est que l'enseignant n'est plus reconnu comme une autorité étatique.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Mme Duchêne vous interrogeait aussi sur le cérémoniel qui sacralise...

Debut de section - Permalien
Michel Flores-Garcia (Sgen-Cfdt)

Des cérémoniels ont été rétablis dans presque tous les établissements...

Debut de section - Permalien
Paul Devin, secrétaire général du Syndicat national des personnels d'inspection-Fédération syndicale unitaire

Monsieur Carle, certes, il ne s'agit pas seulement d'une question de moyens, mais on ne peut pas faire de politique sans moyen. S'agissant de la maitrise de la langue par exemple, il y a besoin de dispositifs spécifiques pour accompagner les élèves étrangers dans l'apprentissage rapide de la langue française à leur arrivée. Quant à la formation, là encore des moyens sont nécessaires. Il faut bien entendu une politique claire, mais écartons l'idée que l'on pourrait tout faire sans moyen.

Debut de section - Permalien
Patrick Fournié

Sur ce point, la réorientation des moyens opérée depuis trois ans sur le premier degré est une bonne chose - et c'est enseignant du second degré qui le dit - et doit être poursuivie. J'adhère, à titre personnel, de plus en plus à ce propos de François Dubet : « on changera davantage l'école en changeant la société que l'inverse ». Voilà la conclusion à laquelle j'en suis arrivé.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Belle conclusion. Je vous remercie beaucoup de votre travail et des idées que vous nous avez apportées.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Mes chers collègues, nous entendons maintenant les organisations syndicales des personnels enseignants du premier et second degrés de l'éducation nationale, représentées par :

- M. Jérôme Legavre, secrétaire fédéral de la Fédération nationale de l'enseignement, de la culture et de la formation professionnelle de Force ouvrière (FO) ;

- M. Frédéric Sève, secrétaire général, et Mme Catherine Nave-Bekhti, professeure au lycée polyvalent Paul Doumer du Perreux-sur-Marne, du Syndicat général de l'éducation nationale (CFDT) ;

- M. Christian Chevalier, secrétaire général du Syndicat des enseignants (UNSA) ;

- M. François Portzer, président national du Syndicat national des lycées et collèges, et M. Pierre Favre, président du Syndicat national des écoles (FGAF) ;

- Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements de second degré et M. Sébastien Sihr, secrétaire général du Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles et des professeurs d'enseignement général de collège (FSU).

Les évènements de janvier et leurs répercussions dans les établissements scolaires, dont vous avez été les premiers témoins, ont conduit cette commission d'enquête à s'interroger sur les conditions dans lesquelles l'école peut assurer sa mission première ; outre la transmission de connaissances, il lui appartient en effet « de faire partager aux élèves les valeurs de la République ». La mobilisation de l'école pour les valeurs de la République annoncée par le ministère de l'éducation nationale va dans ce sens. Les enseignants y jouent évidemment le premier rôle, et nous souhaiterions entendre votre position à ce sujet.

Notre commission d'enquête souhaite également recueillir votre point de vue sur les difficultés que rencontrent les enseignants dans la transmission du savoir ainsi que des valeurs républicaines. Enfin, il s'agit également de nous faire part de votre analyse sur les évolutions nécessaires, afin que l'école contribue à renforcer auprès des jeunes le sentiment d'appartenance à la Nation française et à une communauté de valeurs et d'aspirations.

Avant de vous passer la parole, le formalisme des commissions d'enquête me conduit à vous demander de prêter serment. Je suis également tenue de vous indiquer que tout faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vous invite, à tour de rôle, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité : levez la main droite et dites « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jérôme Legavre, Frédéric Sève, Mme Catherine Nave-Bekhti, MM. Christian Chevalier, François Portzer, Pierre Favre, Mme Valérie Sipahimalani prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Jérôme Legavre, secrétaire fédéral de la Fédération nationale de l'enseignement, de la culture et de la formation professionnelle de Force ouvrière

Il y a urgence à préserver l'école de la République. Pour ce faire, il doit être mis un terme à l'ensemble des politiques d'austérité et de territorialisation de l'école. Les difficultés que rencontrent les enseignants dans l'exercice de leur profession sont les conséquences directes des politiques d'austérité, qui conduisent à une dégradation des conditions de travail. Le bilan social présenté lors du dernier comité technique ministériel fait état de la suppression de 89 000 postes entre 2003 et 2013. La création de 60 000 postes annoncée par le Gouvernement, quand bien même elle serait effective, ne suffirait pas à redresser un ratio d'encadrement qui reste insuffisant. En effet, l'an prochain, ce taux s'élèvera dans le premier degré à un enseignant pour trente-neuf élèves en moyenne. La territorialisation de l'école, notamment par la constitution des projets éducatifs territoriaux (PEDT) issus de la loi de refondation de l'école, a pour effet de la placer sous la coupe des élus locaux et d'en éclater le régime en une multitude de règles locales. Cela nous paraît radicalement contraire à ce que doit être l'école de la République. Cette logique est encore renforcée par la réforme régionale, qui verra la constitution de treize baronnies. Il y aura désormais autant de règles que de territoires et quand la règle de la République est remplacée par des règles locales, il n'y a en réalité plus de règle.

L'ensemble de ces politiques se traduit par un désengagement massif de l'État. L'espace laissé vacant est alors occupé par des associations, par le caritatif, donc en définitive par des intérêts privés, des groupes de pression. Ainsi, dans certaines municipalités comme Paris, des associations en lien avec des églises interviennent parfois dans les écoles dans le cadre des nouveaux rythmes scolaires.

Nous sommes très inquiets des mesures annoncées dans le cadre de la mobilisation de l'école et de ses partenaires pour les valeurs de la République. Il convient tout d'abord de respecter strictement la loi du 9 décembre 1905. Force est de constater que ces mesures vont dans le sens opposé. C'est le cas par exemple de la réserve citoyenne, qui est ouverte à tout citoyen intéressé. Or la laïcité, ce n'est pas tout le monde, tous les groupes de pression à l'école. Quant à l'enseignement laïc du fait religieux, cela me semble un non-sens, la laïcité n'a pas pour objet d'introduire toutes les religions à l'école, mais de n'en admettre aucune. De la même manière, l'enseignement moral et civique introduit un projet pluridisciplinaire qui s'impose à tous les enseignants au mépris de leur liberté pédagogique.

Au moment où on parle de perte des valeurs et des repères républicains, il me semble que la seule réponse est de donner à l'école les moyens de remplir sa mission, qui est d'instruire. Pour ce faire, il faut des postes en nombre suffisant pour que les enseignants puissent exercer dans de bonnes conditions, dans des classes à effectifs moindres. Il faut préserver le statut des enseignants, attaqué de toute part, et augmenter leurs salaires. C'est une priorité. L'ensemble de ces considérations constituent des revendications urgentes, qui nous conduisent à préparer activement la grève du 9 avril prochain.

Debut de section - Permalien
Christian Chevalier, secrétaire général du Syndicat des enseignants (SE-UNSA)

Après les événements de janvier, nous nous sommes rendus compte - notamment à l'occasion de la minute de silence dans les établissements scolaires - que la question des valeurs de la République et celle de la laïcité n'allaient pas de soi, pas plus pour les élèves que pour les enseignants et le personnel éducatif, comme d'ailleurs pour l'ensemble de la société.

Cela ne va pas de soi, en effet, car nos élèves sont divers et variés, aussi parce que nos collègues enseignants se sont souvent retrouvés en difficulté. Plus que la minute de silence elle-même, c'est le temps consacré à sa préparation et au débat avec les élèves qui importe. Nous avons vu des collègues dans l'embarras face à des classes hostiles, ou des collègues qui n'ont pas osé faire la minute de silence. D'autres collègues, notamment dans le second degré, ont parfois considéré qu'il ne leur appartenait pas de faire ce travail et l'ont renvoyé aux professeurs d'histoire-géographie ou aux documentalistes.

Ces exemples mettent en évidence que l'école est en difficulté sur ces questions. Nos collègues sont désarmés, sans doute parce que la formation initiale ne traite pas ces questions, ou tout du moins ne les traite pas suffisamment. Alors que la République et l'école sont intimement liées, les ÉSPÉ, pas plus que les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) avant elles, n'affrontent pas ces thèmes. Il y a là de vrais sujets, notamment sur la manière d'aborder ces questions avec nos élèves, ainsi que sur les aspects méthodologiques du travail en classe, surtout lorsque celle-ci est hostile, en tout ou partie, au discours qui est tenu. Nos collègues nous ont fait part d'un véritable désarroi à ce sujet.

