Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant d’en venir au texte que nous examinons et pour lequel j’ai été corapporteur avec ma collègue Colette Mélot au sujet de la lutte contre le terrorisme sur internet, je souhaite saluer le rôle proactif de notre assemblée ces derniers mois sur ce sujet. Cela a permis au Sénat d’être un acteur moteur dans un important travail de coopération européenne entre parlements nationaux, reflétant ainsi leur implication institutionnelle croissante, pleinement consacrée depuis le traité de Lisbonne.
Face à une menace si grave, les citoyens – français comme européens – ont légitimement le droit de réclamer que leur sécurité soit garantie. Nous ne pouvons passer sous silence cette attente de tous. Nous avons le devoir, dans le respect de nos valeurs démocratiques et de notre attachement aux libertés fondamentales, d’honorer cette requête.
Le groupe écologiste votera donc en faveur de cette proposition de résolution européenne, malgré des réserves parfois sérieuses sur certains de ses éléments. Nous la voterons, car elle a le grand mérite de mettre l’accent sur deux maîtres mots de la stratégie antiterroriste – la coopération et la prévention –, notamment à travers d’importantes actions de sensibilisation et de pédagogie dans la lutte contre la radicalisation au sein de nos sociétés.
Ce texte incite également à combattre efficacement les sources de financement du terrorisme et le trafic d’armes à feu et exhorte à l’instauration rapide d’un parquet européen, collégial et décentralisé.
Il soulève aussi l’enjeu capital de la sécurité informatique dans des sociétés où la numérisation fulgurante et automatique des données rend fragiles tous les secteurs d’activité face à des cyberattaques d’envergure.
Enfin, l’évaluation systématique des instruments existants, ainsi que de ceux préconisés, est fondamentale, car elle permet d’expérimenter et de réajuster ces outils sans sombrer dans le dogmatisme des solutions toutes faites sur un sujet complexe et en perpétuelle transformation.
Nous voterons également en faveur des deux amendements présentés par notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. Nous adhérons en effet à sa position sur le point 50 relatif aux déchéances de nationalité, en affirmant qu’il s’agit là d’une question strictement nationale soumise à des procédures purement nationales et qui n’a donc pas sa place dans ce texte.
Lors du débat préalable au Conseil européen informel du 12 février dernier, largement consacré à la lutte antiterroriste, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur l’importance d’une coopération européenne renforcée et d’une mise à disposition de moyens adéquats, à la hauteur de la gravité de la menace. Je ne crois pas me tromper en affirmant que nous sommes tous convaincus de ce besoin. Toutefois, il ne suffit pas d’être convaincu : les moyens alloués, comme l’a rappelé notre collègue Bonnecarrère, doivent être à la hauteur des exigences. Coordonner une opération entre corps de police d’un même État est déjà un défi en soi ; imaginez donc l’ampleur de celui qui consiste à vouloir coordonner les différents corps de police de vingt-huit États membres, ne parlant pas forcément la même langue, n’ayant pas la même expérience de la menace terroriste ni, évidemment, les mêmes cadres légaux... Comprenez donc que sans volonté et effort de coopération des acteurs opérationnels, toute incantation politique restera vaine !
En ce qui concerne la question sensible du PNR européen, les principaux points d’achoppement sont, comme j’ai déjà pu l’exprimer au sein de cet hémicycle, la durée de rétention des données et la surveillance et le ciblage de masse. Une telle surveillance est en effet lourde et potentiellement très coûteuse, alors que la coopération policière et judiciaire manque déjà de moyens. Elle est aussi moins efficace qu’une surveillance ciblée, car elle rallonge la durée d’analyse des informations reçues.
Le Parlement européen s’est finalement prononcé le 11 février dernier pour la création d’un PNR européen d’ici à la fin de 2015 tout en garantissant le respect des libertés individuelles, comme l’exige la Cour de justice de l’Union européenne. Le texte que nous étudions adopte une position similaire en prenant le soin d’assurer la protection des données personnelles. Nous sommes conscients que l’alternative à cet outil serait vraisemblablement la juxtaposition de vingt-huit PNR nationaux en dehors de tout cadre de coopération, ce qui ne serait évidemment pas une meilleure solution.
Par ailleurs, je ne suis pas pleinement convaincu de l’utilité de réviser le code frontières Schengen, car, comme nous avons pu le constater, ces actes terroristes tendent à être de plus en plus endogènes et perpétrés par ce qu’on appelle des « loups solitaires » qui ne sortent pas du territoire national.
Pour combattre le terrorisme à l’échelle transnationale, l’Union européenne doit s’inscrire aussi dans une stratégie globale. En effet, il apparaît crucial que son action ne soit pas sectorisée à l’extrême, comme c’est trop souvent le cas, et encore moins focalisée sur la seule et stricte coopération policière et judiciaire.
Ainsi, l’Union européenne a enfin exprimé la volonté de dynamiser son industrie numérique, qui accuse un très net retard sur celle de nos principaux concurrents. C’est évidemment une bonne chose. Mais si cette volonté n’est sous-tendue que par un intérêt strictement économique, sans intégrer pleinement la question de la sécurité informatique, nous courrons, je vous le prédis, au désastre.
Si j’évoque cette question, c’est que plusieurs directives sont actuellement en discussion, et ce depuis plusieurs années déjà, notamment celle relative à la sécurité des réseaux et de l’information, dite « directive SRI », ou encore celle sur les données personnelles. Il est donc temps que cette directive SRI aboutisse et intègre pleinement les défis de sécurité informatique auxquels nous sommes confrontés. Sans cette cohérence, l’Union ne pourra intervenir qu’en réaction, alors que c’est en amont et dans une logique de prévention que nous devons d’abord agir.