Il y a un mercato, c’est vrai !
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juin 2013, au cours d’un débat sur la formation des chômeurs, j’ai soulevé la question des emplois non pourvus, dont le Conseil d’orientation pour l’emploi, le COE, estime le nombre à 820 000 dans notre pays !
À cette occasion, monsieur le ministre, j’ai souligné que l’on ne connaissait pas précisément la part de chacune des différentes causes expliquant que des emplois ne soient pas pourvus ; il me semble que ce constat est toujours valable aujourd’hui, à moins que vous n’ayez des données nouvelles à nous communiquer.
Après que j’eus de nouveau attiré votre attention sur ce problème à la fin de l’année 2013, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, vous m’avez invité au ministère, ce dont je vous remercie. Je m’y suis rendu avec mon petit dossier, heureux à l’idée de pouvoir enfin travailler avec vous sur ce sujet. Vous m’avez alors présenté une « techno », membre de votre cabinet, qui m’a asséné, en guise de réponse à mes interrogations, une litanie de chiffres et d’éléments de langage. Et patati, et patata… Je me suis en quelque sorte retrouvé dans la situation des chômeurs qui, dans nos circonscriptions, nous demandent ce que nous faisons concrètement pour eux, et à qui nous répondons par une énumération de mesures, ce qui bien sûr ne les satisfait pas !
Voilà ce qui m’a conduit, monsieur le ministre, à déposer la présente proposition de résolution.
Que recouvre, au juste, ce chiffre de 820 000 emplois non pourvus, dont l’énormité ne peut manquer d’interpeller un gouvernement dont la priorité affichée est l’emploi ?
Selon les experts, il s’expliquerait, à concurrence d’un peu moins de la moitié, par le temps nécessaire pour remplacer un salarié parti ou pourvoir un poste nouvellement créé. Il s’agit là d’une situation normale, disent-ils, sur un marché du travail où les entreprises mettent du temps à trouver le bon profil. De fait, en France, le processus de recrutement dure en moyenne quatre semaines. En somme, il en va du marché du travail comme de celui du logement : entre le départ d’un locataire et l’entrée dans les lieux de son successeur, il s’écoule toujours une période de vacance. On estime donc que 400 000 emplois ne seraient pas pourvus à cause de ce phénomène : ce chiffre me paraît élevé, mais admettons ; peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, confirmer ou infirmer cette estimation.
Restent donc 420 000 emplois vacants, ce qui n’est pas rien. Ces 420 000 emplois, je vous les offre, monsieur le ministre : vous pouvez en disposer pour réduire d’autant le nombre des chômeurs !
Pourquoi donc ces emplois-là ne sont-ils pas pourvus ?
D’abord, un employeur peut abandonner un processus de recrutement, notamment si le contexte économique se dégrade. Soit, mais combien de postes cela concerne-t-il ?
Ensuite, certains postes demeurent non pourvus en raison d’une insuffisante attractivité, en termes de salaire et de conditions de travail – c’est l’attractivité objective – ou d’image du métier – c’est l’attractivité subjective. Combien de vacances d’emploi s’expliquent-elles ainsi ? On ne le sait pas, personne n’est capable de nous le dire !
Enfin, l’employeur peut ne pas trouver de candidats suffisamment compétents pour le poste, ce qui pose la question de la formation professionnelle.
Concernant le contexte économique, une offre d’emploi peut être publiée sans déboucher finalement sur un recrutement. Ainsi, un tiers des TPE-PME auraient abandonné un projet de recrutement au cours de l’année 2013. Avons-nous les moyens de vérifier l’exactitude de ce chiffre élevé ?
Un poste peut également être non pourvu à cause de son manque d’attractivité, qui peut être lié à des représentations culturelles, à des clichés, à des stéréotypes.
Ainsi, on nous dit que l’on ne trouve plus de maçons, parce que l’image du métier n’est pas bonne. Cependant, lorsque je consulte le site de Pôle emploi, les demandes d’emploi de maçon semblent beaucoup plus nombreuses que les offres. Là encore, on n’arrive pas à savoir ce qu’il en est en réalité !
L’image des métiers de la restauration s’est beaucoup améliorée, monsieur le ministre, grâce à des émissions de télévision telles que MasterChef. Aujourd'hui, l’image du cuisinier est en hausse, mais qu’en est-il vraiment pour les autres métiers manuels ?
Les conditions de travail sont également déterminantes en matière d’attractivité. Les enquêtes « Besoins en main-d’œuvre » de Pôle emploi et les évaluations du Gouvernement ayant précédé la mise en place du plan « Formations prioritaires pour l’emploi » situent les besoins les plus forts dans les mêmes filières : BTP, hôtellerie-restauration, agroalimentaire. Ces secteurs présentent une caractéristique commune : une stabilité de l’emploi des salariés relativement limitée et des rythmes de travail que l’on peut sans peine qualifier de « soutenus ».
Monsieur le ministre, avez-vous fait réaliser une véritable étude sur l’existence d’un lien entre les conditions de travail, les salaires ou la précarité dans certains métiers et la pénurie de candidats pour les exercer ? Est-il étonnant qu’un emploi à mi-temps pour une durée de quinze jours et imposant de longs déplacements reste non pourvu ? Ne s’agit-il pas de conditions de travail peu intéressantes ? Avez-vous des statistiques à nous communiquer sur ce point, monsieur le ministre ?
Dans les métiers de bouche, on parle souvent de pénuries de salariés, mais les vacances de postes ne correspondent-elles pas plutôt à une mutation de ces professions ? Un boucher ne préfère-t-il pas aujourd’hui travailler dans un supermarché, pour bénéficier d’une certaine stabilité de l’emploi en tant que salarié ? Ces questions doivent être examinées ; pour l’heure, nous n’avons pas les moyens d’y répondre.
On sait que, dans le secteur de la santé, il existe une demande forte d’infirmières, de médecins, mais, en l’espèce, la pénurie tient au numerus clausus, qu’il faut remettre en question.
On peut aussi, bien sûr, évoquer la formation, les lacunes de l’enseignement scolaire qui pénalisent les demandeurs d’emploi dans leur recherche. À cet égard, je souligne le bilan positif du programme « Compétences clés » mis en place par l’État pour combler les lacunes des demandeurs d’emploi en matière d’informatique, de langues ou de mathématiques. Ce dispositif connaît un grand succès, puisque les 50 000 formations dispensées chaque année ne suffisent pas à satisfaire toutes les demandes. C’est un point intéressant.
En revanche, les formations professionnelles sont si nombreuses et leur organisation si complexe que personne ne connaît leur nombre exact. Ainsi, même l’Inspection générale des affaires sociales, dans son rapport du mois d’août 2013, ne parvient pas à dénombrer précisément ces dispositifs et se borne à évoquer un système complexe, fondé sur une addition de « logiques différentes selon les acteurs institutionnels ». On manque d’un pilotage.
Telles sont, rapidement brossées, les possibles causes de l’existence d’emplois non pourvus. Cependant, comme on ne sait pas précisément quel est le poids de chacune d’entre elles ni quelles personnes sont concernées, on ne peut pas apporter de réponse adaptée.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, je vous propose de mettre en place un guide de pilotage statistique pour l’emploi, autant dire un GPS pour l’emploi, …