Ces évènements révèlent une lacune, repérée depuis longtemps par les études PISA, de notre système scolaire : on ne débat pas suffisamment à l'école, on ne parle pas assez, on ne sait pas polémiquer, on ne sait pas s'affronter dans des joutes oratoires, on ne sait pas échanger des arguments. Le débat à l'intérieur de l'école, entre les élèves, avec les enseignants mais également entre ces derniers, constitue un enjeu fondamental. Notre école est sans doute beaucoup trop étriquée, trop concentrée sur une approche disciplinaire qui pose des barrières. La question de la mise en oeuvre du « parcours citoyen » à l'école pose aussi celle de son appropriation par l'ensemble des personnels de l'éducation nationale, bien au-delà des seuls enseignants - je pense notamment aux personnels de direction et de vie scolaire, ainsi qu'à ceux des cantines et ceux qui relèvent des municipalités. La question de la citoyenneté doit être l'affaire de tous, pas seulement l'affaire exclusive des enseignants et, encore moins, l'affaire exclusive de l'école.

Debut de section - Permalien
Frédéric Sève, secrétaire général du Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN-CFDT)

J'aimerais tout d'abord vous faire part de mon étonnement sur l'importance qu'a pris l'école dans les médias et le débat public après les évènements de janvier. En matière de traitement médiatique et de réponse des pouvoirs publics, on pourrait même affirmer que, d'une certaine manière, les évènements liés à la minute de silence ont pris la place des attentats. Le recours à cette formule de commission d'enquête en est un signe.

Nous y voyons la marque des rapports compliqués que la société française entretient respectivement avec ses valeurs, sa jeunesse et son école. C'est en éclaircissant ces rapports que l'on pourra répondre aux questions posées par votre commission d'enquête.

Premier rapport complexe, celui qu'entretient la société avec ses valeurs. S'il ne s'agit pas de minorer les débordements qui ont eu lieu, force est de constater que certains comportements mettent tout autant en péril les valeurs de la République que d'autres, pourtant parfois tout aussi répréhensibles - les comportements homophobes, par exemple - alors qu'ils sont perçus comme moins transgressifs. Il convient d'examiner le raccourci médiatique qui s'est opéré entre les attentats de janvier et les troubles liés à la minute de silence, qui se traduit par une dramatisation des incidents. Cette dramatisation fait peser le risque d'une mise en accusation de la jeunesse, non pas au nom des débordements dont elle serait responsable, mais du préjugé selon lequel certains seraient plus loin de l'intégration que d'autres. Les difficultés d'intégration sont le lot de l'ensemble de la jeunesse. Là encore, certaines manifestations de difficultés d'intégration sont davantage mises en avant que d'autres, alors que le rôle de l'école est de les traiter de la même manière.

Deuxième point, le rapport qu'entretient la société française avec sa jeunesse. Je suis sidéré de l'exigence qu'elle manifeste envers elle à l'occasion de cette minute de silence. Cela s'est traduit par une attention démesurée accordée au déroulement de la minute de silence dans les établissements scolaires, avec notamment la présence de journalistes vérifiant qu'il n'y avait pas d'incidents. Quid du reste de la société ? A-t-on manifesté la même exigence envers les adultes ? Or nous ne pouvons pas exiger autant des élèves que des adultes : les élèves sont en situation d'éducation. Je constate que dès que la société française doute d'elle-même, elle se tourne vers sa jeunesse, lui demandant de lui renvoyer une image qui la rassure.

Debut de section - Permalien
Catherine Nave

Bekthi, professeure au lycée polyvalent Paul Doumer du Perreux-sur-Marne, membre du Syndicat général de l'éducation nationale (CFDT). - La société française entretient également un rapport complexe avec son école, qui me semble perpétuellement mise en exergue et en accusation. Le traitement médiatique réservé à la minute de silence dans les établissements en témoigne. L'école fait l'objet de beaucoup d'attentes. On projette aussi sur elle des choses que l'école n'a pas à assumer, dont elle ne peut être tenue responsable. Le partage des valeurs de la République est également trop souvent réduit à une transmission autoritaire de ces dernières. Or les valeurs ne s'imposeront pas aux élèves, elles se pratiquent, se vivent et s'incarnent. C'est comme ça que nous les ferons intégrer à l'ensemble des élèves. Cela interroge aussi l'organisation, le fonctionnement et les finalités de l'école. Il faut que l'école soit exemplaire dans la mise en oeuvre des valeurs républicaines, notamment en tendant vers davantage de mixité sociale entre établissements mais également au sein de ces derniers, entre les classes. L'exemplarité consiste également à lutter contre les inégalités scolaires et principalement contre le décrochage. À supposer que l'école parvienne à mettre en place des structures moins discriminatives, si la société continue de discriminer et ne met pas fin aux pratiques racistes, l'école ne pourra pas tout faire. Elle ne pourra pas empêcher les dérives individuelles à l'issue de la scolarité, ni empêcher certains élèves de penser que les valeurs que nous souhaitons leur inculquer sont sans consistance. Dès lors, il importe de conserver une posture éducative et, comme le disait justement un de mes collègues, de laisser de la place au débat. Transmettre les valeurs républicaines et les faire adopter par l'ensemble des élèves implique d'accepter de débattre avec eux des situations dans lesquelles la société française ne parvient pas à faire vivre pleinement ces valeurs. Il s'agit aussi de leur apprendre à réagir à ces situations de manière républicaine, sans faire preuve de violence face à une société qui peut parfois sembler violente.

Debut de section - Permalien
François Portzer, secrétaire général du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC-FGAF)

Permettez que je commence mon exposé par une brève présentation de notre organisation. Fondé en 1905, le SNALC est le doyen des syndicats de l'enseignement secondaire public. Il est membre de la Fédération générale autonome des fonctionnaires (FGAF). Contrairement à la quasi-totalité de ses concurrents, il ne reçoit aucune subvention de l'État et est totalement indépendant des partis politiques. Aux élections de décembre 2014, la liste qu'il a présentée avec le SNE a obtenu un siège au comité technique ministériel du ministère.

Depuis 1905 le SNALC défend l'école de la République, c'est-à-dire une école ouverte à tous qui permette aux élèves, grâce à leurs efforts et à la mise en valeur de leurs aptitudes, d'obtenir la promotion sociale qu'ils méritent. De ce fait, dès les années 1970, il a été le premier et le seul à dénoncer les dysfonctionnements patents du système scolaire français, mis plus tard en lumière par les évaluations internationales comme PISA et sur lesquels aujourd'hui chacun s'accorde. Soucieux de remédier à la déliquescence d'un système scolaire qui laisse sur le carreau 20 % des élèves, nous avons pris une part active à la refondation de l'école. Ses résultats nous ont aujourd'hui déçus, notamment pour les réformes des rythmes scolaires ou du collège. Syndicat de proposition et non de déploration, nous avons par ailleurs élaboré un projet de réforme clef en main pour le collège, intitulé le « Collège modulaire », et un autre pour le lycée, « le lycée de tous les savoirs », que vous pouvez découvrir sur notre site Internet.

Venons-en à présent à notre analyse de la situation du service public d'éducation suite aux attentats de janvier. Tout d'abord nous voudrions pointer un premier dysfonctionnement : l'éducation nationale a été à nos yeux trop régie par le passé par une culture de l'excuse et une volonté de ne pas faire de vagues. En effet, pour ne pas générer des tensions au sein des établissements difficiles et ne pas rompre une certaine paix sociale, l'institution scolaire, chefs d'établissements en tête, a été marquée par un excès de frilosité. Face à des comportements violents et répréhensibles, les dispositions prises par les ministres successifs, quelle que soit leur couleur politique, inspirées notamment par les travaux de M. Éric Debarbieux et soutenues par la principale association de parents, la FCPE, ont abouti sur le terrain à ce que les conseils de discipline soient de plus en plus rarement réunis et aient du mal à sanctionner les fauteurs de troubles, du fait d'un encadrement juridique de leurs prérogatives de plus en plus complexe. Dans les faits, particulièrement dans les collèges et lycées professionnels les plus difficiles, on se contente bien souvent de ne pas voir ou de ne pas entendre et de réunir des commissions éducatives peu dissuasives pour les élèves. Comme nous l'avons indiqué dès le 12 janvier à la ministre, et nous avons été les seuls à le faire, un fait est révélateur de cette culture du laisser-faire : le rapport de Jean-Pierre Obin énumérait déjà dans sa conclusion toutes les dérives que connaissent aujourd'hui les établissements. Depuis sa parution, il y a onze ans, rien n'a été fait.

