Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 2 avril 2015 à 14h30
Débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, du 11 septembre 2001 aux derniers attentats de Sanaa, du Waziristan au Mali, en passant par le Levant, en tout lieu, en tout temps, le terrorisme frappe et fait fi des frontières.

Nous l’avons malheureusement subi sur notre territoire lors des attentats du mois de janvier, qui ont endeuillé la nation, mais aussi révélé sa capacité de résilience. Les décisions ont alors été prises pour renforcer la sécurité de nos concitoyens.

Cette menace n’est, hélas ! pas une surprise pour nous. Les Livres blancs de 2008 et de 2013 évoquaient les risques. En revanche, l’acuité du problème et la nécessité de protéger nos concitoyens imposent d’anticiper l’actualisation de la LPM, que nous avions sagement prévu, à l’article 6, de réaliser avant la fin de l’année 2015. Je constate que le groupe UMP a souhaité « anticiper l’anticipation », en sollicitant ce débat.

Monsieur le ministre, dès le mois de janvier, vous annonciez devant notre commission des affaires étrangères et de la défense que l’actualisation interviendrait avant l’été, afin « d’adapter notre analyse, nos contrats opérationnels et notre réponse capacitaire au nouveau contexte ».

J’aborderai principalement les effectifs et la sanctuarisation budgétaire. Ces deux questions sont évidemment liées et elles sont cruciales pour l’avenir de notre sécurité.

À propos des effectifs, le Livre blanc de 2013 énonçait : « L’engagement des armées en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile en cas de crise majeure pourra impliquer jusqu’à 10 000 hommes des forces terrestres ».

Pour rappel, l’opération Sentinelle prévoit le déploiement de plus de 10 000 militaires, pas seulement des forces terrestres d’ailleurs, afin de protéger près de 700 sites en France métropolitaine et outre-mer. Cette opération s’ajoute aux OPEX, où plus de 10 000 hommes sont actuellement engagés. On voit là l’imbrication des sécurités extérieure et intérieure, clairement établie par les Livres blancs de 2008 – et cela n’allait pas, alors, totalement de soi – et de 2013.

Cela justifie en tout point la nécessité de continuer à lutter contre le terrorisme à l’extérieur. C’est de ce continuum complexe que naissent les risques d’attentats sur nos territoires. Dès lors, il devient impossible d’envisager de baisser la garde à l’extérieur pour se recroqueviller, si l’on peut dire, sur la seule protection de notre territoire national.

D’ailleurs, dès la mise en place de l’opération Sentinelle, le Président de la République a pris la mesure de cette tension sur les effectifs en annulant la suppression de 7 500 postes, décidant ainsi de ralentir la tendance baissière des effectifs. Depuis lors, il a autorisé l’armée de terre à augmenter ses effectifs jusqu’en 2017, à hauteur de 11 000 hommes.

Cette revue nouvelle des effectifs ainsi qu’une montée en puissance des composantes renseignement, cyberdéfense et réserve opérationnelle – qu’on oublie trop souvent – permettront aux armées françaises d’honorer les contrats opérationnels qui s’imposent tant à l’extérieur que sur le territoire national. Mais il faut tout de même se souvenir que le Livre blanc de 2008 avait programmé 54 000 suppressions d’emplois quand celui de 2013 n’en prévoyait « que » 24 000 ; bien sûr, compte tenu du contexte, ce sera finalement beaucoup moins.

Ainsi que Jacques Gautier vient de le souligner, cette décision aura évidemment des conséquences budgétaires. Il faudra les évaluer dans l’actualisation. Mais la sécurité de nos concitoyens sur le territoire national comme à l’extérieur impose cet effort supplémentaire.

Subsiste donc la nécessité de lever le verrou budgétaire qui pèse, telle une épée de Damoclès, au-dessus de nos armées. Nous devons éviter les errements que de précédentes lois de programmation ont connus.

