Notre politique d'aménagement du territoire est totalement inadaptée aux réalités d'aujourd'hui. Elle est fondée sur des paradigmes complètement dépassés dans un monde globalisé, internationalisé et mondialisé. La France n'a pas pris en compte cette réalité. Le Parlement, dans une sagesse sans doute involontaire, vote une loi chaque année depuis vingt-cinq ans, concernant les territoires. Si ces lois avaient fait la preuve de leur efficacité, nous le saurions et nous aurions des taux de chômage beaucoup plus faibles. Même si certains articles peuvent être justifiés, ces différentes lois relèvent plutôt d'un « prurit législatif » que de la nécessité de permettre à nos territoires d'être mieux gouvernés. Elles sont fondées sur quatre leurres, auxquels je répondrai par quatre propositions.
Le premier leurre est celui de la métropolisation. On ne peut nier ce phénomène depuis les années 1990, lié à la montée du tertiaire qui s'est localisé dans les villes et à la nécessité de connexions pour les entreprises. En même temps, cette métropolisation - c'est-à-dire le fait d'être une grande ville - n'entraîne pas automatiquement de l'attractivité. Cette dernière dépend aussi de la gouvernance territoriale et du climat entrepreneurial. S'il suffisait d'être une grande ville pour être attractif, Paris devrait être la ville la plus attractive d'Europe, puisqu'il s'agit de la plus peuplée. Or ce n'est pas le cas : l'Île-de-France est à la treizième place des régions de France en termes de taux de croissance ces dernières années. Un rapport récent montre que Paris perd régulièrement des centres de décision, ce qui est dramatique : il ne s'agit pas uniquement de la perte de cadres supérieurs, mais de l'ensemble des emplois induits.
Le deuxième leurre est celui de la logique centre/périphérie. Cette idée du « big is beautiful », avec des rayons d'influence les plus longs possibles, a conduit au mécano institutionnel actuel. Tout ce raisonnement repose sur des critères d'unité urbaine et d'aire urbaine, élaborés par l'INSEE, qui sont extrêmement critiquables : ils sont présentés comme objectifs, mais sont en réalité fondés sur des normes quantitatives extensives. En réalité, l'espace vécu par nos contemporains est de plus en plus de nature réticulaire et non radiale. Or nos lois sont élaborées comme s'il y avait partout des centres qui dominaient des périphéries et comme si ces périphéries n'existaient que dans leur rapport avec le centre. Cela ne correspond pas à la réalité du terrain !
Le troisième leurre est celui de la multiplication des schémas, une maladie que je qualifierais de « schématique aigue ». Le temps consacré, par les élus et par leurs collaborateurs, à rédiger ces documents, est d'une efficacité limitée. Ces schémas ne sont souvent que la copie d'un document voisin et ont une utilité pratique extrêmement réduite. Les territoires n'ont pas besoin de schémas, mais de projets. Ce n'est pas la même chose !
Le quatrième leurre est celui de la recentralisation. Qu'ils soient de droite ou de gauche, les textes des quatre dernières années s'inscrivent manifestement dans l'idée selon laquelle la recentralisation est la meilleure formule pour améliorer l'aménagement du territoire en France. Or on sait que cette recentralisation est vouée à l'échec, il suffit de se souvenir de l'épisode des directives territoriales d'aménagement dans la loi de 1995. La France est le seul pays démocratique qui pense que la recentralisation va améliorer la vie de ses territoires.
Quelle réponse apporter à ces quatre leurres ? Une bonne politique d'aménagement du territoire doit permettre d'améliorer la gouvernance territoriale et non de créer un mécano institutionnel chronophage, remis en cause tous les ans à travers les différentes lois votées.
À mon sens, l'égalité numérique devrait être l'article premier d'une loi d'aménagement du territoire digne de ce nom. Il s'agit là d'un rôle régalien par excellence, même si l'État a tendance à se défausser sur les collectivités territoriales. Heureusement, certaines d'entre elles ont été très dynamiques sur ce sujet ! Nous avons connu l'époque de la fracture téléphonique, il ne faut pas recommencer la même erreur avec le numérique. L'État doit assumer son rôle.
Deuxièmement, lorsque l'on regarde les territoires en difficulté, comme certaines communes de Seine-Saint-Denis, on constate que le principal problème est le manque d'égalité financière. Le cadre législatif actuel considère que le montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) par habitant doit varier selon le nombre d'habitants des territoires, sous prétexte qu'il y aurait des frais de centralité dans les communes les plus peuplées. Cela n'est pas faux, mais doit être mis en relation avec les économies d'échelle résultant d'une densité élevée de population, notamment pour la rentabilité des équipements et des infrastructures. En réalité, cette inégalité en matière de DGF, allant du simple au double avec des effets de seuil qui créent des inégalités supplémentaires, ne se justifie pas. L'égalité financière est absolument nécessaire. Elle ne se fera pas immédiatement, mais doit être prévue sur cinq ou six ans. Au lieu de cela, on invente des systèmes de péréquation qui sont de véritables usines à gaz !
Le troisième élément est la recherche de la démocratie, c'est-à-dire de la subsidiarité institutionnelle. On a multiplié le nombre de formules juridiques d'intercommunalité : communauté de communes, communauté d'agglomération, communauté urbaine, métropole. Les citoyens sont perdus ! Il faudrait une unique formule d'intercommunalité, dont chaque territoire déclinerait librement l'organisation et les compétences en fonction des réalités du terrain.
Enfin, une réforme de l'État est absolument nécessaire pour accompagner cette subsidiarité. Il faut revenir sur les textes « centralisateurs » comme la loi NOTRe, où beaucoup d'articles associent systématiquement le préfet à chaque prise de décision. Malgré la décentralisation, on continue à maintenir des doublons qui coûtent cher et dont les Français se plaignent.
En conclusion, nos territoires ont besoin de stabilité et de visibilité. On est dans un mouvement brownien permanent depuis 25 ans. Pour leur permettre d'être bien gouvernés, il faut que le système institutionnel ne soit pas sans arrêt bouleversé par des décisions jacobines. Si l'on reprend l'exemple de l'intercommunalité, le seuil est défini par l'État central alors que les régions pourraient tout-à-fait assumer ce rôle. Un toilettage de notre législation est absolument indispensable pour corriger les abus de normes.