La séance est ouverte à neuf heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
M. le président du Sénat a reçu hier un rapport de M. Jean-Pierre Sueur au nom de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée le 9 octobre 2014 sur l’initiative du groupe UDI-UC en application de l’article 6 bis du règlement.
Ce dépôt a été publié au Journal officiel, édition « Lois et Décrets », de ce jour. Cette publication a constitué, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’Instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.
Ce rapport sera publié sous le n° 388, le mercredi 8 avril 2015, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis, présentée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues (proposition n° 317 [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 251, rapport n° 250).
Je vous rappelle que nous avons entamé l’examen de ce texte le 4 février dernier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Gatel.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à légaliser le cannabis dont nous débattons aujourd’hui, après une longue pause quelque peu regrettable, ouvre un débat pertinent sur un sujet complexe aux ramifications multiples : en matière de santé publique, d’économie souterraine, d’éducation et de prévention, mais aussi de sécurité publique et de répression.
À ce titre, je salue le travail de qualité mené par le rapporteur, notre collègue Jean Desessard, sur une question souvent clivante.
Nul ne peut nier la réalité et l’ampleur du phénomène. S’interroger est juste. Mais la réponse proposée par ce texte est-elle suffisamment pertinente ?
La première question est celle de la santé publique. Rappelons-le clairement, il n’y a pas de consommation de drogue sans effets nocifs sur la santé.
Ainsi, l’usage régulier de cannabis peut accompagner ou aggraver l’apparition de troubles psychiatriques, et, de façon plus courante, sa consommation perturbe les fonctions cérébrales, diminue les capacités de mémorisation et d’apprentissage, réduit le jugement et la concentration. Elle entraîne un temps de réaction plus long, une difficulté à effectuer des tâches complètes et des troubles de la coordination motrice susceptibles d’augmenter les risques associés à la conduite.
Les statistiques sur les accidents de la route le confirment : en 2011, la consommation de cannabis aurait provoqué 455 accidents mortels sur les routes de France. Une enquête réalisée en 2005 par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies précise que fumer un joint multiplie par deux les risques d’accident mortel sur la route, voire par quinze s’il est associé à l’alcool...
Par ailleurs, le cannabis brûle moins que le tabac et produit davantage de gaz carbonique. À dose égale, fumer du cannabis serait ainsi vingt fois plus dangereux que fumer du tabac, selon l’étude néo-zélandaise publiée en 2008 par le Journal européen de pneumologie.
Mais les effets, madame la secrétaire d'État, sont particulièrement dramatiques chez les jeunes, dont le cerveau est encore en formation. Ils sont les plus gros consommateurs, puisque 42 % des adolescents âgés de dix-sept ans ont déjà fumé au moins une fois du cannabis.
Aussi, comment penser que l’État, garant de la santé publique, puisse légaliser l’usage et la production d’un produit dangereux ? En autorisant son usage, l’État brouillerait nécessairement le message sur la nocivité du produit.
La deuxième question a trait aux effets sociaux et sociétaux, qui sont importants.
La consommation du cannabis favorise le décrochage scolaire, l’absentéisme et la marginalisation sociale, tandis que son usage a souvent de lourdes répercussions sur l’équilibre familial, qu’il fragilise. Légaliser le cannabis pour les adultes reviendrait aussi à oublier le comportement naturellement transgressif des jeunes, qui s’affirment par la consommation à la fois de drogue et d’alcool.
Ainsi, l’interdiction des lieux de vente d’alcool à proximité des établissements scolaires ou sportifs n’a nullement empêché le phénomène de binge drinking chez les jeunes, y compris chez les collégiens.
La consommation d’alcool ou de drogue n’est pas sans relation avec le mal-être de notre société, qui peine à accompagner les jeunes vers leur vie d’adulte et, d'une façon générale, toutes les personnes fragiles. On ne peut passer sous silence la perte de repères et les difficultés de nombreux parents à assumer l’éducation de leurs enfants. Ce constat conduit même certaines communes à créer des « écoles de parents ».
Je crois que si la consommation de drogue a de lourdes conséquences sociales, les difficultés de notre société contribuent à encourager la recherche des paradis artificiels. À cet égard, le groupe UDI-UC regrette la faiblesse des propositions en termes de prévention et d’éducation. La prévention ne devrait-elle pas conduire à s’interroger sur les causes pour lutter avec efficacité contre les conséquences ?
Cette proposition de loi, madame la secrétaire d'État, reconnaît l’importance de la prévention ; mais celle-ci fonctionne très mal aujourd’hui ; le langage utilisé ne percute pas et aucun système ne centralise les initiatives. L’information reste cloisonnée au lieu d’être partagée entre la police ou la gendarmerie, la communauté éducative, le milieu associatif et la commune.
La troisième question soulevée par cette proposition de loi concerne ce que vous qualifiez, monsieur Desessard, de faillite du système de répression et de développement de la criminalité organisée.
Si la répression ne suffit pas à supprimer un danger, il ne peut y avoir de société sans règles et donc sans répression. La répression signale le risque et résonne comme une alerte, un garde-fou.
Selon le texte qui nous est proposé, la légalisation enrayerait l’économie souterraine mafieuse effectivement engendrée par la vente illégale de cannabis. Mais cette légalisation ne concernerait que les personnes majeures. Les jeunes continueraient donc à s’approvisionner de manière clandestine, avec la même insécurité. Par ailleurs, cette présomption revient à sous-estimer la capacité de la criminalité organisée, dont l’imagination est infinie, à choisir et à développer des productions afin de générer une nouvelle demande et de nouvelles sources de revenus.
De plus, penser que la législation aurait pour corollaire une diminution de la consommation de drogue conduirait inévitablement à se poser un jour la question de la légalisation d’autres drogues, telles que l’ecstasy, l’héroïne ou la cocaïne.
Enfin, nous devons garder à l’esprit une variable cruciale : le prix du produit légalisé. Un prix trop élevé n’aurait aucun effet sur l’économie souterraine, tandis qu’un prix trop faible entraînerait une augmentation de la consommation.
La quatrième question est celle des finances publiques.
Il est vrai, monsieur le rapporteur, que la création d’une nouvelle taxe sur le cannabis engendrerait des ressources fiscales non négligeables pour un État en difficulté. Mais si l’État voulait combler son déficit par une taxe sur des produits dangereux, comment expliquer aux industriels de l’agroalimentaire que l’État s’autorise ici ce qu’il condamne ailleurs ? En effet, lorsqu’un produit alimentaire présente un risque sanitaire, l’État engage avec diligence, à juste titre, des enquêtes sanitaires pouvant aller jusqu’à la fermeture d’un site de production.
Mais outre l’aspect quelque peu cynique de cette solution qui permettrait à l’État de combler partiellement son déficit en autorisant la vente de produits dangereux, il y a fort à parier que l’argent rapporté à l’État par cette taxe doive être assez naturellement utilisé pour couvrir les frais de santé publique résultant précisément d’une consommation croissante de cannabis.
En conclusion, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui a le grand mérite – et je le pense sincèrement – de soulever un véritable enjeu de santé publique, qui doit être traité avec énergie et efficacité.
À cet égard, j’évoquerai également l’usage thérapeutique du cannabis qui est de plus en plus reconnu en vue de soulager les symptômes de certaines maladies, tels la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, le sida ou encore la dépression.
Depuis juin 2013, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut délivrer des autorisations de mise sur le marché de médicaments contenant du cannabis. J’espère qu’un bilan sera fait de cet usage thérapeutique.
Mais, comme vous l’aurez pressenti, si le groupe UDI-UC reconnaît l’intérêt de ce texte, il ne peut être favorable à ses propositions qui, à mon sens, apportent une réponse trop simple à une question complexe. Monsieur le rapporteur, pour prendre une image familière, penser endiguer la consommation de cannabis par la légalisation, c’est cacher la poussière sous le tapis !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Brigitte Micouleau applaudit également.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la question de l’encadrement législatif du cannabis est récurrente dans nos débats. Elle avait notamment été abordée en 2011 par le rapport de la mission d’information commune au Sénat et à l’Assemblée nationale sur les toxicomanies de nos collègues Gilbert Barbier et Françoise Branget. Si les rapporteurs rejetaient la dépénalisation, ils préconisaient en revanche la création d’une amende contraventionnelle pour les usagers de cannabis.
Plus récemment, en novembre 2014, la question a également été abordée par le rapport d’information du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, présenté par les députés Anne-Yvonne Le Dain et Laurent Marcangeli, sur l’évaluation de la lutte contre l’usage de substances illicites. Les rapporteurs constatent que la politique de prohibition en vigueur et les moyens qui l’ont accompagnée n’ont pas permis d’obtenir de résultats probants sur la consommation de cannabis, dont la prévalence en France est parmi les plus élevées en Europe.
S’ils s’accordent sur la nécessité de réviser la loi de 1970 et le régime de l’usage du cannabis, leurs positions divergent quant à la portée de cette révision : M. Marcangeli prône une contravention respectant l’individualisation des peines à la place du délit actuel, alors que Mme Le Dain est favorable à une légalisation du cannabis dans l’espace privé pour les personnes majeures et à une offre réglementée du produit, sous le contrôle de l’État.
Les auteurs de ces rapports, malgré des divergences dans leurs préconisations, se retrouvent sur le constat des failles de notre législation, de son insuffisance et de la nécessité de la réviser.
Le Gouvernement a lancé le plan de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017. Si ce plan comporte des mesures parfois très intéressantes sur les questions sociales, sanitaires, de prévention et de lutte contre les trafics, je ne suis pas certain qu’il soit suffisant. Il ne me semble en effet pas affronter véritablement la contradiction résultant du fait que la France dispose de la législation la plus répressive en Europe à l’égard du cannabis, alors que les Français sont parmi les plus gros consommateurs...
À l'évidence, il faudrait donc approfondir la réflexion sur les choix que nous devons faire. La proposition de loi de Mme Benbassa a le mérite d’aborder le sujet, de poser ces questions et d’émettre des propositions.
L’encadrement législatif de l’usage du cannabis renvoie à deux enjeux : celui de la santé publique, d’une part, et celui de l’ordre social, d’autre part.
Sur le volet sanitaire, les dangers que présente le cannabis ont été démontrés, tout particulièrement chez les jeunes. Le cannabis est le premier produit psychoactif illicite consommé par les adolescents.
À court terme, il peut s’agir d’une baisse des performances intellectuelles, d’angoisses, de difficultés de coordination, d’une modification des perceptions, de troubles de la concentration, d’une altération de la mémoire courte, d’une baisse de la vigilance et des réflexes, la baisse étant encore plus importante lorsque la consommation de cannabis est couplée à l’alcool – cela a déjà été dit.
À long terme, ce sont des risques de cancer accrus par rapport à la consommation de cigarettes à cause de la concentration de goudron, des cas d’isolement social et des troubles du processus de développement cérébral chez les adolescents. Des études établissent aussi une relation de causalité entre la consommation de cannabis et l’aggravation ou la survenue de certains troubles psychotiques graves tels que la schizophrénie ou la paranoïa. Des recherches défendent l’idée que le cannabis, s’il n’est pas suffisant pour déclencher la schizophrénie, pourrait être un facteur nécessaire à son apparition et de nature à exacerber les symptômes déjà présents. Ces risques pourraient être accrus chez les adolescents dont le cerveau n’est pas encore arrivé à maturation.
Aussi, la question du produit en lui-même pose problème. Depuis une quinzaine d’années, des études ont montré une hausse importante de la concentration dans le cannabis de tétrahydrocannabinol, ou THC, ce qui accroît la dangerosité du produit sur la santé physique et mentale des consommateurs. De même, les agents de coupe utilisés pour augmenter le poids du cannabis ou améliorer son aspect peuvent être particulièrement nocifs : sable, colle, talc, verre, plomb, cirage, huile de pneu, huile de vidange...
Il est donc établi que, sur le plan sanitaire, les conséquences de la consommation de cannabis peuvent être gravissimes.
C’est aussi du point de vue de l’ordre public que le sujet soulève des questions. En France, la consommation de cannabis est interdite, la loi exposant les consommateurs à une peine de 3 750 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement. Dans le même temps, on sait qu’environ un Français sur cinq a consommé du cannabis dans sa vie, que 1, 2 million en consomme régulièrement et que le cannabis est la substance illicite la plus consommée dans les pays de l’Union européenne. La contradiction est flagrante !
Face à l’importance du phénomène de consommation, la particulière sévérité de nos dispositions répressives, qui trouvent leur origine dans une loi de 1970, ne doit-elle pas nous pousser à nous interroger sur la pertinence d’une telle législation et échelle des peines ? Avant la loi de 1970, l’usage privé du cannabis n’était pas sanctionné. Nous sommes forcés de constater que notre arsenal répressif actuel, qui ne parvient pas à faire baisser la consommation de cannabis, ne présente véritablement de solution ni pour la santé publique ni dans le cadre de la lutte contre les réseaux mafieux.
Les peines prévues, qui sont les plus sévères d’Europe, ne sont manifestement pas dissuasives pour les usagers. Bien entendu, l’action publique n’est pas toujours exercée, et des mesures alternatives telles que les injonctions thérapeutiques sont souvent mises en œuvre. Cependant, la marge laissée au magistrat est source de disparités de traitement entre les cours, et donc entre les justiciables. Aussi, même si les emprisonnements pour simple usage de cannabis sont rares, on recense de nombreux emprisonnements pour ce qui relève de la petite revente, alors que les gros trafiquants demeurent rarement atteints.
Or nous devons veiller à ne pas risquer de fragiliser les personnes qui rencontrent des problèmes d’insertion. Envoyer les petits revendeurs en prison, c’est risquer d’abîmer davantage des personnes qui se trouvent déjà dans des situations instables.
L’Uruguay et le Colorado ont fait le choix d’une expérimentation de la légalisation.
En Uruguay, la loi du 1er décembre 2013 a instauré une régulation de la production et de la vente de cannabis sous l’autorité de l’État. Les consommateurs de cannabis majeurs et enregistrés dans une base de données sont autorisés à acheter jusqu’à 40 grammes de cannabis par mois dans des pharmacies homologuées. La loi permet aussi de cultiver six plants de cannabis à domicile par an. Ce dispositif est en expérimentation depuis un an. Il faudra attendre pour véritablement analyser les résultats d’une telle politique.
La légalisation avec encadrement et monopole étatiques présente des avantages non négligeables en ce qu’elle peut contribuer à casser les marchés parallèles, permettre de limiter la concentration en THC contenu dans le cannabis et éviter l’usage d’agents de coupe nocifs. Dans le même temps, les dernières informations en provenance du Colorado qui nous sont parvenues n’encouragent pas à aller dans cette direction. En effet, le produit des taxes rapporte tellement à l’État du Colorado que celui-ci doit rendre de l’argent, en vertu d’une loi de 1992, soit à l’État fédéral, soit aux contribuables. Qu’en est-il en revanche sur le plan de la santé publique ? On peut s’interroger.
La légalisation poserait aussi de nombreuses questions particulièrement délicates à trancher : quelles modalités concrètes dans la mise en œuvre d’une telle politique ? Quel type de production et de distribution organiserait-on ? Passerait-on par les bureaux de tabac, les pharmacies ou de nouvelles entités ad hoc ? Quels tarifs seraient pratiqués, sachant que les prix devraient être de nature à casser les réseaux de trafic et qu’il ne faudrait donc absolument pas y voir un moyen de ressources supplémentaires pour l’État ?
Je finirai par quelques mots sur l’importance de la prévention, à propos de laquelle nous n’insisterons jamais assez. Je suis convaincu que la pédagogie serait plus utile et plus efficace que l’interdiction brutale. Nos lois répressives n’empêchent pas la consommation de cannabis ; ce sont donc les individus, et particulièrement les jeunes – c’est en effet souvent à cette période de la vie que se fait l’initiation à la consommation de cannabis –, que nous devons informer, prévenir, éduquer, et même convaincre, dirai-je ! Pour ce faire, des campagnes et actions de prévention dans les collèges et lycées, dirigées vers ces publics potentiellement exposés aux dangers du cannabis, doivent être mises en œuvre. Elles doivent intervenir dès le début du collège, puis être adaptées et répétées.
Mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui ne me semble pas suffisamment aboutie pour être votée en l’état. Les nombreux renvois à des décrets sont d’ailleurs révélateurs. Ce texte doit néanmoins être salué, car il ouvre le débat sur un problème de santé publique de premier plan.
Je le rappelle, Mme la ministre de la santé nous a fait part, le 4 février dernier, des mesures envisagées par le Gouvernement à ce sujet.
En conséquence, le groupe socialiste ne votera pas ce texte.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Esther Benbassa, qui vise à autoriser la vente au détail de cannabis aux personnes majeures, c'est-à-dire à mettre en place une dépénalisation, nous permet d’ouvrir un débat. Comme ma collègue Françoise Gatel, je regrette que celui-ci ait été coupé en deux !
Cette proposition de loi conduirait à aligner la vente du cannabis sur le modèle du tabac. Ainsi, l’État contrôlerait la distribution du cannabis, tout en en interdisant la publicité et la vente aux mineurs.
Je dois reconnaître que l’exposé des motifs de votre proposition de loi, madame Benbassa, ainsi que le rapport de M. Desessard soulèvent des questions essentielles telles que l’inefficacité de nos politiques de prévention et de lutte contre le cannabis, ou la dangerosité et les conséquences néfastes de la consommation de cannabis.
En effet, malgré une répression sévère, la France est, après l’Espagne, le pays d’Europe où l’on consomme le plus fréquemment du cannabis.
Hier, dans la « matinale » d’une grande radio nationale, un baromètre officiel, encore non diffusé, a été évoqué. Il révèle des chiffres alarmants : on serait ainsi passé de 500 000 à 700 000 consommateurs quotidiens en quatre ans. Les consommateurs fumant au moins dix joints par mois représenteraient désormais 1, 5 million d’individus, tandis que les usages réguliers seraient de plus en plus banalisés dans tous les milieux.
Par ailleurs, d’après l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, l’OFDT, 41, 5 % des jeunes âgés de dix-sept ans ont déclaré, en 2011, avoir fumé du cannabis au cours de leur vie. Parmi ces derniers, plus de un sur cinq déclare avoir consommé du cannabis au cours du dernier mois, ces consommations ayant lieu principalement le week-end.
Quel est le problème d’une consommation occasionnelle et festive, diront certains ? Mes chers collègues, de nombreuses études le montrent, cette consommation n’est malheureusement pas sans conséquence.
Comment pourrions-nous fermer les yeux, alors que nous savons que le cannabis peut entraîner, notamment en cas de consommation régulière, une dépendance, surtout psychique, entraînant des problèmes non seulement relationnels, mais aussi scolaires ou professionnels ?
Comment laisser croire à des jeunes que cette consommation est anodine, quand nous savons que la consommation de cannabis altère les capacités de mémorisation, d’apprentissage et de concentration, ainsi que les aptitudes au raisonnement ?
Enfin, comment passer sous silence les troubles de la coordination motrice induits par cette consommation, lesquels sont susceptibles d’augmenter les risques associés à la conduite ? La prise de cannabis potentialise en outre les effets de l’alcool.
L’enquête SAM, Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière, a montré les liens entre consommation de cannabis et accidents de la route, notamment les accidents mortels. Malheureusement, depuis au moins trois ans, le nombre de conducteurs arrêtés pour conduite sous l’emprise de cannabis est en constante augmentation.
En effet, d’après l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, le nombre de conducteurs contrôlés sous l’emprise de stupéfiants a augmenté de 18 % sur l’année 2009-2010, de 1, 2 % en 2010-2011 et de 13 % au cours des sept premiers mois de l’année 2012.
Mais la consommation de cannabis a également des conséquences sociales, puisqu’il s’agit de la première substance en cause dans le cadre des interpellations pour usage de stupéfiants.
D’après l’OFDT, les interpellations pour usage de cannabis représentent toujours 90 % des interpellations pour usage de stupéfiants. Ces dernières ont augmenté de 65 % par rapport à l’année 2000. En dehors de l’usage, les services de police et de gendarmerie ont effectué 15 302 interpellations pour usage- revente et trafic de cannabis en 2010.
J’en viens donc naturellement à évoquer la question du trafic. Selon vous, madame Benbassa, la dépénalisation constituerait un moyen d’y mettre fin et de tarir une source de revenus du crime organisé.
