Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à légaliser le cannabis dont nous débattons aujourd’hui, après une longue pause quelque peu regrettable, ouvre un débat pertinent sur un sujet complexe aux ramifications multiples : en matière de santé publique, d’économie souterraine, d’éducation et de prévention, mais aussi de sécurité publique et de répression.
À ce titre, je salue le travail de qualité mené par le rapporteur, notre collègue Jean Desessard, sur une question souvent clivante.
Nul ne peut nier la réalité et l’ampleur du phénomène. S’interroger est juste. Mais la réponse proposée par ce texte est-elle suffisamment pertinente ?
La première question est celle de la santé publique. Rappelons-le clairement, il n’y a pas de consommation de drogue sans effets nocifs sur la santé.
Ainsi, l’usage régulier de cannabis peut accompagner ou aggraver l’apparition de troubles psychiatriques, et, de façon plus courante, sa consommation perturbe les fonctions cérébrales, diminue les capacités de mémorisation et d’apprentissage, réduit le jugement et la concentration. Elle entraîne un temps de réaction plus long, une difficulté à effectuer des tâches complètes et des troubles de la coordination motrice susceptibles d’augmenter les risques associés à la conduite.
Les statistiques sur les accidents de la route le confirment : en 2011, la consommation de cannabis aurait provoqué 455 accidents mortels sur les routes de France. Une enquête réalisée en 2005 par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies précise que fumer un joint multiplie par deux les risques d’accident mortel sur la route, voire par quinze s’il est associé à l’alcool...
Par ailleurs, le cannabis brûle moins que le tabac et produit davantage de gaz carbonique. À dose égale, fumer du cannabis serait ainsi vingt fois plus dangereux que fumer du tabac, selon l’étude néo-zélandaise publiée en 2008 par le Journal européen de pneumologie.
Mais les effets, madame la secrétaire d'État, sont particulièrement dramatiques chez les jeunes, dont le cerveau est encore en formation. Ils sont les plus gros consommateurs, puisque 42 % des adolescents âgés de dix-sept ans ont déjà fumé au moins une fois du cannabis.
Aussi, comment penser que l’État, garant de la santé publique, puisse légaliser l’usage et la production d’un produit dangereux ? En autorisant son usage, l’État brouillerait nécessairement le message sur la nocivité du produit.
La deuxième question a trait aux effets sociaux et sociétaux, qui sont importants.
La consommation du cannabis favorise le décrochage scolaire, l’absentéisme et la marginalisation sociale, tandis que son usage a souvent de lourdes répercussions sur l’équilibre familial, qu’il fragilise. Légaliser le cannabis pour les adultes reviendrait aussi à oublier le comportement naturellement transgressif des jeunes, qui s’affirment par la consommation à la fois de drogue et d’alcool.
Ainsi, l’interdiction des lieux de vente d’alcool à proximité des établissements scolaires ou sportifs n’a nullement empêché le phénomène de binge drinking chez les jeunes, y compris chez les collégiens.
La consommation d’alcool ou de drogue n’est pas sans relation avec le mal-être de notre société, qui peine à accompagner les jeunes vers leur vie d’adulte et, d'une façon générale, toutes les personnes fragiles. On ne peut passer sous silence la perte de repères et les difficultés de nombreux parents à assumer l’éducation de leurs enfants. Ce constat conduit même certaines communes à créer des « écoles de parents ».
Je crois que si la consommation de drogue a de lourdes conséquences sociales, les difficultés de notre société contribuent à encourager la recherche des paradis artificiels. À cet égard, le groupe UDI-UC regrette la faiblesse des propositions en termes de prévention et d’éducation. La prévention ne devrait-elle pas conduire à s’interroger sur les causes pour lutter avec efficacité contre les conséquences ?
Cette proposition de loi, madame la secrétaire d'État, reconnaît l’importance de la prévention ; mais celle-ci fonctionne très mal aujourd’hui ; le langage utilisé ne percute pas et aucun système ne centralise les initiatives. L’information reste cloisonnée au lieu d’être partagée entre la police ou la gendarmerie, la communauté éducative, le milieu associatif et la commune.
La troisième question soulevée par cette proposition de loi concerne ce que vous qualifiez, monsieur Desessard, de faillite du système de répression et de développement de la criminalité organisée.
Si la répression ne suffit pas à supprimer un danger, il ne peut y avoir de société sans règles et donc sans répression. La répression signale le risque et résonne comme une alerte, un garde-fou.
Selon le texte qui nous est proposé, la légalisation enrayerait l’économie souterraine mafieuse effectivement engendrée par la vente illégale de cannabis. Mais cette légalisation ne concernerait que les personnes majeures. Les jeunes continueraient donc à s’approvisionner de manière clandestine, avec la même insécurité. Par ailleurs, cette présomption revient à sous-estimer la capacité de la criminalité organisée, dont l’imagination est infinie, à choisir et à développer des productions afin de générer une nouvelle demande et de nouvelles sources de revenus.
De plus, penser que la législation aurait pour corollaire une diminution de la consommation de drogue conduirait inévitablement à se poser un jour la question de la légalisation d’autres drogues, telles que l’ecstasy, l’héroïne ou la cocaïne.
Enfin, nous devons garder à l’esprit une variable cruciale : le prix du produit légalisé. Un prix trop élevé n’aurait aucun effet sur l’économie souterraine, tandis qu’un prix trop faible entraînerait une augmentation de la consommation.
La quatrième question est celle des finances publiques.
Il est vrai, monsieur le rapporteur, que la création d’une nouvelle taxe sur le cannabis engendrerait des ressources fiscales non négligeables pour un État en difficulté. Mais si l’État voulait combler son déficit par une taxe sur des produits dangereux, comment expliquer aux industriels de l’agroalimentaire que l’État s’autorise ici ce qu’il condamne ailleurs ? En effet, lorsqu’un produit alimentaire présente un risque sanitaire, l’État engage avec diligence, à juste titre, des enquêtes sanitaires pouvant aller jusqu’à la fermeture d’un site de production.
Mais outre l’aspect quelque peu cynique de cette solution qui permettrait à l’État de combler partiellement son déficit en autorisant la vente de produits dangereux, il y a fort à parier que l’argent rapporté à l’État par cette taxe doive être assez naturellement utilisé pour couvrir les frais de santé publique résultant précisément d’une consommation croissante de cannabis.
En conclusion, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui a le grand mérite – et je le pense sincèrement – de soulever un véritable enjeu de santé publique, qui doit être traité avec énergie et efficacité.
À cet égard, j’évoquerai également l’usage thérapeutique du cannabis qui est de plus en plus reconnu en vue de soulager les symptômes de certaines maladies, tels la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, le sida ou encore la dépression.
Depuis juin 2013, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut délivrer des autorisations de mise sur le marché de médicaments contenant du cannabis. J’espère qu’un bilan sera fait de cet usage thérapeutique.
Mais, comme vous l’aurez pressenti, si le groupe UDI-UC reconnaît l’intérêt de ce texte, il ne peut être favorable à ses propositions qui, à mon sens, apportent une réponse trop simple à une question complexe. Monsieur le rapporteur, pour prendre une image familière, penser endiguer la consommation de cannabis par la légalisation, c’est cacher la poussière sous le tapis !