Intervention de Valérie Mancret-Taylor

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 25 mars 2015 à 9h15
Nouveaux défis de l'aménagement du territoire — Table ronde

Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région d'Île-de-France :

Je vous remercie d'avoir convié notre Institut d'urbanisme de Paris à cette rencontre. Je m'efforcerai d'être concrète et de vous donner une image positive de l'aménagement du territoire.

Nous sommes dans un monde en transition et les questions que vous posez sur l'aménagement du territoire s'inscrivent fondamentalement dans ce contexte. Comme il a été dit précédemment, nous traversons une crise de sens. Le sens de l'aménagement du territoire au début du XXIème siècle dans nos pays occidentaux est une question que nous devrions examiner plus attentivement.

Avec cette crise de sens, doublée du désespoir d'une partie de la population, notre pays connaît une forte progression du vote contestataire qui ne se manifeste pas toujours dans les territoires que l'on aurait imaginés. C'est pourquoi l'examen de ce qui se passe dans la société française est fondamental pour appréhender la notion d'aménagement du territoire.

Stéphane Rozès nous a dit « il y a des choses qui vibrent, qui bougent et qu'on ne maîtrise pas », ce qui est, selon moi, un bon signal, même si sa traduction démocratique est insatisfaisante.

Dans ce monde globalisé, nous devrions aussi regarder ce que l'on dit de la France à l'étranger. La presse étrangère, notamment anglo-saxonne, regarde notre pays comme un territoire en transition où il se passe des choses très intéressantes, du point de vue de nos modes de gouvernance, de la décentralisation que nous avons mise en oeuvre et de la recomposition des liens entre les collectivités territoriales et l'État. Par exemple, au Royaume-Uni, on a particulièrement observé la structuration métropolitaine du territoire du Grand Paris, très différente de celle du Grand Londres.

Ensuite vient la question de notre vision de l'aménagement du territoire : quelle peut-elle être dans un pays déjà fortement aménagé, très développé et riche ? Les futurs grands développements démographiques et économiques n'auront plus lieu ici et les vastes opérations d'aménagement se réaliseront sur d'autres continents.

En Europe, nous sommes confrontés à d'autres défis, plus complexes, car nous devons intervenir dans un milieu occupé et déjà aménagé. Les projets que nous mettons en oeuvre viennent compléter et améliorer ce qui a été réalisé par le passé, tout en prenant en compte l'acceptation sociale de ces projets.

La vision n'est donc pas simplement un dessin, elle est aussi un dessein, qui s'exprime autant par les mots que par le dessin lui-même. De ce point de vue, il y a aussi une crise de sens dans la façon dont les acteurs dialoguent entre eux pour pouvoir déterminer ce dessein.

Une autre question qui se pose est celle du territoire : qu'est-ce qu'un territoire ? Je dirais que c'est un sol sur lequel habitent des individus. Ce sol est différent selon les lieux, et les liens entre ces lieux ne sont pas seulement les infrastructures mais aussi les liens entre les personnes. Si les individus qui habitent ces lieux ont des envies de lieux différentes, cela n'est pas à mettre en opposition, mais plutôt à examiner attentivement. Alors que 85 % de la population est dite urbaine, on peut vouloir vivre dans un milieu très urbain, mais aussi dans ce que l'on appelle un milieu périurbain et ces deux notions sont complémentaires.

Pour l'Île-de-France, par exemple, au tournant du XXIème siècle, les trois exécutifs (national, régional et parisien) se sont saisis du devenir du territoire et ont mené des actions parallèles mais complémentaires, chacun avec les instruments dont il disposait. Que l'on y adhère ou non, il y a véritablement eu un projet pour ce territoire et une prise de conscience de ce qui s'y passait. C'est là une spécificité française, que l'on ne retrouve pas, par exemple, dans un territoire comparable comme celui du Grand Londres. Lors de la construction du Grand Londres, en effet, le gouvernement britannique a dû intervenir pour que le Grand Londres se considère comme partie intégrante du Royaume-Uni, et non comme une entité isolée. Le travail du maire du Grand Londres a alors été de ré-ancrer cette ville globale dans le territoire britannique, en rappelant que la richesse produite par le Grand Londres - qui représente 40 % du PIB - devait être redistribuée au profit de l'ensemble du territoire. Cette question de l'équilibre entre les grandes villes et leur territoire national est extrêmement importante.

Je voudrais également aborder la question des schémas. Si les schémas ne sont pas des projets, ils influencent l'aménagement du territoire par les effets de balancier qu'ils provoquent. Aujourd'hui, la question environnementale est devenue prégnante, on l'a vu avec le récent pic de pollution en Île-de-France : ce qui est un seuil d'alerte ici ne l'est pas forcément ailleurs, comme en Chine où le taux d'acceptabilité est très supérieur. On voit bien qu'en raison de la raréfaction des ressources on appréhende désormais autrement la question environnementale : autrefois, on voulait protéger l'environnement, aujourd'hui on veut aussi l'intégrer dans les projets.

La question de la fracture numérique est un sujet fondamental qui devrait passer par un schéma et des contrats. La décentralisation a plus de trente ans. L'acte III de la décentralisation que nous vivons actuellement a provoqué une recomposition entre collectivités territoriales et posé la question du rôle de l'État. Quelle est la relation entre l'État et les collectivités territoriales ? Aux premiers temps de la décentralisation, il s'agissait d'une déconcentration où l'État continuait à faire. Dans d'autres pays, l'État fait faire. Il y a là une piste de réflexion pour notre pays : lorsque l'État ne fait plus mais qu'il fait faire, cela l'oblige à exprimer les choses différemment, ce qui permet d'articuler autrement le rôle de chacun et de ré-envisager les liens fonctionnels entre les différents niveaux de collectivités territoriales.

La notion d'égalité des territoires est fortement inscrite dans la génétique française. Une des pistes de réflexion pour l'avenir est la question de la complémentarité entre territoires et celle du rôle de l'État qui ne fait plus mais qui fait faire.

Il faudrait aussi cesser de rechercher le territoire pertinent : il n'existe pas ! Un aménagement du territoire totalement intégrateur ne peut pas exister. On peut travailler sur un territoire pour un sujet, et sur un autre territoire pour un autre sujet, tout en créant les liens de complémentarité. C'est ce que nous allons essayer de faire sur le territoire très atypique de Roissy, avec son aéroport qui est le premier hub continental européen.

Reste, enfin, la question de la contractualisation : la nouvelle génération de contrats de plans État-région, en cours de finalisation, est très différente des précédentes, elle se concentre sur certains sujets, mais il y manque, à mon sens, l'intégration du privé. Ce qui me ramène à la fiscalité : la captation de la richesse pour réaliser des projets doit-elle systématiquement passer par la fiscalité ou ne pourrait-on pas imaginer une intégration du privé par une contractualisation avec les pouvoirs publics ?

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