Pourtant, d’après Stéphane Quéré, criminologue au département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines de l’université de Paris II, et grand spécialiste du grand banditisme et du crime organisé, la dépénalisation de la consommation du cannabis dans certains pays n’a pas fait disparaître le crime organisé. Celui-ci s’est simplement adapté, réussissant à s’implanter, notamment aux Pays-Bas, dans les coffee shops, tout en gardant la main sur la culture du cannabis.
C’est pourquoi, aux Pays-Bas, pays pionnier dans ce domaine, les autorités font aujourd’hui marche arrière. Elles ont ainsi récemment décidé d’encadrer davantage l’installation des coffee shops, qu’elles n’autorisent plus qu’à grande distance des frontières et, surtout, des écoles.
On peut également faire un parallèle avec le tabac : sa vente et sa consommation sont légales dans notre pays, ce qui n’empêche pourtant pas les trafics. En tant que sénatrice de la Haute-Garonne, département proche de l’Espagne et de l’Andorre, je peux témoigner du trafic florissant de cigarettes, notamment à Toulouse.
Par ailleurs, on le sait aussi, la consommation de cannabis peut conduire à la prise de drogues dures, bien que la transition soit loin d’être automatique. L’expérience de l’Espagne dans les années quatre-vingt en est la parfaite illustration.
Le fait de légaliser le marché de certaines formes de cannabis pourrait aussi contribuer au développement d’un marché parallèle d’un cannabis plus puissant, synonyme d’effets psychotropes amplifiés, mais aussi et surtout d’une plus grande dangerosité pour les consommateurs.
Enfin, on peut se demander quelle signification sociale se dégagerait d’un scénario de « nationalisation » du cannabis. Quel signal enverrait l’État en organisant le commerce d’un produit réputé néfaste et dangereux ? Ne sommes-nous pas là face à une fausse bonne solution ?
Aussi, si la dépénalisation n’entraîne pas un meilleur contrôle du trafic et ne réduit pas les dangers liés à une consommation régulière, pourquoi devrait-on se diriger vers cette solution ?
C’est pour toutes ces raisons que le groupe UMP votera contre ce texte.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à débattre d’un sujet qui n’est pas nouveau et fait même régulièrement l’objet de débats d’idées passionnels, non seulement en France, mais aussi partout dans le monde. Ce sujet sociétal fait l’objet une proposition de loi visant à faire sortir de l’ombre les non-dits liés à la consommation, et donc à la vente du cannabis.
Légaliser la consommation du cannabis signifie donner un cadre légal à une drogue qui, jusqu’à présent, n’en avait pas dans la mesure où elle était définie comme interdite. Le cadre juridique peut prendre plusieurs formes, de la plus stricte à la plus libérale. L’alcool et le tabac, deux substances addictives et potentiellement dangereuses pour la santé, sont aujourd’hui – tel n’a pas toujours été le cas – vendus et consommés sous la responsabilité de chacun, selon des règles encadrantes : loi Evin, monopole du tabac pour un contrôle de la production jusqu’à la vente, interdiction de vente à des mineurs…
La question de la légalisation se pose actuellement pour ce qui concerne le cannabis. Allons-nous, comme nos amis américains des États du Colorado et de Washington, autoriser la légalisation du cannabis à des fins récréatives, dans une société en quête de repères, avec un gardien, un régulateur, qui serait l’État ? Allons-nous confier à notre administration française le monopole de la vente au détail de cette drogue qu’est le cannabis, lui donner la mission de contrôler sa production, sa fabrication, sa détention et sa circulation ? Selon moi, il faut savoir raison garder.
Autoriser l’usage contrôlé du cannabis et de ses dérivés, c’est donner un mauvais signal à notre République.
La commission des affaires sociales du Sénat a examiné le texte proposé par Mme Benbassa, sénatrice du groupe écologiste. Les débats ont été à la hauteur des passions. Le législateur, garant de l’intérêt général, rappelons-le, ne remplirait pas sa mission en repoussant les limites d’une société déjà ébranlée.
Le texte dans sa globalité me pose problème, car je pense que notre société a un besoin fondamental de repères, surtout aujourd’hui.
Il ne nous appartient pas de minimiser ou de nier les incidences sur la santé liées à l’absorption, même occasionnelle, du cannabis. Je veux parler par exemple de la baisse des facultés cognitives, des troubles psychotiques et de la déscolarisation. Légaliser une drogue, c’est prendre le risque de pouvoir accroître sa disponibilité, et donc le nombre de consommateurs. Voulons-nous prendre ce risque pour nos jeunes ?
Le rapporteur a dressé un excellent tableau de la situation actuelle, et je pense que la légalisation serait un mauvais signal dans le contexte actuel.
Les experts estiment que les substances addictives licites, comme peuvent l’être les deux fléaux que sont l’alcool et le tabac, ont des niveaux de consommation plus de huit fois supérieurs à ceux des drogues illicites.
Enfin, il n’existe aucun lien automatique – le précédent intervenant l’a rappelé – entre la fin de la prohibition et celle des trafics. Le trafic de cigarettes est la source financière principale de certaines organisations criminelles, qui ont mis en place une véritable économie parallèle dans certains pays, alors que le tabac a un statut légal dans le monde entier.
Pour lutter contre les trafics de cannabis, nous disposons déjà d’un arsenal répressif ; une légalisation du cannabis ne permettrait pas d’enrayer les trafics dans nos quartiers.
Si la prohibition du cannabis est une utopie, la légalisation est tout aussi irréaliste quant à sa finalité.
Cependant – et M. le rapporteur a bien mis en évidence cet aspect des choses –, il y a dans la proposition de loi des aspects intéressants, notamment l’article 2, qui est consacré à la prévention. C’est sous cet angle, me semble-t-il, qu’il faut aborder le problème du cannabis.
Voilà un an, madame la secrétaire d'État, le Gouvernement a mis en place un plan stratégique qui donne la priorité à la prévention par rapport à la répression. Les adolescents sont mis en garde par de jeunes adultes, qu’ils ont l’habitude d’écouter plus que les adultes ! Le plan est dit « pédagogique », avec des professionnels au contact des jeunes. C’est cette prévention qu’il faut à mon avis favoriser.
Les associations de lutte contre les drogues donnent les grandes lignes de prévention de la consommation.
Premièrement, il faut donner à son adolescent les bonnes raisons de ne pas prendre de drogues.
Deuxièmement, il faut éviter que son adolescent ne se retrouve dans des situations à risques.
Troisièmement, il faut montrer l’exemple : les comportements des référents comptent aussi dans la prévention. Qu’en est-il de la figure d’autorité qui admet souvent avoir été ou être consommatrice ?
Pour toutes ces raisons, les sénateurs UMP de la commission des affaires sociales ont voté contre la proposition de loi. En somme, l’interdit des drogues en France ne doit pas être affaibli par une légalisation d’une partie d’entre elles. Le cannabis est un vrai sujet de santé publique, et nous devons à notre jeunesse vigilance et bon sens.
Je le redis, la société française a besoin d’affirmer les limites qui sont les siennes, conformes à nos valeurs, à nos principes fondamentaux. L’interdiction de l’usage du cannabis est pour moi un principe essentiel.
Mme Françoise Gatel, MM. David Rachline et Michel Vaspart applaudissent.
Je tiens à remercier les différents intervenants de la mesure dont ils ont fait preuve dans leurs propos. Ils ont admis que ce débat avait le mérite d’exister, et je sais donc gré à Mme Benbassa d’avoir déposé cette proposition de loi, qui nous a permis d’engager cette discussion.
Madame Micouleau, vous avez insisté, comme Mme Gatel et comme je l’ai fait moi-même dans mon rapport, sur le paradoxe suivant : on enregistre en France une des plus fortes consommations de cannabis en Europe alors que la répression est très forte dans notre pays. Je vous remercie d’avoir dressé ce constat, qui est bien la source du problème : la répression, si elle faisait diminuer la consommation, se justifierait plus facilement ; or il semble que, en dépit d’une répression accrue, la consommation n’en finit pas d’augmenter.
Mme Gatel et M. Forissier ont déploré sinon les lacunes, du moins les insuffisances de la prévention. Si le cannabis était légalisé, ne peut-on pas penser que la prévention s’en trouverait favorisée ? Ce qui est grave, c’est que des adultes consomment du cannabis en quantité. Comme vous l’avez signalé, monsieur Forissier, certains pays ont autorisé sa consommation, mesurée, par les adultes à des fins récréatives. Pour les adultes, donc, c’est bien la surconsommation, la consommation abusive, excessive qui est grave. En revanche, vous y avez bien insisté, la consommation de cannabis même à faible dose par les jeunes peut être grave et avoir des conséquences sur leur développement cérébral.
Madame Gatel, vous avez insisté sur la question de la dépendance. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous : le cannabis, si on le compare à d’autres drogues, n’entraîne qu’une faible dépendance – cela figure dans le rapport. De même, autant le tabac ou l’héroïne entraînent une forte dépendance, autant la dépendance au cannabis n’est pas supérieure à la dépendance à l’alcool.
M. Godefroy nous a proposé de prendre du recul, d’attendre les résultats des expérimentations menées en Uruguay et au Colorado avant toute décision – en tout cas, c’est ce que j’ai cru comprendre.
Il a aussi abordé l’aspect financier de la question. Je dois avouer que je n’ai pas compris l’argument qu’il tire de l’expérience menée au Colorado quand il déplore le surplus de recettes qu’a retiré cet État de la légalisation du cannabis. Dans la situation d’endettement dans laquelle elle se trouve actuellement, comment la France pourrait-elle se priver d’un surcroît de recettes ?
Vous l’avez dit, la consommation de cannabis entraîne des problèmes de santé. Certes, mais la consommation est aujourd’hui très importante. Et ces problèmes sont d’autant moins faciles à régler que cette consommation n’est pas légalisée. La légalisation du cannabis serait source de recettes complémentaires – à l’instar des taxes qui pèsent sur les tabacs. En même temps – et vous n’y avez fait aucune référence –, la lutte contre les mafias nécessite des moyens policiers et judiciaires très importants. De fait, la légalisation du cannabis permettrait d’éviter la constitution de ces mafias qui se sont complètement investies dans le trafic de cannabis. C’est quand même là le problème numéro un.
Mme Micouleau a souligné que la dépénalisation de la consommation du cannabis aux Pays-Bas n’avait pas fait disparaître les mafias, celles-ci s’étant adaptées. Le problème, c’est que les Pays-Bas ont fait les choses à moitié : lorsque l’on traverse un fleuve, on n’est pas en sécurité tant que l’on n’a pas rejoint la rive opposée !
Ils ont légalisé non pas la production du cannabis, mais simplement sa distribution. De fait subsiste tout un secteur gris : d’où vient le cannabis qui est légalement consommé ? C’est pourquoi il est important de légaliser la production du cannabis parallèlement à sa distribution afin d’enrayer tout phénomène de clandestinité.
M. Forissier a évoqué l’usage récréatif du cannabis autorisé dans certains pays. Je l’en remercie, même si son propos, qu’il a nuancé, ne valait pas approbation de cette mesure. Effectivement, la question est posée : quelle différence entre le cannabis et l’alcool ? Une consommation équilibrée, mesurée d’alcool peut être considérée comme récréative ; c’est son abus qui est dangereux. De la même façon, on peut penser que l’usage du cannabis par les adultes peut être récréatif, sa consommation excessive pouvant cependant être dangereuse.
Mme Micouleau a également évoqué la conduite de véhicules sous l’emprise de stupéfiants. Mais si la réaction aux tests de détection pratiqués à l’occasion d’un contrôle routier est positive trois heures après l’absorption d’alcool, elle l’est encore, s’agissant du cannabis, trois ou quatre jours après l’usage ! C’est d’ailleurs ce qui explique qu’un nombre croissant d’automobilistes soient arrêtés pour conduite sous l’emprise de cannabis. Or la dangerosité des effets de cette drogue s’atténue bien avant ces trois ou quatre jours. Il est donc nécessaire de revoir la question des tests.
Pour conclure, j’ai bien compris que la tendance générale n’était pas à l’adoption de cette proposition de loi.
Mme la secrétaire d’État le confirme avec malice.
Néanmoins, je me félicite que ce texte ait pu être examiné malgré tout dans un climat positif, et que la discussion ait progressé. Une chose dont je suis sûr, c’est que ce débat n’est pas terminé.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Claude Bérit-Débat applaudit également.
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Le livre IV de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un titre III ainsi rédigé :
« Titre III
« usage contrôlé du cannabis
« Chapitre Ier
« Dispositions générales
« Art. L. 3431-1. – Sont autorisés, dans les conditions prévues par les dispositions du présent chapitre, la vente au détail et l’usage, à des fins non thérapeutiques, de plantes de cannabis ou de produits du cannabis dont les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’État et dont la teneur en tétrahydrocannabinol n’excède pas un taux fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
« Les conditions d’autorisation et de contrôle de la production, de la fabrication, de la détention et de la circulation des plantes de cannabis et des produits du cannabis mentionnés au premier alinéa sont déterminées par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 3431-2. – Le monopole de la vente au détail des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est confié à l’administration qui l’exerce, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, par l’intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés.
« Toute revente est interdite.
« Art. L. 3431-3. – Le représentant de l’État dans le département peut prendre des arrêtés pour interdire l’installation de débits de plantes de cannabis et de produits du cannabis, à l’intérieur d’un périmètre qu’il détermine, autour :
« - des établissements scolaires et des établissements de formation ou de loisirs accueillant des mineurs ;
« - des installations sportives.
« Art. L. 3431-4. – Sont interdites :
« - la distribution ou l’offre à titre gratuit des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 ;
« - la vente de ces plantes et produits aux mineurs. La personne qui les délivre peut exiger de tout client qu’il établisse la preuve de sa majorité ;
« - leur vente en distributeurs automatiques.
« Un débitant ne peut en aucun cas vendre à un acheteur une quantité de plantes ou de produits mentionnés à l’article L. 3431-1 supérieure à celle, fixée par décret en Conseil d’État, dont la détention est autorisée.
« Art. L. 3431-5. – L’usage des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est interdit dans les lieux publics, dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les moyens de transport collectifs.
« Art. L. 3431-6. – La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est interdite.
« Les enseignes des débits de vente doivent être conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel.
« Toute opération de parrainage est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité d’un produit ou d’un article autre que les plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 lorsque, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle ces plantes ou produits.
« Art. L. 3431-7. – Les plantes et produits définis à l’article L. 3431-1 sont vendus dans des emballages mentionnant :
« - leur composition intégrale ;
« - leur teneur en tétrahydrocannabinol.
« Ces emballages portent également un message à caractère sanitaire.
« Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe les modalités d’inscription de ces mentions obligatoires, ainsi que la méthode d’analyse permettant de mesurer la teneur en tétrahydrocannabinol et les méthodes de vérification de l’exactitude des mentions portées sur les emballages.
« Art. L. 3431-8. – L’État organise des campagnes d’information et de prévention des risques inhérents à l’usage de produits stupéfiants.
« Chapitre II
« Dispositions pénales
« Art. L. 3432-1. – Est constitutif du délit défini à l’article 222-39 du code pénal :
« - Le fait, pour toute personne, de céder ou d’offrir des plantes ou produits mentionnés à l’article L. 3431-1 sans avoir la qualité de débitant au sens de l’article L. 3431-2, ou de revendre ou d’offrir des plantes ou produits vendus par un débitant ;
« - Le fait, pour tout débitant, de vendre à des mineurs les plantes ou produits mentionnés à l’article L. 3431-1, ou de vendre à un acheteur une quantité de ces plantes ou produits supérieure à celle fixée en application du dernier alinéa de l’article L. 3431-4.
« Art. L. 3432-2. – Le fait, pour un débitant, de mettre à disposition du public un appareil automatique distribuant les plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est puni d’une amende de 10 000 euros. L’appareil ayant servi à commettre l’infraction est saisi et le tribunal en prononce la confiscation.
En cas de récidive, un emprisonnement de 6 mois peut en outre être prononcé.
« Art. L. 3432-3. – Est constitutif du délit défini à l’article L. 3421-1 le fait, pour toute personne, de détenir des plantes ou produits mentionnés à l’article L. 3431-1 en quantité supérieure à celle fixée en application du dernier alinéa de l’article L. 3431-4, ou d’en faire usage en violation des dispositions de l’article L. 3431-5.
« Art. L. 3432-4. – Les infractions aux dispositions de l’article L. 3431-6 sont punies d’une amende de 100 000 euros. »
L'amendement n° 1, présenté par M. Desessard, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6
Remplacer les mots :
par les dispositions du
par le mot :
au
II. – Alinéa 8
Après les mots :
plantes et
insérer le mot :
des
III. – Alinéa 14
Après les mots :
plantes et
insérer le mot :
des
IV. – Alinéa 15, première phrase
Après les mots :
Plantes et
insérer les mots :
de ces
V. – Alinéa 17
Remplacer les mots :
, fixée par décret en Conseil d’État, dont la détention est autorisée
par les mots :
dont la détention est autorisée par décret en Conseil d’État
VI. – Alinéa 19
Après les mots :
plantes et
insérer le mot :
des
VII. – Alinéa 20
Remplacer les mots :
doivent être
par le mot :
sont
VIII. – Alinéa 21
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Est interdite toute opération de parrainage qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque ou de tout autre signe distinctif, rappelle les plantes et les produits mentionnés à l’article L. 3431-1.
IX. – Alinéa 22
1° Après les mots :
plantes et
insérer le mot :
les
2° Remplacer le mot :
définis
par le mot :
mentionnés
X. – Alinéa 31
1° Après les mots :
céder ou d’offrir des plantes ou
insérer le mot :
des
2° Remplacer les mots :
revendre ou d’offrir des plantes ou
par les mots :
revendre ou d’offrir ces plantes ou ces
XI. – Alinéa 32
1° Après les mots :
les plantes ou
insérer le mot :
les
2° Après les mots :
ces plantes ou
insérer les mots :
de ces
XII. – Alinéa 33, première phrase
Après les mots :
les plantes et
insérer le mot :
les
XIII. – Alinéa 35
Après les mots :
plantes ou
insérer le mot :
des
XIV. – Alinéa 36
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 3432-4. – Le fait de contrevenir aux dispositions de l’article L. 3431-6 est puni d’une amende de 100 000 €. »
La parole est à M. le rapporteur.
Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Je précise, à l’attention de celles et de ceux qui seraient tentés de voter contre cet amendement, que son adoption ne signifie pas adoption de la proposition de loi ! Cet amendement tend simplement à améliorer la rédaction de l’article 1er.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement, même si cela ne correspond pas à son avis sur l’ensemble du texte.
Sourires.
L'amendement est adopté.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote sur l'article.
Mes chers collègues, monsieur le rapporteur, je voudrais tout d’abord vous remercier de votre présence dans cet hémicycle en ce jour important pour beaucoup d’entre vous, puisque sont désignés aujourd’hui les présidents de conseil départemental, et du sérieux qui a entouré ces débats.
Il semble bien que la Haute Assemblée ne soit pas encore prête à envisager sereinement l’autorisation de l’usage contrôlé du cannabis. Mais le débat est lancé, et je m’en réjouis. Nous ne sommes qu’au début du chemin, et certaines questions importantes ont été posées.
Dans quelques années, j’en suis certaine, nous finirons nous aussi par emprunter la voie de la légalisation de l’usage contrôlé du cannabis, voie ouverte par d’autres pays et qui a fait ses preuves. J’en ai la forte conviction tout simplement parce que nous ne pouvons continuer de fermer les yeux sur une réalité sociale dont l’ampleur ne peut plus être niée.
La consommation de cannabis ne cesse d’augmenter dans notre pays ; à cet égard, les derniers chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies sont édifiants.
Nous avons le devoir de nous saisir de ce phénomène et, quelle que soit la voie choisie, de répondre aux enjeux à la fois sanitaires et sécuritaires qui nous préoccupent.
Nous avons le devoir, quelle que soit notre orientation politique, d’élaborer une véritable politique de santé publique à destination des adolescents et des jeunes adultes, et d’apporter des réponses concrètes et pragmatiques à nos concitoyens.