Cela nous amène à ce qui constitue pour nous la seconde cause de dysfonctionnement : le refus de l'institution scolaire d'appliquer strictement à l'école publique les principes de la laïcité républicaine. Fondé en 1905, date symbolique pour la laïcité s'il en fut, seul syndicat enseignant à avoir soutenu la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques, se prononçant récemment contre le port du voile pour les mères accompagnant les sorties scolaires dans l'enseignement public ou approuvant la charte de la laïcité que M. Peillon a fait afficher dans tous les établissements publics, le SNALC a toujours milité pour une stricte application de la laïcité républicaine à l'école publique. Pourtant, nous avons pu encore tout récemment dénoncer dans une lettre ouverte au Président de la République et à la ministre de l'éducation nationale, rédigée par notre responsable de l'académie de Strasbourg, M. Jean-Pierre Gavrilovic, de nombreuses entorses à la loi pratiquées en Alsace.

La troisième source de dysfonctionnement provient du fait que la fonction de professeur est matériellement et symboliquement déconsidérée. Le 21 janvier dernier, le Président de la République, lors de ses voeux au monde éducatif, appelait solennellement dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne à restaurer l'autorité des professeurs. Si l'on ne peut manquer d'approuver une telle démarche, elle risque malheureusement de rester lettre morte sur le terrain, d'abord parce que les professeurs sont désormais des travailleurs pauvres et parce que l'institution scolaire ne tient aucun compte de ce qu'ils disent ! Rappelons en effet que dans les années 1960 un professeur certifié gagnait quatre fois le montant du SMIC, aujourd'hui la rémunération d'un jeune certifié, qui a fait cinq ans d'études et passé un difficile concours ne dépasse plus le SMIC que de 11 %. De même, la réforme des rythmes scolaires, que les professeurs des écoles rejettent majoritairement, a été imposée dans l'enseignement primaire et a été appliquée contre leur gré. Parallèlement, alors que la grande majorité des professeurs du secondaire sont attachés à un enseignement disciplinaire, la réforme du collège en cours de négociation s'apprête à remettre en cause les disciplines sans tenir compte de leur avis, comme cela vient d'être fait avec le socle commun adopté par le Conseil supérieur de l'éducation du 12 mars dernier. Autre exemple du mépris de l'institution face au corps enseignant : grâce à un amendement déposé par le SGEN-CFDT - que nous n'avons bien sûr pas voté - et repris par l'administration dans le décret relatif aux nouvelles indemnités pour missions particulières, le comité technique du 11 février dernier a donné aux élèves et aux parents d'élèves le pouvoir de décider du montant de la rémunération des professeurs par leur vote au conseil d'administration des établissements : cette subordination des professeurs aux usagers du système est une première dans toute l'histoire de l'éducation !

Je conclurai en rappelant que ce n'est pas en faisant chanter La Marseillaise aux élèves que l'on remédiera aux dysfonctionnements de l'école mais bien en écoutant davantage les professeurs de terrain et les organisations syndicales qui les représentent.

Debut de section - Permalien
Pierre Favre, président du Syndicat national des écoles-Fédération générale autonome des fonctionnaires (SNE-FGAF)

Par nature, le premier degré a été moins concerné par ces événements que le secondaire. Mobiliser des enfants âgés de 3 à 11 ans autour de cet instant de solennité a été plus facile que pour nos collègues du second degré.

Pour préparer mon intervention, j'ai écouté les personnalités auditionnées par votre commission depuis le 5 mars dernier. Or, les intervenants ont déjà éclairé vos travaux mieux que je ne pourrai le faire : grâce à leurs contributions, il me semble que vous êtes désormais bien au fait de la situation. Il revient aujourd'hui au politique de prendre des décisions. Dans le premier degré, les enseignants ont besoin de s'engager pour faire vivre les valeurs de la République. Cet engagement nécessite un soutien de la part de la hiérarchie et leur autorité a besoin de protection. Notre syndicat sera donc aux côtés des enseignants qui s'engagent et aux côtés de la hiérarchie lorsque celle-ci aura la protection du fonctionnaire chevillée au corps, afin de permettre aux enseignants de parler « haut et fort », comme le prescrivait Jules Ferry dans sa lettre aux instituteurs.

Debut de section - Permalien
Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES)

En avant-propos, je rappellerai que notre syndicat est le syndicat national des enseignements et non des enseignants du second degré. Nous nous sommes d'ailleurs demandés pourquoi votre commission avait choisi de centrer ses débats sur les difficultés rencontrées par les enseignants. En effet, l'ensemble de la communauté scolaire est concernée par ces difficultés. Dans les collèges et les lycées, la question de la vie scolaire se pose fortement et concerne l'ensemble des personnels qui entourent les élèves et non pas seulement les enseignants.

Je souhaiterais, en introduction, faire quelques remarques d'ordre général. Nous savons que la majorité des jeunes passent aujourd'hui par l'école publique. Aussi, s'occuper de citoyenneté et de collectivité à l'école apparaît fondamental. C'est pourquoi il est important de reconnaître à l'école ce rôle au quotidien et non pas quelques jours ou quelques semaines par an, en réaction à l'actualité du moment. Ce travail est déjà réalisé, même s'il n'est pas toujours visible ou assez explicite. L'école doit se donner pour mission de former à l'esprit critique. Le contenu des enseignements ne doit donc pas seulement avoir une visée utilitariste, mais il doit permettre aux élèves de prendre de la hauteur et de nourrir leur réflexion. Le site Eduscol, qui fournit des outils d'accompagnement aux enseignants, précise que la laïcité ne peut pas être imposée, qu'il s'agit d'une notion difficile pour les élèves, qu'elle doit être expliquée. L'école ne doit pas seulement être le lieu d'un « vivre ensemble » contribuant au développement d'un communautarisme, se contentant d'une simple interaction pacifique entre les individus. Elle doit au contraire faire partager un idéal humaniste commun, permettre la construction commune de la société de demain. Cela nécessite un dialogue et non pas simplement de la juxtaposition. C'est à l'école que ce travail peut et doit se faire. C'est pourquoi nous souhaitons exprimer notre satisfaction sur la constitution de cette commission d'enquête.

Par ailleurs, l'école a pour mission de faire comprendre plutôt que de dresser. Certes des savoirs peuvent être enseignés sans faire l'objet d'une contestation, même si certains savoirs scientifiques, je pense à la sexualité ou l'évolution, peuvent être discutés par certains élèves, mais éduquer c'est inscrire les élèves dans la société avec des droits et des devoirs. À la suite des attentats, il a été demandé à l'école d'« inculquer » les valeurs de la République, mais ce terme me semble inapproprié. En effet, il laisse penser que l'on pourrait « inoculer » un vaccin de valeurs. Or, si l'on peut faire partager des valeurs, on ne peut pas les imposer à des élèves qui les refusent.

De nombreux personnels expriment leur besoin d'être formés sur ces questions et soutenus par l'institution. Ce soutien doit être salarial, mais aussi dans les discours, notamment face à des situations difficiles, comme le fut la minute de silence. La majorité des enseignants ont participé avec beaucoup de courage à ce moment, alors qu'ils n'y étaient pas préparés et encore sous le choc, comme l'ensemble des Français et peut-être même le monde entier. Dans certains établissements, certains collègues n'ont pas su réagir dans la mesure où ils étaient eux aussi traumatisés. Or, un professeur de philosophie de Poitiers est passé en commission disciplinaire il y a quelques jours. Nous ne nous pouvons que nous étonner de ce que certains collègues, qui ont eu le courage d'aborder ces questions avec leurs élèves, comme il le leur avait été demandé, aient ensuite été mis au ban de l'institution alors qu'ils n'étaient pas préparés. Si l'on souhaitait une prise de recul sur ces questions, cette minute de silence n'aurait pas dû avoir lieu à chaud.

Les enseignants attendent aussi un soutien politique. Je citerais l'exemple de la théorie du genre. Il s'agit d'une question de laïcité, de savoirs scolaires qui ont été mis en cause par la représentation nationale et le politique. Or, sur ces questions, les enseignants ont besoin d'un soutien dans les faits et contre tous les lobbies.

