Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 24 mars 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse »

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Toutefois, dans ce climat parfois délétère, il faut se garder de répliquer à l’extrémisme par des mesures extrêmes et rapides. La maturité démocratique d’un État s’estime à l’aune de sa capacité à répondre avec sang-froid, réflexion, pondération et retenue.

C’est pourquoi, par exemple, la future loi relative au renseignement devra maintenir un certain équilibre entre efficacité opérationnelle et sauvegarde des libertés fondamentales.

Au lieu de « détricoter » la loi de 1881, il convient, me semble-t-il, de la préserver, peut-être de le renforcer, mais, surtout, de l’adapter à internet.

En effet, en un sens, internet et la loi sur la liberté de la presse sont inextricablement unis par l’esprit libertaire qui les caractérise. Ils sont avant tout des instruments au service de l’un des « droits les plus précieux de l’homme », en l’occurrence la « libre communication des pensées et des opinions », affirmée à l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cependant, en lien avec les « solitudes interactives », les pseudonymes qui masquent les véritables identités, les écrans qui s’interposent comme des barrières protectrices, le sentiment d’impunité croît dans l’espace du web, ce qui favorise la prolifération de discours nauséabonds, tant sur les forums que sur les réseaux sociaux.

Dans ce contexte, il serait peut-être opportun de réfléchir précisément à la notion d’ordre public numérique, afin que l’espace internet ne soit plus synonyme d’impunité pour les individus, tout en étant évidemment régi par des considérations englobant l’ensemble des droits fondamentaux.

Par-delà la belle loi sur la liberté de la presse, le dispositif du II de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, obligeant les acteurs d’internet à coopérer avec les autorités judiciaires et administratives pour permettre l’identification de personnes ayant contribué à la création de contenus illicites, doit, à terme, s’imposer aux grandes entreprises américaines qui hébergent des discours de haine sur leurs sites et qui revendiquent l’extranéité juridique, eu égard au lieu de domiciliation de leur siège social. Le dialogue avec ces hébergeurs, entrepris par le ministre de l’intérieur, est une première étape vers la régulation de l’espace internet.

Pour autant, l’arsenal répressif ne sera jamais suffisant. Il faut s’attaquer aux racines des maux et donc toujours s’attacher à l’éducation. En matière de numérique, la réflexion interministérielle doit continuer à prospérer. À mon sens, il serait bénéfique que le plan numérique, qui verra le jour d’ici à 2016, comprenne un volet relatif à la formation des élèves à l’utilisation d’internet afin de leur apprendre à appréhender cet espace, à exploiter ses ressources et les informations qu’il contient. L’objectif est qu’ils s’approprient ce formidable outil, tout en ayant conscience de la responsabilité citoyenne qui est la leur quand ils participent à l’« expression publique généralisée ». Les mots ont un sens, et toutes les opinions ne se valent pas ; l’expression de certaines d’entre elles constitue même un délit. Internet n’est pas une zone de non-droit.

Enfin, que l’on me permette de souligner l’importance de la responsabilité éthique et déontologique de certains journalistes, que nous rappelle le traitement par certaines chaînes de télévision des événements récents.

Madame la secrétaire d’État, peut-être faudrait-il distinguer entre ce qui relève de la liberté d’expression des individus et ce qui relève de celle des médias ? Quoi qu’il en soit, on perçoit une fois encore, mes chers collègues, que, dans tout débat de société, les réponses sont affaire d’équilibre et de positionnement du curseur.

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