Je suis ravie de voir que, malgré l’opposition à ce texte, quelques signaux positifs ont été donnés par toutes les sensibilités politiques. J’ose penser que cette proposition de loi a finalement permis une sensibilisation quant à l’usage contrôlé du cannabis. Tel était en effet l’objectif principal que visait son dépôt.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Claude Bérit-Débat applaudit également.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe écologiste et, l'autre, du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 117 :
Nombre de votants327Nombre de suffrages exprimés302Pour l’adoption13Contre 289Le Sénat n'a pas adopté.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Francis Delattre applaudit également.
À la première phrase de l’article L. 312-18 du code de l’éducation, les mots : « une séance annuelle » sont remplacés par les mots : « trois séances annuelles ».
L'article 2 n'est pas adopté.
Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 3, je vous rappelle que, par cohérence avec la suppression des deux premiers articles, cet article ne devrait pas être adopté dans la mesure où il prévoit un gage. S’il est supprimé, il n’y aura plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi et il n’y aura pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote sur l'article.
Mes chers collègues, comme beaucoup d’entre vous, je réprouve absolument sans réserve la consommation de cannabis. Il s’agit d’une drogue qui, comme chacun le sait, peut provoquer de graves dommages intellectuels, sans parler des risques de dérive vers des drogues plus dures.
Cela étant dit, il faut prendre acte de l’échec absolu de la politique de répression de l’usage du cannabis et de sensibilisation à cet égard. La réponse de la société à ce fléau ne fonctionne pas. Pourquoi ? Peut-être pensez-vous que l’on n’a pas été assez ferme en matière de répression ? Face à l’échec, notre premier réflexe est toujours de vouloir faire plus de la même chose, comme l’a démontré le sociologue Paul Watzlawick.
Comme M. Desessard, je pense qu’il est nécessaire d’agir autrement. Fumer du cannabis est un vice, que l’État doit encadrer comme il a encadré le jeu : il s’est ainsi attribué le monopole des jeux de hasard au lieu de laisser proliférer les tripots clandestins. De la même façon, il a encadré la vente d’alcool et de tabac.
Déjà, au siècle dernier, les États-Unis avaient expérimenté sans succès la prohibition de l’alcool. Dans un rapport publié en 2011, le Global Commission on Drug Policy indique que les États-Unis ont dépensé 1 000 milliards de dollars depuis 1971 dans la lutte contre les drogues. Le rapport conclut que la guerre mondiale contre les drogues a échoué. Les États-Unis sont aujourd’hui le pays où la consommation de drogue est la plus élevée au monde. La moitié de sa population carcérale est ainsi détenue pour violation de la réglementation sur les drogues.
À l’inverse, le Portugal a décriminalisé en 2001 l’usage personnel de toutes les drogues, substituant les soins à la prison. Cinq ans plus tard, cet usage avait nettement diminué chez les adolescents et le nombre de décès liés aux drogues a réduit de moitié.
Tant que le cannabis sera interdit, il attirera les jeunes par goût de la transgression et fera la fortune des réseaux mafieux ! En réalité, interdire le cannabis n’empêche pas les gens de fumer ; cela les empêche juste de respecter la loi !
C’est la raison pour laquelle j’ai voté tout à l’heure en faveur de l’article 1er de cette proposition de loi qui vise à autoriser la consommation encadrée du cannabis.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
Comme l’avait souligné ma collègue Laurence Cohen lors de la discussion générale, les addictions à des substances licites ou illicites soulèvent des problèmes de santé publique, de sécurité et de « mieux vivre ensemble ».
Le cannabis défraie souvent la chronique et est également source de vives polémiques. De nombreux travaux et études en provenance du monde entier soulignent à la fois la complexité du phénomène et la nécessité de ne pas en faire un problème à part.
Au fond, il est demandé au législateur que nous sommes non seulement de mesurer tous les enjeux de ce débat, mais également de mieux faire comprendre ces derniers à l’ensemble de la société.
La loi actuellement en vigueur date de 1970 et considère l’usager de drogue, quelle que soit la substance utilisée, comme une personne dangereuse qu’il convient d’enfermer. Ce postulat a permis à de précédents gouvernements de prendre des dispositions répressives accrues.
Or, quel en a été le résultat ? Comme cela a été rappelé par divers intervenants, la seule consommation du cannabis en France, notamment chez les jeunes, est l’une des plus élevées d’Europe alors que notre pays dispose de la législation la plus répressive. Cela ne fonctionne donc pas !
Cette chasse aux consommateurs a de surcroît favorisé la multiplication des procédures juridico-policières, entraînant l’encombrement des tribunaux et des prisons par les consommateurs, au lieu de permettre à l’État de consacrer ses moyens à la lutte contre les trafics et les trafiquants.
La proposition de loi du groupe écologiste a de nouveau ouvert le débat au sein de la Haute Assemblée. C’est sans doute une bonne chose. Néanmoins, nous nous interrogeons pour notre part quant à l’angle d’attaque choisi : pour ou contre la légalisation du cannabis ?
Le groupe communiste républicain et citoyen est, quant à lui, favorable à la dépénalisation de l’usage du cannabis, ce qui permettrait à la police et à la justice de concentrer leurs efforts sur les réseaux.
Il nous semble surtout que la baisse des consommations de drogue ne peut résulter que d’une politique globale de prévention et d’une réflexion sur l’ensemble des addictions. Il y a véritablement urgence à mettre en place une politique de haut niveau de réduction des risques, avec un travail en profondeur auprès de la population, permettant une prise de conscience et une mobilisation de l’opinion.
Cela nécessite bien entendu un accroissement et un renforcement des moyens humains et financiers, ainsi qu’une volonté affirmée de développer la prévention, et donc la formation. Or rien n’est prévu dans ce domaine, que ce soit au niveau des études de médecine ou en matière de nomination des professeurs : il n’existe ainsi aucune chaire de médecine préventive.
Par ailleurs, un plan gouvernemental vient d’être lancé. S’il semble intéressant sur le papier, il risque fort de n’avoir aucun effet, faute des financements adéquats.
La lutte contre les addictions mérite une loi globale. Telle est en tout cas la conviction de notre groupe. Ne prendre qu’un aspect de la problématique est, selon nous, très réducteur et renvoie à un débat tronqué.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe CRC s’abstiendra sur cette proposition de loi.
L'article 3 n'est pas adopté.
Les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble du texte n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis n’est pas adoptée.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. (proposition n° 269, texte de la commission n° 363, rapport n° 362).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui autour d’un texte qui a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Or c’est bien l’esprit de cette proposition de loi, je pense, que de chercher le rassemblement.
Ce texte qui vous est proposé comporte, à mon sens, deux objectifs principaux.
Le premier objectif consiste à mieux mesurer le quotidien des Françaises et des Français, afin de mieux orienter les politiques publiques. On critique beaucoup, à cet égard, l’utilisation du produit intérieur brut, ce PIB qui est devenu l’étalon de l’activité économique, et donc l’indicateur phare pour la prise de décision. Il serait vain, me semble-t-il, de vouloir remplacer le produit intérieur brut par un nouvel indice synthétique, ce qui n’est d’ailleurs pas l’objet de cette proposition de loi. Il s’agit plutôt de compléter le PIB pour mieux éclairer tel ou tel aspect de la société pour lequel des réponses doivent être apportées ; cela me semble particulièrement utile.
L’exemple le plus récent qui me vient à l’esprit est celui de la jeunesse. La création d’un indicateur spécifique sur les jeunes, les « NEET », c’est-à-dire les jeunes de moins de vingt-cinq ans qui ne sont ni en éducation, ni en formation, ni dans l’emploi, a permis de mieux appréhender cette population très particulière, qui représentait plus de 18 % des jeunes en 2013, parmi les pays de l’OCDE.
Des politiques publiques spécifiques pour tenter de s’attaquer à ce phénomène ont été mises en œuvre. Je pense notamment à la « garantie jeunes », que nous avons d’ailleurs souhaité renforcer en France, pour donner toutes ses chances à la jeunesse.
On voit donc que le fait de mesurer peut avoir des conséquences importantes sur l’action publique. Cela ne vaut cependant que si l’on donne suffisamment de poids à ces indicateurs pour qu’ils entrent dans le débat national ; la présente proposition de loi, visant à en débattre au moins une fois par an au sein du Parlement, me semble utile et raisonnable.
Que faut-il mesurer ? À quelle fréquence ? Combien d’indicateurs faut-il ? Autant de questions légitimes, méritant à mon sens que l’on prenne le temps de la concertation, sous une forme à préciser. Il faudra toutefois veiller à être à la fois complet et concis dans le choix des mesures à mettre en avant, sans quoi on oublierait l’essentiel, qui est de donner du sens à cette démarche.
Le second objectif de cette proposition de loi est de remettre le long terme au cœur des politiques publiques. C’est, à mon sens, un facteur clé pour construire une croissance de qualité, c’est-à-dire qui soit assise sur des bases solides afin de produire des gains durables.
Retrouver une croissance solide et durable, telle est la priorité du Gouvernement.
Lorsque nous misons sur l’éducation en créant 60 000 postes et en favorisant l’accès à la formation professionnelle via le compte personnel de formation, nous travaillons pour le présent et pour l’avenir.
Lorsque nous portons une loi sur la transition énergétique et que nous nous investissons pleinement pour la réussite de la conférence sur le climat de cette fin d’année, nous travaillons pour le présent et pour l’avenir.
Lorsque nous réduisons les déficits, en veillant à ce que le rythme de réduction ne compromette pas la croissance, nous travaillons pour le présent et pour l’avenir.
Le présent texte vient donc conforter notre ambition, qui est de donner à chacun un cadre de vie meilleur, sur le court terme comme sur le long terme. Le Gouvernement s’associe donc pleinement à la démarche engagée par ce texte. J’espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous saurons dépasser nos différences pour nous rassembler autour de cette proposition de loi.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à la prise en comptes des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. Ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 29 janvier dernier, sur l’initiative d'Eva Sas et de plusieurs de ses collègues du groupe écologiste.
Cette proposition de loi a été élaborée à la suite du dépôt, également sur l’initiative du groupe écologiste de l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi organique portant modification de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse. Toutefois, cette dernière proposition avait été retirée par ses auteurs, le recours à un texte de nature organique ayant été jugé peu opportun par nos collègues députés.
Quoi qu’il en soit, la proposition de loi dont nous sommes saisis vise à ce que le Gouvernement remette annuellement au Parlement, le premier mardi d’octobre, un rapport « présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable ». De même, elle prévoit une évaluation des politiques publiques engagées et à venir sur la base de ces nouveaux indicateurs de richesse. Enfin, la proposition de loi dispose que « ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement ».
Force est de constater que la proposition de loi répond à une véritable préoccupation. En effet, elle tend à ce que soient pris en compte de nouveaux indicateurs de richesse venant compléter, sans le remplacer, le produit intérieur brut, dont les limites sont connues de tous.
Le PIB constitue indéniablement une mesure utile de l’évolution des performances économiques, M. le secrétaire d’État vient de le rappeler à l’instant, puisqu’elle n’est pas sans lien avec le bien-être des individus, dès lors qu’elle influe, par exemple, sur le niveau de chômage et qu’elle permet aux autorités publiques d’adapter leurs politiques en conséquence.
Pour autant, cet indicateur ne permet pas d’appréhender la « qualité » de la croissance, ou encore sa « soutenabilité ». En particulier, en application du principe d’« objectivation » des comptes, le PIB ne distingue pas les activités ayant une incidence positive et celles dont l’effet sur le bien-être des individus est négatif. À titre d’exemple, le trafic de stupéfiants est comptabilisé comme toute autre activité de nature commerciale…
Cette « limite » du PIB a été perçue dès l’origine, notamment par l’économiste Simon Kuznets, qui est considéré comme le père de la comptabilité nationale.
Dans ces conditions, de nombreuses initiatives se sont succédé pour étendre ou compléter le PIB, dont je ne citerai que les principales : l’indice de développement humain, l’IDH, développé dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement, le PNUD, au début des années quatre-vingt-dix ; la mesure du bien-être économique, conçue par deux célèbres économistes américains, William D. Nordhaus et James Tobin, au cours des années soixante-dix ; l’indicateur de santé sociale, l’ISS, ou encore l’empreinte écologique.
À quelques exceptions près, les indicateurs de richesse apparus dans la seconde moitié du XXe siècle n’ont connu qu’un succès limité, conservant une visibilité bien moindre que le PIB. Néanmoins, la crise économique et financière a remis à l’ordre du jour les interrogations sur la finalité de la croissance, relançant, par la même occasion, les réflexions relatives aux nouveaux indicateurs de richesse.
À cet égard, il convient de citer les initiatives prises par les organisations internationales et européennes. Ainsi, quelques mois avant la crise, soit en juin 2007, l’OCDE organisait un forum mondial intitulé « Mesurer et favoriser le progrès des sociétés ». La déclaration d’Istanbul qui en a résulté a relevé « un consensus émergeant sur la nécessité de procéder à une mesure du progrès social dans chaque pays, allant au-delà des mesures économiques conventionnelles comme le PIB par tête », ses signataires appelant à ce que des mesures concrètes soient prises afin de favoriser le développement et la diffusion de mesures nouvelles du « progrès social ».
Continuant dans cette voie, l’OCDE a engagé, sur le fondement des travaux menés dans le cadre de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, mise en place par le Président de la République Nicolas Sarkozy et conduite par Joseph Stiglitz, l’initiative « Vivre mieux ».
En 2009, la Commission européenne a, de son côté, publié une communication ayant pour titre Le PIB et au-delà. Mesurer le progrès dans un monde en mutation, dans laquelle elle identifie cinq actions à réaliser à court et moyen terme, tendant notamment à l’ajout d’indicateurs environnementaux et sociaux au PIB, à une précision accrue des rapports sur la distribution et les inégalités et au développement d’un tableau de bord européen du développement durable.
À ces initiatives internationales et européennes s’ajoutent les mesures prises au niveau national. À ce titre, je souhaiterais citer l’exemple britannique. L’institut de statistiques du Royaume-Uni a lancé, à la fin de l’année 2010, un « programme de mesure du bien-être national » qui a débuté par un vaste débat à l’échelle du pays, faisant appel à des experts et à des contributions citoyennes : 30 000 réponses ont alors été récoltées. Dans ce cadre, des indicateurs du bien-être ont été identifiés et font, depuis lors, l’objet d’une attention accrue dans les analyses de l’institut de statistiques.
La France est, sans aucun doute, l’un des pays où les travaux menés sur les nouveaux indicateurs de richesse ont été les plus nombreux au cours des années récentes.
Ainsi, en 2005, le Conseil national de l’information statistique, le CNIS, a mis en place un groupe de travail sur le niveau de vie et les inégalités sociales, dont les conclusions accordent une large place aux indicateurs sociaux.
De même, saisi par le Premier ministre du projet de stratégie nationale de développement durable pour la période 2009-2013, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un avis en novembre 2009, présenté par Philippe Le Clézio, considérant que la diffusion régulière d’indicateurs de développement durable constituait la voie privilégiée de l’appropriation de cette stratégie.
Comme je l’indiquais, une commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social a été mise en place par le Président de la République Nicolas Sarkozy ; conduite par Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, cette commission a rendu son rapport en septembre 2009. Ses conclusions ont eu une influence déterminante sur les travaux relatifs aux nouveaux indicateurs de richesse menés par les organisations internationales, mais aussi par l’INSEE et le Commissariat général au développement durable.
S’inspirant également du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, l’Association des régions de France a créé, en 2012, trois déclinaisons régionales d’indicateurs de richesse jusqu’alors réservés aux États – l’indice de développement humain, l’indicateur de santé sociale et l’empreinte écologique –, de même que vingt-deux indicateurs de contexte de développement durable.
En outre, dans son rapport Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie, rendu public en juin 2014, France Stratégie appelle à « associer au PIB un petit nombre d’indicateurs de la qualité de la croissance pouvant faire l’objet d’un suivi annuel ». En septembre 2014, France Stratégie a publié une note d’analyse dans laquelle elle propose sept indicateurs susceptibles d’accompagner le PIB dans un tableau de bord de la qualité de la croissance française.
Plus récemment, sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental, et en collaboration avec France Stratégie, des travaux ont été engagés afin de développer un tableau de bord d’indicateurs venant compléter le PIB. Ces travaux sont encore en cours et devraient s’achever, après la consultation d’experts et de panels de citoyens, au mois de septembre de cette année.
Il apparaît donc que les nouveaux indicateurs de richesse ne manquent pas. Toutefois, ces derniers ont pour principale faiblesse de présenter une visibilité limitée et ne sont, par conséquent, pas en mesure de « modifier » la perception qu’ont les acteurs publics et les citoyens des politiques qui sont menées. Aussi la finalité de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est-elle de renforcer la saillance de ces nouveaux indicateurs de richesse et de prévoir que ces derniers soient régulièrement actualisés et suivis.
Ces nouveaux indicateurs de richesse permettraient de compléter utilement le PIB, dont j’ai rappelé brièvement les lacunes. Néanmoins, en ma qualité de rapporteur, j’ai identifié différents éléments susceptibles, selon moi, de limiter l’efficacité de la proposition de loi. Je pense notamment à la date de transmission au Parlement du rapport relatif aux nouveaux indicateurs de richesse, ou encore à la nécessité de préciser que les indicateurs qui seront retenus dans ce cadre devront reposer sur des données objectives et quantifiables.
Dans ces conditions, j’avais initialement proposé un amendement tendant à modifier la rédaction du dispositif de la présente proposition de loi. Néanmoins, en raison des contraintes inhérentes à l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale des textes déposés sur l’initiative des groupes d’opposition et des groupes minoritaires, j’ai retiré cet amendement lors de l’examen en commission, afin de ne pas retarder plus que de raison l’adoption définitive de la proposition de loi et ai proposé une adoption conforme du texte, recommandation qui a été suivie par la commission des finances.
Bravo ! sur les travées du groupe écologiste.
Aussi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter sans modification la proposition de loi visant à la prise en comptes des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme la présidente de la commission applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis plusieurs décennies, le produit intérieur brut constitue l’un de nos principaux repères de pilotage des politiques publiques.
Indicateur central de la comptabilité nationale, le PIB exerce une influence déterminante sur nos politiques publiques. C’est en effet en fonction de cet indicateur de notre performance économique que nos budgets, notre déficit, notre dette sont calculés et que bien des décisions sont prises.
Cet outil, qui se voulait être un instrument de mesure pour nous permettre de mieux appréhender les évolutions de notre croissance économique, constitue aujourd’hui le critère déterminant pour juger de l’efficacité des politiques publiques et donc de l’action menée par un gouvernement.
Toutefois, la situation de crises à laquelle nous devons aujourd’hui faire face interroge cet indicateur, qui n’a assurément pas permis de nous alerter sur les dangers sociaux, économiques et environnementaux qui s’annonçaient. D’autres indicateurs s’en sont chargés, fort heureusement...
Ainsi, le PIB présente un bon nombre de limites, en ce qu’il n’appréhende que de manière quantitative la performance de notre activité économique, sans en mesurer la soutenabilité et les effets qualitatifs, d’un point de vue social, mais aussi environnemental.
Le développement d’une société ne peut plus se résumer au seul développement économique, même si ce dernier reste primordial pour assurer le bien-être !
Le PIB ne permet d’analyser ni les inégalités croissantes dans la répartition des richesses créées ni l’épuisement des ressources naturelles nécessaires à leur production. En effet, cet indicateur ne distingue pas les activités qui ont une incidence positive de celles qui ont un impact négatif sur le bien-être individuel et collectif des êtres humains. Il comptabilise même positivement des catastrophes naturelles, qui, bien qu’à la source de pertes matérielles voire humaines, font croître le PIB du fait des réparations des dégâts qu’elles engendrent !
De nombreux travaux ont déjà été consacrés aux limites de cet indicateur de notre modèle économique et social. À ce titre, les Nations unies et l’OCDE ont travaillé à de nouveaux instruments de mesure, le plus connu étant l’indice de développement humain, l’IDH.
Les conclusions de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, dite « commission Stiglitz », réunie par M. Sarkozy lorsqu’il était Président de la République, sont également venues conforter l’idée d’une remise en cause du PIB et la nécessité d’élaborer de nouveaux indicateurs de développement humain durable.