Par ailleurs, l'école restera désarmée tant que les inégalités sociales seront aussi violentes et que la société ne fera pas vivre ces valeurs. L'école n'est pas un sanctuaire, elle n'est ni la source, ni le remède à tous les maux d'une société plus en plus inégalitaire. Le refus de nombreuses familles d'envoyer leurs enfants dans le collège de leur secteur, la fuite vers le privé ou encore les discriminations à l'embauche vécues par certains jeunes des quartiers sont autant de réalités subies par l'école de plein fouet sans qu'elle ne puisse agir. Il lui est par conséquent difficile de défendre les valeurs de la République alors que ces valeurs ne semblent pas respectées dans le reste de la société. Par conséquent, des mesures doivent être prises s'agissant de la carte scolaire et de la mixité sociale et scolaire. Le décret d'application de la loi de refondation de l'école de la République prévoit la possibilité d'une polysectorisation des collèges. Ces dispositifs peuvent permettre le développement d'une certaine mixité sociale. Cette possibilité est désormais entre les mains des conseils généraux, qu'en feront-ils ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur Sihr, vous êtes arrivé un peu après le début de nos travaux, je suis donc amenée à vous rappeler ce que j'ai dit tout à l'heure à vos collègues, que tout faux témoignage serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité : levez la main droite et dites « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sébastien Sihr prête serment.

Debut de section - Permalien
Sébastien Sihr, secrétaire général du Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles et des professeurs d'enseignement général de collège (PEGC)-Fédération syndicale unitaire (SNUipp-FSU)

Les enseignants de l'école primaire et maternelle ne sont pas moins concernés, ou moins sensibilisés, sur ces questions des valeurs républicaines et de leur transmission. Ces personnels aussi constatent des signes inquiétants. Ce qui s'est passé sur les ABCD de l'égalité constitue une remise en cause de l'école dans sa capacité à faire cohésion. Il s'agit d'indications qu'il faut prendre au sérieux. Après les événements de janvier, l'école s'est retrouvée soudainement sur le devant de la scène et parfois même mise à l'index. Il est important de rappeler que l'école ne peut pas porter seule la responsabilité de régler certains problèmes de la société. Si l'école est apparue fracturée lors de la minute de silence, c'est parce que la société est elle-même fracturée. Certaines familles et certains jeunes vivent l'entre soi dans des quartiers de relégation sociale. Or, il est difficile de transmettre les valeurs de la République quand celles-ci ne sont pas vécues dans les faits. Il nous faut donc travailler de concert afin de mettre en place à la fois des mesures relatives à l'école et des mesures sociales. La politique de la ville et la mixité sociale doivent, de ce point de vue, constituer deux priorités, car la cohésion sociale et la cohésion scolaire vont de pair. La pression qui s'exerce sur l'école est en réalité liée à la crise sociale et à la difficulté rencontrée par de nombreuses personnes à trouver un travail. Ces attentes de plus en plus fortes pèsent sur les enseignants, les écoles et nourrissent une angoisse scolaire chez certaines familles. Il ne s'agit pas d'attendre d'avoir réglé l'ensemble des problèmes de la société avant de se demander ce que l'école peut faire, cela serait évidemment désastreux mais, à l'inverse, il me semble irréaliste de demander à l'école de tout faire. L'école a un rôle à jouer, mais il faut en définir les contours.

Il me semble tout d'abord indispensable d'alléger la pression sur l'école. On a le sentiment que l'école est « bombardée » d'annonces. Un certain nombre de problèmes de société se traduisent en commandes éducatives. Pour répondre au problème de l'obésité, il est demandé à l'école de proposer une éducation à la santé. Face à l'augmentation des accidents de la route, l'école doit proposer une initiation à la prévention routière. Même chose s'agissant du développement durable. Ces sujets sont évidemment importants, mais cette multiplication des commandes « charge la barque ». Dès que des difficultés sont constatées, on se retourne vers l'école. Au moment où de nouveaux programmes doivent être mis en place, au sein de l'école élémentaire et du collège notamment, il me semble important de saisir l'occasion pour mettre de la cohérence, mieux articuler les enseignements afin d'éviter un phénomène de sédimentation.

La formation initiale doit en outre constituer une véritable priorité. Il y a, en la matière, un long chemin à parcourir. Le bilan de la mise en oeuvre de la formation initiale dans un certain nombre d'ÉSPÉ semble quelque peu laborieux. Par ailleurs, la formation continue est totalement à l'arrêt. Un effort de l'éducation nationale est nécessaire dans ce domaine, qui ne doit pas uniquement porter sur la question de la laïcité.

Il me semble par ailleurs nécessaire de ne pas exclure les parents, qui sont des partenaires indissociables de l'éducation et de la réussite scolaire. Nous ne sommes, de ce point de vue, pas favorables à une modification de la circulaire sur les accompagnatrices de sortie scolaire voilées. Un point d'équilibre semble avoir été trouvé, il ne serait pas donc judicieux de les éloigner de l'école en leur interdisant d'accompagner des classes, des enseignants, leurs enfants à l'occasion de sorties scolaires au musée ou à la piscine, par exemple. Il faut en effet se garder de reléguer ces mamans dans la sphère privée, dans l'ombre, alors qu'elles ont leur place à l'école.

Enfin, la question de la réussite des élèves est indissociable de celle des apprentissages. Les valeurs républicaines sans les apprentissages n'ont aucun sens. Le nouveau programme d'éducation morale et civique ne doit pas être un catéchisme républicain. Il doit se vivre en actes, au sein de l'école et être directement rattaché aux apprentissages, à la capacité des enfants à maîtriser la langue, à progresser.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Je souhaiterais vous poser trois questions.

Tout d'abord, la perte ou non-reconnaissance d'autorité des enseignants et le défaut de discipline peuvent-ils expliquer la perte de repères républicains ? Comment restaurer l'autorité de l'enseignant ?

Par ailleurs, au-delà des moyens, comment donner aux enseignants et à l'école, la possibilité de mieux former des citoyens ? Monsieur Sihr, vous avez rappelé que l'on demande toujours plus l'école, par facilité, mais aussi parce que cela permet de toucher directement la population des jeunes. Le service militaire avait, de ce point de vue, une fonction importante dans ce « brassage » de la jeunesse.

Enfin, la troisième question m'a été transmise par la présidente de notre commission, notre collègue Françoise Laborde. S'agissant du premier degré, les écoles doivent-elles disposer de plus d'autonomie ? Faut-il élargir la composition du conseil d'école, en l'ouvrant par exemple aux autres intervenants à l'école ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Sihr, secrétaire général du Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles et des professeurs d'enseignement général de collège (PEGC)-Fédération syndicale unitaire (SNUipp-FSU)

Sur la question de l'autorité, je pense qu'il y a un travail externe et interne à réaliser. Il me semble tout d'abord indispensable de revaloriser le métier d'enseignant aux yeux de l'opinion publique. La question salariale est, de ce point de vue, l'un des aspects de cette revalorisation, même si elle n'en est évidemment pas le seul. Je rappelle cependant que les comparaisons internationales montrent, qu'à qualification égale, le salaire des enseignants est plus faible dans notre pays. Les enseignants du premier degré subissent même un déclassement salarial.

Au plan interne, il convient de rappeler que l'autorité ne se décrète pas. Celle-ci se travaille et se vit au sein de l'école au quotidien. Ainsi, la question de la minute de silence a pu constituer un symbole fort pour les lycéens et les collégiens, mais pour des enfants de 3 ans et demi, elle ne revêtait aucun sens. Il me semble que, plus que le silence, c'est bien la parole qui eût été cruciale. Il convenait de mettre des mots sur le ressenti des élèves et de parler avec eux de ce qu'ils ont pu entendre dans leur famille. Le rôle de l'école est de mettre des mots, de la cohésion. La formation doit permettre aux enseignants d'être des médiateurs, d'animer des débats philosophiques, de faire de l'enseignant un référent au quotidien.

Debut de section - Permalien
Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES)

S'agissant de la perte et de la non-reconnaissance de l'autorité, comme vient de l'exprimer mon collègue, il me semble que l'autorité ne se décrète pas, mais qu'elle peut être soutenue. On entend en permanence dire que l'école ne fait pas son travail. Un glissement est dès lors facile : la faillite de l'école est en réalité celle des enseignants qui ne font pas leur travail. Il convient de se méfier d'un discours volontiers flagellatoire. Un travail important doit être mené autour de la règle et de son respect. Il est par exemple souhaitable que le règlement intérieur soit revu en commun par la communauté éducative afin qu'il puisse être compris des élèves, des personnels et des parents d'élèves. La charte de la laïcité, malgré des faiblesses, constitue aussi une intéressante base de travail.

S'agissant de la pédagogie, il serait nécessaire de mener une réflexion s'appuyant sur les apports des sciences de l'éducation et de la sociologie. Dans un contexte où la formation initiale est en pleine reconstruction et la formation continue en berne, nous souhaitons que l'enseignant puisse disposer de tous les outils dont il a besoin pour assurer ses activités pédagogiques. Je ne dis pas que les classes ressemblent à des cours magistraux, mais il semble nécessaire de favoriser le débat. Or, les enseignants ne sont pas formés à cela et manquent de temps. En effet, le contenu des enseignements est tellement dense, qu'il leur est difficile de prendre du temps pour organiser des temps de discussions, alors qu'ils n'en ont pas suffisamment pour boucler leur programme. Il me semble donc nécessaire de libérer du temps pour favoriser le dialogue et la discussion.

