Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le produit intérieur brut exerce une forme d’hégémonie parmi nos indicateurs économiques. En effet, il suffit de consulter le projet de loi de finances pour constater que, parmi les indicateurs du fameux « carré magique », seul le PIB permet de construire les projections en matière de recettes fiscales et de dépenses budgétaires. Ni le taux de chômage ni le déficit commercial ne sont utilisés. Quant au taux d’inflation, son rôle demeure secondaire par rapport à la prééminence du PIB.
Nous connaissons pourtant les limites de cet indicateur. Il s’agit du problème classique des imputations : une fenêtre brisée, bien qu’elle inflige une perte de bien-être à un agent économique, constitue une source d’activité et donc de stimulation de la croissance du PIB.
Si l’on élargit ce problème, force est de constater que le PIB repose en partie sur des éléments de la production qui peuvent se révéler périlleux, à long terme, pour le bien-être des populations. Ainsi, la soutenabilité environnementale de l’activité économique à long terme ne permet pas de déflater le PIB de ses implications pondérées à court ou moyen terme.
Prenons un exemple : les pics de pollution aux particules fines qui ont récemment affecté les grandes villes de France, notamment Paris, présentent un risque sanitaire majeur qui pourrait se traduire, dans quelques décennies, par de lourdes dépenses sociales du fait des maladies respiratoires qu’ils sont susceptibles d’entraîner. Toutefois, ces pics de pollution dénotent un afflux de circulation et de consommation de carburant qui stimule à court terme l’activité économique.
Nous le voyons clairement : face à une telle situation, le PIB est bien inadapté pour éclairer la prise de décision publique.
L’autre écueil du PIB tient à la prise en compte de l’apport de la dépense publique à la richesse nationale. En effet, la dépense publique est appréhendée sous un angle purement comptable, où l’on considère qu’elle ne rapporte finalement que ce qu’elle coûte.
En conséquence, les externalités positives liées à la dépense publique ne sont pas prises en compte : on ne mesure pas annuellement l’apport de l’éducation nationale ou de nos infrastructures au flux de production de la richesse nationale. Autrement dit, ni le bénéfice individuel de l’effort collectif de financement des biens publics ni l’impact de celui-ci sur la production privée ne sont mesurés.
J’ajoute que le taux de croissance du PIB représente un flux sans vision patrimoniale d’ensemble.
Cet inventaire à la Prévert des carences du PIB conduirait à nous faire perdre confiance dans un indicateur qui reste pourtant, à l’heure actuelle, la donnée la plus communément produite par les pays du globe. Le PIB a beau être imparfait, il a le mérite d’exister et d’avoir été adopté par l’ensemble de la communauté économique et par tous les gouvernements.
Les limites de cet indicateur sont bien connues. La crise économique que nous traversons nous les a une nouvelle fois rappelées. C’est pour cette raison que Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, avait institué une commission de travail présidée par le prix Nobel Joseph Stiglitz et chargée de réfléchir à l’évolution des indicateurs économiques, en particulier du PIB.
La présente proposition de loi s’inscrit dans cette filiation. Aussi, je salue l’initiative du groupe écologiste qui a permis la tenue, aujourd’hui, de ce débat en séance publique.
Le présent texte prévoit la remise d’un rapport, concomitant au dépôt du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, dressant un tableau de bord formé d’indicateurs économiques alternatifs.
À cet égard, cette proposition de loi a le mérite de trancher entre une réforme du PIB que nous serions les seuls à mener et la volonté d’avoir une vision un peu plus globale, à travers un faisceau d’indicateurs économiques.
Toutefois, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la pertinence d’une action par voie législative qui, au total, se limiterait à une demande de rapport au Gouvernement. En effet, la loi organique relative aux lois de finances dispose que le Gouvernement est tenu d’adresser un certain nombre de rapports au Parlement en les annexant au projet de loi de finances initiale. Le Gouvernement a donc toute latitude pour adresser ces données aux assemblées par ce canal déjà existant et bien identifié.
Enfin, quel usage pourrait-on faire de ce tableau de bord ?
La compilation de données alternatives au PIB, comme l’indice de développement humain, l’empreinte écologique ou encore la mesure du bien-être économique proposée dans les années soixante-dix par Nordhaus et Tobin, ne nous offrirait pas une information suffisante quant à la soutenabilité sociale et environnementale de l’activité économique nationale.
En effet, on ne pourrait au mieux qu’observer d’éventuels liens de corrélation entre ces indicateurs. Ces critères suffiraient-ils à orienter nos politiques publiques et donc à fixer les orientations définies par le Gouvernement lorsqu’il élabore le projet de loi de finances ? Il me semble malheureusement que la réponse est non. Nos politiques publiques resteront principalement construites sur le PIB, car seule cette donnée économique nous permet d’évaluer les voies et moyens de l’action des pouvoirs publics.
Monsieur le secrétaire d’État, cette intervention me permet de vous faire cette suggestion : peut-être faudrait-il, à moyen terme, inviter le Gouvernement à engager une réflexion au sujet d’une éventuelle réforme des modalités de calcul du PIB, …