En France, Dominique Méda, Patrick Viveret ou encore Florence Jany-Catrice ont contribué à enrichir ces travaux avec, notamment, l’indice de santé sociale et l’empreinte écologique.
Si ces indicateurs sont utilisés par l’INSEE ou encore par le Commissariat général au plan, leur rôle reste secondaire dans l’évaluation des politiques publiques.
Aussi les sénateurs du RDSE souscrivent-ils à la philosophie qui sous-tend cette proposition de loi : cette dernière constitue un début de réflexion – et de réponse - sur un vrai sujet.
L’article unique du présent texte indique que, chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant « l’évolution, sur les années passées de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable », ainsi qu’une évaluation des politiques publiques engagées et à venir sur la base de ces indicateurs.
Nous sommes toujours très réservés quant à l’efficacité des demandes de rapport, surtout que ces derniers tardent à arriver jusqu’au Parlement...
Il est nécessaire de ne plus évaluer nos politiques publiques au seul prisme quantitatif et d’affiner nos outils statistiques.
De plus, il devient urgent d’appréhender nos politiques à l’aune de véritables objectifs : la création d’emplois, la qualité de vie, la réduction des inégalités et la protection de l’environnement. Il s’agit, par là même, de rendre tout son sens à l’action politique. C’était d’ailleurs l’esprit de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
Il faut poursuivre le travail engagé. L’examen de cette proposition de loi nous en offre l’occasion. Qui plus est, le présent texte nous permet d’ouvrir un plus large débat démocratique sur ces nouveaux indicateurs à mettre au point, dont la liste reste ouverte.
Ces indicateurs devront témoigner de notre capacité collective à passer de la société du « beaucoup d’avoir pour quelques-uns », à une société du « bien vivre pour tous, ensemble, dans un environnement préservé et partagé ». Toutefois, ne cédons pas pour autant aux sirènes de la décroissance. Sans croissance économique, nous n’aurons qu’une seule issue : le déclin et la paupérisation !
(Sourires.) Il a fallu le rapport de la commission des finances pour m’éclairer. À l’origine, je craignais qu’au PIB l’on n’ajoute des indices de croissance relevant – passez-moi l’expression – de la philosophie bobo, des petits oiseaux, et j’en passe…
Protestations amusées sur les travées du groupe écologiste.
Mes chers collègues, en découvrant cette proposition de loi, nous étions très réservés – d’ailleurs, je vous l’avoue, quand j’ai lu ce texte, je n’y ai rien compris ! §
En fait, tel n’est pas tout à fait le cas. Les membres du RDSE ont été convaincus…
… par le travail de la commission et par M. le rapporteur.
Même si, à l’instar de M. Lefèvre, nous émettons des réserves quant à la pertinence du choix consistant à associer l’examen éventuel de ce rapport au seul débat budgétaire, nous apporterons notre soutien à cette proposition de loi du groupe écologiste !
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste. – Mme la présidente de la commission des finances et M. le rapporteur applaudissent également.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, face à la financiarisation de l’économie à laquelle nous sommes confrontés, cette proposition de loi du groupe écologiste me semble positive.
Il s’agit d’assurer une meilleure prise en compte des réalités sociale, environnementale et écologique dans le calcul de nos hypothèses de croissance et de nos performances économiques, ce afin de prendre également en compte les indicateurs de l’économie réelle.
Prenons l’exemple des questions environnementales. La financiarisation de l’économie et la mondialisation sont très loin d’être propices à l’écologie. Elles privilégient le jetable sur le durable, la mainmise du financier sur la sphère économique et ne permettent pas de financer de réels projets de développement durable.
Marques d’étonnement amusé sur les travées du groupe écologiste.
Dès lors, l’idée d’engager une réflexion sur nos indicateurs économiques est tout à fait de bon aloi. Déjà, en 2012, les régions se sont dotées de nouveaux indicateurs pour piloter le développement de leur territoire. Il est grand temps de leur emboîter le pas.
Il faut améliorer notre vision en puisant, au-delà des indicateurs classiques, dans de nouveaux indicateurs innovants, qui s’attachent à mesurer la qualité de vie réelle de nos concitoyens.
Indicateur central qui irrigue l’ensemble de nos réflexions, le PIB impose en effet une vision beaucoup trop quantitative de l’activité économique. Ses limites sont bien connues.
Indicateur global, le PIB est incapable d’expliquer l’accroissement concomitant des inégalités et de la richesse.
Indicateur de valeur ajoutée, le PIB ignore les aspects négatifs d’une catastrophe naturelle, laquelle est susceptible de créer de la richesse par les « réparations » qu’elle induit – cela a été rappelé à l’instant.
Indicateur quantitatif, le PIB ne tient pas compte de la qualité de la richesse produite.
Indicateur de court terme, le PIB ne prend pas en considération l’environnement, le bien-être des populations et l’évolution des ressources.
Par ailleurs, le PIB ne tient pas compte de l’économie informelle, qu’il s’agisse, par exemple, du bénévolat ou du travail des mères au foyer, auxquelles il faut désormais ajouter les pères au foyer.
Je ne nie pas leur existence, chère collègue !
Chacun est aujourd’hui conscient des limites et des contradictions du PIB comme principal indicateur de mesure de la richesse, tant dans ses hypothèses que dans son mode de construction.
Je note que cette proposition de loi ne définit pas les nouveaux indicateurs. C’est un point positif, dans la mesure où ces derniers sont très nombreux : il eût été réducteur de les définir a priori.
M. André Gattolin opine.
Je souligne l’ampleur du débat proposé, de manière pourtant non systématique. En effet, si ces indicateurs, fussent-ils nouveaux, sont biaisés, tout cela perd de son intérêt. Un véritable travail doit être mené en la matière.
Ainsi, nous souhaitons l’instauration d’indicateurs d’inflation distincts selon les tranches de revenus, par exemple tous les déciles. Ce faisant, l’on pourra constater clairement que l’inflation est beaucoup plus forte pour les bas revenus que pour les hauts revenus, car le prix des produits achetés par les plus modestes augmente beaucoup plus vite que le coût du panier moyen d’une personne aisée. C’est évident, mais cela va mieux en le disant !
Cette méthode nous permettrait de disposer d’une véritable vision de l’évolution du pouvoir d’achat par tranche de revenus, ce qui serait éminemment intéressant et révélateur de la politique catastrophique menée depuis de trop nombreuses années par les gouvernements successifs, et en particulier par le parti socialiste, pourtant censé défendre les plus fragiles.
En revanche, je regrette que nous ne trouvions pas la possibilité de concrétiser ces questions ailleurs que dans un énième rapport, qui risque de s’ajouter à la pile des études, hélas, condamnées à l’oubli
Toutefois, même si, pour l’heure, nous en restons au stade du symbole, la réflexion est engagée. À mon sens, il s’agit là d’une voie dans laquelle il faut poursuivre.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le produit intérieur brut exerce une forme d’hégémonie parmi nos indicateurs économiques. En effet, il suffit de consulter le projet de loi de finances pour constater que, parmi les indicateurs du fameux « carré magique », seul le PIB permet de construire les projections en matière de recettes fiscales et de dépenses budgétaires. Ni le taux de chômage ni le déficit commercial ne sont utilisés. Quant au taux d’inflation, son rôle demeure secondaire par rapport à la prééminence du PIB.
Nous connaissons pourtant les limites de cet indicateur. Il s’agit du problème classique des imputations : une fenêtre brisée, bien qu’elle inflige une perte de bien-être à un agent économique, constitue une source d’activité et donc de stimulation de la croissance du PIB.
Si l’on élargit ce problème, force est de constater que le PIB repose en partie sur des éléments de la production qui peuvent se révéler périlleux, à long terme, pour le bien-être des populations. Ainsi, la soutenabilité environnementale de l’activité économique à long terme ne permet pas de déflater le PIB de ses implications pondérées à court ou moyen terme.
Prenons un exemple : les pics de pollution aux particules fines qui ont récemment affecté les grandes villes de France, notamment Paris, présentent un risque sanitaire majeur qui pourrait se traduire, dans quelques décennies, par de lourdes dépenses sociales du fait des maladies respiratoires qu’ils sont susceptibles d’entraîner. Toutefois, ces pics de pollution dénotent un afflux de circulation et de consommation de carburant qui stimule à court terme l’activité économique.
Nous le voyons clairement : face à une telle situation, le PIB est bien inadapté pour éclairer la prise de décision publique.
L’autre écueil du PIB tient à la prise en compte de l’apport de la dépense publique à la richesse nationale. En effet, la dépense publique est appréhendée sous un angle purement comptable, où l’on considère qu’elle ne rapporte finalement que ce qu’elle coûte.
En conséquence, les externalités positives liées à la dépense publique ne sont pas prises en compte : on ne mesure pas annuellement l’apport de l’éducation nationale ou de nos infrastructures au flux de production de la richesse nationale. Autrement dit, ni le bénéfice individuel de l’effort collectif de financement des biens publics ni l’impact de celui-ci sur la production privée ne sont mesurés.
J’ajoute que le taux de croissance du PIB représente un flux sans vision patrimoniale d’ensemble.
Cet inventaire à la Prévert des carences du PIB conduirait à nous faire perdre confiance dans un indicateur qui reste pourtant, à l’heure actuelle, la donnée la plus communément produite par les pays du globe. Le PIB a beau être imparfait, il a le mérite d’exister et d’avoir été adopté par l’ensemble de la communauté économique et par tous les gouvernements.
Les limites de cet indicateur sont bien connues. La crise économique que nous traversons nous les a une nouvelle fois rappelées. C’est pour cette raison que Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, avait institué une commission de travail présidée par le prix Nobel Joseph Stiglitz et chargée de réfléchir à l’évolution des indicateurs économiques, en particulier du PIB.
La présente proposition de loi s’inscrit dans cette filiation. Aussi, je salue l’initiative du groupe écologiste qui a permis la tenue, aujourd’hui, de ce débat en séance publique.
Le présent texte prévoit la remise d’un rapport, concomitant au dépôt du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, dressant un tableau de bord formé d’indicateurs économiques alternatifs.
À cet égard, cette proposition de loi a le mérite de trancher entre une réforme du PIB que nous serions les seuls à mener et la volonté d’avoir une vision un peu plus globale, à travers un faisceau d’indicateurs économiques.
Toutefois, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la pertinence d’une action par voie législative qui, au total, se limiterait à une demande de rapport au Gouvernement. En effet, la loi organique relative aux lois de finances dispose que le Gouvernement est tenu d’adresser un certain nombre de rapports au Parlement en les annexant au projet de loi de finances initiale. Le Gouvernement a donc toute latitude pour adresser ces données aux assemblées par ce canal déjà existant et bien identifié.
Enfin, quel usage pourrait-on faire de ce tableau de bord ?
La compilation de données alternatives au PIB, comme l’indice de développement humain, l’empreinte écologique ou encore la mesure du bien-être économique proposée dans les années soixante-dix par Nordhaus et Tobin, ne nous offrirait pas une information suffisante quant à la soutenabilité sociale et environnementale de l’activité économique nationale.
En effet, on ne pourrait au mieux qu’observer d’éventuels liens de corrélation entre ces indicateurs. Ces critères suffiraient-ils à orienter nos politiques publiques et donc à fixer les orientations définies par le Gouvernement lorsqu’il élabore le projet de loi de finances ? Il me semble malheureusement que la réponse est non. Nos politiques publiques resteront principalement construites sur le PIB, car seule cette donnée économique nous permet d’évaluer les voies et moyens de l’action des pouvoirs publics.
Monsieur le secrétaire d’État, cette intervention me permet de vous faire cette suggestion : peut-être faudrait-il, à moyen terme, inviter le Gouvernement à engager une réflexion au sujet d’une éventuelle réforme des modalités de calcul du PIB, …
… afin de prendre en compte les conséquences environnementales et sociales de l’activité économique.
Cette réforme reviendrait simplement à faire évoluer les méthodes d’analyse de l’INSEE. Elle n’exigerait pas de loi supplémentaire. A fortiori, l’INSEE pourrait produire ce nouvel indicateur, ce « PIB enrichi » en complément du PIB, au sens classique du terme. Cet indicateur aurait le temps d’asseoir son autorité dans les comparaisons économiques internationales.
Ainsi, je crois bien que notre discussion de ce jour est encore loin d’épuiser le sujet. §Dans cet ordre d’idées, le dispositif proposé par nos collègues écologistes ne me semble pas d’une portée suffisante pour changer notre rapport à la production et notre conception de l’impact des politiques publiques.
Mes chers collègues, pour ces raisons, et même s’ils adhèrent à nombre des constats dressés, les sénateurs du groupe UDI-UC s’abstiendront sur la présente proposition de loi.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC – M. Bruno Retailleau applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question de la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques est parfois abordée de manière désinvolte, voire ironique. On fait allusion aux doux rêveurs soixante-huitards, parfois même qualifiés d’« attardés », qui voudraient voir le PIB remplacé par un « bonheur national brut » dont il est facile de dénigrer la naïveté, voire la dangerosité, si l’on va jusqu’à mettre derrière cette notion l’ambition folle d’un État prétendant définir de façon autoritaire le bonheur des individus.
La caricature, même quand elle a l’avantage de susciter le sourire, ne doit pas pour autant nous conduire à sous-estimer l’importance et l’intérêt d’autres approches, plus scientifiques et politiques, celles-là, de cette question.
Je veux rappeler ici, non sans émotion, le talent pédagogique de Bernard Maris, qui soulignait régulièrement qu’il ne contribuait pas beaucoup à l’augmentation du PIB en rejoignant à vélo les locaux de France Inter ou de Charlie Hebdo, contrairement à beaucoup d’autres Franciliens, coincés dans les embouteillages automobiles et donc consommateurs d’essence, produisant de la pollution atmosphérique et alimentant bientôt une industrie anti-pollution.
L’intérêt de cette proposition de loi est d’éviter tout risque de dévoiement, dans la mesure où ses auteurs ne proposent en rien d’abandonner la référence au PIB comme élément essentiel de la préparation et de l’analyse du budget. En effet, les indicateurs suggérés viennent seulement en complément du PIB.
Le texte met ainsi en relation le questionnement scientifique de la notion de PIB et de ses limites, pour mesurer objectivement la croissance économique et précisément dépasser ces limites, connues depuis bien longtemps.
Il conduit à souligner la nécessité, qui sera de plus en plus ressentie dans les années à venir, de rechercher la croissance indispensable en en contrôlant les effets les plus graves sur le devenir à moyen terme de la planète.
Les universitaires et les scientifiques français ont légitimement abordé la question des indicateurs disponibles ou souhaitables pour mesurer plus précisément la croissance économique sous ses aspects quantitatifs et qualitatifs. D’autres chercheurs le font dans le monde, mais les contributions françaises sont à la fois nombreuses et reconnues pour leur qualité, à l’instar des travaux de Dominique Méda, de Jean Gadrey ou de Jean-Paul Fitoussi, pour n’en citer que quelques-uns.
Au moment où se prépare la conférence COP 21 dans notre pays, il est bienvenu de le rappeler. La question de la mesure de la croissance et de sa compatibilité avec la maitrise du réchauffement climatique sera en effet nécessairement à l’ordre du jour de cette conférence.
Au regard de la qualité des travaux scientifiques, l’une des difficultés soulevées par cette proposition de loi porte sans doute sur le nombre, la fiabilité et la qualité des indicateurs susceptibles d’être choisis pour éclairer le débat public, sans pour autant le saturer de chiffres ou de notions qui pourraient relever de l’appréciation subjective.
En retenant les références aux inégalités, à la qualité de vie et au développement durable, un premier tri louable a été opéré. Il reste à la fois à limiter le nombre des indicateurs et à veiller à leur actualisation régulière, sans emporter pour autant des coûts de collecte et de traitement trop importants.
Le dispositif de tableau de bord envisagé me semble pertinent. Je suis personnellement partisan d’un nombre limité d’indicateurs, pas plus d’une dizaine, afin que l’évaluation des décisions budgétaires et des résultats des politiques publiques soit limitée aux questions essentielles et ne se perde pas dans des considérations qui pourraient vite couvrir un champ démesuré.
Le débat démocratique suggéré pour la sélection des indicateurs ne peut pas, lui non plus, être conduit sans organisation - France Stratégie ainsi que le Conseil économique, social et environnemental devront y veiller – d’autant plus que nous disposons déjà de nombreux rapports sur le sujet.
Le contrôle de la liste des indicateurs retenus doit, me semble-t-il, revenir au Parlement, et non être concédée à telle ou telle instance de démocratie participative, si utile soit elle.
Enfin, il me semble que la période proposée – le mois d’octobre – pour la diffusion de ce rapport est adaptée à une bonne prise en considération de ces nouveaux indicateurs dans le débat budgétaire. La logique voudrait que nous en retrouvions toutes les traces dans les études d’impact accompagnant les nouvelles décisions - c’est en tout cas le vœu que je forme -, afin de faciliter les débats sur le projet de loi de finances.
Sur le fond, l’intérêt primordial de cette proposition de loi réside dans la question fondamentale qu’elle aborde : on ne pourra plus, dans les années à venir, établir des budgets annuels sans y intégrer des considérations de moyen et long terme permettant de garantir la soutenabilité de la croissance, que tout le monde recherche.
Tous ces arguments me conduisent donc à vous inviter, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi conforme, c'est-à-dire dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme l’ont rappelé plusieurs d’entre nous, parfois sur un mode gentiment ironique, cette proposition de loi consiste en une demande de rapport, ce qui peut, en effet, sembler bien anecdotique. En réalité, mes chers collègues, ce sont seulement les moyens de l’action parlementaire qui sont anecdotiques et qui ne nous permettent pas, en la matière, d’être plus normatifs.
M. Roger Karoutchi s’esclaffe.
Le problème abordé ici est pourtant crucial : il s’agit de l’inadéquation de nos outils de gouvernance économique aux besoins de nos concitoyens et aux exigences de notre environnement.
Le seul objectif que nous assignons aujourd’hui à notre économie, c’est la croissance du PIB, conçue comme condition nécessaire et suffisante à la félicité universelle.
Or, si l’on ne considère que lui, le PIB est un assez mauvais indicateur de l’état de notre société. Il mesure une production de richesse, mais ne dit rien de sa répartition, ni de sa qualité, et encore moins de sa durabilité. Une croissance forte peut très bien s’accompagner d’une récession sociale, sanitaire et environnementale.
De plus, l’écrasante omniprésence du PIB dans les discours économiques ne permet pas de penser un monde où la croissance semble, notamment dans nos sociétés les plus développées, atteindre des limites structurelles. C’est que l’indicateur n’est pas seulement un outil d’observation, il oriente les analyses et préfigure les décisions. Pour le dire autrement, en usant d’une métaphore, quand vous ne disposez que d’un marteau, vous vous persuadez rapidement que votre seul problème est un clou !
Sourires.
D’autres indicateurs sont donc nécessaires, presque tout le monde en convient désormais, non pour remplacer le PIB, mais pour le compléter. Ils existent, me direz-vous. On en trouve même en très grand nombre dans les documents statistiques, et jusque dans les annexes au projet de loi de finances. Ils sont pourtant largement inexploités dans les analyses économiques et absolument inaudibles dans le débat public.
Pour ne prendre qu’un seul exemple, lorsque le Parlement débat longuement, à l’automne, du budget du pays, toutes les interventions évoquent l’évolution du PIB. C’est bien normal ! Combien, toutefois, abordent l’évolution des inégalités territoriales, l’évolution des inégalités de revenus ou l’évolution de l’empreinte carbone ? Très peu, vous en conviendrez. Ces indicateurs ne sont pourtant pas moins importants.
L’évolution de l’empreinte carbone, notamment, offre une première approximation de notre impact sur le climat. Or, depuis la publication, il y a bientôt une dizaine d’années, du fameux rapport Stern, même les économistes les plus orthodoxes admettent désormais que le changement climatique se traduira inexorablement – cela se voit déjà ! – par un coût financier monumental, représentatif d’espèces sonnantes et trébuchantes, et d’autant plus élevé qu’il est différé.
S’interroger avec un minimum d’acuité sur l’évolution de notre empreinte carbone lorsque nous établissons le budget public semblerait donc assez naturel !
