Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question de la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques est parfois abordée de manière désinvolte, voire ironique. On fait allusion aux doux rêveurs soixante-huitards, parfois même qualifiés d’« attardés », qui voudraient voir le PIB remplacé par un « bonheur national brut » dont il est facile de dénigrer la naïveté, voire la dangerosité, si l’on va jusqu’à mettre derrière cette notion l’ambition folle d’un État prétendant définir de façon autoritaire le bonheur des individus.
La caricature, même quand elle a l’avantage de susciter le sourire, ne doit pas pour autant nous conduire à sous-estimer l’importance et l’intérêt d’autres approches, plus scientifiques et politiques, celles-là, de cette question.
Je veux rappeler ici, non sans émotion, le talent pédagogique de Bernard Maris, qui soulignait régulièrement qu’il ne contribuait pas beaucoup à l’augmentation du PIB en rejoignant à vélo les locaux de France Inter ou de Charlie Hebdo, contrairement à beaucoup d’autres Franciliens, coincés dans les embouteillages automobiles et donc consommateurs d’essence, produisant de la pollution atmosphérique et alimentant bientôt une industrie anti-pollution.
L’intérêt de cette proposition de loi est d’éviter tout risque de dévoiement, dans la mesure où ses auteurs ne proposent en rien d’abandonner la référence au PIB comme élément essentiel de la préparation et de l’analyse du budget. En effet, les indicateurs suggérés viennent seulement en complément du PIB.
Le texte met ainsi en relation le questionnement scientifique de la notion de PIB et de ses limites, pour mesurer objectivement la croissance économique et précisément dépasser ces limites, connues depuis bien longtemps.
Il conduit à souligner la nécessité, qui sera de plus en plus ressentie dans les années à venir, de rechercher la croissance indispensable en en contrôlant les effets les plus graves sur le devenir à moyen terme de la planète.
Les universitaires et les scientifiques français ont légitimement abordé la question des indicateurs disponibles ou souhaitables pour mesurer plus précisément la croissance économique sous ses aspects quantitatifs et qualitatifs. D’autres chercheurs le font dans le monde, mais les contributions françaises sont à la fois nombreuses et reconnues pour leur qualité, à l’instar des travaux de Dominique Méda, de Jean Gadrey ou de Jean-Paul Fitoussi, pour n’en citer que quelques-uns.
Au moment où se prépare la conférence COP 21 dans notre pays, il est bienvenu de le rappeler. La question de la mesure de la croissance et de sa compatibilité avec la maitrise du réchauffement climatique sera en effet nécessairement à l’ordre du jour de cette conférence.
Au regard de la qualité des travaux scientifiques, l’une des difficultés soulevées par cette proposition de loi porte sans doute sur le nombre, la fiabilité et la qualité des indicateurs susceptibles d’être choisis pour éclairer le débat public, sans pour autant le saturer de chiffres ou de notions qui pourraient relever de l’appréciation subjective.
En retenant les références aux inégalités, à la qualité de vie et au développement durable, un premier tri louable a été opéré. Il reste à la fois à limiter le nombre des indicateurs et à veiller à leur actualisation régulière, sans emporter pour autant des coûts de collecte et de traitement trop importants.
Le dispositif de tableau de bord envisagé me semble pertinent. Je suis personnellement partisan d’un nombre limité d’indicateurs, pas plus d’une dizaine, afin que l’évaluation des décisions budgétaires et des résultats des politiques publiques soit limitée aux questions essentielles et ne se perde pas dans des considérations qui pourraient vite couvrir un champ démesuré.
Le débat démocratique suggéré pour la sélection des indicateurs ne peut pas, lui non plus, être conduit sans organisation - France Stratégie ainsi que le Conseil économique, social et environnemental devront y veiller – d’autant plus que nous disposons déjà de nombreux rapports sur le sujet.
Le contrôle de la liste des indicateurs retenus doit, me semble-t-il, revenir au Parlement, et non être concédée à telle ou telle instance de démocratie participative, si utile soit elle.
Enfin, il me semble que la période proposée – le mois d’octobre – pour la diffusion de ce rapport est adaptée à une bonne prise en considération de ces nouveaux indicateurs dans le débat budgétaire. La logique voudrait que nous en retrouvions toutes les traces dans les études d’impact accompagnant les nouvelles décisions - c’est en tout cas le vœu que je forme -, afin de faciliter les débats sur le projet de loi de finances.
Sur le fond, l’intérêt primordial de cette proposition de loi réside dans la question fondamentale qu’elle aborde : on ne pourra plus, dans les années à venir, établir des budgets annuels sans y intégrer des considérations de moyen et long terme permettant de garantir la soutenabilité de la croissance, que tout le monde recherche.
Tous ces arguments me conduisent donc à vous inviter, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi conforme, c'est-à-dire dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.