Intervention de Simon Sutour

Réunion du 1er avril 2015 à 14h30
Lutte contre le terrorisme — Adoption d'une proposition de résolution européenne

Photo de Simon SutourSimon Sutour :

Mettre en place cet outil à l’échelle de l’Europe pour combattre le terrorisme est la meilleure garantie d’un niveau élevé de protection des données et du respect de la vie privée.

De plus, il est assez surprenant de constater que les discussions sur la lutte contre le terrorisme au niveau européen se cristallisent sur cette question. En effet, dans une précédente résolution et sous la pression de certains États membres et de leurs parlements nationaux – notamment de notre Sénat –, la directive de la Commission a largement été remaniée pour une meilleure prise en compte des questions relatives aux données personnelles.

Par ailleurs, en vue d’encourager l’adoption de PNR, l’Europe finance, à hauteur de 50 millions d’euros, via le programme « Prévenir et combattre la criminalité », la création de systèmes PNR nationaux dans dix-neuf États membres, dont la France.

Je voudrais rappeler que le Sénat a bien joué son rôle. Je me souviens que nous avions évoqué la réserve parlementaire – qui n’a rien à voir avec celle dont on parle le plus souvent – au début de mon mandat de président de la commission des affaires européennes en demandant au gouvernement précédent de prendre une certaine position au sein du Conseil européen. Cela nous a permis de disposer d’un texte plus protecteur des libertés, assez abouti, mais souffrant de blocages – je n’aime pas ce mot – au niveau du Parlement européen.

Pour l’heure, le PNR est tenu par les compagnies aériennes, qui collectent les données utiles telles que le nom, la date du voyage, l’itinéraire, les moyens de paiement, la nature des bagages à chaque réservation faite par un passager. Il n’existe malheureusement pas de fichier central consultable par les autorités de police de chaque pays.

La mise en place d’un PNR européen permettrait notamment de lutter contre le phénomène des combattants étrangers. Dans les faits, il y a déjà des PNR aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans de nombreux autres pays européens ; le Premier ministre a annoncé que le PNR français devrait être opérationnel à l’automne 2015.

Des accords bilatéraux avec les États-Unis et l’Australie existent : les compagnies aériennes sont tenues de transmettre des données pour avoir la possibilité de faire atterrir leurs avions sur ces territoires. D’autres États, tels le Mexique, la Russie ou l’Arabie saoudite exigent désormais des compagnies aériennes la communication de leurs données PNR. Le Japon, la Corée du Sud, le Brésil, les Émirats arabes unis, le Qatar, de même que la Nouvelle-Zélande envisagent de le faire.

L’encadrement juridique est essentiel tant pour les voyageurs que pour les transporteurs aériens européens. L’existence d’un accord doit assurer aux voyageurs un niveau de protection des données satisfaisant. Quant aux compagnies aériennes, il est essentiel de leur garantir un cadre juridique sûr : en l’absence d’accord, elles seront exposées soit à se mettre en contradiction avec le droit de l’Union si elles transmettent des données, soit à des mesures de restriction de vols de la part des autorités des États tiers.

Le débat oppose, d’un côté, la Commission européenne et la majorité des États membres, qui souhaitent l’adoption rapide d’un PNR européen, et, de l’autre, un Parlement européen réticent, craignant pour les droits fondamentaux et ayant déjà rejeté, en avril 2013, la proposition de directive. Ce débat est utile, mais il ne doit pas tout bloquer. Or le « blocage » en question est lié au fait que cette proposition de création d’un PNR européen soit examinée selon la procédure de codécision qui met sur un pied d’égalité Parlement européen et Conseil.

L’entretien que nous avons pu avoir – Jean Bizet y a fait allusion – à Bruxelles le 24 mars dernier avec M. Claude Moraes, président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen et Mme Sophie In’t Veld, eurodéputée néerlandaise et vice-présidente du groupe libéral, a été très constructif. Ils se sont tous deux montrés très réceptifs à notre souhait de voir ce dossier se débloquer rapidement et nous ont affirmé que les discussions avançaient de manière positive, si bien qu’un accord pourrait être trouvé au Parlement européen d’ici à la fin de l’année. Un compromis semble enfin se dessiner. Cela serait d’autant plus souhaitable qu’en cas d’accord sur le PNR européen, sa mise en œuvre effective ne pourra se faire avant dix-huit mois. Or il faut agir rapidement, car l’internationalisation de la menace terroriste constitue aujourd’hui l’une des principales menaces auxquelles l’Europe doit faire face.

Concernant Europol et Eurojust, le concept de « guerre contre le terrorisme » n’est pas adapté et peut même être contre-productif. L’outil militaire peut s’avérer parfois nécessaire pour surveiller des routes maritimes internationales et détruire des bases utilisées par les réseaux terroristes dans des zones de non droit. Pour autant, les réseaux terroristes prennent de moins en moins la forme d’organisations structurées et centralisées, ce qui rend primordial le développement de moyens non militaires antiterroristes que sont les services de renseignement, de police et de justice.

Au niveau européen, les missions dévolues à Europol apparaissent fondamentales. Or – je reprends ici les termes mêmes de la proposition de résolution – nous avons le sentiment que le potentiel des agences Europol et Eurojust pourrait être développé.

Je formulerai une proposition concernant les équipes communes d’enquête. Créées par une décision-cadre du Conseil de 2002, elles associent pour des opérations limitées dans le temps des personnels d’un ou plusieurs États membres, auxquels peuvent se joindre des représentants d’Europol, d’Eurojust ou même d’Interpol.

Nous estimons que ces structures pourraient être efficaces dans la lutte contre le terrorisme et proposons de mettre en place des dispositifs facilitant le recours, par les États membres, à ces équipes communes d’enquête. J’ajoute que l’idée de missions « mixtes » associant Europol et agences nationales pourrait participer de cette construction d’une culture commune du renseignement qui nous fait encore malheureusement défaut.

Enfin, je souhaiterais évoquer la question du financement du terrorisme, qui constitue un volet important de la coopération juridique. Il convient de faciliter la traçabilité des flux financiers européens en relançant l’idée d’un programme de traque. À cet effet, nous souhaitons favoriser l’adoption rapide de la proposition de quatrième directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

Le développement des accords bilatéraux de l’Union européenne avec les États tiers par lesquels transitent les transactions financières criminelles constitue une priorité. Le gel et la saisie des avoirs du crime organisé doivent être facilités au niveau européen, mais également au niveau national, ce qui suppose une transposition en droit interne.

J’aurais pu développer de nombreux autres aspects sur lesquels l’Europe doit avancer. Je suis néanmoins optimiste quant à la réaction des Européens.

Aujourd’hui, il est temps pour l’Europe de donner des réponses claires à ses citoyens qui la voient trop souvent comme une somme de contraintes. L’Europe est là pour assurer non seulement leur sécurité, mais aussi et surtout un haut niveau de garantie de leurs droits fondamentaux. Ne pas réagir, c’est donner des arguments aux eurosceptiques et aux populistes.

Vous l’aurez compris, c’est avec enthousiasme que le groupe socialiste votera la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme.

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