Quant à la question des inégalités, elle nous ramène à l’actualité électorale. En effet, plusieurs travaux universitaires récents, croisant géographie, cartographie et sociologie politique, démontrent une corrélation positive entre, d'une part, le vote Front National et, d'autre part, la montée des inégalités et de la précarité, particulièrement importante dans certains de nos territoires.
À l’heure où beaucoup déplorent dans la montée du Front National une fatalité, nous tenons là, au contraire, une piste d’action concrète et prometteuse : agir pour résorber les inégalités sociales territoriales. Mais comment s’y atteler, si nous nous focalisons exclusivement sur l’évolution du PIB, dont la croissance est précisément indépendante de celle des inégalités ?
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi, portée avec ténacité par notre collègue députée Eva Sas, qui nous écoute depuis les tribunes et que je salue, a donc l’ambition de contribuer à faire émerger quelques indicateurs complémentaires du PIB, afin qu’ils gagnent en popularité jusqu’à pouvoir aider le Parlement, notamment, à penser des politiques publiques mieux adaptées au contexte de crises multifactorielles dans lequel notre pays se débat.
Ne vous imaginez pourtant pas que cela placerait la France à la tête d’une avant-garde hippie, guidée par le seul « bonheur national brut », un indicateur qui a cours dans ce lointain pays qu’est le Bhoutan. En réalité, cette proposition de loi nous permettrait tout juste de nous inscrire dans les pas de nos voisins anglais, belges et allemands, dont les gouvernements ou les parlements organisent déjà le débat public autour de ces indicateurs complémentaires.
Monsieur le secrétaire d’État, même si ce texte a connu, du temps de vos prédécesseurs, quelques péripéties inattendues à l’Assemblée nationale, je me réjouis que vous nous apportiez aujourd’hui le soutien très clair du Gouvernement, et je ne doute pas que ses auteurs pourront compter sur vous, si le texte était adopté, pour accompagner son ambition dans la durée.
Monsieur le rapporteur, cher Antoine Lefèvre, je tiens à vous remercier très sincèrement d’avoir pris le soin d’examiner ce texte pour ce qu’il est, sans esprit partisan, et je me réjouis que, ce faisant, au-delà de la question de la rédaction, qui pouvait en effet se discuter, vous ayez jugé utile de souligner l’intérêt de cette démarche.
Mes chers collègues, à l’instar de notre commission des finances, je vous invite donc à soutenir cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la richesse d’un pays se mesure-t-elle à l’usage plus ou moins dispendieux qu’il fait de ses propres ressources ?
C’est en gardant à l’esprit les conclusions de nombreuses réflexions menées depuis une cinquantaine d’années de par le monde, depuis les activités du Club de Rome de Sicco Mansholt, auteur en 1972 d’un ouvrage intitulé Les limites de la croissance, jusqu’aux travaux de la commission Brundtland, du nom de l’ancienne Premier ministre de Norvège, sur le développement soutenable, que nos collègues du groupe écologiste ont jugé utile d’ouvrir un débat sur le contenu et la qualité de la croissance.
La question n’est pas l’existence ou non d’une nouvelle ligne de fracture politique entre partisans de la croissance, de l’activité et de l’égalité des chances économiques, d’une part, et tenants de la décroissance, de l’autre : chacune de ces deux positions développe en elle-même une large palette d’appréciations.
La vérité commande de dire que, tout en reconnaissant l’apport théorique essentiel de grands économistes issus de diverses écoles philosophiques, on ne peut réduire la thématique de la richesse nationale et de son évaluation à la seule qualité d’un appareil statistique, certes de très haut niveau en France, capable de mesurer avec une exactitude presque millimétrique la réalité de la production dite « marchande ».
Notons d’emblée ce formidable paradoxe : c’est bel et bien parce que l’État et la puissance publique se sont emparés de la question de la construction d’un appareil statistique de haut niveau, articulé autour de l’INSEE et de sa propre filière de formation, l’ENSAE, et aujourd’hui largement développé dans de nombreux domaines de l’action publique, que nous disposons d’une capacité de mesure précise des mouvements de la société marchande.
Oui, formidable paradoxe, la qualité du non-marchand se révèle déterminante pour mesurer le marchand !
Le débat sur les nouveaux indicateurs de richesse se pose évidemment avec une acuité particulière dans une société marquée, comme la nôtre, par quelques décennies de mise en déclin de la dépense publique directe ainsi que par le creusement des inégalités sociales, singulièrement des inégalités de patrimoines. Ce débat sous-tend en grande partie un autre débat, celui-là politique et singulièrement parlementaire, notamment quand nous sommes amenés à examiner les textes budgétaires.
Je constate d’ailleurs que France Stratégie, qui remplace l’ancien Commissariat général au plan et qui publie des études d’impact relativement sommaires sur certains aspects des textes gouvernementaux, a lui-même apporté sa pierre à la réflexion que nous invitent à mener nos collègues auteurs de la proposition de loi.
Sept indicateurs ont retenu l’attention de Jean Pisani-Ferry et de son équipe : l’évolution des actifs, incorporels ou physiques, du secteur productif ; la proportion de diplômés de niveau baccalauréat et plus au sein de la population âgée de vingt-cinq à soixante-quatre ans ; l’artificialisation du territoire ; l’empreinte carbone de l’activité économique ; le rapport entre les revenus des 20 % les plus pauvres et des 20 % les plus riches parmi les ménages ; la dette publique nette vis-à-vis du PIB et la dette extérieure nette vis-à-vis du PIB.
On aura constaté l’importance, parmi ces indicateurs, de la dimension incorporelle, ainsi versée au débat public. Cela répond à la nécessité de prendre en compte le niveau de qualification de la main-d’œuvre, générateur par excellence de gains de productivité mesurés par la « productivité apparente du travail », mais aussi la réalité de l’enrichissement en termes incorporels du capital productif disponible.
Soyons clairs, les paramètres retenus par les services de M. Pisani-Ferry ne font pas le compte, car il y manque, à notre avis, quelques éléments clés que nous pourrions voir figurer au sein des critères résumés dans le texte de la présente proposition de loi.
La judicieuse initiative prise par nos collègues du groupe Europe Écologie Les Verts appelle à un débat serein et contradictoire sur ce que nous voulons pour notre pays et son peuple, en des temps troublés où il est de plus en plus évident qu’un décalage existe et s’amplifie entre réalités économiques et sociales et ressenti des populations.
Si ce débat peut d’une certaine manière atténuer les considérations déclinistes en vogue ces derniers temps, ce ne sera pas, au fond, un mal. Encore faut-il qu’il soit mené, et le meilleur moyen de le faire est d’adopter la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la prise en compte d’indicateurs de richesse autres que la croissance du produit intérieur brut dans l’élaboration des politiques publiques, notamment des lois de finances, est en réalité une question technocratique récurrente dans le débat public, mais qui, pour autant, recèle des enjeux majeurs, et je rejoins ici nombre d’intervenants.
Il s’agirait notamment de prendre en compte des indicateurs écologiques et sociaux, des indicateurs tenant au développement durable, à la qualité de vie ou encore aux inégalités.
J’insisterai sur les inégalités.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les inégalités se creusent dans ce pays.
Prenez l’école : selon votre lieu de résidence, vous aurez plus ou moins de chance de réussir dans la vie. L’égalité des chances devient ainsi en simple slogan, vide de tout contenu.
Prenez le logement, secteur dont on dit qu’il est en crise : l’accès des jeunes au logement est très difficile. Il s’agirait de rompre avec cette aide à la pierre dont nous connaissons tous les effets maléfiques et qui, la plupart du temps, n’a d’autre effet que de faire grimper les prix, rendant encore plus difficile l’accès au logement pour les primo-accédants.
Prenez la sécurité, autre sujet important : le nombre d’agents de sécurité privée excède, en France, celui des policiers travaillant dans les commissariats ! Aussi certaines résidences font-elles l’objet d’une surveillance permanente tout au long de la nuit, grâce à des gardiens à demeure, tandis que les résidents des logements sociaux en sont réduits à attendre parfois plusieurs heures l’intervention de la brigade anti-criminalité, après des incidents souvent graves.
La question des inégalités territoriales, qui ne se pose pas seulement pour les territoires ruraux, mérite aussi d’être citée.
En région parisienne, et je le dis devant M. Roger Karoutchi, …
… l’organisation d’un noyau dur, très riche, et de départements de la grande couronne relégués soulève une véritable interrogation. Là aussi se créent de nouvelles inégalités.
Mon département, qui compte tout de même 1, 3 million d’habitants, ne dispose, sur son territoire, d’aucune classe préparatoire aux grandes écoles. Les étudiants issus de ce département sont donc contraints de louer un studio à Paris, s’ils veulent accéder aux lycées parisiens accueillant ces classes préparatoires.
Il convient d’évoquer aussi les inégalités d'accès à l’emploi et les difficultés que rencontrent dans ce domaine tous les jeunes de ce pays, confrontés qu’ils sont aux rigidités du marché du travail, même lorsqu’ils sont diplômés.
En réalité, mes chers collègues, les inégalités seront l’un des grands thèmes des prochaines échéances électorales nationales. Aussi, ces questions, qui sont posées - au demeurant très habilement - par les auteurs de la proposition de loi, ne sauraient être balayées d’un revers de main. Telle est la raison pour laquelle nous regrettons que le dispositif de la proposition de loi, dont nous anticipons qu’il se traduira par un rapport, un de plus, soit bien insuffisant au regard de l’objectif.
Le critère unique de la croissance du produit intérieur brut, sur lequel sont bâties les lois de finances, peut souvent apparaître déconnecté des réalités. Ainsi, alors que, depuis la crise, les familles composent avec une dégradation généralisée de leur pouvoir d’achat, le PIB ne cesse de croître, même si son taux d’augmentation a été faible et parfois même égal à zéro.
Cette incapacité du PIB à rendre compte des réalités vécues par nos concitoyens creuse un véritable fossé entre un certain discours politique – on nous assure que la situation économique s'améliore - et le ressenti des Français, de plus en plus sceptiques quant à la réalité de l’efficacité des politiques publiques qui leur sont proposées.
Dans ce contexte, il pourrait être utile de disposer de nouveaux indicateurs permettant de nuancer les discours en fonction du ressenti réel de nos concitoyens. Je pense au logement, à la santé, à l’emploi, à l’accès à des écoles performantes ou encore à la qualité de la formation professionnelle.
Autre exemple, l’inégalité liée à la ruralité ou à cette « rurbanité » que je connais dans mon département est un critère non négligeable pour nombre de Français qui se sentent abandonnés, et doit à ce titre être prise en compte dans l’élaboration des politiques publiques.
À l’inverse, en milieu urbain, notamment dans la région parisienne, le logement est essentiel, car il impacte directement le niveau de vie des salariés. Ainsi, les habitants de ce pays consacrent au financement de leur logement 50 % de plus de leur salaire que les citoyens allemands. Et c’est aussi la cause d’un autre problème économique, puisque c’est autant de moins de pouvoir d’achat que nos concitoyens consacrent à la consommation et, par conséquent, à la croissance.
La question du coût des transports dans les zones rurales, mais aussi dans les grandes agglomérations, selon que l’on habite dans le centre ou en banlieue, est également digne d’intérêt, mais n’est pas assez prise en compte. Les dispositifs de péréquation, que nous mettons en place gaillardement ici, sur la base de chiffres et de statistiques, ne prennent pas assez en compte cet aspect.
Les villes moyennes de région parisienne contribuent – nous l’observons - au financement des villes moyennes de province, mais la question du coût des transports n’est pas assez prise en compte dans l’élaboration de cette politique de péréquation, de même que les difficultés d’accès à des services présentant des conditions correctes de fonctionnement.
Dès 2008, le sujet qui nous réunit ici a fait l’objet d’une réflexion menée par la commission Stiglitz. Cette commission a traité de la mesure des performances économiques et du progrès social en veillant à éviter une approche trop quantitative ou trop comptable de la mesure des performances collectives du pays et à élaborer de nouveaux indicateurs de richesse. L’initiative de cette démarche avait été prise – je le rappelle pour finir de mettre de bonne humeur certains ici –, par l’ancien Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, le 8 janvier 2008.
Cette commission était composée, notamment, de cinq prix Nobel d’économie, dont M. Stiglitz, économiste américain de renom, et le professeur Amartya Sen, de Harvard, ainsi que l’économiste français Michel Fitoussi, président de l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques.
La Commission, dans un rapport de septembre 2009, avait également remis en cause la pertinence de l’évolution du PIB en tant qu’indicateur de performance et de progrès et avait proposé, elle aussi, de prendre en compte de nouveaux indicateurs.
Aujourd’hui, et c’est toute la difficulté, chacun s’accorde à penser que de nouveaux indicateurs sont nécessaires, mais nous n’en percevons concrètement aucun.
Ce sujet fait également l’objet d’un examen attentif du Conseil économique, social et environnemental, qui travaille en ce moment même sur cette question.
Si donc tout le monde s’attelle au sujet des indicateurs de richesse, vous obtiendrez peut-être satisfaction, monsieur le rapporteur, au cours des semaines ou des mois à venir. Pour autant, il est difficile de souscrire à l’objectif sans considération pour le dispositif de la proposition de loi, modeste au point d’être inexistant…
En Allemagne, neuf indicateurs de richesse alternatifs au PIB ont été élaborés par une commission parlementaire spéciale, transpartisane, et prenant en compte non seulement l’économie, mais aussi l’écologie et la qualité de vie.
Qu’attend-on, monsieur le secrétaire d’État, pour mener en France un travail de même nature ? Vous me direz que pareille tâche incombe aux assemblées. Vous aurez raison : nous sommes sur le point de soumettre des propositions en ce sens au président du Sénat.
Néanmoins, comme l’a très bien souligné, en commission des finances, M. le rapporteur général, tout comme notre rapporteur, Antoine Lefèvre, que notre groupe tient à féliciter pour la qualité du travail accompli, la rédaction de la présente proposition de loi n’est pas pleinement satisfaisante. La date de remise du rapport, en outre, n’est pas des plus opportunes. Il reste notamment, encore, à définir un cadre plus précis. Pour autant, des propositions qui nous paraissent intéressantes ont été formulées.
Il serait préférable de mesurer l’impact des lois de finances sur les indicateurs de richesse au moment de la discussion du projet de loi de règlement, qui présente le résultat de l’année précédente, plutôt qu’au moment d’établir des prévisions pour l’année suivante. La discussion du projet de loi de règlement coïncide en outre avec les discussions inhérentes à la transmission à Bruxelles du programme de stabilité et de croissance, avec son programme national de réformes. Ce moment serait donc sans doute le plus approprié.
L’impact ainsi mesuré permettrait de tirer des leçons utiles au débat d’orientation sur les finances publiques en vue de la préparation du budget suivant.
Nous ne pouvons donc que saluer les propositions de M. le rapporteur et encourager la Haute Assemblée à travailler sur ces données objectives et quantifiables.
Les informations recueillies apporteraient également un éclairage utile pour juger des péréquations horizontales : la mise à jour de tous ces indicateurs permettrait certainement de lever bien des injustices en la matière. De ce point de vue-là aussi, je ne peux que nous encourager à persévérer !
En conclusion, si notre groupe, dans sa majorité, n’est pas du tout hostile à l’objectif de la présente proposition de loi et y est même tout à fait favorable, il ne veut pas non plus délivrer un blanc-seing au Gouvernement sur un texte franchement trop descriptif. Un rapport, encore un rapport ! Notre souhait est plutôt de passer à l’action.
Dans cette attente, nous allons aujourd’hui, majoritairement, nous abstenir.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au-delà du contenu de cette proposition de loi, dont je partage les objectifs, Mme Eva Sas, que je salue, nous invite à réfléchir au rapport existant entre la quantification des phénomènes socio-économiques et environnementaux et l’efficacité de l’action politique et publique.
Comme nous le disent des chercheurs tels qu’Albert Ogien, dans son étude sur « la valeur sociale du chiffre », la quantification du politique est une démarche qui ne va pas de soi. Elle est problématique.
La politique, dans sa définition comme dans son appréciation, ne saurait être résumée à une représentation chiffrée, fût-elle hautement sophistiquée. Lorsque l’on examine les diverses modalités de quantification de l’action politique, on repère deux approches types très différentes, l’une centrée sur la mesure de la performance, l’autre sur le développement de la démocratie.
Utilisé au service de la performance, le chiffre est conçu comme un facteur contribuant à encadrer l’action sans souci particulier de soumettre les choix possibles à la décision collective.
Utilisé au service de la démocratie, le chiffre est au contraire envisagé comme un facteur d’extension du débat public et d’accroissement des sphères d’exercice de la responsabilité politique des citoyens.
D’une certaine manière, on peut dire que c’est entre ces deux approches, radicalement différentes, que se situe la manière dont les gouvernements utilisent le système du chiffre, appelons-le ainsi, afin de mener l’action politique et de réformer l’État sous l’empire du principe d’efficacité.
En filigrane, la présente proposition de loi soulève la question de la performance des politiques, une question centrale qui doit faire l’objet d’un débat démocratique. Or notre mode de fonctionnement institutionnel, dans ses dimensions politique et administrative, nous amène à constater que l’écart se creuse entre le registre de la performance et le registre de la démocratie. Ainsi, la performance mal orientée ou mal définie peut desservir la démocratie et l’intérêt général, notion d’ailleurs elle aussi problématique.
Au fond, les indicateurs de richesse comme le PIB ne sont que des conventions, aujourd’hui mises à mal par la crise économique et sociale, qui est très profonde. Nous savons bien, en effet, que le PIB ne dit rien du creusement des inégalités sociales, ce qui peut expliquer le décalage, ou l’écart, entre les perceptions qu’ont de la réalité les citoyens et les experts.
Les dernières consultations ont confirmé une fois de plus la tendance constante à la baisse de la participation électorale. Comment intéresser ou ré-intéresser le citoyen français à la chose publique, à la Politique avec un grand « P » ? Telle est la question qui se pose à nous tous ; elle est cruciale pour notre avenir commun car, à travers elle, c’est la démocratie elle-même qui est interrogée.
Jean-Paul Fitoussi, qui a déjà été largement cité ce matin, a tenu, au sujet des inégalités, des propos auxquels je souscris pleinement : « Elles conduisent à l’exclusion et à la violence, qui rompent la cohésion sociale et donc la démocratie. La confiance et la démocratie sont des actifs dits intangibles, mais elles sont essentielles pour la soutenabilité » de notre développement.
Une manière de combler l’écart entre les perceptions de la réalité dont j’ai parlé consisterait à amplifier les pratiques de la démocratie en garantissant aux citoyens le droit de participer activement au processus d’élaboration des systèmes de quantification de la vie publique.
Dans son dernier ouvrage, L’Humanitude au pouvoir ; comment les citoyens peuvent décider du bien commun, le professeur Jacques Testart met en lumière l’étonnante capacité des citoyens à comprendre les enjeux, à réfléchir, à délibérer et à prendre des décisions au nom de l’intérêt commun. Les jurys citoyens, constitués notamment pour traiter des controverses sociotechniques, sont la preuve concrète de la réalité de ces capacités citoyennes.
La présente proposition de loi marque une première étape intéressante sur le chemin vers une implication directe du citoyen dans l’évaluation plus rationnelle de l’efficience des politiques menées. La réflexion qu’elle ouvre devra être poursuivie sur le terrain de l’institution d’un droit politique à définir les valeurs sociales que la collectivité veut voir exprimées par le chiffre. Ce droit nouveau pourrait permettre de régénérer le débat démocratique de fond, ce dont notre pays a besoin pour retrouver la confiance dans ses institutions et ses représentants.
Nous connaissons déjà les conseils citoyens institués par la nouvelle politique de la ville. Pourquoi ne pas créer par la loi des conférences citoyennes du bien commun qui traiteraient des systèmes de quantification et d’évaluation des politiques publiques, nationales comme locales ?
Sur la question des valeurs sociales et des indicateurs susceptibles de leur correspondre, le projet républicain demeure, pour moi, le cadre de référence ; il doit seulement être actualisé pour prendre en compte les grands enjeux climatiques et environnementaux. Versons au débat public, par l’intermédiaire des conférences citoyennes du bien commun dont je propose l’instauration, des propositions d’indicateurs de nature à faire le lien entre politiques publiques et valeurs républicaines traduites dans la vie concrète de tous les citoyens français.
