Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 24 mars 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse »

Axelle Lemaire, secrétaire d'État :

C’est pourquoi – et M. Robert Hue l’a souligné – il faut certainement réformer l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, afin d’imposer notre loi territoriale à tout opérateur étranger qui s’adresse à un public français. Il ne faut pas le faire uniquement sous l’angle jurisprudentiel, sous l’angle de la sanction des clauses abusives en droit de la consommation. Il ne s’agit pas pour autant, comme M. Mézard l’a fort bien dit, de privatiser la justice française ; il s’agit bien de responsabiliser l’ensemble des acteurs concernés.

À cet effet, il est urgent d’ouvrir un dialogue permanent avec les plateformes étrangères, en vue d’établir des règles communes et acceptées de tous ; il faut créer un espace de dialogue en France, et non pas dans la Silicon Valley.

Oui, madame Morin-Desailly, les grandes plateformes doivent être plus collaboratives : elles doivent faciliter à la fois le retrait des propos et l’action de la police et de la justice en France.

Il nous faut aussi renforcer les moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une politique ambitieuse : il faut plus de personnes, plus d’équipements et des dispositifs de signalement plus simples. Vous l’imaginez bien, la productivité humaine nécessaire au traitement des signalements actuels par PHAROS a ses limites !

C’est avec détermination que le Gouvernement lutte contre le sentiment d’impunité qui a trop souvent cours et qu’éprouvent ceux qui vont jusqu’à faire l’apologie du terrorisme.

L’objectif de lutte contre la diffusion de ce type de propos est triple : il s’agit, bien sûr, d’assurer la sécurité publique et la sanction des atteintes à la dignité humaine, de lutter contre l’autoradicalisation et la mise en lien par les réseaux, mais aussi de lutter directement contre les mouvements fondamentalistes.

La communication est à la fois l’arme et la composante première du terrorisme, qui se différencie des autres formes de criminalité en ce qu’il recherche la publicité pour se légitimer, qu’il utilise des vecteurs de propagande, d’apologie et de provocation qui sont systématisés, qui font partie intégrante de la stratégie de l’État islamique ou d’Al-Qaïda.

La loi sur le terrorisme permet ainsi de recourir aux moyens spéciaux d’enquête de l’antiterrorisme et de mettre fin à une situation qui n’était pas normale. La France était en effet le seul pays de l’Union européenne où la répression de la provocation aux actes de terrorisme relevait encore de la loi sur la presse. Vous avez eu raison, monsieur Charon, de souligner l’action du Gouvernement en ce domaine.

S’agissant de l’application de la loi sur le terrorisme, lorsque nous aurons le recul nécessaire, nous devrons déterminer si elle est correctement appliquée. Cela signifie qu’il faut l’appliquer sans céder aux passions, qu’il s’agisse de la fermeture administrative de sites internet ou de la répression par l’emprisonnement de ceux qui tiennent des propos d’apologie du terrorisme.

Plus largement, gardons à l’esprit que faire disparaître et sanctionner un propos sur internet, ce n’est qu’un premier pas. Pour ne pas se contenter d’intervenir a posteriori, il faut inventer une citoyenneté numérique. C’est bien par l’éducation et la pédagogie que nous empêcherons, en amont, la propagation de propos racistes et antisémites. Nos enfants ne doivent pas être des consommateurs passifs qui ne savent pas « digérer » l’information qui vient à eux ; au contraire, dans cet environnement numérique, ils doivent devenir des citoyens lucides et critiques.

C'est d’ailleurs tout le sens des mesures annoncées par la ministre de l’éducation nationale, qui s’est associée avec la ministre de la culture pour proposer des modifications appelées à être intégrées dans les programmes en vigueur à compter de la rentrée de septembre 2016. Au-delà du déploiement des réseaux, de l’équipement en outils adaptés et de la formation des enseignants, le numérique à l’école doit aussi passer par l’éducation au numérique.

Enfin, dernier élément pour lutter contre les discours de haine, il faut produire des contre-discours. Ces initiatives doivent venir de la société civile. L’identification par le mouvement Anonymous des comptes Twitter de Daech en est une. Il se trouve que, dans ce qui était ma circonscription – l’Europe du nord –, l’élaboration des politiques de construction de contre-discours en ligne avec la société civile fait partie des stratégies des gouvernements nationaux. J’aimerais que l’ensemble des citoyens se saisissent de ces enjeux.

Internet est un outil formidable d’information, d’expression et d’émancipation, mais ce n’est qu’un outil. Chacun d’entre nous doit apprendre à l’utiliser. Le Gouvernement doit aussi empêcher que cet outil soit perverti, dévoyé, sabordé. La lutte contre les propos illicites sur internet doit devenir l’affaire de tous, dans le respect des libertés fondamentales.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce domaine, il faut certes légiférer d’une main tremblante, mais notre main doit ensuite être ferme dans l’application des décisions prises.

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