Intervention de Philippe Esnol

Réunion du 2 avril 2015 à 14h30
Débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire

Photo de Philippe EsnolPhilippe Esnol :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 3 décembre dernier, je me tenais devant vous à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Défense » et tentais de déterminer si le budget pour 2015 donnait à notre pays les moyens d’assurer sa défense, à savoir garantir l’intégrité de son territoire et la protection de sa population, mais aussi contribuer à lutter contre toutes les menaces susceptibles de mettre à mal la sécurité nationale eu égard au tumulte du monde actuel.

Les priorités définies dans la loi de programmation militaire 2014-2019 étant respectées et le budget de la mission « Défense » étant sanctuarisé, j’en concluais, sous quelques réserves, que je pouvais répondre par l’affirmative. La part du budget consacré à l’effort de défense était significative.

Depuis, il y a eu le 7, le 8 et le 9 janvier 2015. La France et les Français ont été touchés au cœur. Les hommages, en particulier ceux des chefs d’État européens, se sont multipliés.

Depuis, se sont également produits les attentats de Copenhague et du Bardo, les 14 février et 18 mars derniers. Ils sont venus allonger la liste des victimes, y compris françaises, du terrorisme djihadiste. Pour eux aussi, évidemment, j’ai une pensée émue. Je souhaiterais que cette comptabilité macabre s’arrête là.

Toujours est-il que quelque chose a changé. Les menaces identifiées dans la loi de programmation militaire 2014-2019 se sont concrétisées. Nous ne les découvrons donc pas.

Si l’on considère ces terribles événements et le niveau d’engagement de nos troupes sur les théâtres extérieurs, mais aussi, désormais, leur exceptionnelle mobilisation sur notre sol dans le cadre de l’opération Sentinelle – décidée en complément du plan Vigipirate, élevé au niveau « alerte attentats » –, si l’on y ajoute le fait que la menace terroriste ne faiblit pas, alors se pose la question de la révision de cette loi ; non qu’elle ne soit pas pertinente, mais l’évolution de la situation rend son actualisation nécessaire.

Pour le groupe RDSE, les mesures récemment annoncées par le Gouvernement vont incontestablement dans le bon sens. En effet, la loi de programmation militaire, inspirée du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, a été votée avec pour objectif de déterminer le montant et l’affectation des crédits budgétaires en matière de dépenses militaires jusqu’en 2019. Elle exigeait des armées, comme chacun le sait ici, des efforts considérables et prévoyait, entre autres, une réduction importante des effectifs, à hauteur de 34 000 postes.

Les attentats commis en début d’année nous ont tragiquement fait prendre conscience que, pour la première fois depuis longtemps, nous avions aussi un ennemi sur notre propre sol. En l’espace de trois jours, ce sont 10 000 militaires – soit l’effectif maximum –, dont 6 000 en région parisienne, qui ont dû être déployés pour assurer la protection du territoire national, notamment celle des sites touristiques stratégiques et des sites confessionnels, en particulier juifs.

Ce dispositif, toujours en vigueur, fait peser des contraintes très lourdes sur nos soldats. Ainsi, les préparations opérationnelles ont été réduites et les permissions supprimées. En l’état, nous ne disposons pas de marge de manœuvre en cas de nouvelle dégradation de la situation sécuritaire, et nous devrons rapidement faire évoluer ce mode opératoire pour reprendre la préparation de nos forces et permettre la relève sur des théâtres extérieurs.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous ne pouvons qu’être d’accord avec la révision de la trajectoire des effectifs que vous proposez pour soutenir l’effort contre le terrorisme, ainsi qu’avec la décision de porter le nombre de réservistes à 40 000, contre 28 000 actuellement.

Nous avions déjà accueilli positivement l’annonce faite par le Président de la République, à l’occasion de ses vœux aux armées, concernant la sauvegarde de 7 500 postes afin que le plan Vigipirate normal puisse mobiliser 7 000 militaires, et non 1 000 comme c’était le cas jusqu’à présent.

En outre, réfléchir à un nouveau modèle de l’armée de terre pour tenir compte des nouvelles missions qui lui sont attribuées, et notamment pouvoir faire face au retour de ressortissants français partis faire le djihad en Syrie, nous apparaît tout à fait pertinent.

Nous partageons également l’avis selon lequel l’autre enjeu de l’actualisation de la loi de programmation militaire est d’accentuer un certain nombre de priorités établies en 2013, au premier rang desquelles figure le renseignement. L’examen prochain par le Parlement d’un projet de loi sur le renseignement, la commande de nouveaux drones Reaper et la réalisation avec l’Allemagne d’un troisième satellite militaire d’observation sont également de bonnes nouvelles.

De la même façon, les multiples cyberattaques dont nous avons récemment fait l’objet attestent, s’il en était besoin, la nécessité de renforcer la cyberdéfense et de procéder à des recrutements – j’oserai dire « massifs » – de spécialistes en la matière.

Enfin, l’annonce de la sanctuarisation des ressources financières dédiées à la défense recueille notre plein soutien tant elle nous apparaît indispensable en la circonstance.

Toutefois, le RDSE ne peut s’empêcher de s’interroger sur les modalités de financement et attend du Gouvernement quelques éclairages. En effet, la part des recettes exceptionnelles dans le budget de la défense pour 2015 s’est encore accrue, pour atteindre 2, 3 milliards d’euros. Or il est aujourd’hui établi que le produit de la cession des fréquences hertziennes qui devait en constituer la majeure partie ne sera pas disponible à temps.

J’avais déjà eu l’occasion d’exposer notre scepticisme concernant la création de sociétés de projet. À nos yeux, elles ne constituent en rien une solution durable. Ce système de crédit-bail, qui permet à ces sociétés d’acheter le matériel militaire afin d’en concéder ensuite un droit d’usage au ministère contre loyer, s’il peut avoir du sens appliqué à une entreprise capable de créer de la valeur ajoutée compensant le coût de l’opération, se justifie mal s’agissant de l’État.

Un pas supplémentaire vers la création de ces sociétés de projet avait été franchi avec l’adoption par nos collègues de l’Assemblée nationale d’un amendement dans le cadre de l’examen du projet de loi Macron, mais il vient d’être supprimé par la commission spéciale du Sénat. La question du financement de la défense reste donc entière. Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, sur un éventuel plan B ?

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