Mes chers collègues, au-delà des systèmes d’indicateurs existants, nombreux mais dont l’utilisation est réservée, pour l’essentiel, à des professionnels et à des spécialistes, il s’agit d’ouvrir la voie à une représentation de la réalité de notre société et de ses évolutions, éventuellement critiquables, pour permettre une prise de conscience commune et un débat. La présente proposition de loi répond à cette nécessité démocratique, et c’est pourquoi je la voterai.
Cela étant, d’autres démarches propres à mobiliser activement les citoyens sur ce sujet pourraient la prolonger. Tel est le sens de ma proposition de créer des conférences citoyennes du bien commun. J’apporterai, le cas échéant, ma contribution à cette construction démocratique et républicaine, grandement nécessaire, me semble-t-il, dans la période que traverse actuellement notre pays !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du RDSE.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
(Non modifié)
Le Gouvernement remet annuellement au Parlement, le premier mardi d’octobre, un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et l’année en cours et de celles envisagées pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut. Ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement.
La véritable limite de la logique quantitative qui a animé la construction de l’appareil statistique en France tient au fait que l’économie n’est pas seulement affaire de chiffres, mais également de ressenti et de comportement individuel de ses acteurs.
En particulier, on peut penser que la mesure des inégalités de revenus, même si elle fait bien ressortir le creusement de l’inégalité dans notre pays, ne suffit pas à rendre compte de l’état des discriminations sociales, spatiales et économiques. Il nous semble que l’on pourrait tout aussi bien mesurer les inégalités de patrimoine, d’autant que moult dispositions fiscales prises depuis trente ans ont favorisé l’enrichissement de certains, parfois au détriment d’autres.
De la même manière, nous devons nous interroger sur la qualité du service public et sur son apport à la qualité de vie dans le pays. Ainsi, si l’allongement global de la durée de vie participe au progrès de l’ensemble de la société, il semble bel et bien qu’il ne soit pas équitablement partagé. Nous devons pouvoir disposer en la matière de données mesurées, de nature à nous aider, en particulier, à concevoir et à voter des lois de financement de la sécurité sociale assurant la permanence, la pertinence et la qualité des soins.
À la vérité, la commission constituée, il y a déjà plusieurs années, autour de Joseph Stiglitz avait réservé une place relativement importante à la prise en compte de certains indicateurs sociaux touchant à la qualité de vie de la population.
L’abstention de la moitié des électeurs inscrits lors des récentes opérations électorales atteste, selon nous, une crise réelle des modes de représentation politique et démocratique, qui participe d’un certain sentiment général de mal-être. La crise économique et sociale du monde occidental se traduit, dans les faits, par le désinvestissement croissant du corps électoral et civique, en France comme dans l’ensemble des pays développés.
Je le répète, il importe que nous nous interrogions sur l’apport décisif des services publics à la qualité de vie et à la richesse de notre pays. En particulier, chacun s’accorde à reconnaître la contribution de l’éducation à la capacité d’innovation, de création, de recherche et de développement, c’est-à-dire à la compétitivité d’une économie et à la force d’une société.
Plus généralement, le service public, dont l’activité est déterminante pour la société tout entière, est dans son ensemble facteur de valeur ajoutée. Ainsi, sans service public de la recherche, les capacités de recherche et de développement dans notre pays ne seraient sans doute pas très importantes, et nul doute que, sans la sécurité sociale, la qualité de notre main-d’œuvre serait moindre. Contrairement aux fonds de pension et aux assurances maladie personnelles existant aux États-Unis, nos budgets sociaux ne relèvent pas de la capitalisation boursière.
Par ailleurs, nous devons aussi réfléchir à la question des actifs nets publics, qu’ils soient détenus par l’État, les établissements de santé ou les collectivités territoriales. En effet, leur évaluation est un autre enjeu essentiel, alors que l’on continue de nous raconter bien des choses erronées sur la dette publique.
Le débat est ouvert, et nous devrons le poursuivre, sans oublier la réalité des antagonismes à l’œuvre en toile de fond de l’économie et de la société contemporaines.
Je ne suis saisie d’aucun amendement.
Je vais donc mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.
L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de résolution pour un guide de pilotage statistique pour l’emploi, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean Desessard et les membres du groupe écologiste (proposition n° 325).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Desessard, auteur de la proposition de résolution.
M. Francis Delattre. Encore ? Si ça continue, c’est lui qui entrera bientôt au Gouvernement…
Sourires.
Il y a un mercato, c’est vrai !
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juin 2013, au cours d’un débat sur la formation des chômeurs, j’ai soulevé la question des emplois non pourvus, dont le Conseil d’orientation pour l’emploi, le COE, estime le nombre à 820 000 dans notre pays !
À cette occasion, monsieur le ministre, j’ai souligné que l’on ne connaissait pas précisément la part de chacune des différentes causes expliquant que des emplois ne soient pas pourvus ; il me semble que ce constat est toujours valable aujourd’hui, à moins que vous n’ayez des données nouvelles à nous communiquer.
Après que j’eus de nouveau attiré votre attention sur ce problème à la fin de l’année 2013, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, vous m’avez invité au ministère, ce dont je vous remercie. Je m’y suis rendu avec mon petit dossier, heureux à l’idée de pouvoir enfin travailler avec vous sur ce sujet. Vous m’avez alors présenté une « techno », membre de votre cabinet, qui m’a asséné, en guise de réponse à mes interrogations, une litanie de chiffres et d’éléments de langage. Et patati, et patata… Je me suis en quelque sorte retrouvé dans la situation des chômeurs qui, dans nos circonscriptions, nous demandent ce que nous faisons concrètement pour eux, et à qui nous répondons par une énumération de mesures, ce qui bien sûr ne les satisfait pas !
Voilà ce qui m’a conduit, monsieur le ministre, à déposer la présente proposition de résolution.
Que recouvre, au juste, ce chiffre de 820 000 emplois non pourvus, dont l’énormité ne peut manquer d’interpeller un gouvernement dont la priorité affichée est l’emploi ?
Selon les experts, il s’expliquerait, à concurrence d’un peu moins de la moitié, par le temps nécessaire pour remplacer un salarié parti ou pourvoir un poste nouvellement créé. Il s’agit là d’une situation normale, disent-ils, sur un marché du travail où les entreprises mettent du temps à trouver le bon profil. De fait, en France, le processus de recrutement dure en moyenne quatre semaines. En somme, il en va du marché du travail comme de celui du logement : entre le départ d’un locataire et l’entrée dans les lieux de son successeur, il s’écoule toujours une période de vacance. On estime donc que 400 000 emplois ne seraient pas pourvus à cause de ce phénomène : ce chiffre me paraît élevé, mais admettons ; peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, confirmer ou infirmer cette estimation.
Restent donc 420 000 emplois vacants, ce qui n’est pas rien. Ces 420 000 emplois, je vous les offre, monsieur le ministre : vous pouvez en disposer pour réduire d’autant le nombre des chômeurs !
Pourquoi donc ces emplois-là ne sont-ils pas pourvus ?
D’abord, un employeur peut abandonner un processus de recrutement, notamment si le contexte économique se dégrade. Soit, mais combien de postes cela concerne-t-il ?
Ensuite, certains postes demeurent non pourvus en raison d’une insuffisante attractivité, en termes de salaire et de conditions de travail – c’est l’attractivité objective – ou d’image du métier – c’est l’attractivité subjective. Combien de vacances d’emploi s’expliquent-elles ainsi ? On ne le sait pas, personne n’est capable de nous le dire !
Enfin, l’employeur peut ne pas trouver de candidats suffisamment compétents pour le poste, ce qui pose la question de la formation professionnelle.
Concernant le contexte économique, une offre d’emploi peut être publiée sans déboucher finalement sur un recrutement. Ainsi, un tiers des TPE-PME auraient abandonné un projet de recrutement au cours de l’année 2013. Avons-nous les moyens de vérifier l’exactitude de ce chiffre élevé ?
Un poste peut également être non pourvu à cause de son manque d’attractivité, qui peut être lié à des représentations culturelles, à des clichés, à des stéréotypes.
Ainsi, on nous dit que l’on ne trouve plus de maçons, parce que l’image du métier n’est pas bonne. Cependant, lorsque je consulte le site de Pôle emploi, les demandes d’emploi de maçon semblent beaucoup plus nombreuses que les offres. Là encore, on n’arrive pas à savoir ce qu’il en est en réalité !
L’image des métiers de la restauration s’est beaucoup améliorée, monsieur le ministre, grâce à des émissions de télévision telles que MasterChef. Aujourd'hui, l’image du cuisinier est en hausse, mais qu’en est-il vraiment pour les autres métiers manuels ?
Les conditions de travail sont également déterminantes en matière d’attractivité. Les enquêtes « Besoins en main-d’œuvre » de Pôle emploi et les évaluations du Gouvernement ayant précédé la mise en place du plan « Formations prioritaires pour l’emploi » situent les besoins les plus forts dans les mêmes filières : BTP, hôtellerie-restauration, agroalimentaire. Ces secteurs présentent une caractéristique commune : une stabilité de l’emploi des salariés relativement limitée et des rythmes de travail que l’on peut sans peine qualifier de « soutenus ».
Monsieur le ministre, avez-vous fait réaliser une véritable étude sur l’existence d’un lien entre les conditions de travail, les salaires ou la précarité dans certains métiers et la pénurie de candidats pour les exercer ? Est-il étonnant qu’un emploi à mi-temps pour une durée de quinze jours et imposant de longs déplacements reste non pourvu ? Ne s’agit-il pas de conditions de travail peu intéressantes ? Avez-vous des statistiques à nous communiquer sur ce point, monsieur le ministre ?
Dans les métiers de bouche, on parle souvent de pénuries de salariés, mais les vacances de postes ne correspondent-elles pas plutôt à une mutation de ces professions ? Un boucher ne préfère-t-il pas aujourd’hui travailler dans un supermarché, pour bénéficier d’une certaine stabilité de l’emploi en tant que salarié ? Ces questions doivent être examinées ; pour l’heure, nous n’avons pas les moyens d’y répondre.
On sait que, dans le secteur de la santé, il existe une demande forte d’infirmières, de médecins, mais, en l’espèce, la pénurie tient au numerus clausus, qu’il faut remettre en question.
On peut aussi, bien sûr, évoquer la formation, les lacunes de l’enseignement scolaire qui pénalisent les demandeurs d’emploi dans leur recherche. À cet égard, je souligne le bilan positif du programme « Compétences clés » mis en place par l’État pour combler les lacunes des demandeurs d’emploi en matière d’informatique, de langues ou de mathématiques. Ce dispositif connaît un grand succès, puisque les 50 000 formations dispensées chaque année ne suffisent pas à satisfaire toutes les demandes. C’est un point intéressant.
En revanche, les formations professionnelles sont si nombreuses et leur organisation si complexe que personne ne connaît leur nombre exact. Ainsi, même l’Inspection générale des affaires sociales, dans son rapport du mois d’août 2013, ne parvient pas à dénombrer précisément ces dispositifs et se borne à évoquer un système complexe, fondé sur une addition de « logiques différentes selon les acteurs institutionnels ». On manque d’un pilotage.
Telles sont, rapidement brossées, les possibles causes de l’existence d’emplois non pourvus. Cependant, comme on ne sait pas précisément quel est le poids de chacune d’entre elles ni quelles personnes sont concernées, on ne peut pas apporter de réponse adaptée.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, je vous propose de mettre en place un guide de pilotage statistique pour l’emploi, autant dire un GPS pour l’emploi, …
… qui nous mette sur la bonne route. On repère tel besoin de formation sur un territoire ? Hop, en quelques mois, on met en place une formation adéquate, en lien avec la région ! On observe que les difficultés de recrutement dans tel secteur sont liées aux conditions de travail ? Hop, on engage une réflexion, puis on prend une mesure ! Voilà à quoi servirait le GPS : à orienter l’action pour donner rapidement une réponse adaptée. On ne peut pas se satisfaire de l’existence de 420 000 emplois non pourvus dans notre pays !
J’ai consulté le site de Pôle emploi afin d’étudier l’offre et la demande d’emploi dans un certain nombre de métiers pour lesquels le recrutement est réputé difficile.
Ainsi, monsieur le ministre, pour le département de la Côte-d’Or, j’ai relevé 17 offres d’emploi de maçon, et 81 offres proches, pour 2 716 curriculum vitae déposés. Il n’y a donc pas de manque de candidats !
On m’a dit que l’on manquait de frigoristes. Pour Paris, on dénombre 50 offres d’emploi de frigoriste, et 100 offres proches, pour 2 158 curriculum vitae.
On affirme aussi que l’on manque d’ascensoristes : pour la Seine-Saint-Denis – département où, paraît-il, les ascenseurs sont souvent en panne –, on relève une offre d’emploi d’ascensoriste, 97 offres proches, pour 729 curriculum vitae.
Pour le département de l’Ain, on note 4 offres d’emploi d’aide-comptable, et 146 offres proches, pour 12 056 curriculum vitae déposés… C’est fabuleux, à peine croyable !
Qu’est-ce que cela veut dire ? Que fait Pôle emploi ? Où sont les postes vacants ? Que fait-on de ces 12 056 demandes d’emploi d’aide-comptable pour le seul département de l’Ain ? Je ne parle même pas des doublons : en Côte-d’Or, par exemple, un même poste de maçon est proposé par trois agences d’intérim différentes. Il faut donc encore minorer les chiffres déjà faibles d’offres d’emploi que j’ai cités !
Comment faire des statistiques dans ces conditions, monsieur le ministre ? Il faut clarifier les choses.
Des initiatives privées se font jour pour améliorer l’adéquation entre offres et demandes d’emploi. Il faut les soutenir, car elles répondent à un besoin. J’ai rencontré les responsables de la start-up DepecheJob, qui a développé une application permettant de mettre directement en relation les employeurs et les candidats pour les emplois manuels et de la restauration. Lorsque je leur ai demandé s’ils disposaient de statistiques sur leurs résultats, ils m’ont répondu que c’était encore trop tôt. Quand je les ai interrogés sur le nombre des offres non pourvues, ils n’ont rien su me dire de concret… En somme, c’est l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’employeur sans candidat pour pourvoir un poste !
On répète à l’envi qu’il y a des postes non pourvus, que des chômeurs ne veulent rien faire, que l’on n’arrive pas à trouver de candidats, mais tout cela n’apparaît pas dans la réalité du terrain quand on examine les choses de près.
Comment agir, monsieur le ministre, si nous ne savons pas précisément pour quelles raisons des emplois restent non pourvus ? Comment mesurer l’efficacité et la pertinence des mesures prises en l’absence de tout système d’évaluation ? Afin d’y voir clair, je vous propose, monsieur le ministre, de créer un GPS pour l’emploi, qui permettra de bien identifier les besoins, d’analyser les difficultés et d’orienter l’action pour plus d’efficacité.
Je n’irai pas plus loin : tout le monde a compris le sens de ma proposition de résolution.
Monsieur le ministre, je sais que vous allez me dire que j’ai raison, mais qu’il n’y a pas d’argent. Je vous renvoie à un article paru dans le Canard enchaîné de cette semaine, sous le titre suivant : « Burger King croque l’argent de Pôle emploi ».
De quoi s’agit-il ? Sous couvert de les former par le biais de stages financés par Pôle emploi, Burger King fait travailler des personnes gratuitement… Pourquoi privilégie-t-on de tels dispositifs ? N’y a-t-il pas d’autres priorités ? Ne faudrait-il pas réfléchir à une meilleure utilisation de Pôle emploi ?
Monsieur le ministre, je sais que vous n’avez pas aujourd'hui les moyens de mettre en place le GPS pour l’emploi, mais prenez le temps d’étudier les dispositifs de Pôle emploi : mettre fin à ceux qui ne sont pas pertinents – je viens d’en citer un, mais il y en a certainement d’autres – vous permettra de dégager le budget nécessaire.
En conclusion, monsieur le ministre, la création de ce GPS est impérative pour que nous soyons en mesure de lutter efficacement contre le chômage, ce qui est la priorité du Gouvernement, notre priorité à tous. Cela permettrait aussi de combattre le préjugé selon lequel il y aurait partout des emplois inoccupés, que les chômeurs ne veulent pas prendre parce qu’ils seraient trop fainéants, qu’ils n’auraient pas envie de se salir les mains… On colporte trop de rumeurs sur ce sujet des emplois non pourvus, il est temps de faire la lumière !
Je vous invite, chers collègues, à voter ma proposition de résolution visant à la mise en place d’un GPS pour l’emploi.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste, de l'UDI -UC et de l’UMP.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe écologiste d’avoir présenté cette proposition de résolution portant sur le thème, crucial s’il en fût, de l’emploi. Elle met en exergue un problème avéré, qui a notamment fait l’objet d’un rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi remis en 2013.
Pardonnez ma sévérité, mais j’affirme que la classe politique française dans son ensemble exploite le mythe selon lequel notre pays serait assis sur un immense gisement d’emplois salariés non pourvus.
Nous nous satisfaisons d’une nébuleuse de chiffres, marquée par l’absence de statistiques fiables, par un amalgame entre le nombre d’emplois vacants et celui des offres non pourvues faute de candidats. Ainsi, de 200 000 à 500 000 emplois ne trouveraient pas preneur : la fourchette est large, et le curseur se déplace selon les acteurs politiques !
L’existence supposée d’un tel gisement d’emplois vacants suscite des interrogations et donne lieu à des batailles de chiffres, souvent utilisés hors contexte et ne permettant pas d’établir un diagnostic précis de la situation. Notre collègue Jean Desessard l’a très bien montré.
Ces chiffres alimentent aussi des propos stigmatisants –notamment le discours sur la fraude – et servent à la fois des interprétations partisanes et la justification de mesures avancées pour combattre le chômage.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, l’examen d’une question aussi capitale que celle de l’emploi exige une objectivité absolue dans les constats et ne saurait se satisfaire d’estimations approximatives, établies à l’emporte-pièce.
Comment proposer des moyens adaptés et efficaces pour résoudre un problème sans avoir effectué un diagnostic précis ?
Ce guide de pilotage statistique pour l’emploi dont la création est réclamée par le groupe écologiste, qui propose d’identifier et de comptabiliser clairement les offres d’emploi non pourvues et leurs causes, constituera un nouvel outil opportun en vue de clarifier ces données nébuleuses et de cesser de mettre en œuvre à l’aveugle des politiques souvent coûteuses, qui s’apparentent à des coups d’épée dans l’eau.
J’en viens à l’amalgame sémantique.
Il faut éviter la confusion entre la notion d’emploi vacant et celle d’emploi non pourvu faute de candidats. Bien qu’elles évoquent toutes deux l’idée d’un stock d’emplois, elles ne recouvrent pas forcément des emplois durablement inoccupés. Or il est courant que les médias et les personnes publiques recourent indifféremment à l’une ou à l’autre, ce qui engendre une confusion gênante.
Au sens européen, un emploi vacant correspond à « un poste rémunéré nouvellement créé, non pourvu, ou qui deviendra vacant sous peu, pour le pourvoi duquel l’employeur entreprend activement de chercher, en dehors de l’entreprise concernée, un candidat apte ».
Cette notion ne comporte pas d’indication sur la durée de la vacance d’emploi et recouvre un ensemble bien plus large que la seule catégorie des emplois durablement non pourvus.
Quant à la notion d’offre non pourvue, elle ne correspond à aucune donnée statistique couvrant l’économie française dans son ensemble. Elle peut désigner aussi bien des offres non encore pourvues pour lesquelles la recherche d’un candidat est en cours que des offres annulées, car pourvues en interne ou retirées faute de candidats ou de besoin de l’entreprise.
Concernant l’imprécision des données sur le taux d’emplois vacants d’Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, je voudrais souligner, bien que cela ne soit pas l’objet du présent texte, une incohérence qui obère la fiabilité des statistiques élaborées par cet organisme.
Le règlement du 23 avril 2008 impose aux États membres de transmettre trimestriellement des données relatives aux emplois vacants pour le calcul du taux d’emplois vacants dans l’Union européenne, qui s’établissait à 1, 7 % au quatrième trimestre de 2014.
