Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un rapport du Conseil d’orientation de l’emploi publié le 30 septembre 2013 chiffrait à 820 000 le nombre d’emplois non pourvus en France. À la même période, l’enquête ACEMO estimait le nombre d’emplois vacants à 180 000. Les services des relations humaines des grandes entreprises avancent souvent, quant à eux, que ce nombre est compris entre 300 000 et 400 000. Une récente campagne de communication du MEDEF faisait d’ailleurs état de ce dernier chiffre. Certains journalistes vont jusqu’à évoquer 600 000 emplois non pourvus, sans toutefois indiquer leurs sources.
On le voit, tous ces chiffres tiennent manifestement du ressenti. Pôle emploi, qui ne couvre pas toute l’offre disponible – un grand nombre d’offres passent aujourd'hui par les sites de recrutement en ligne –, estime à 40 % la proportion des recrutements considérés comme difficiles, 10 % des offres n’étant finalement pas satisfaites, ce qui représente entre 300 000 et 350 000 emplois.
Au niveau européen, Eurostat estime que les emplois vacants représentent de 0, 3 % à 0, 5 % de l’emploi total, mais souligne que la méthode de construction statistique de ces données, concernant notamment la France, est contestable.
Au final, on voit qu’une clarification des chiffres s’impose et, de ce point de vue, cette proposition de résolution est manifestement bienvenue.
Sur le plan européen, je veux souligner que, en dépit de leur imprécision, les chiffres diffusés par Eurostat montrent que la France fait partie des pays où le taux de postes ne trouvant pas preneur est le moins élevé : il est ainsi nettement inférieur à la moyenne européenne.
On pourrait considérer, a priori, qu’il s’agit là d’un élément plutôt positif, mais il nous faut, en réalité, privilégier une autre interprétation, moins favorable : contrairement aux idées reçues, un pays qui affiche un taux d’emplois vacants élevé est aussi, souvent, un pays qui propose beaucoup d’emplois. Autrement dit, si le taux d’emplois vacants par rapport au nombre d’emplois total est élevé en France, c’est parce qu’il n'y a pas assez d’emplois à occuper, et non parce que des armées de chômeurs démotivés n’en chercheraient pas.
Le Portugal, l’Italie, l’Espagne sont dans des situations proches de la nôtre. À l’inverse, l’Allemagne a un taux d’emplois vacants élevé, ce qui la conduit d’ailleurs à favoriser une immigration professionnelle.
On le voit, l’interprétation des statistiques est complexe. Elles sont davantage le reflet de divergences démographiques, croisées avec des situations économiques diverses, notamment pour ce qui concerne la fluidité du marché du travail et le niveau de croissance. Bien évidemment, il faut à la fois renforcer la croissance et améliorer la fluidité du marché du travail.
Les raisons pour lesquelles des offres d’emploi ne trouvent pas preneur sont extrêmement variées : déconnexion entre la rédaction de l’annonce et les compétences réellement nécessaires, pourvoi en interne, recrutement via un autre réseau, etc.
On sait depuis longtemps quelles branches sont les premières victimes de cette situation : l’hôtellerie et la restauration, l’agroalimentaire, certains métiers de bouche, certains métiers de la santé, l’accompagnement des personnes âgées dépendantes, les transports, l’informatique. Concernant la restauration, je suis plus dubitatif que l’auteur de la proposition de résolution sur l’impact positif de l’émission MasterChef : aujourd'hui, pour une grande partie de nos concitoyens, l’image de ce secteur est aussi associée, me semble-t-il, aux fast-foods et à la précarité.
Les causes de ces difficultés à pourvoir des emplois sont finalement fort différentes suivant les secteurs : déficit d’image, conditions de travail difficiles, faiblesse des salaires, réelle pénurie de candidats qualifiés dans certains métiers, tels que ceux de l’informatique. Nous avons besoin, à cet égard, de renforcer l’offre de notre système éducatif.
Le Gouvernement, ainsi que les régions, qui interviennent beaucoup dans ce domaine, ont pris des mesures pour remédier à ces difficultés. Deux plans successifs visant à offrir, respectivement, 30 000 et 100 000 formations prioritaires aux métiers en tension ont été mis en œuvre, avec des résultats qui ont dépassé les objectifs. Le programme « compétences clés », en matière d’informatique et de langues, rencontre un grand succès, avec 50 000 formations annuelles. Des dispositifs comme la préparation opérationnelle à l’emploi permettent d’apporter à des candidats des compétences pouvant être rapidement acquises, afin qu’ils puissent sortir du chômage. En 2014, c’est un total de 446 000 formations professionnelles qui ont été financées, soit une hausse de près de 9 % par rapport à 2013.
D'ailleurs, la proposition de résolution souligne cet effort considérable, consenti prioritairement en faveur de la formation des demandeurs d’emploi, trop longtemps reléguée au second plan.
Cependant, il est exact que les dispositifs de formation, qui dépendent d’une multitude d’acteurs, sont aujourd'hui trop nombreux et trop complexes ; un large consensus existe sur ce point. De ce fait, on peut légitimement s’interroger sur le degré d’efficacité de la dépense de 32 milliards d’euros consentie chaque année pour le secteur de la formation professionnelle. Chacun sait bien que des gains d’efficacité sans doute importants peuvent être réalisés.
À cet égard, la proposition de résolution de Jean Desessard et du groupe écologiste est intéressante. Les technologies dont on dispose aujourd’hui permettent un pilotage en continu des statistiques relatives aux postes vacants, afin d’éviter que des emplois ne soient pas pourvus, notamment dans les métiers en tension. Un guide de pilotage des formations accessibles aux demandeurs d’emploi pourrait ainsi être mis en place, en collaboration avec les différents partenaires, au premier rang desquels Pôle emploi, les régions ou encore l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA. Il faudra veiller à ce que simplicité et facilité d’utilisation soient les maîtres mots de son élaboration.
Bien sûr, il importe aussi que les conseillers de Pôle emploi aient une réponse à apporter aux demandeurs d’emploi, dont ils sont les premiers interlocuteurs. Il faut qu’ils puissent leur faire une ou des propositions pour leur redonner des perspectives concrètes, ce qui implique qu’ils aient accès à une information complète, actualisée, fiable et réactive.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, nous soutenons, sur le principe, cette proposition de résolution, en vous demandant de nous indiquer quelles perspectives vous-même et vos services pouvez ouvrir en ce domaine.