Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 24 mars 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse »

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Je n’ignore nullement les impératifs de protection de la société qui s’imposent à l’État, plus particulièrement en ces temps troublés par la perpétuelle menace d’attaques terroristes, et la nécessité, dans ce contexte, de mettre en œuvre des dispositifs de lutte contre l’incitation à la violence et la propagande sur internet.

J’alerte aussi sur une potentielle dérive dans l’utilisation des outils mis en place au regard de la liberté de la presse. Bien sûr, cette liberté, dont doit continuer de jouir tout journaliste, ne peut faire l’économie de la déontologie de l’information. La recherche du « scoop » à tout prix fait parfois oublier l’indispensable vérification des informations : souvenez-vous de l’annonce erronée par l’Agence France-Presse du décès de Martin Bouygues…

Les journalistes doivent être responsabilisés, mais également identifiés en tant que tels sur le web, afin que l’internaute puisse juger aisément de la fiabilité d’une information. À cet égard, l’équilibre économique des organes de presse en ligne constitue un enjeu majeur pour garantir, dans la durée, la diffusion d’une information professionnelle de qualité, au sein d’une myriade de sites et de blogs amateurs.

Un juste équilibre doit donc être trouvé entre liberté et sécurité : il est à cet égard indispensable que les dispositifs de sécurité sur internet tiennent compte des spécificités du métier de journaliste, notamment de la nécessaire protection des sources.

La Cour européenne des droits de l’homme ne dit pas autre chose lorsque sa jurisprudence rappelle régulièrement que les États membres du Conseil de l’Europe ont l’obligation de créer un cadre normatif permettant d’assurer la protection efficace de la liberté d’expression des journalistes sur internet et, plus largement, de l’ensemble de leurs citoyens. Ainsi, dans son premier arrêt portant sur le blocage de l’accès au web, rendu en décembre 2012, elle a conclu à la violation, par la Turquie, de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la liberté d’expression, estimant notamment que les mesures limitant l’accès à des contenus sur internet doivent se fonder sur une loi suffisamment précise et être accompagnées d’un contrôle juridictionnel. Prenons garde à ce que notre propre législation ne s’éloigne de ces principes.

La France ne doit pas renier l’esprit de la loi de 1881 et doit demeurer fidèle à ses engagements internationaux en faveur de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Rappelons que, il y a moins d’un an, au mois de mai 2014, nous avions activement soutenu l’adoption, par l’Union européenne, de lignes directrices pour les droits de l’homme consacrées à la liberté d’expression en ligne et hors ligne.

Il convient d’éviter, à mon sens, les distinctions artificielles dans l’exercice des libertés d’information et d’expression en fonction du support de diffusion des contenus. Le caractère diffus d’internet ne doit en aucun cas servir de prétexte à l’instauration de nouvelles limitations en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales, s’agissant notamment du droit de recevoir et de communiquer des informations.

Madame la secrétaire d’État, il incombe à l’État de protéger ces libertés, à l’instar de celle des journalistes d’exercer leur métier en toute indépendance. À cet effet, au-delà de la législation applicable, il est indispensable d’instaurer un dialogue avec les autres acteurs de la gouvernance d’internet, y compris les grandes entreprises du numérique. À défaut, la garantie d’une libre circulation des informations sur internet et de la proportionnalité des mesures de restriction qui, parfois, s’imposent ne pourra être effective.

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