S'agissant de la participation des élèves à la vie des établissements, il existe déjà des délégués de classe ou encore des délégués des lycéens au conseil académique de la vie lycéenne. Néanmoins, force est de constater que ces instances ne fonctionnent pas très bien. On ne peut obliger des élèves qui privilégient, à juste titre, leur scolarité, à s'investir davantage dans ces structures. Il faudrait qu'ils aient le sentiment que le bon fonctionnement de ces instances favorisera leur réussite.

Debut de section - Permalien
François Portzer, secrétaire général du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC-FGAF)

Selon nous, l'école primaire doit revenir aux enseignements fondamentaux et le collège doit organiser des petits groupes de rattrapage au bénéfice des élèves n'ayant pas les acquis nécessaires. Les réformes actuelles ne vont malheureusement pas dans ce sens.

S'agissant de l'autorité, le principal problème à nos yeux est que l'institution ne soutient pas suffisamment les enseignants. J'en veux pour exemple l'impossibilité pratique de faire redoubler un élève, la suspicion portée sur certains collègues victimes d'une agression, ou encore le fait qu'à présent, ce sont les conseils d'administration des établissements qui déterminent les rémunérations liées aux missions particulières.

Debut de section - Permalien
Pierre Favre, président du Syndicat national des écoles-Fédération générale autonome des fonctionnaires (SNE-FGAF)

L'autorité n'implique pas la violence, mais permet au contraire de prévenir la violence. On peut effectivement considérer que la perte de certains repères républicains sur le long terme coïncide avec un déclin de l'autorité, qui pourrait être reconstruite en agissant sur quatre leviers : la restauration des sanctions, le maintien d'une certaine distance évitant toute familiarité entre enseignants et élèves, la maîtrise de la langue par les élèves qui seule permet la compréhension et les échanges, enfin une certaine « verticalité » appuyée notamment sur quelques rituels invitant l'élève à respecter l'environnement éducatif.

Certaines prises de position de notre organisation montrent bien que l'autonomie est un concept qui nous parle et nous sied. Cependant, il serait dangereux de pratiquer l'autonomie s'agissant des valeurs républicaines, qui ne peuvent se prêter à des interprétations différentes selon les académies ou les établissements. Les chefs d'établissements ont déjà la possibilité de solliciter ponctuellement des personnes extérieures lors des conseils d'école, mais autonomie ne signifie pas « multi-entrisme ».

Debut de section - Permalien
Catherine Nave-Bekhti

Permettez-moi de m'interroger sur les questions qui viennent de nous être posées et qui me semblent sortir de la problématique de votre commission d'enquête, dont j'avais compris qu'elle avait été créée à la suite des incidents survenus lors des minutes de silence organisées après les attentats de janvier dernier.

Ceci dit, ces questions sont importantes et il serait bon que l'école, qui est une institution « vivante » en perpétuel renouvellement, se les pose en permanence dans la mesure où des réponses définitives et immuables sont impossibles.

Sur la question de l'autorité, les cinéphiles reconnaîtront que l'école des 400 coups, de L'argent de poche ou de Zéro de conduite, n'existe plus, d'ailleurs a-t-elle réellement existé ? Les temps changent et certaines conceptions de l'autorité sont peut-être à remettre en perspective. L'autorité se distingue de l'autoritarisme. Elle est une construction collective impliquant toute l'équipe éducative et, dans une certaine mesure, les élèves, qui peuvent être amenés vers l'acceptation de l'enseignement.

Une classe qui travaille peut être une classe bruyante où les échanges s'effectuent dans l'écoute et dans le respect de l'autre, ce qui prépare les élèves à devenir des citoyens. Plus qu'aux procédures et aux rites, nous croyons à la collaboration et aux projets dans la préparation à la citoyenneté.

Debut de section - Permalien
Frédéric Sève, secrétaire général du Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN-CFDT)

La question de l'autorité ne doit pas être abordée d'un point de vue individuel susceptible de mettre les personnes en cause et en difficulté, mais selon une approche collective. C'est une question organique qui concerne le fonctionnement de toute une communauté.

On a évoqué l'élargissement du conseil d'école, dont l'une des fonctions est de valider la politique éducative d'un établissement en permettant à l'environnement de bien la comprendre. À chaque nouveau degré d'autonomie accordé, on doit se poser la question du cadre dans lequel sont discutées les décisions prises.

Debut de section - Permalien
Christian Chevalier, secrétaire général du Syndicat des enseignants (SE-UNSA)

Dès que l'on parle d'autorité d'aucuns se contentent d'agiter des gri-gris républicains tels que l'apprentissage de La Marseillaise ou le respect du drapeau tricolore. Or on s'aperçoit, à l'occasion par exemple de grandes manifestations sportives internationales, que la jeunesse connaît La Marseillaise et fait très bien la différence entre le drapeau français et les autres.

La vraie question à poser est celle de la démocratie et de la participation des uns et des autres à la vie de l'établissement, ceci depuis l'école maternelle jusqu'au collège ou au lycée où sont mises en place des instances dédiées. La nation doit faire confiance aux enseignants et aux élèves, plutôt que de fantasmer sur une école-image d'Épinal, dont il faut rappeler qu'elle excluait très rapidement les élèves en difficulté ou qui créaient des difficultés. C'est l'honneur de l'école de la République que de s'efforcer de mener tous les élèves à la réussite.

La référence au « récit national » me met personnellement mal à l'aise, dans la mesure où ce récit se construit en fonction de choix qui sont des choix politiques.

Les établissements du premier degré étant déjà relativement autonomes, je soupçonne que cette question ne contienne une arrière-pensée liée au modèle de fonctionnement des écoles, ce qui est un autre sujet, d'ailleurs assez clivant. Dois-je relier cette question au fait que nous allons être entendus ici même au Sénat dans un autre cadre sur les conseils d'école ?

Debut de section - Permalien
Christian Chevalier, secrétaire général du Syndicat des enseignants (SE-UNSA)

Pour conclure je voudrais relever que les maires ou les conseillers municipaux, représentants républicains par excellence, étaient souvent présents lors des minutes de silence organisées dans les établissements.

Debut de section - Permalien
Jérôme Legavre, secrétaire fédéral de la Fédération nationale de l'enseignement, de la culture et de la formation professionnelle de Force ouvrière

On ne peut nier que la remise en cause des valeurs républicaines se nourrisse de la crise économique et sociale, dans la mesure où l'inégalité est perçue comme le nouveau paradigme omniprésent.

Dans un contexte d'austérité, l'allocation des moyens en fonction de critères territoriaux, qui est l'une des dernières réformes conduite par la ministre, n'a pour seul résultat que de mettre en concurrence les établissements entre eux.

L'autorité des enseignants ne sera pas restaurée en introduisant à l'école des questions qui n'ont rien à y faire, car selon Jean Zay, cité récemment par François Hollande : « l'école doit rester l'asile inviolable où les conflits des hommes ne doivent pas pénétrer ». Elle ne sera pas non plus restaurée face à des classes en sureffectif. En outre il est difficile pour un jeune certifié de se poser en pilier de la République en percevant, en début de carrière, un traitement inférieur au seuil déterminé par l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale pour vivre décemment.

S'agissant de la formation des élèves, il conviendrait de rétablir les heures de cours de français, de ne pas renoncer à la logique de l'enseignement des disciplines au profit d'un socle informel qui ressemble à un fourre-tout.

Je ne suis pas certain d'avoir bien compris la question relative à l'autonomie, mais notre organisation n'approuve pas, par exemple, la possibilité laissée aux collèges de déterminer 20 % du cursus de leurs élèves.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Il est vrai que la question de l'autonomie relève d'un autre débat, qui pourra être discuté dans un autre cadre.

Par ailleurs, le sens de notre question sur le déclin de l'autorité était celui d'un lien possible entre ce phénomène et la perte supposée des repères républicains.

Je remercie chacun d'entre vous pour votre liberté de parole et la franchise de vos réponses.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Annick Duchêne

Je me félicite, moi aussi, de la sincérité des réponses qui nous ont été apportées.

