Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays a pris progressivement conscience, à partir de l’année 2013, d’un phénomène quasiment inconnu jusque-là : le départ de centaines de nos jeunes compatriotes vers les zones de combat syro-irakiennes pour y rejoindre des groupes terroristes et y accomplir ce qu’ils appellent le « djihad ». On évoque ainsi quelque 1 400 ressortissants français impliqués dans ces réseaux, dont un grand nombre sont encore présents sur place et participent activement aux combats, mais également aux exactions graves que l’on sait. D’autres sont déjà de retour et constituent une menace sérieuse pour la sécurité de notre population. Les événements tragiques de janvier 2015 sont présents dans tous les esprits, et ils exigent une réaction à la hauteur de ces dangers.
Diverses mesures ont déjà été prises au niveau national et d’autres le seront encore très prochainement, mais il est clair que, même si la France semble avoir le triste privilège d’alimenter le contingent de djihadistes le plus nombreux, la lutte contre cette forme de terrorisme ne peut pas simplement et seulement être menée à l’échelle du pays : elle exige une action concertée au niveau international et d’abord, bien entendu, au plan européen. C’est pourquoi je voudrais remercier M. le président de la commission des affaires européennes, notre collègue Jean Bizet, d’avoir pris l’initiative d’une vraie réflexion sur ce sujet et de m’y avoir associé, tout particulièrement pour ce qui concerne les aspects relatifs au code frontières Schengen. Le résultat de nos travaux est cette proposition de résolution européenne, dont je m’empresse de dire qu’elle est non seulement opportune, mais particulièrement adaptée et équilibrée.
Je souhaite insister sur certains points et soulever quelques observations.
En premier lieu, je voudrais exprimer mon accord le plus total sur la demande formulée dans la proposition de résolution d’une législation antiterroriste commune qui soit rapidement adoptée par l’Union européenne sous la forme d’un « Acte pour la sécurité intérieure ». En effet, pour lutter à titre préventif contre le terrorisme, plutôt que de veiller au coup par coup à améliorer tel ou tel outil dont elle dispose déjà, il est primordial que l’Union européenne se dote d’une stratégie globale.
Certes, l’Union doit respecter les fonctions essentielles des États membres, notamment celles qui ont pour objet de maintenir l’ordre public et de sauvegarder leur sécurité nationale, mais elle doit également veiller à proposer des instruments permettant d’établir la meilleure coopération possible entre ces États. Elle doit ainsi pouvoir apporter un appui substantiel, notamment à ceux d’entre eux qui en éprouvent le besoin. Il en est ainsi, par exemple, de FRONTEX, qui devrait assurément disposer de moyens humains et financiers renforcés, en particulier ce corps de gardes-frontières européens dont le Sénat a déjà vainement demandé la création par le passé.
À cet égard, il importe d’être tout à fait intransigeant à l’avenir sur une application rigoureuse, par tous les pays concernés, de ce code frontières Schengen. Il n’est pas acceptable, comme c’est le cas actuellement, que certains États prennent des libertés avec les contrôles dont ils sont normalement responsables à leurs frontières extérieures. Sur ce point, je souscris pleinement au souhait et à la demande exprimés dans la proposition de résolution : d’une part, des contrôles approfondis et quasi systématiques des ressortissants des pays membres de l’espace Schengen doivent être effectués sur le fondement d’indicateurs de risques appliqués uniformément par les États membres lorsque ces personnes entrent et sortent de cet espace ; d’autre part, une révision ciblée du code frontières doit être engagée pour autoriser, sur le même fondement d’indicateurs de risques, des contrôles approfondis systématiques de manière permanente.
Je précise que, par « contrôle », il faut entendre non seulement le contrôle de l’authenticité des papiers d’identité, mais également celui des personnes en lien avec les dispositifs d’identification du système d’information Schengen II. Celui-ci doit d’ailleurs lui-même être perfectionné par la prise en compte de relevés ADN dans les données biométriques et singulièrement enrichi par la fourniture des informations adéquates par les États membres. Il convient en effet d’insister sur la nécessité d’une véritable coopération de tous les États au bon fonctionnement des instruments mis en place au niveau européen en matière policière et judiciaire. Sans la fourniture par chacun des États des informations nécessaires, l’efficacité de la lutte est évidemment compromise.
En deuxième lieu, je ne m’étendrai pas sur la nécessité d’une adoption urgente par le Parlement européen de la proposition de directive PNR. En qualité de sénateur alsacien – l’Alsace dispose d’un aéroport international permettant d’entrer en France ou en Suisse –, je peux témoigner aisément de la relativité, pour ne pas dire davantage, d’un PNR exclusivement français. Je voudrais plutôt conclure en apportant trois observations personnelles au débat.
Tout d’abord, l’Union européenne devrait jouer un rôle accru pour juguler au mieux l’influence des sites internet dans le phénomène de radicalisation des jeunes. Plutôt que de laisser aux différents États membres la charge de la surveillance de la toile chez eux, une véritable mutualisation au niveau européen de cette tâche apporterait une plus-value évidente en la matière.
Ensuite, les discussions avec les grands opérateurs mondiaux d’internet gagneraient à être menées à l’échelon européen afin de parvenir à une régulation commune visant à éliminer ou du moins à réduire la promotion du djihadisme sur internet.
Enfin, parce que les zones de combat, on l’a dit, se trouvent aux portes de l’Europe, il me semble indispensable que l’Union européenne développe une nouvelle forme de collaboration avec les pays du voisinage, tout particulièrement en matière de lutte contre le terrorisme. Cette collaboration pourrait naturellement porter sur un plus grand partage des informations, même si on connaît les difficultés que cela implique, mais également, j’ose le dire, sur l’attribution de moyens financiers spécifiques à cette lutte. Je pense par exemple à la Turquie, aux pays du Maghreb, bien sûr, mais aussi – pourquoi pas ? – à l’Égypte, tous pays qui, comme vous le savez, sont à la recherche de moyens accrus – c’est le cas tout particulièrement de la Turquie – pour nous aider dans cette tâche ardue.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler sur cette proposition de résolution européenne, dont je répète qu’elle me semble bien dimensionnée eu égard à l’importance du problème, et que, bien entendu, je voterai avec enthousiasme.