Intervention de Pierre Charon

Réunion du 24 mars 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse »

Photo de Pierre CharonPierre Charon :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, lorsqu’internet est né, le monde s’est émerveillé. C’était la promesse d’un espace d’échange d’informations, de communication et même d’éducation. En réalité, internet est une perpétuelle révolution pour l’humanité et, surtout, la promesse d’un espace de liberté absolue s’affranchissant de toutes les frontières, géographiques, juridiques, voire morales.

Pour la presse, internet est un outil essentiel et une promesse de développement, en particulier dans les pays où la liberté d’expression est bafouée. En cet instant, permettez-moi de rendre hommage à tous les journalistes qui, parfois, risquent leur vie pour exercer leur métier.

En 2015, soit plus de trente ans après sa création, internet offre au monde un autre visage : celui d’un espace sans foi ni loi, permettant la diffusion du pire de ce que l’humanité a pu produire. Internet favorise l’expression de tous, peu importent leur opinion et leurs croyances. Aujourd’hui, le pire a atteint son paroxysme.

Les islamistes les plus radicaux ont épousé le projet politique d’instaurer un califat mondial, assassinant quiconque s’y opposerait, mais l’État islamique mène aussi une autre guerre, dont le théâtre ne connaît pas de frontières : le web leur permet de bénéficier d’une existence médiatique sans limites.

Dès lors, internet n’est plus un simple moyen de communication ; c’est une sphère d’expansion inouïe, où les propagandes les plus fanatiques peuvent être distillées en toute légitimité.

Pis, internet est un « sergent-recruteur » aussi discret qu’efficace, comme en témoigne le nombre de jeunes Français partis faire le djihad. C’est un outil de radicalisation et de recrutement de terroristes en herbe. Internet est aussi la sphère d’une tragique émulation, d’une macabre concurrence entre mouvances terroristes.

Lors de la tuerie de Charlie Hebdo, l’un des auteurs de ce crime affreux n’a pas hésité à faire la publicité de son appartenance à Al-Qaida au Yémen. La diffusion de vidéos insoutenables et la mise en scène de l’exécution des otages sont des exemples de cette ignoble politique de communication.

Dès lors, internet est une « couveuse » pour apprentis terroristes, un vivier pour les ennemis de la liberté, laquelle est pourtant l’un des fondements de notre République.

Aujourd’hui, internet est un nouveau théâtre d’opérations dans notre lutte contre le terrorisme. Ne nous y trompons pas, l’objectif des terroristes est de mettre à l’épreuve les démocraties dans ce qu’elles ont de plus cher : l’attachement aux libertés publiques, dont la liberté de la presse est l’un des fleurons. Oui, elle est une conquête, une belle conquête, achevée sous la IIIe République par sa grande charte qu’est la loi du 29 juillet 1881, mais elle reste fragile : aujourd’hui, elle est détournée sciemment.

La problématique est claire : comment concilier ce précieux acquis de la loi de 1881 avec la diffusion de publications glorifiant le génocide des chrétiens d’Orient et des Yézidis en Irak, la destruction de lieux de culte et les autodafés de livres ancestraux ?

Pouvons-nous laisser fleurir et prospérer sur internet, au nom de cette liberté, ce type de littérature, dont les atours sont les mêmes que ceux de nos magazines électroniques ? Il s’agit d’éviter ce piège intellectuel qui tend à opposer liberté et sécurité. On ne peut glorifier la liberté jusqu’à la déraison.

Notre responsabilité est de comprendre les enjeux du terrorisme et d’y répondre sans nous renier. Ainsi, la vraie question dépasse celle de la seule liberté de la presse sur internet ; la vraie question, c’est celle de la gouvernance d’internet et des actions que peuvent mener tant les responsables politiques que les grands acteurs du web. À cet égard, je veux saluer l’initiative de M. Cazeneuve, qui s’est entretenu avec les représentants des géants de l’internet que sont Facebook et Google.

En France, des mesures pour bloquer les sites internet faisant l’apologie du terrorisme ont été adoptées, et je m’en réjouis. C’est un signe fort envoyé à nos concitoyens, mais aussi aux terroristes. Internet ne doit pas rimer avec impunité. C’est également la preuve que nous prenons nous aussi notre part de responsabilités sur le web.

Il n’est pas envisageable que les publications de l’État islamique en langue française, téléchargeables par un simple « clic », puissent être à la portée de tous, en particulier des plus jeunes.

Néanmoins, une autre question se pose pour nos services de renseignement. Ces publications et ces sites nous permettent aussi de remonter des filières entières et de démontrer les connections existant entre les différents réseaux. Supprimer ces sites et empêcher la diffusion de ces publications ne nuirait-il pas en définitive à nos services ? Je ne le crois pas, à condition que nos agents disposent de toutes les ressources techniques et logistiques.

En outre, l’action de la France ne peut être isolée. Il faut mettre en place une politique européenne, à tout le moins, et même mondiale.

Souvenons-nous que tous les supports d’information peuvent être utilisés à de mauvaises fins. Une radio a poussé à la perpétration du génocide rwandais. Si la radio a pu servir d’instrument de destruction, il en va de même pour internet : n’importe quel médium peut véhiculer la haine.

Nous ne pouvons nous abriter derrière la liberté de la presse et la loi de 1881 pour justifier notre passivité. La liberté de la presse est au service de l’homme, de la promotion de sa dignité et de sa conscience, et non pas de sa destruction et de desseins nihilistes. Donner aux terroristes l’accès à cette liberté, ce n’est plus défendre la liberté : c’est la confier à ses fossoyeurs.

Nous devons être vigilants, car nous avons vu que n’importe quel support peut être utilisé à des fins de radicalisation. Des jeunes ont succombé à la violence et au djihad par l’exploration du web et la consultation de sites. Leur voyage virtuel a ainsi débouché sur une violence réelle.

Notre arsenal législatif doit donc être adapté et modernisé. Plus généralement, soyons vigilants : la responsabilité n’est pas la censure, car la liberté est inséparable de la dignité humaine.

N’attendons pas. Ne nous laissons pas enfermer dans des querelles qui nous conduiraient à détruire la liberté sous prétexte de la défendre. Ne laissons pas les libertés devenir l’instrument de leur propre disparition !

Je récuse toute contradiction qui nous empêcherait justement de combattre le terrorisme au nom du respect de la liberté de la presse. Aussi je soutiens, avec le groupe UMP, toute initiative sérieuse pour promouvoir une liberté responsable, une liberté vigilante, et non pas une liberté à genoux.

Enfin, je ne doute pas que, lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, nous serons au rendez-vous pour créer les conditions de la sauvegarde de la liberté de la presse et de la loi de 1881, qui nous est si chère, pour la concilier avec une autre liberté : celle de vivre en sécurité.

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