Or les données permettant de calculer cet indice ne couvrent pas tous les emplois à pourvoir dans l’ensemble de l’économie européenne, et les données françaises sont incomplètes. Elles résultent de l’enquête dite ACEMO pour les entreprises de plus de dix salariés du secteur marchand et sont complétées une fois par an de résultats issus de la même enquête pour les TPE.
Les données des institutions publiques sont tout simplement absentes de la collecte, et la transmission de données concernant les activités agricoles et sylvicoles, la pêche et les services à la personne est facultative pour tous les États membres.
Comment la compilation de données aussi hétérogènes peut-elle aboutir à une comparaison européenne fiable ? Intéressons-nous au calcul hasardeux du nombre d’offres non pourvues.
Je reviens sur le problème principal qui nous occupe : si les causes des vacances d’emploi sont identifiées, nous avons une connaissance imprécise de la part de chacune d’entre elles.
La question est simple : d’où viennent les chiffres qui apparaissent dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, à savoir 820 000 emplois vacants et 400 000 tentatives de recrutement abandonnées chaque année ? Ils reposent sur une extrapolation fragile et approximative, dont le peu de rigueur surprend, fondée sur le nombre d’offres d’emploi recensées en fin de mois par Pôle emploi et sur la part de marché de cet opérateur, estimée à 37, 5 %.
On peut, en effet, s’interroger sur une telle méthode. Au regard des déclarations uniques d’embauche pour des emplois d’une durée supérieure à un mois, on estime que les offres collectées par Pôle emploi représentent 37 % de ces recrutements. Cependant, on constate que la part de marché de Pôle emploi est bien plus faible pour les offres d’emploi d’une durée inférieure à un mois, les recruteurs recourant alors à d’autres canaux. Tous les recrutements ne s’effectuent pas via Pôle emploi. Ne faut-il pas mieux prendre en compte le rôle du web, qui a révolutionné le marché de la recherche d’emploi et échappe au compteur de Pôle emploi ?
Vous conviendrez, mes chers collègues, que les ordres de grandeur que j’ai cités ne sont pas très fiables ! Au total, avec cette méthode, le nombre des « emplois durablement vacants » et des « abandons de recrutement » est globalement estimé à 400 000.
En ce qui concerne maintenant les difficultés de recrutement, on peut estimer, en recoupant les différentes sources, à la fois administratives et déclaratives, dont nous disposons, qu’entre un quart et un tiers des recrutements sont difficiles, pour des raisons variant selon les métiers, les secteurs et les territoires.
Ces données proviennent, notamment, des enquêtes sur les besoins de main-d’œuvre du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, de l’enquête « offre d’emploi et recrutement », dite OFER, de l’indicateur de tension élaboré par la DARES, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, de l’observatoire Tendance emploi compétence du MEDEF et de l’enquête annuelle de Manpower sur la pénurie de talents.
Mais, là encore, ces résultats ne peuvent être extrapolés à l’ensemble des recrutements. Ils reposent sur les intentions déclarées des employeurs, portant pour la plupart sur des recrutements sous contrat de longue durée.
Le nouvel outil que propose d’instaurer le groupe écologiste permettrait de remédier à l’absence de statistiques et de clarifier une situation qui ne permet pas, pour l’heure, de légitimer les moyens déployés dans la lutte contre le chômage. Enfin, on peut penser que la mise en place de ce dispositif serait aussi source d’emplois.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC votera en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les travées de l'UDI -UC et du groupe écologiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de toute évidence, l’estimation avancée par le COE en septembre 2013 doit susciter une certaine inquiétude : comment peut-il exister 820 000 emplois non pourvus dans notre pays, qui connaît un taux de chômage de plus de 10 % ? M. Desessard a très bien souligné ce point.
Les employeurs déclarent rencontrer des difficultés pour recruter dans un quart à un tiers des cas. Environ 400 000 tentatives de recrutement sont abandonnées chaque année faute de candidats. On peut alors se demander si tout a été fait pour mettre en contact les employeurs potentiels et les demandeurs d’emploi.
Nous connaissons les conséquences néfastes de ce décalage entre l’offre et la demande d’emplois : les entreprises, surtout celles de taille modeste, voient leur fonctionnement ralenti, et l’image des chômeurs se dégrade.
Ce phénomène est préoccupant, et le groupe UMP ne peut que partager les motivations de la résolution proposée par Jean Desessard et le groupe écologiste. Il faut en effet se doter d’un outil statistique qui permette de mesurer finement les besoins en compétences des entreprises, en les étudiant au plus près des bassins d’emploi et de chaque filière.
Si des ressources existent déjà, tels l’enquête « Besoins en main-d’œuvre » de Pôle emploi, l’observatoire Tendance emploi compétence du MEDEF, l’enquête OFER de 2005 ou l’enquête annuelle mondiale sur la pénurie de talents de Manpower, elles ne sont pas suffisantes et se fondent sur des critères souvent différents.
Les causes majeures des vacances d’emploi sont connues, mais le poids de chacune d’entre elles est difficile à estimer, car cette « anomalie » ne touche pas identiquement les différentes régions et les différents corps de métiers.
Les postes peuvent rester non pourvus du fait de problèmes structurels, d’un manque de fluidité du marché du travail, par exemple de conditions particulières de mobilité, ou d’une saisonnalité de l’emploi proposé.
Ils peuvent également être refusés en raison de leur manque d’attractivité en termes de salaire, de conditions de travail ou d’image de l’entreprise, facteur dont l’importance est très significative pour certains métiers difficiles. On peut citer par exemple, à cet égard, des secteurs comme l’hôtellerie-restauration, la maintenance, les métiers de la santé, les industries mécaniques ou le travail des métaux.
Enfin, l’explication le plus souvent mise en avant par les employeurs est l’inadéquation des candidats au poste proposé. Sur ce point, il appartiendrait aux pouvoirs publics d’effectuer des réformes, en revoyant notre dispositif de formation initiale et continue ou en favorisant l’acquisition d’expérience, notamment par l’apprentissage et l’alternance. Nous sommes tous d’accord sur le constat, mais nous ne parvenons malheureusement pas à faire évoluer les choses.
La création du guide de pilotage statistique préconisée au travers de cette proposition de résolution doit être un premier pas en vue d’une meilleure orientation de l’action des opérateurs du marché de l’emploi, partant des besoins des entreprises.
Je partage le diagnostic et les conclusions présentés dans le rapport du COE. Si nous connaissons les causes des emplois non pourvus, nous sommes incapables, à l’heure actuelle, d’en établir la hiérarchie claire et d’utiliser ces informations à des fins opérationnelles.
On peut d’ailleurs regretter que, devant la montée du chômage, le Gouvernement n’ait pas tiré les enseignements de ce rapport et qu’une initiative parlementaire se soit révélée nécessaire.
Notre politique de l’emploi ne peut faire l’économie de l’approfondissement de la connaissance statistique des emplois à pourvoir, qui améliorera la collaboration entre les différents acteurs. À court terme, le COE estime que cet approfondissement doit permettre de répertorier, d’ici à cinq ans, les offres aux échelons local et national, et de rendre public le nombre d’offres en stock toutes les fins de mois à Pôle Emploi, quel que soit le type de contrat.
À l’échelon régional, le guide de pilotage statistique permettra de systématiser l’identification par les acteurs locaux – je pense notamment aux DIRECCTE, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, aux observatoires régionaux, aux maisons de l’emploi – des métiers rencontrant des difficultés de recrutement, sur la base d’une méthodologie harmonisée, et de faire un meilleur usage de ces informations.
Je n’entrerai pas davantage dans le détail des recommandations formulées dans le rapport, mais nous ne pouvons pas, me semble-t-il, nous permettre de ne les suivre qu’à moitié.
En tant que membre de la commission des affaires européennes, j’insisterai sur le fait que le phénomène visé par la proposition de résolution ne peut être efficacement combattu sans une coopération à l’échelle européenne des instances de recherche statistique publiques et privées, qui permettra de comparer les différentes situations nationales.
Le développement d’une sociologie de l’emploi solide requiert que le guide de pilotage ne figure pas seulement dans les résolutions adoptées par les parlements nationaux et qu’il soit présenté au Parlement européen. Les instances communautaires ont déjà requis la trimestrialisation des données relatives aux emplois vacants dans les TPE ; il faut y ajouter la collecte des données sur ces emplois dans tous les types d’entreprises et la fonction publique.
Cette fois en tant que membre de la commission de la culture et de l’éducation, j’ajouterai que s’il est bien une évidence que souligne le rapport et que soutient l’UMP, c’est que la gouvernance actuelle de notre système de formation et les modalités de financement qui en découlent ne facilitent pas la collaboration entre les employeurs et les acteurs de la formation. L’outil statistique est nécessaire, mais il ne servira à rien si l’identification des besoins des employeurs n’a aucun effet sur les formations continues proposées par Pôle emploi, ainsi que sur les formations du secondaire et du supérieur.
Améliorer la réactivité des formations en amont de la recherche d’emploi suppose non seulement, comme le préconise le rapport, d’associer les présidents d’université plus étroitement aux comités de coordination régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle, mais aussi, inversement, d’assurer une meilleure représentation des entreprises et autres pourvoyeurs d’emplois dans l’élaboration des formations elles-mêmes.
Nous espérons donc, en conclusion, que le Gouvernement saura tirer les conséquences de cette proposition de résolution pour la définition de sa politique de formation à l’emploi.
Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI -UC et du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un rapport du Conseil d’orientation de l’emploi publié le 30 septembre 2013 chiffrait à 820 000 le nombre d’emplois non pourvus en France. À la même période, l’enquête ACEMO estimait le nombre d’emplois vacants à 180 000. Les services des relations humaines des grandes entreprises avancent souvent, quant à eux, que ce nombre est compris entre 300 000 et 400 000. Une récente campagne de communication du MEDEF faisait d’ailleurs état de ce dernier chiffre. Certains journalistes vont jusqu’à évoquer 600 000 emplois non pourvus, sans toutefois indiquer leurs sources.
On le voit, tous ces chiffres tiennent manifestement du ressenti. Pôle emploi, qui ne couvre pas toute l’offre disponible – un grand nombre d’offres passent aujourd'hui par les sites de recrutement en ligne –, estime à 40 % la proportion des recrutements considérés comme difficiles, 10 % des offres n’étant finalement pas satisfaites, ce qui représente entre 300 000 et 350 000 emplois.
Au niveau européen, Eurostat estime que les emplois vacants représentent de 0, 3 % à 0, 5 % de l’emploi total, mais souligne que la méthode de construction statistique de ces données, concernant notamment la France, est contestable.
Au final, on voit qu’une clarification des chiffres s’impose et, de ce point de vue, cette proposition de résolution est manifestement bienvenue.
Sur le plan européen, je veux souligner que, en dépit de leur imprécision, les chiffres diffusés par Eurostat montrent que la France fait partie des pays où le taux de postes ne trouvant pas preneur est le moins élevé : il est ainsi nettement inférieur à la moyenne européenne.
On pourrait considérer, a priori, qu’il s’agit là d’un élément plutôt positif, mais il nous faut, en réalité, privilégier une autre interprétation, moins favorable : contrairement aux idées reçues, un pays qui affiche un taux d’emplois vacants élevé est aussi, souvent, un pays qui propose beaucoup d’emplois. Autrement dit, si le taux d’emplois vacants par rapport au nombre d’emplois total est élevé en France, c’est parce qu’il n'y a pas assez d’emplois à occuper, et non parce que des armées de chômeurs démotivés n’en chercheraient pas.
Le Portugal, l’Italie, l’Espagne sont dans des situations proches de la nôtre. À l’inverse, l’Allemagne a un taux d’emplois vacants élevé, ce qui la conduit d’ailleurs à favoriser une immigration professionnelle.
On le voit, l’interprétation des statistiques est complexe. Elles sont davantage le reflet de divergences démographiques, croisées avec des situations économiques diverses, notamment pour ce qui concerne la fluidité du marché du travail et le niveau de croissance. Bien évidemment, il faut à la fois renforcer la croissance et améliorer la fluidité du marché du travail.
Les raisons pour lesquelles des offres d’emploi ne trouvent pas preneur sont extrêmement variées : déconnexion entre la rédaction de l’annonce et les compétences réellement nécessaires, pourvoi en interne, recrutement via un autre réseau, etc.
On sait depuis longtemps quelles branches sont les premières victimes de cette situation : l’hôtellerie et la restauration, l’agroalimentaire, certains métiers de bouche, certains métiers de la santé, l’accompagnement des personnes âgées dépendantes, les transports, l’informatique. Concernant la restauration, je suis plus dubitatif que l’auteur de la proposition de résolution sur l’impact positif de l’émission MasterChef : aujourd'hui, pour une grande partie de nos concitoyens, l’image de ce secteur est aussi associée, me semble-t-il, aux fast-foods et à la précarité.
Les causes de ces difficultés à pourvoir des emplois sont finalement fort différentes suivant les secteurs : déficit d’image, conditions de travail difficiles, faiblesse des salaires, réelle pénurie de candidats qualifiés dans certains métiers, tels que ceux de l’informatique. Nous avons besoin, à cet égard, de renforcer l’offre de notre système éducatif.
Le Gouvernement, ainsi que les régions, qui interviennent beaucoup dans ce domaine, ont pris des mesures pour remédier à ces difficultés. Deux plans successifs visant à offrir, respectivement, 30 000 et 100 000 formations prioritaires aux métiers en tension ont été mis en œuvre, avec des résultats qui ont dépassé les objectifs. Le programme « compétences clés », en matière d’informatique et de langues, rencontre un grand succès, avec 50 000 formations annuelles. Des dispositifs comme la préparation opérationnelle à l’emploi permettent d’apporter à des candidats des compétences pouvant être rapidement acquises, afin qu’ils puissent sortir du chômage. En 2014, c’est un total de 446 000 formations professionnelles qui ont été financées, soit une hausse de près de 9 % par rapport à 2013.
D'ailleurs, la proposition de résolution souligne cet effort considérable, consenti prioritairement en faveur de la formation des demandeurs d’emploi, trop longtemps reléguée au second plan.
Cependant, il est exact que les dispositifs de formation, qui dépendent d’une multitude d’acteurs, sont aujourd'hui trop nombreux et trop complexes ; un large consensus existe sur ce point. De ce fait, on peut légitimement s’interroger sur le degré d’efficacité de la dépense de 32 milliards d’euros consentie chaque année pour le secteur de la formation professionnelle. Chacun sait bien que des gains d’efficacité sans doute importants peuvent être réalisés.
À cet égard, la proposition de résolution de Jean Desessard et du groupe écologiste est intéressante. Les technologies dont on dispose aujourd’hui permettent un pilotage en continu des statistiques relatives aux postes vacants, afin d’éviter que des emplois ne soient pas pourvus, notamment dans les métiers en tension. Un guide de pilotage des formations accessibles aux demandeurs d’emploi pourrait ainsi être mis en place, en collaboration avec les différents partenaires, au premier rang desquels Pôle emploi, les régions ou encore l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA. Il faudra veiller à ce que simplicité et facilité d’utilisation soient les maîtres mots de son élaboration.
Bien sûr, il importe aussi que les conseillers de Pôle emploi aient une réponse à apporter aux demandeurs d’emploi, dont ils sont les premiers interlocuteurs. Il faut qu’ils puissent leur faire une ou des propositions pour leur redonner des perspectives concrètes, ce qui implique qu’ils aient accès à une information complète, actualisée, fiable et réactive.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, nous soutenons, sur le principe, cette proposition de résolution, en vous demandant de nous indiquer quelles perspectives vous-même et vos services pouvez ouvrir en ce domaine.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de résolution est de mieux connaître les causes des offres d’emploi non pourvues, afin d’aiguiller en conséquence les politiques publiques.
Pour commencer, je rappellerai que l’étude des causes du chômage est déjà réalisée par Pôle emploi, l’INSEE, les DIRECCTE et la DARES, y compris, pour cette dernière structure, à l’échelon des bassins d’emploi.
L’exposé des motifs de cette proposition de résolution met en avant, à juste titre, trois causes principales de non-pourvoi des emplois, dont il s’agit d’apprécier le poids respectif.
Premièrement, des causes économiques peuvent expliquer que des emplois restent non pourvus. D’après les auteurs du texte, des embauches prévues peuvent être remises en question pour cause de manque de trésorerie. Sur ce point, notre position est claire : pour lutter contre cette difficulté, qui frappe surtout les PME, il faut mettre en place des dispositifs permettant à celles-ci de se financer sur le marché bancaire de manière fluide. Ce sont les fameux fonds régionaux pour l’emploi et la formation dont les membres du groupe CRC ont prôné à maintes reprises la création dans cette enceinte, sans jamais être entendus. En clair, il s’agit d’aider, par des mécanismes sélectifs, pouvant aller jusqu’à l’octroi de prêts à taux d’intérêt négatif, les projets de petites et moyennes entreprises susceptibles de créer des emplois, y compris en accompagnant la formation, si nécessaire, et en aidant à passer des caps difficiles.
Deuxièmement, le manque d’attractivité de certains postes, lié au contenu du travail, à sa rémunération ou aux conditions de travail, est un problème fondamental. Il est trop facile de culpabiliser les demandeurs d’emploi quand des postes demeurent non pourvus pour de telles causes réelles et objectives.
Troisièmement, la question de l’inadéquation entre les compétences des candidats et les besoins des employeurs, importante et très vaste, recouvre plusieurs pierres d’achoppement pour le retour à l’emploi.
Tout d’abord, le candidat à l’emploi est-il toujours en mesure de s’informer sur l’existence de postes vacants correspondant à ses compétences ? Réciproquement, les entreprises savent-elles communiquer de manière efficace pour informer les demandeurs d’emploi de l’existence d’un poste ?
Ensuite, la mobilité peut poser problème : les centres d’emploi sont souvent concentrés dans les grandes agglomérations, mais les besoins sont partout. Il peut en résulter des barrières à la mobilité si les questions du transport ou du logement – et d’autres encore, parfois dites « périphériques », mais souvent essentielles – ne sont pas prises en compte.
Enfin, on considère qu’il existe toujours, même en situation de plein emploi, un flux de personnes sans emploi et de postes non pourvus, directement lié au temps moyen de retour à l’emploi. Si celui-ci peut sans doute être réduit, en agissant sur les causes précédentes, il ne pourra probablement jamais être annulé.
En priorité, il importe de s’interroger sur la situation catastrophique de l’emploi dans notre pays. Si l’on peut estimer à quelques centaines de milliers les emplois non pourvus pour les raisons que je viens de rappeler, n’oublions pas l’essentiel, à savoir les plus de 5 millions de chômeurs, laissés pour compte des politiques d’austérité menées par les gouvernements successifs, et la recherche maximale de profit, qui aboutit trop souvent à des destructions ou des délocalisations d’emplois. Selon nous, vouloir traiter un problème somme toute annexe sans s’attaquer au sujet principal serait, en définitive, laisser le champ libre à un discours par trop répandu qui fait des chômeurs les potentiels responsables de leur situation.
Ainsi, puisqu’il apparaît que les missions qu’il est proposé d’assigner à ce « GPS emploi » sont déjà réparties entre plusieurs organismes gouvernementaux ou publics, ajouter un dispositif spécifique ne sera pas vraiment utile, a fortiori quand Pôle emploi et les inspections du travail attendent déjà des moyens supplémentaires, quand, dans certaines régions, le taux d’encadrement des demandeurs d’emploi est catastrophique, avec un conseiller pour environ cent personnes. On mesure que les freins à l’embauche pourraient être levés bien plus efficacement en dotant correctement le service public.
Par ailleurs, il est tout à fait imaginable que les régions puissent mettre en place des observatoires locaux, via les schémas régionaux de développement économique. Cela se pratique d’ailleurs déjà, par exemple, dans ma région du Nord-Pas-de-Calais, pour ce qui concerne l’emploi des jeunes.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe CRC voteront contre cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
– qui puisse référencer aux échelons local et national les offres d’emploi non pourvues et en identifier les causes.
En France, 350 000 emplois ne trouveraient pas preneur, selon le ministère du travail, et 400 000 selon le MEDEF. En fait, la dimension exacte de ce phénomène fait régulièrement débat. Les chiffres avancés sont nombreux et imprécis, comme l’atteste un rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi, ce qui révèle l’absence de diagnostic clair sur le sujet.