Le temps périscolaire ayant été évoqué par certain, il faudrait trouver le moyen d'apaiser certaines tensions qui ont pu voir le jour entre les enseignants et les intervenants extérieurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

S'agissant des activités périscolaires, l'un d'entre vous a évoqué la possibilité, de fait, laissée à certains acteurs extérieurs ne respectant pas les valeurs de la République d'intervenir auprès des élèves, y compris des associations cultuelles. Si vous disposez d'informations précises sur des faits avérés, vous voudrez bien les communiquer à la commission d'enquête.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Nous terminons cette séance avec les fédérations de parents d'élèves de l'enseignement public et privé, représentées par :

- M. Guillaume Dupont, vice-président de la Fédération des conseils de parents d'élève (FCPE) ;

- Mme Valérie Marty, présidente nationale de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) ;

- Mme Caroline Saliou, présidente et M. Christophe Abraham, secrétaire général adjoint de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL).

L'école est fortement concernée par les questionnements induits par les attentats de janvier dernier ainsi que par les incidents recensés au sein des établissements scolaires à l'occasion de la minute de silence. Est-il facile pour elle de jouer pleinement son rôle de creuset de la citoyenneté et de lieu de transmission des valeurs de la République ?

À l'instar de la laïcité ou de la liberté de conscience, certaines de ces valeurs sont-elles menacées ? Des enseignants voient-ils le contenu de leur enseignement parfois remis en question ? M. Jean-Pierre Obin, entendu récemment par notre commission d'enquête, va jusqu'à dire qu'une partie de la jeunesse « fait sécession », en se coupant de la Nation française et de la République.

L'institution scolaire, objet de fortes attentes de la part des familles, a-t-elle encore toute leur confiance ? Qu'en attendent-elles ?

La loi de refondation de l'école prévoit que soient fortement associés les parents d'élèves. C'est une des mesures phares du plan de mobilisation de l'école pour les valeurs de la République. Notre commission d'enquête a ainsi souhaité vous entendre pour recueillir votre position sur l'état actuel de la transmission de ces valeurs, dont la laïcité, ainsi que sur les mesures qu'il conviendrait d'envisager.

Avant de vous passer la parole, le formalisme des commissions d'enquête me conduit à vous demander de prêter serment. Je suis également tenue de vous indiquer que tout faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

En conséquence, je vous invite, à tour de rôle, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité : levez la main droite et dites « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guillaume Dupont, Mme Valérie Marty, Mme Caroline Saliou et M. Christophe Abraham prêtent serment.

Compte tenu du nombre élevé d'intervenants, ce dont je me félicite, je vous propose de nous faire part, chacun à votre tour, de vos observations durant sept minutes, après quoi notre rapporteur, Jacques Grosperrin, et les membres de la commission qui le souhaitent pourront vous poser leurs questions. Chaque représentation disposera d'un temps global de cinq minutes pour y répondre. J'insiste sur l'importance que revêt le respect des temps de parole, afin que tous puissent s'exprimer et nourrir un échange constructif.

Debut de section - Permalien
Caroline Saliou, présidente de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL)

L'APEL représente toutes les familles de l'enseignement privé, quelle que soit leur origine sociale ou confessionnelle. Elle est une organisation apolitique et non confessionnelle qui regroupe près de 880 000 familles. Elle comprend 6 500 associations présentes au sein de 5 000 écoles, 1 600 collèges et 1 100 lycées. Des milliers de bénévoles participent aux projets éducatifs des établissements. Je rappelle qu'en 1967, lors de son congrès de Lyon, l'APEL a initié la notion de « communauté éducative ».

Après les évènements de janvier et les incidents qui ont suivi ou accompagné la minute de silence, une réflexion s'est engagée sur l'école qui n'est pas fermée mais accueille les maux de la société. Cette école doit répondre en matière éducative aux attentes fortes d'un pays qui croit en elle. Nous avons confiance en l'école et en ses enseignants. Je rappelle que dans la grand majorité des établissements, la vie est sereine et les enseignants dynamiques, motivés et heureux.

L'école peut s'attacher à améliorer l'appropriation des valeurs démocratiques et républicaines. Elles doivent être déclinées au sein du projet d'établissements car elles doivent être vécues. Les « grands mots » apparaissent désuets aux élèves et ne les convainquent pas. Ce sont des consciences à éveiller, des expériences à vivre tout au long de la journée et de l'année scolaires. L'APEL n'est pas favorable à un temps d'enseignement spécifique qui pourrait s'avérer superficiel. Elle s'attache à développer une vision de la personne et des rapports d'humains, à aider les jeunes à bâtir un projet personnel.

L'accueil de chacun, l'attention à tous, en particulier aux plus fragiles, les instances de concertation, la réécriture des projets d'établissement, la journée des communautés éducatives, la démarche d'accompagnement et d'orientation, la reconnaissance des parents, l'animation de la vie scolaire, les rencontres parents-école : voilà, pour l'APEL, autant de kits sur plusieurs thèmes spécifiques, comme l'autorité, la transmission des valeurs, etc. L'APEL les a retravaillés ces dernières années avec ses partenaires pour attirer l'attention des communautés éducatives et leur fournir des pistes de travail. L'APEL a participé depuis un an à une contribution de l'enseignement catholique à l'enseignement morale et civique prévu par la loi de refondation de l'école, dont j'ai un exemplaire. Selon les propres mots de M. Pascal Balmand, secrétaire général de l'enseignement catholique, « la morale que nous nous efforçons de porter est la morale de la confiance contre les peurs, une morale de la dignité de la personne contre toutes les discriminations, une morale du partage contre les replis sur soi et, pour tout dire, une morale de la dignité, de l'amour ».

Je tiens à insister sur les liens entre les familles et l'école. Les parents, premiers et ultimes éducateurs, et les enseignants, à qui ils confient leurs enfants, doivent se rapprocher. Dans une société en bouleversement, la posture des éducateurs, parents et enseignants, doit changer : ils doivent plus et mieux se parler pour accompagner les jeunes. Accompagner les jeunes vers l'autonomie - j'entends la capacité à diriger sa vie, faire des choix, être responsable, ne pas remettre sur autrui les conséquences de ses actes - ne veut pas dire abandonner les jeunes mais les suivre avec bienveillance sur les chemins de l'autonomie. C'est leur permettre de croire en eux et en l'avenir, leur donner des repères mais aussi la motivation et l'estime de soi nécessaire. C'est aussi les mettre en garde contre les pièges - la société de consommation, l'argent facile, la mode, etc. - qui peuvent finalement brider l'autonomie. Selon un sondage publié lors de notre dernier congrès, 85 % des parents se disent intéressés par des lieux de dialogue avec les enseignants pour mieux se comprendre et travailler dans le même sens. L'éducation à la liberté, l'apprentissage du sens critique et du savoir être sont des enseignements fondamentaux pour aider les jeunes à se construire et préparer la société de demain.

Debut de section - Permalien
Guillaume Dupont, vice-président de la Fédération des conseils de parents d'élève (FCPE)

La FCPE a toujours été un membre de la communauté éducative exigeant envers l'école publique. Depuis longtemps, elle estime que l'école fabrique en son sein des inégalités et ne remplit pas la promesse républicaine qu'elle fait aux familles. Si le but de l'école est bien de former les citoyens de demain, elle forme des citoyens inégaux, trahissant ainsi l'égalité.

La FCPE partage les valeurs de l'enseignement public depuis sa création : elle défend au quotidien, sur le terrain comme dans les instances qui en sont en charge, une école publique, laïque, gratuite et ouverte à tous.

Une école publique est la seule capable de réunir tous les élèves, non pas en fonction de particularismes tirés de leur origine ou de leur croyance, mais comme des élèves unis vers un but commun, celui d'apprendre, de se former et de devenir des citoyens éclairés et conscients de leurs choix.

Une école laïque, ouverte à tous, réunit en son sein des individus différents mais unis par la République, condition du vivre ensemble dans le respect. Elle permet de considérer un élève avant tout pour ce qu'il est et pas pour ce qu'il croit ou qu'il ne croit pas.

Nous croyons en l'école gratuite, enfin, car c'est la condition d'accès de tous à ce service public, sans que les familles doivent débourser quelque argent pour que leurs enfants accèdent aux enseignements. Pourtant, nombre de familles ne peuvent faire manger leurs enfants à la cantine ou les faire bénéficier des transports scolaires par manque de moyens. La gratuité réelle de l'école doit permettre de lutter efficacement contre les déterminismes sociaux qui condamnent des enfants dès le plus jeune âge, afin d'offrir à tous les enfants les moyens de leur émancipation.

Ces valeurs républicaines qu'incarne l'école publique sont aujourd'hui montrées du doigt et l'école parfois rendue responsable, à entendre certains commentateurs, de ne pas transmettre ses valeurs.

