Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 2 avril 2015 à 9h00
Nouveaux indicateurs de richesse — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la richesse d’un pays se mesure-t-elle à l’usage plus ou moins dispendieux qu’il fait de ses propres ressources ?

C’est en gardant à l’esprit les conclusions de nombreuses réflexions menées depuis une cinquantaine d’années de par le monde, depuis les activités du Club de Rome de Sicco Mansholt, auteur en 1972 d’un ouvrage intitulé Les limites de la croissance, jusqu’aux travaux de la commission Brundtland, du nom de l’ancienne Premier ministre de Norvège, sur le développement soutenable, que nos collègues du groupe écologiste ont jugé utile d’ouvrir un débat sur le contenu et la qualité de la croissance.

La question n’est pas l’existence ou non d’une nouvelle ligne de fracture politique entre partisans de la croissance, de l’activité et de l’égalité des chances économiques, d’une part, et tenants de la décroissance, de l’autre : chacune de ces deux positions développe en elle-même une large palette d’appréciations.

La vérité commande de dire que, tout en reconnaissant l’apport théorique essentiel de grands économistes issus de diverses écoles philosophiques, on ne peut réduire la thématique de la richesse nationale et de son évaluation à la seule qualité d’un appareil statistique, certes de très haut niveau en France, capable de mesurer avec une exactitude presque millimétrique la réalité de la production dite « marchande ».

Notons d’emblée ce formidable paradoxe : c’est bel et bien parce que l’État et la puissance publique se sont emparés de la question de la construction d’un appareil statistique de haut niveau, articulé autour de l’INSEE et de sa propre filière de formation, l’ENSAE, et aujourd’hui largement développé dans de nombreux domaines de l’action publique, que nous disposons d’une capacité de mesure précise des mouvements de la société marchande.

Oui, formidable paradoxe, la qualité du non-marchand se révèle déterminante pour mesurer le marchand !

Le débat sur les nouveaux indicateurs de richesse se pose évidemment avec une acuité particulière dans une société marquée, comme la nôtre, par quelques décennies de mise en déclin de la dépense publique directe ainsi que par le creusement des inégalités sociales, singulièrement des inégalités de patrimoines. Ce débat sous-tend en grande partie un autre débat, celui-là politique et singulièrement parlementaire, notamment quand nous sommes amenés à examiner les textes budgétaires.

Je constate d’ailleurs que France Stratégie, qui remplace l’ancien Commissariat général au plan et qui publie des études d’impact relativement sommaires sur certains aspects des textes gouvernementaux, a lui-même apporté sa pierre à la réflexion que nous invitent à mener nos collègues auteurs de la proposition de loi.

Sept indicateurs ont retenu l’attention de Jean Pisani-Ferry et de son équipe : l’évolution des actifs, incorporels ou physiques, du secteur productif ; la proportion de diplômés de niveau baccalauréat et plus au sein de la population âgée de vingt-cinq à soixante-quatre ans ; l’artificialisation du territoire ; l’empreinte carbone de l’activité économique ; le rapport entre les revenus des 20 % les plus pauvres et des 20 % les plus riches parmi les ménages ; la dette publique nette vis-à-vis du PIB et la dette extérieure nette vis-à-vis du PIB.

On aura constaté l’importance, parmi ces indicateurs, de la dimension incorporelle, ainsi versée au débat public. Cela répond à la nécessité de prendre en compte le niveau de qualification de la main-d’œuvre, générateur par excellence de gains de productivité mesurés par la « productivité apparente du travail », mais aussi la réalité de l’enrichissement en termes incorporels du capital productif disponible.

Soyons clairs, les paramètres retenus par les services de M. Pisani-Ferry ne font pas le compte, car il y manque, à notre avis, quelques éléments clés que nous pourrions voir figurer au sein des critères résumés dans le texte de la présente proposition de loi.

La judicieuse initiative prise par nos collègues du groupe Europe Écologie Les Verts appelle à un débat serein et contradictoire sur ce que nous voulons pour notre pays et son peuple, en des temps troublés où il est de plus en plus évident qu’un décalage existe et s’amplifie entre réalités économiques et sociales et ressenti des populations.

Si ce débat peut d’une certaine manière atténuer les considérations déclinistes en vogue ces derniers temps, ce ne sera pas, au fond, un mal. Encore faut-il qu’il soit mené, et le meilleur moyen de le faire est d’adopter la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui.

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