Deux éléments devraient permettre aujourd’hui de « sanctuariser » le budget à court terme, selon la volonté du Président de la République.

Le premier, et c’est un motif de satisfaction, concerne nos derniers succès à l’exportation – vous en avez pris votre part, monsieur le ministre –, notamment, outre le marché pour le Liban, la fourniture d’équipements majeurs à l’Égypte. Vous avez rappelé au cours de votre dernière conférence de presse que la LPM reposait sur la réussite de contrats d’exportation. L’un d’entre eux concernait l’avion de combat Rafale. Or la vente de vingt-quatre appareils à l’Égypte permettra de respecter la cible de la LPM en fournitures de Rafale aux forces aériennes tout en maintenant l’activité des chaînes de montage à hauteur de l’engagement ancien de l’État, dont nous avons hérité, vis-à-vis de l’entreprise. Si nous concluons d’autres contrats, l’étau se desserrera naturellement, et nous pourrons affecter d’autant mieux les moyens ainsi dégagés aux autres forces.

Le second élément est le point qui fait débat entre nous ; il s’agit évidemment de la question des sociétés de projet.

Dès 2012, le budget de la défense a été sanctuarisé à 31, 4 milliards d’euros. Et ce n’était pas si simple ! Depuis, nous avons, bon an mal an, réussi respecter la trajectoire fixée par la LPM. Je conteste donc qu’il manque un milliard d’euros, comme cela a été affirmé tout à l’heure.

La contraction des crédits budgétaires de défense a été compensée par un recours accru aux recettes exceptionnelles. La construction budgétaire de cette année repose évidemment sur plus de 2 milliards d’euros de recettes exceptionnelles. En l’absence de crédits, votre ministère n’a pas trouvé d’autres solutions que la création de sociétés de projet.

Cette question sera débattue ici même dans les semaines qui viennent, lors de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Il s’agira de lever les obstacles juridiques pour pouvoir créer ces sociétés. D’ailleurs, il n’est pas impossible que celles-ci soient par la suite fort utiles, en mobilisant des capitaux privés, pour répondre à une demande à la fois des industriels et de pays potentiellement importateurs.

La décision a été prise et arbitrée au plus haut niveau de l’État, et les moyens nécessaires seront affectés. En outre, il est prévu à l’article 3 de la LPM que des ressources manquantes peuvent être intégralement compensées par « d’autres recettes exceptionnelles», parmi lesquelles des « produits de cessions additionnelles de participations d’entreprises publiques ».

À présent, je vais vous livrer le fond de ma pensée. Depuis quelque temps déjà, nous connaissons des difficultés à trouver des recettes pour équilibrer le budget de la défense. Sur toutes les travées, chacun s’accorde à reconnaître la gravité des menaces et sur la nécessité impérieuse pour ce gouvernement d’assurer la protection de nos concitoyens. Le caractère aléatoire des recettes exceptionnelles contraste notablement avec cette impérieuse nécessité.

L’année prochaine, nous serons confrontés une fois de plus à ce caractère aléatoire et incertain. Il en sera peut-être de même en 2017. Certes, il y a toujours eu des recettes exceptionnelles prévues dans les LPM. Les produits de cessions immobilières ont, bon an mal an, permis d’abonder pour partie cette ligne. Le programme d’investissements d’avenir auquel la défense a eu recours l’an passé, en en respectant bien la lettre et l’esprit et en en faisant bénéficier le Commissariat à l’énergie atomique et le Centre national d’études spatiales, l’a également permis. Mais nous le savons tous ici, la cession de fréquences hertziennes a peu de chances d’être réalisée cette année.

Il devient évident que ce caractère aléatoire, qui porte à la fois sur le montant des recettes en question et sur le calendrier de leur mobilisation, ne peut plus convenir à un budget « sanctuarisé » comme celui de la défense.

En conséquence, la simple logique voudrait que le budget de la défense soit abondé uniquement par des crédits budgétaires, des crédits sûrs, tant en valeur qu’en délais.

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