Il convient de nuancer quelque peu cette affirmation péremptoire. Malgré son rôle de transmission des valeurs de la République, l'école ne peut, à elle toute seule, porter ses valeurs et les faire vivre. Comment faire comprendre à des élèves l'égalité filles-garçons quand la société française s'accommode des inégalités salariales entre les femmes et les hommes ?

Inculquer ces valeurs est d'autant plus dur lorsque l'école reproduit des inégalités. Dès le plus jeune âge, les enfants sont classés, triés, jugés, notés afin de les situer dans l'échelle de la classe. Les bons d'un côté, à qui l'on promet de grandes carrières, et les moins bons de l'autre, à qui on laisse entendre qu'ils ne comprennent pas.

Inégalités sociales et spatiales également quand on regroupe dans les mêmes écoles des élèves dont les parents ont le même statut social, habitent dans les mêmes lieux, créant des écoles de riches et des écoles de pauvres. Là aussi, est-ce la faute de l'école ou la faute de la société si l'on se retrouve aujourd'hui avec des quartiers entiers peuplés de gens exerçant les mêmes professions ou confrontés aux mêmes problèmes ?

Ces inégalités spatiales sont aussi vécues dans de nombreux territoire où il n'existe tout simplement pas d'école publique, laissant la place aux écoles privées avec l'impossibilité pour les enfants d'accéder à un enseignement au sein de l'école de la République.

L'école reproduit des inégalités mais n'en porte pas seule la responsabilité : l'école n'est pas un sanctuaire sous cloche où la société inégalitaire resterait à la porte. L'école a le devoir de faire vivre les valeurs de la République, mais la société a le devoir de faire respecter ses valeurs, sous peine de voir les futurs citoyens s'en détourner, faisant quotidiennement l'expérience de leur irréalité.

L'école trie, classe et reproduit une élite, souvent blanche, issue du même milieu social et des mêmes quartiers, prouvant l'irréalité des valeurs républicaines inculquées à l'école. Si ce modèle élitiste fonctionne et si ses bénéficiaires font l'honneur à la République, il a un revers cruel. Chaque année, 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans aucune qualification. Toute leur vie sera dictée par cette sentence implacable.

Faire vivre les valeurs de la République passe par la lutte contre ces inégalités, ce qui suppose de les incarner, les expliquer, les comprendre et en faire l'expérience. Ce travail inlassable revient aux enseignants qu'on a pensés suffisamment armés pour l'accomplir. Trop longtemps, la République a cru que ses valeurs allaient de soi, qu'il suffisait de les répéter à l'envi pour que mécaniquement elles s'appliquent.

Le réveil a été brutal en ce mois de janvier et si, de manière quasi générale, les commémorations se sont bien passées, il y a eu parfois des incidents. Faire porter ces incidents sur la responsabilité des enseignants serait une faute, tout autant que ne pas s'interroger sur leurs causes. Faire passer des valeurs n'est pas aisé et s'apprend. Aussi, la République a le devoir de former les enseignants à débattre, à manier dans la classe ces valeurs, à les confronter au vécu des élèves et à les rendre vivantes et tangibles mais aussi, à une époque de surexposition médiatique, à confronter les élèves à ce qu'ils voient, à leur apprendre à questionner ce qu'ils lisent, à hiérarchiser les informations et à y porter un regard critique. Les enseignants ne peuvent être des « supers héros républicains » qu'on appellerait quand le reste de la société ne remplit plus son rôle. Pareillement, on ne peut demander aux seuls professeurs d'histoire de s'occuper de cela. C'est un parcours long qui doit s'inscrire dans toute la scolarité et qui doit être vécu par les élèves à chaque instant.

La transmission des valeurs de la République passe également par les parents, à travers la coéducation. Pour la FCPE, c'est reconnaître le partage des responsabilités éducatives entre parents et enseignants et favoriser le plein épanouissement de la personnalité de l'enfant, pour le préparer à prendre sa place dans la société en citoyen libre et responsable. Il faut rapprocher les parents de l'école, particulièrement les plus éloignés de l'école pour recréer le lien distendu.

La FCPE défend l'idée de donner aux élèves les moyens d'expérimenter les valeurs républicaines au quotidien pour qu'elles prennent toute leur force.

Il est fondamental de développer la démocratie de participation au sein des établissements par la reconnaissance et la valorisation de l'engagement des élèves dans les instances de la vie scolaire. Il faut leur offrir des espaces de discussion, d'échanges et de débats et aux délégués élus, il convient d'offrir des temps d'information et une véritable formation afin qu'ils maîtrisent les enjeux de leur mandat.

Ce développement passe aussi par une plus grande implication des élèves dans l'élaboration des règles communes qui régissent la vie scolaire - règlement intérieur, échelle des sanctions, projet d'établissement - permettant que les règles soient mieux acceptées et respectées.

Enfin, l'école doit être un lieu d'ouverture et doit reconnaître l'engagement des élèves. Cela passe par la reconnaissance et l'encouragement des associations de jeunes au sein de l'établissement, que ce soit pour la vie d'un journal ou pour toute activité culturelle, de sport ou de loisir.

C'est en les donnant à voir, à toucher, à expérimenter que les valeurs de la République se renforceront. Charge à l'institution scolaire de proposer des cadres dans lesquels les faire vivre.

Il faut aussi se battre au quotidien pour faire vivre la laïcité, valeur aujourd'hui utilisée à tort et à travers, parfois accompagnée d'un adjectif mélioratif ou péjoratif, parfois comme une arme contre les croyances. Ces contresens manifestes desservent ses défenseurs. Loin d'être une contrainte, la laïcité est la condition du vivre ensemble, l'acceptation des différences mêlée à la volonté farouche de trouver en chacun ce qui rassemble, ce qui permet de se définir en tant que citoyen avant de se définir en tant que croyant ou non croyant. Elle est l'incarnation de la volonté des hommes de s'administrer par eux-mêmes, elle est la condition de l'émancipation et un signal envoyé au monde.

La laïcité doit se vivre au quotidien. La FCPE se bat pour qu'une école publique existe dans chaque territoire, qu'elle dispose des moyens de former tous ces futurs citoyens et qu'elle transmette les valeurs de la République à chaque instant. Se battre pour plus d'école publique, c'est se battre pour plus de République.

Debut de section - Permalien
Valérie Marty, présidente nationale de la fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP)

Suite aux évènements et perturbations des classes, nous avons adressé un questionnaire à nos adhérents sur les incidents, et sur la charte de la laïcité, pour savoir si elle avait été transmise et avait donné lieu à un temps d'échanges. 14 % des réponses relevaient des incidents à la suite de la minute de silence. La charte était connue des parents et plus ou moins des élèves, car elle est accrochée dans l'établissement mais sans donner lieu à une explication particulière. Sur ce point essentiel, les familles constatent qu'aucun travail particulier n'est fait à l'école. Nous souhaitons qu'une diffusion de la charte soit assurée chaque année à travers le carnet de correspondance et que lors de la réunion de rentrée, elle soit évoquée comme un élément du règlement intérieur. D'expérience - et c'est regrettable - la laïcité est un concept personnel.

L'école doit s'ouvrir aux parents et être plus transparente. Ses règles doivent être connues pour être partagées. Pour les parents, l'école doit être exigeante : les règles doivent être explicités et respectées par tous : enseignants, personnels, élèves. Elle doit être également exigeante sur les savoirs.

Les valeurs de la République doivent être rendues compréhensibles, visibles vécues, réaffirmées et partagées.

Des parents suggéraient de faire célébrer des évènements qui rassemblent notre patrie. Il faut surtout rassembler une communauté éducative qui n'existe pas dans les faits. Il faut célébrer la réussite des élèves - remise de diplômes, présentation de projets, etc. - pour se réunir autour de points positifs et non pas seulement négatifs.

S'impose également la réforme de l'enseignement civique qui reste très technique et animé par les professeurs d'histoire-géographie. Il doit associer tous les enseignants. La réforme du collègue, à travers les enseignements pluridisciplinaires, doit être l'occasion d'avoir un enseignement plus concret et plus présent.

L'essentiel est d'intégrer les parents à l'école : nous devons sentir que nous appartenons à l'école. Il convient de réformer les réunions de rentrée dans les établissements scolaires. Des alternatives sont possibles, comme le démontrent les initiatives de certains chefs d'établissement, avec des débats, une autre manière de parler aux parents.

