… l’organisation d’un noyau dur, très riche, et de départements de la grande couronne relégués soulève une véritable interrogation. Là aussi se créent de nouvelles inégalités.
Mon département, qui compte tout de même 1, 3 million d’habitants, ne dispose, sur son territoire, d’aucune classe préparatoire aux grandes écoles. Les étudiants issus de ce département sont donc contraints de louer un studio à Paris, s’ils veulent accéder aux lycées parisiens accueillant ces classes préparatoires.
Il convient d’évoquer aussi les inégalités d'accès à l’emploi et les difficultés que rencontrent dans ce domaine tous les jeunes de ce pays, confrontés qu’ils sont aux rigidités du marché du travail, même lorsqu’ils sont diplômés.
En réalité, mes chers collègues, les inégalités seront l’un des grands thèmes des prochaines échéances électorales nationales. Aussi, ces questions, qui sont posées - au demeurant très habilement - par les auteurs de la proposition de loi, ne sauraient être balayées d’un revers de main. Telle est la raison pour laquelle nous regrettons que le dispositif de la proposition de loi, dont nous anticipons qu’il se traduira par un rapport, un de plus, soit bien insuffisant au regard de l’objectif.
Le critère unique de la croissance du produit intérieur brut, sur lequel sont bâties les lois de finances, peut souvent apparaître déconnecté des réalités. Ainsi, alors que, depuis la crise, les familles composent avec une dégradation généralisée de leur pouvoir d’achat, le PIB ne cesse de croître, même si son taux d’augmentation a été faible et parfois même égal à zéro.
Cette incapacité du PIB à rendre compte des réalités vécues par nos concitoyens creuse un véritable fossé entre un certain discours politique – on nous assure que la situation économique s'améliore - et le ressenti des Français, de plus en plus sceptiques quant à la réalité de l’efficacité des politiques publiques qui leur sont proposées.
Dans ce contexte, il pourrait être utile de disposer de nouveaux indicateurs permettant de nuancer les discours en fonction du ressenti réel de nos concitoyens. Je pense au logement, à la santé, à l’emploi, à l’accès à des écoles performantes ou encore à la qualité de la formation professionnelle.
Autre exemple, l’inégalité liée à la ruralité ou à cette « rurbanité » que je connais dans mon département est un critère non négligeable pour nombre de Français qui se sentent abandonnés, et doit à ce titre être prise en compte dans l’élaboration des politiques publiques.
À l’inverse, en milieu urbain, notamment dans la région parisienne, le logement est essentiel, car il impacte directement le niveau de vie des salariés. Ainsi, les habitants de ce pays consacrent au financement de leur logement 50 % de plus de leur salaire que les citoyens allemands. Et c’est aussi la cause d’un autre problème économique, puisque c’est autant de moins de pouvoir d’achat que nos concitoyens consacrent à la consommation et, par conséquent, à la croissance.
La question du coût des transports dans les zones rurales, mais aussi dans les grandes agglomérations, selon que l’on habite dans le centre ou en banlieue, est également digne d’intérêt, mais n’est pas assez prise en compte. Les dispositifs de péréquation, que nous mettons en place gaillardement ici, sur la base de chiffres et de statistiques, ne prennent pas assez en compte cet aspect.
Les villes moyennes de région parisienne contribuent – nous l’observons - au financement des villes moyennes de province, mais la question du coût des transports n’est pas assez prise en compte dans l’élaboration de cette politique de péréquation, de même que les difficultés d’accès à des services présentant des conditions correctes de fonctionnement.
Dès 2008, le sujet qui nous réunit ici a fait l’objet d’une réflexion menée par la commission Stiglitz. Cette commission a traité de la mesure des performances économiques et du progrès social en veillant à éviter une approche trop quantitative ou trop comptable de la mesure des performances collectives du pays et à élaborer de nouveaux indicateurs de richesse. L’initiative de cette démarche avait été prise – je le rappelle pour finir de mettre de bonne humeur certains ici –, par l’ancien Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, le 8 janvier 2008.
Cette commission était composée, notamment, de cinq prix Nobel d’économie, dont M. Stiglitz, économiste américain de renom, et le professeur Amartya Sen, de Harvard, ainsi que l’économiste français Michel Fitoussi, président de l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques.
La Commission, dans un rapport de septembre 2009, avait également remis en cause la pertinence de l’évolution du PIB en tant qu’indicateur de performance et de progrès et avait proposé, elle aussi, de prendre en compte de nouveaux indicateurs.
Aujourd’hui, et c’est toute la difficulté, chacun s’accorde à penser que de nouveaux indicateurs sont nécessaires, mais nous n’en percevons concrètement aucun.
Ce sujet fait également l’objet d’un examen attentif du Conseil économique, social et environnemental, qui travaille en ce moment même sur cette question.
Si donc tout le monde s’attelle au sujet des indicateurs de richesse, vous obtiendrez peut-être satisfaction, monsieur le rapporteur, au cours des semaines ou des mois à venir. Pour autant, il est difficile de souscrire à l’objectif sans considération pour le dispositif de la proposition de loi, modeste au point d’être inexistant…
En Allemagne, neuf indicateurs de richesse alternatifs au PIB ont été élaborés par une commission parlementaire spéciale, transpartisane, et prenant en compte non seulement l’économie, mais aussi l’écologie et la qualité de vie.
Qu’attend-on, monsieur le secrétaire d’État, pour mener en France un travail de même nature ? Vous me direz que pareille tâche incombe aux assemblées. Vous aurez raison : nous sommes sur le point de soumettre des propositions en ce sens au président du Sénat.
Néanmoins, comme l’a très bien souligné, en commission des finances, M. le rapporteur général, tout comme notre rapporteur, Antoine Lefèvre, que notre groupe tient à féliciter pour la qualité du travail accompli, la rédaction de la présente proposition de loi n’est pas pleinement satisfaisante. La date de remise du rapport, en outre, n’est pas des plus opportunes. Il reste notamment, encore, à définir un cadre plus précis. Pour autant, des propositions qui nous paraissent intéressantes ont été formulées.
Il serait préférable de mesurer l’impact des lois de finances sur les indicateurs de richesse au moment de la discussion du projet de loi de règlement, qui présente le résultat de l’année précédente, plutôt qu’au moment d’établir des prévisions pour l’année suivante. La discussion du projet de loi de règlement coïncide en outre avec les discussions inhérentes à la transmission à Bruxelles du programme de stabilité et de croissance, avec son programme national de réformes. Ce moment serait donc sans doute le plus approprié.
L’impact ainsi mesuré permettrait de tirer des leçons utiles au débat d’orientation sur les finances publiques en vue de la préparation du budget suivant.
Nous ne pouvons donc que saluer les propositions de M. le rapporteur et encourager la Haute Assemblée à travailler sur ces données objectives et quantifiables.
Les informations recueillies apporteraient également un éclairage utile pour juger des péréquations horizontales : la mise à jour de tous ces indicateurs permettrait certainement de lever bien des injustices en la matière. De ce point de vue-là aussi, je ne peux que nous encourager à persévérer !
En conclusion, si notre groupe, dans sa majorité, n’est pas du tout hostile à l’objectif de la présente proposition de loi et y est même tout à fait favorable, il ne veut pas non plus délivrer un blanc-seing au Gouvernement sur un texte franchement trop descriptif. Un rapport, encore un rapport ! Notre souhait est plutôt de passer à l’action.
Dans cette attente, nous allons aujourd’hui, majoritairement, nous abstenir.