Quoi qu’il en soit, de nombreux rapports montrent que la France souffre d’une inadéquation entre les compétences disponibles sur le marché du travail et les besoins nécessaires à la relance de son économie. La grande majorité des employeurs qui rencontrent des difficultés d’embauche se trouvent en fait confrontés à des candidats au profil inadéquat ou à une pénurie de candidats. En effet, ce n’est pas parce qu’un poste est vacant qu’il peut immédiatement être pourvu. C’est notamment le cas pour les métiers en tension, comme ceux des secteurs des transports, de l’hôtellerie ou du bâtiment, où l’on peine à trouver des candidats qualifiés. L’appariement entre offres et demandes reste complexe. Dans un contexte économique dégradé, où le chômage est particulièrement important, cette question est prégnante.
Si certains postes ne trouvent pas preneur, c’est notamment en raison du manque de qualité des emplois proposés, lié à la faiblesse des salaires, au caractère atypique des horaires ou encore à de mauvaises conditions de travail. Certains secteurs souffrent aussi d’une mauvaise image, expliquant ce manque d’attrait.
Surtout, il existe un problème d’inadéquation de la formation des candidats aux besoins du marché du travail. Les étudiants sont encore trop souvent orientés vers des filières saturées – je pense, en particulier, à la sociologie et à la psychologie – et méconnaissent les métiers les plus porteurs.
Le 12 juin 2014, lors de la discussion d’une question orale avec débat, posée par Jean Desessard, sur l’adéquation de la formation professionnelle aux besoins des demandeurs d’emploi, nous avions déjà abordé ce sujet. Notre collègue Françoise Laborde avait alors rappelé que le niveau élevé du chômage et l’accélération des mutations économiques devaient nous conduire à considérer le développement des compétences et des qualifications comme un outil majeur de l’accès et du retour à l’emploi des personnes et de la compétitivité des entreprises. Il est donc nécessaire de combler le décalage entre les compétences attendues et les compétences disponibles.
Pour cela, le Gouvernement a lancé à l’été 2013 le plan « Formations prioritaires pour l’emploi », l’objectif étant de dispenser 30 000 formations supplémentaires avant la fin de cette même année, afin qu’une partie des 200 000 à 300 000 emplois demeurant vacants faute de candidats ayant les compétences requises puissent être pourvus. Il s’agissait d’aider les employeurs à trouver les candidats qualifiés qui leur manquent et d’orienter les chômeurs vers des emplois qui ne trouvent pas preneur. C’est ainsi 39 000 chômeurs qui sont entrés en formation entre août et décembre 2013.
Le bilan fut positif, puisque les deux tiers des chômeurs qui ont bénéficié de ce plan en 2013 ont trouvé un emploi dans les six mois ; pour 76 % d’entre eux, il s’est agi d’un emploi durable et en lien avec la formation suivie, dans un secteur identifié comme présentant des besoins en matière de recrutement.
Pour 2014, le Gouvernement s’était fixé l’objectif de 100 000 formations supplémentaires et, en juillet dernier, 57 000 inscriptions avaient été enregistrées. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ce plan a fonctionné, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Je tiens également à saluer l’initiative de Pôle emploi, qui a mis en place les enquêtes « Besoins en main-d’œuvre », réalisées avec le concours des DIRECCTE et du CREDOC. Il s’agit de mesurer les intentions de recrutement des employeurs pour l’année à venir. Je pense qu’il s’agit là d’un élément essentiel pour la connaissance du marché du travail. Chaque année, Pôle emploi adresse ainsi un questionnaire à plus de 1, 6 million d’établissements, pour connaître leurs besoins en matière de recrutement, par secteur d’activité et par bassin d’emploi. Cela permet notamment d’anticiper les difficultés de recrutement, d’améliorer l’orientation des demandeurs d’emploi vers des formations ou des métiers, en adéquation avec les besoins du marché du travail, et d’informer les demandeurs d’emploi sur l’évolution du marché du travail et sur les métiers porteurs.
Le groupe RDSE votera cette proposition de résolution, qu’il juge intéressante. Pour la deuxième fois ce matin, nous votons en faveur de l’adoption d’un texte émanant du groupe écologiste : cela n’était pas arrivé depuis longtemps !
Sourires et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
Un consensus semble se dessiner pour voter cette proposition de résolution. Seul le groupe CRC a émis certaines réticences, estimant qu’un GPS ne suffira pas à résoudre le problème du chômage… Il est vrai qu’un GPS, à lui seul, ne permet pas de circuler : il faut aussi un véhicule. Néanmoins, il permet de s’orienter dans la bonne direction. Nous n’avons donc pas la prétention de résorber le chômage grâce à cette proposition de résolution, mais son dispositif constitue du moins un moyen de répondre de manière plus adaptée et plus rapide au problème des offres d’emploi non pourvues.
Monsieur le ministre, notre seul objectif est de vous aider dans votre action. Nous sommes tous concernés par la résorption du chômage. En effet, dans nos circonscriptions, dans nos villes, dans nos départements, dans nos régions, le chômage est le problème numéro un.
La mise en place d’un guide de pilotage statistique pour l’emploi permettrait d’élaborer des réponses adaptées à la diversité des situations. Si l’on aperçoit que les difficultés tiennent à un manque de formation, on pourra alors définir rapidement les formations à mettre en œuvre. S’il s’agit d’un problème de manque d’attractivité, lié à des conditions de travail ou des salaires insatisfaisants, on pourra envisager des solutions avec les représentants des branches professionnelles concernées, voire une aide conjoncturelle de l’État.
Il faut aussi prendre en compte le développement des nouvelles technologies. Peut-être pourra-t-on s’appuyer, demain, sur un GPS interactif pour faire de la prospective sur l’évolution de l’emploi, du fait par exemple de la généralisation de l’utilisation des robots. Dans cette perspective, il faudrait déjà anticiper les besoins en formation, mais nous n’en sommes pas encore là…
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les différents orateurs, que je remercie de leur contribution au débat.
Peut-on quantifier précisément les emplois non pourvus et, grâce à cela, avancer dans le traitement du chômage ? Parvenir à des données statistiques incontestables est excessivement difficile, car les méthodes d’analyse diffèrent et les choses évoluent très vite.
Je voudrais souligner que vous raisonnez comme si toutes les offres d’emploi étaient déposées à Pôle emploi, alors que 40 % seulement le sont aujourd’hui : rien n’oblige un employeur désirant recruter à s’adresser à Pôle emploi. Il existe, en effet, d’autres voies de recrutement : un chef d’entreprise peut, par exemple, solliciter son réseau relationnel. Cette situation ne remet d’ailleurs nullement en cause la qualité du travail accompli par le personnel de Pôle emploi.
C’est pour cette raison que nous allons mettre en place un « emploi store » afin de regrouper à Pôle emploi, grâce aux nouveaux outils numériques, un maximum d’offres d’emploi.
Par ailleurs, il est vrai que des processus de recrutement sont abandonnés. Cela concerne un tiers des PME.
J’ai le sentiment que, pour vous, les problèmes tiennent principalement à une insuffisance de la formation. Nous voulons agir au plus près du terrain, en mettant en place des formations en lien avec les régions et les branches professionnelles, ainsi que Pôle emploi lorsque c’est possible, afin de répondre au mieux aux demandes des entreprises. Comme l’a indiqué notamment M. Requier, 30 000 formations prioritaires ont été mises en place, puis encore 100 000 l’an dernier, pour répondre aux besoins de bassins d’emploi. Ce sont là des actions très concrètes, dans lesquelles Pôle emploi joue son rôle et qui donnent des résultats.
J’ajoute, à l’adresse de M. Watrin, que 4 000 emplois ont été créés en deux ans au sein de Pôle emploi : 2 000 en 2012 et autant en 2013. On ne peut donc pas affirmer qu’aucun effort n’a été fourni, puisque les effectifs sont passés de 45 000 à 49 000 agents. Pôle emploi, issu de la fusion des ASSEDIC et de l’ANPE, bénéficie d’une double culture, ce qui permet à ses personnels d’apporter des réponses au plus près de la réalité des situations, ce qui n’est pas forcément évident.
Cela a été souligné, les méthodes de calcul employées, en termes de mesure du chômage, ne sont pas toujours les mêmes. Ainsi, selon l’Union européenne et le Bureau international du travail, il y aurait 2, 9 millions de chômeurs en France, tandis que Pôle emploi recense 3, 5 millions de personnes inscrites en catégorie A. Pourquoi un tel écart, d’autant plus étonnant qu’il n’existait pas voilà quatre ans ? Cette question pourrait peut-être faire l’objet d’une prochaine proposition de résolution…
J’ai effectivement reçu M. Desessard au ministère, après qu’il eut oublié un premier rendez-vous ! §Cela témoigne de l’importance que j’accorde à cette question des emplois non pourvus, qui revient souvent dans l’actualité politique, à juste titre. En effet, il n’est pas acceptable qu’un nombre important d’emplois ne trouvent pas preneur dans le contexte économique difficile que nous connaissons.
Cela étant, l’existence d’emplois non pourvus est un phénomène normal sur le marché du travail, qui est animé par un flux permanent de créations et de destructions d’emplois. Pourvoir un poste prend nécessairement un certain temps.
En fait, la notion d’emploi non pourvu recouvre des réalités différentes : des vacances de poste sont liées au délai incompressible de recrutement, des offres d’emploi sont finalement retirées en raison de la disparition du besoin qui avait motivé leur dépôt, des recrutements sont annulés faute de candidats. À cet égard, l’enquête sur les besoins de main-d’œuvre du CREDOC fait apparaître les raisons qui peuvent entraîner le retrait d’une offre d’emploi.
Ce sont ces offres d’emploi retirées faute de candidats qui sont révélatrices des difficultés de recrutement des entreprises. Nous disposons tout de même d’outils statistiques fiables. Ainsi, selon la DARES, qui produit des enquêtes de grande qualité, monsieur Desessard, environ 300 000 recrutements échouent chaque année. Cela représente 1, 5 % des recrutements annuels, hors intérim.
Comment expliquer ces échecs ? Les employeurs avancent plusieurs raisons, en particulier le manque de candidats, le décalage entre les compétences attendues et les compétences disponibles.
Ces échecs se rencontrent surtout dans les PME et les TPE, qui ont souvent une faible expérience en matière de recrutement. Moins on recrute, plus on a de difficulté à recruter, plus on veut s’entourer de précautions… À l’inverse, plus l’entreprise est habituée à recruter, plus le risque d’échec est faible.
Deuxième question : comment identifier et répondre aux difficultés de recrutement ?
Les causes de ces dernières sont essentiellement de trois ordres : la difficulté de la mise en place des projets de recrutement et de l’identification des candidats disponibles ; l’inexpérience des recruteurs ; l’appariement assez complexe entre offre et demande pour des raisons de formation ou d’attractivité des métiers, point qui a tout particulièrement retenu votre attention, monsieur Desessard.
Pour proposer une réponse aussi adéquate que possible, il faut agir sur ces trois axes et donc éviter, comme vous avez tous pris soin de le faire, les postures qui réduisent le sujet à une simple inadéquation entre offres et demandes d’emplois ou à un manque de volonté des demandeurs d’emploi.
Ce projet de résolution tend à mettre en place, en matière d’emploi, un guide de pilotage statistique – autrement dit un GPS, ce qui témoigne d’un beau sens de la communication !
Sourires.
Il s’agit de comptabiliser tous les emplois non pourvus, bassin d’emploi par bassin d’emploi, métier par métier, et de préciser de manière systématique pourquoi ils ne sont pas pourvus. Or, je le répète, la tâche est d’une immense difficulté, car elle est à la fois de longue haleine – d’autant que les outils n’existent pas forcément – et coûteuse, il faut bien le dire, même si, monsieur Desessard, vous n’aimez guère qu’on invoque ce dernier argument.
Il faut donc mobiliser les travaux déjà réalisés à l’échelle nationale ou territoriale pour orienter les moyens de l’action publique et favoriser l’embauche.
Cette proposition de résolution nous donne une piste à suivre : il nous faut absolument harmoniser les méthodes de calcul, de façon à être en mesure de faire des comparaisons.
Vous le savez, la rencontre entre offres et demandes d’emplois devient elle-même un véritable marché, auquel s’intéressent de plus en plus d’entreprises. Du reste, vous l’avez dit, de nombreuses start-up se créent en ayant pour projet de faciliter la tâche de l’entreprise offrant un poste ou de la personne en recherche d’emploi, et ainsi de permettre une meilleure adéquation entre offre et demande sur le terrain : bientôt, il suffira de consulter son smartphone pour savoir si une offre d’emploi correspond à sa recherche dans un rayon de deux kilomètres !
Nous devons tenir compte de ces évolutions à venir. C’est pourquoi nous créons un « emploi store » au sein de Pôle emploi.
Il existe déjà beaucoup d’études sur les difficultés de recrutement et leurs causes, que ce soit au niveau national ou au niveau territorial. Ces enquêtes montrent d’ailleurs la grande diversité des situations selon les secteurs et les territoires.
Au niveau national, il s’agit essentiellement de l’enquête de besoin de main-d’œuvre de Pôle emploi, des indicateurs de tensions par famille professionnelle de la DARES, des travaux des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications au niveau des branches professionnelles et, enfin, des travaux des comités de filières. Les partenaires sociaux sont aussi à pied d’œuvre pour améliorer l’adéquation entre employeurs et candidats.
Le Conseil d’orientation pour l’emploi va croiser toutes les données disponibles sur le plan national afin d’identifier les métiers où l’on constate le plus de difficultés de recrutement. Nous allons même plus loin : France stratégie a d'ores et déjà identifié les postes qui seront le plus nécessaires à l’horizon 2022 ; nous devons nous y préparer par la formation.
À cet égard, monsieur Desessard, je vous indique qu’il existe des formations courtes qui sont immédiatement qualifiantes. Vous avez cité l’exemple de Burger King. Or cette entreprise va tout de même créer 3 500 emplois cette année. Ce ne sont sans doute pas les emplois dont vous rêvez, monsieur le sénateur, mais un emploi est un emploi ! Chaque chômeur embauché après une formation, qu’elle soit courte ou longue, se voit offrir une chance et éventuellement une perspective de réussite ! En tout cas, je tiens à le souligner, il existe des formations très courtes qui fonctionnent très bien, d’autant que certaines personnes ont besoin d’une simple adaptation, non d’une certification.
Je signale par ailleurs que, en deux mois, 22 000 formations viennent d’être certifiées. Qui valide ces formations ? Les partenaires sociaux, via le Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation, le COPANEF, qui est spécifiquement en charge de cette mission. Depuis le 1er janvier dernier, 1 200 000 comptes personnels de formation ont été ouverts.
Il peut s’agir de formations assez longues, certifiantes, ou de formations plus courtes, organisées par les branches professionnelles et destinées à répondre rapidement à une demande.
Les indicateurs de tension par famille professionnelle de la DARES sont déclinés régionalement. De plus, les enquêtes de besoin de main-d’œuvre sont accessibles à l’échelle des bassins d’emploi. C’était d’ailleurs l’idée défendue par Jean-Louis Borloo lors de la création des Maisons de l’emploi.
Les données identifiant et expliquant les causes des emplois durablement non pourvus existent. L’enjeu essentiel est donc l’exploitation de ces travaux à des fins opérationnelles par les différents acteurs concernés.
L’exploitation de ces données doit permettre de mener des actions concrètes de communication, de soutien aux entreprises dans leurs démarches de recrutement et aussi de favoriser la construction d’une offre de formation adaptée aux besoins des entreprises.
Le combat est donc engagé pour faire baisser le nombre d’emplois durablement non pourvus. Dans cette optique, nous adoptons une méthodologie ambitieuse, fondée sur l’identification des métiers où se posent le plus de difficultés de recrutement. C’est cette méthode qui a permis la réussite des formations prioritaires.
Forts de cette méthode, nous agissons dès maintenant, de manière concrète, selon trois axes principaux.
Premier axe : chercher à mieux connaître et faire connaître les opportunités de recrutement et le profil des candidats. Pôle Emploi met en œuvre un programme « transparence du marché du travail » permettant d’agréger et de diffuser des offres et des CV grâce à des partenariats avec les acteurs de l’emploi en ligne. J’ai déjà mentionné le projet d’« emploi store », grande innovation dont vous entendrez encore parler.
Par ailleurs, des procédés tels que le recrutement par simulation ont été mis en place ; ils ont montré leur efficacité pour répondre le plus rapidement et le plus précisément possible aux besoins des entreprises.
Deuxième axe : appuyer et accompagner les recruteurs. Pôle emploi développe son offre de services pour appuyer et conseiller les entreprises qui souhaitent recruter. C’est le fruit de la convention tripartite signée le 18 décembre 2014.
Troisième axe : orienter, former et favoriser la mobilité des demandeurs d’emploi Les aides à la mobilité ont été réformées en vue de les rendre plus simples et plus accessibles, particulièrement pour les TPE-PME, qui constituent a priori le plus grand gisement d’emplois.
J’ai mis en place un plan contre le chômage de longue durée, que j’ai présenté au niveau européen. Je souhaite que l’Europe agisse dans ce domaine et propose de nouveaux services pour rendre plus mobiles les chômeurs très éloignés de l’emploi.
En outre, vous le savez, puisque vous êtes tous sur le terrain, les DIRECCTE sont mobilisées sur cette thématique comme sur tous les enjeux de recrutement et de gestion de l’emploi que rencontrent aujourd’hui les TPE-PME.
Vous l’aurez compris, nous agissons pour diminuer la part d’offres d’emplois non pourvus pour cause de difficultés de recrutement.
Comme le laisse entendre la proposition de résolution, identifier les métiers et les territoires sur lesquels nous devons concentrer notre effort est effectivement un enjeu crucial. À cet égard, sachez que l’enquête « Offre d’emploi et recrutement » de la DARES est en préparation : elle nous permettra d’analyser les embauches de la rentrée 2015 et d’ajuster les dispositifs.
Pour autant, le développement d’un outil plus global prendrait du temps – il faudrait définir en amont les bonnes méthodologies statistiques – et engendrerait des coûts importants. C'est la raison pour laquelle, malgré tout l’intérêt que je porte à cette proposition de résolution, elle ne me paraît pas totalement opportune.
Nous disposons déjà d’un organisme statistique, la DARES…
Je viens justement de vous apporter un élément de réponse avec l’enquête « Offre d’emploi et recrutement » qui est en préparation. Elle permettra d’avoir cette vision que vous appelez de vos vœux.
Je le redis : tant que les employeurs ne déposeront pas leurs offres au même endroit – ce que personne ne peut imposer –, nous ne disposerons pas d’un outil statistique parfait.
Nous préférons apporter des réponses rapides, notamment grâce aux formations. Cela marche très bien ! J’en veux pour preuve le fait que 466 000 formations ont été suivies l’année dernière sur l’ensemble du territoire. Nous poursuivons les formations prioritaires pour apporter une meilleure réponse à la question des offres d’emploi non pourvues sur un territoire.
Je vous remercie d’avoir pris toute votre part à ce débat très intéressant. Sur la proposition de résolution qui est présentée, le Gouvernement s’en remet à la sagesse bien connue de la Haute Assemblée.
Applaudissements.
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Prenant acte des conclusions du conseil d’orientation pour l’emploi qui estime le nombre d’emplois vacants en France à plus de 800 000 ;
Reconnaissant les raisons multiples qui expliquent ce chiffre : formation et compétences inadaptées, attractivité limitée du poste, éloignement des demandeurs d’emploi du lieu de travail, abandon du projet de recrutement ;
Prenant acte de l’absence de statistiques, aussi bien nationales que locales, permettant de chiffrer le nombre de postes vacants imputables à chacune de ces causes ;
Estimant que l’existence de postes non pourvus dans une société où le chômage est élevé laisse libre cours à toutes les interprétations et accusations, le plus souvent à l’encontre des chômeurs ;
Affirmant que l’objectif de l’emploi pour tous doit être inscrit au cœur de toutes les politiques publiques ;
Souhaite que le Gouvernement prenne les mesures nécessaires pour mettre en place un guide de pilotage statistique pour l’emploi (GPS-Emploi), référençant au niveau local et national les offres d’emploi non pourvues ainsi que leurs causes.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.) –
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.