Le pays compte de nombreux bénévoles, porteurs d'exemplarité. On peut ainsi s'inspirer d'expériences déjà mises en oeuvre, que des parents d'élèves bénévoles pourraient venir présenter dans d'autres établissements. Notre fédération avait également imaginé la création d'un comité d'éthique et de citoyenneté au niveau national, qui pourrait répondre aux questions de parents et organiser des projets rassemblant tous les acteurs.

Enfin, il nous semblerait important de réformer la discipline scolaire, afin de renforcer le sentiment d'équité et de justice au sein des établissements scolaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

J'aurais deux questions.

Tout d'abord, constatez-vous une dégradation du climat scolaire dans les établissements, liée notamment aux manifestations d'appartenance religieuses ainsi qu'à l'étiolement de l'autorité des enseignants et de la discipline ?

Ensuite, la restauration de l'autorité des enseignants constitue un sujet important et récurrent de nos débats. Certains d'entre eux considèrent que la place croissante accordée aux parents d'élèves tend à saper cette autorité. Comment impliquer davantage les parents d'élèves sans porter atteinte à l'autorité du corps enseignant ?

Ces interrogations sont liées à notre thème de la perte des valeurs républicaines.

Debut de section - Permalien
Caroline Saliou, présidente de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL)

Nous n'avons pas le sentiment d'une véritable dégradation du climat scolaire. Il y a certes quelques incidents, dans certains établissements, qui touchent également l'enseignement catholique. Cette dégradation n'est toutefois pas spécifique à l'école, il s'agit d'un fait de société plus large. Je crois en outre que le phénomène est très largement amplifié dans l'opinion, et alimente le discours de tous les acteurs, parents, enseignants et élèves. On ne parle que de ce qui ne va pas, alors qu'on a de nombreux témoignages d'enseignants qui vont bien et entretiennent de bonnes relations avec les familles et les jeunes. Il faut être attentif au message diffusé sur l'école.

S'agissant de la place des parents à l'école, il est vrai que des familles craignent encore d'entrer dans l'école et que certains enseignants souhaiteraient maintenir les parents en dehors de la classe. Comme on l'entend dans tous les grands discours, la relation parents/enseignants doit être renforcée.

Je partage les grandes réformes proposées par les ministres successifs de l'éducation nationale pour la refondation de l'école, mais je regrette qu'elles minimisent le rôle des parents d'élèves. Il ne suffit pas d'accompagner les parents et de leur expliquer le fonctionnement de l'école ; il faut les laisser être force de proposition.

Debut de section - Permalien
Christophe Abraham, secrétaire général adjoint de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL)

On a effectivement constaté des incidents, il ne faut pas le nier. Dans certains établissements, les enseignants n'ont même pas osé aborder le sujet, ni faire la minute de silence. Ils se retrouvent sont souvent seuls face à ces maux de la société, et manquent probablement de formation, voire de recul. Or, les difficultés surviennent en l'absence de discussion. Il est donc essentiel que la communauté éducative dans son ensemble n'interrompe pas le dialogue avec les jeunes.

Sur le risque de perte de l'autorité des enseignants, ma réponse, vous l'imaginez, ne peut pas être positive ! Bien évidemment, une place importante doit leur être accordée. L'APEL a initié l'idée d'une communauté éducative dès 1967 et je ne crois pas que son développement au sein de l'enseignement catholique ait conduit à une remise en cause de l'autorité des enseignants. Les deux éducateurs, que sont les parents et les enseignants, doivent se rapprocher et il importe que des lieux soient mis en place pour faciliter le dialogue, pour le bien-être de tous les jeunes.

Debut de section - Permalien
Guillaume Dupont, vice-président de la Fédération des conseils de parents d'élève (FCPE)

Sur le terrain, on y est souvent ! Je vais vous raconter ce qui s'est passé la semaine dernière dans un collège de 110 gamins, situé dans un quartier difficile. Le principal a invité tous les parents, personnellement, à une rencontre autour d'un café, à laquelle aucun d'entre eux ne s'est rendu. Plutôt que de rester sur un constat d'échec, la fédération de parents d'élèves et la communauté éducative sont entrées en contact avec la maison de quartier, qui a assuré un rôle d'intermédiaire auprès des parents pour l'organisation d'une nouvelle rencontre. Nous attendons encore des réponses, mais plusieurs familles ont déjà confirmé leur présence.

On s'est ainsi aperçu que la masse de l'institution face à la fragilité de certains parents empêche le dialogue et contribue à dégrader le climat scolaire, dans le sens où l'absence des parents de l'enceinte scolaire conduit les élèves à penser que tout y est permis. L'école doit vivre avec les parents, notamment dans les établissements en difficulté. Les fédérations de parents d'élèves doivent remplir un rôle de tuteur, si besoin via les maisons de quartier, afin de vulgariser l'institution scolaire et d'expliquer aux familles la nécessité du dialogue avec l'école. Elles peuvent aussi utilement accompagner les parents à participer aux conseils d'administrations des écoles.

On pourrait penser que les problèmes se limitent aux établissements urbains, situés dans les quartiers difficiles. En milieu rural également, où les établissements publics sont parfois absents, la clandestinité des parents d'élèves est une réalité au quotidien. Dans mon département, en Maine-et-Loire, 64 % des établissements sont privés et nous sommes obligés de nous rencontrer dans des lieux de fortune - des garages par exemple - lorsqu'on souhaite discuter d'école publique et de laïcité.

Le climat à l'école ne se dégrade pas, il se clive, entre le public et le privé, au niveau des élèves, au niveau des populations, au niveau politique. C'est la société dans son ensemble qui se dégrade.

Debut de section - Permalien
Valérie Marty, présidente nationale de la fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP)

Sur le climat scolaire, les difficultés existent sans aucun doute, mais les chefs d'établissement et les enseignants tendent, depuis un moment, à les dissimuler, pour ne pas faire trop de vagues. Nous souhaitons fermement que les problèmes soient mis en lumière et que les difficultés soient traitées dans les établissements, au fur et à mesure, sans attendre, en collaboration avec les parents et les enseignants.

En ce qui concerne l'autorité, les enseignants ont le sentiment de ne pas être respectés par les parents, par la société. Il y a un déficit de confiance entre les parents et les professeurs. L'école française a eu du mal à évoluer avec la société et se referme en conséquence de plus en plus. La place des parents d'élèves n'est pas bonne...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Quand vous dites « de plus en plus », entendez-vous que l'on assiste à une détérioration de la place des parents ?

Debut de section - Permalien
Valérie Marty, présidente nationale de la fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP)

Oui. J'ai le sentiment que plus l'école va mal, plus la place des parents est remise en cause. L'école, face à ses difficultés, tend à se replier sur elle-même.

Debut de section - Permalien
Caroline Saliou, présidente de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (APEL)

Je souhaite rebondir sur les propose exprimés par Guillaume Dupont et Valérie Marty.

Nous pensons aussi, comme M. Dupont, que le recours à des associations extérieures pour approcher les parents d'élèves est une solution intéressante. En tant que représentants de parents, nous avons la responsabilité de faire entrer les parents dans l'école. Nous ne disposons pas forcément du savoir-faire ni des moyens adéquats, mais nous pouvons effectivement nous associer avec d'autres structures.

En ce qui concerne la confiance parents/enseignants évoquée par Valérie Marty, l'école catholique a la spécificité de reconnaitre un statut aux parents d'élèves au sein de la communauté éducative. Ceci dit, si la relation fonctionne au niveau national, régional, départemental, les échanges sur le terrain, avec les enseignants, peuvent s'avérer moins aisés. Lors de notre dernier congrès au printemps dernier à Strasbourg, consacré au thème « Parents d'élèves, métier d'avenir », nous avons proposé la signature d'un contrat de confiance entre l'enseignant, les parents et l'élève. Cette proposition a été depuis reprise par l'enseignement catholique et a donné lieu à la création d'un groupe de travail. L'idée est que chacun retrouve sa juste place au sein de la communauté éducative.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Merci à tous. Nous avons tendance à entendre dire que la communauté éducative n'existe pas. Je pense toutefois que votre apport était important, car nous n'entendons peut-être pas suffisamment les parents.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Je vous remercie pour vos contributions. Nous y sommes très sensibles. Ce que vous avez dit est précieux, que ce soit sur les solutions à mettre en oeuvre, sur la question des territoires où la parole laïque entre parents ne trouve pas de lieu institutionnel pour s'exprimer ou sur la dégradation du climat scolaire que vous pointez du doigt. Je vous rappelle que le Sénat a adopté un amendement, repris par l'Assemblée nationale prévoyant la mise en place d'un lieu dédié aux parents dans l'ensemble des établissements scolaires. Nous avons voté plein de belles choses, que nous avons parfois du mal à faire vivre !

La réunion est levée à 19 heures.