C'est une vision rationnelle et cohérente. Mais elle est effectivement contraire à tout ce qui a été dit sur le modèle français et le génie des territoires.
Je suis aussi frappé par certains propos sur le poids de la norme. Le modèle français est une dialectique entre l'État jacobin et une très forte décentralisation qui repose sur plus de 36 000 communes, et sur des luttes fréquentes pour les compétences, sans tutelle entre collectivités. On ne peut pas seulement dénoncer la centralisation et le poids de la règle dans ce modèle, car cela se combine avec une grande décentralisation. Depuis une vingtaine d'années, on constate un grand processus de différenciation entre des territoires du même niveau, avec pourtant le même moule administratif. Cela amène à des stratégies d'aménagement très différentes. Dans une même zone comme l'ouest, Nantes et Rennes mènent ainsi des stratégies urbaines radicalement différentes. Face à cette situation, les universitaires français utilisent les grilles de lecture américaines, reposant sur une organisation extrêmement libérale. Dans les faits notre modèle territorial ressemble aux modèles les moins jacobins et les moins centralisés. Notre cadre autorise en réalité énormément de choses.
Concernant les bassins de vie, je pense que si on réactive cette notion, c'est précisément parce qu'on perd nos repères. Dans les travaux universitaires que je mène, personne ne parle de bassins pour décrire un mode de vie sur le territoire, les gens parlent d'archipels, de lieux, très hétérogènes et ouverts.
Enfin sur les appels à projets, je souligne qu'ils peuvent être problématiques pour l'égalité des possibles que j'ai évoquée, car ils mettent en concurrence les territoires. Certains territoires ne disposent pas de l'ingénierie ou de l'équipement nécessaire pour y répondre. C'est également un facteur de recentralisation, si l'État fixe le cahier des charges de l'appel à projets.