Nos institutions ne sont pas adaptées à ces enjeux universels et de long terme. Le futur s'invite pour la première fois dans notre logiciel. Nous devons raisonner au présent qui nous sollicite, au passé - en prenant en charge les conséquences du développement économique des cent cinquante dernières années - et au futur - en tenant compte de l'impact de nos décisions sur les générations à venir. Cette complexité ne peut s'accommoder de nos divisions traditionnelles. Nous avons besoin de mutualiser nos intelligences et de faire preuve d'objectivité. En France, nous abordons ces sujets avec un prisme politique. Il faut tirer les choses vers le haut. La loi sur la transition énergétique, qui fait la navette entre les deux assemblées, peut être un instrument de sortie de crise pour notre pays.
Vous avez évoqué les grands groupes, n'oublions pas les PME françaises. L'innovation s'y trouve ! Il en va de nos PME comme de l'économie, elles attendent une trajectoire de référence et une fois rassurées, elles créeront de l'emploi. Chez nous, un risque est un risque ; ailleurs, il peut devenir une chance. Ne laissons pas nos ingénieurs, nos entreprises partir sous d'autres cieux - Colorado, Espagne - où ils bénéficient de conditions administratives et économiques plus favorables. Notre pays n'est pas à cours d'ingéniosité ; il souffre d'un peu de conservatisme. Montrer que la contrainte écologique n'est pas l'ennemi de la créativité mais sa condition suscitera l'adhésion.
Comme vous l'avez souligné, le rôle des médias est important. Chaque semaine, je prends du temps avec des rédactions entières - de presse écrite, de radio, de télévision - pour leur donner des éléments de réflexion et pour montrer que des choses fonctionnent déjà et sont reproductibles à grande échelle, comme l'illustre la campagne My Positive Impact.
Les règles de l'OMC ne sont pas compatibles avec la finitude de nos ressources. La raréfaction des matières premières est le paramètre le plus contraignant du XXIe siècle. Nous la découvrons en même temps que la vulnérabilité des écosystèmes. Elle doit se piloter grâce à des lois et des régulations. À défaut, nous souffrirons de pénurie, dont nous savons qu'elle conduit à la guerre.
Je relaierai évidemment l'idée de la feuille de route. Grâce aux analyses du Club de Rome, nous en savions assez pour agir depuis bien plus de vingt ans mais nous nous heurtons à une certaine inertie... Le climato-scepticisme a été préjudiciable mais il n'y a plus lieu de lui consacrer du temps. Sur 195 États participants, aucun ne conteste la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Nous mobiliserons sur des solutions et non sur des constats.
En ce qui concerne le Fonds vert, ne tombons pas d'un excès dans un autre. Certains projets d'adaptation contribuent aussi à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par exemple la réhabilitation des sols : voyez la muraille verte au Sénégal. Pour autant, nous ne devons naturellement pas renoncer à l'atténuation. Elle demeure prioritaire. Sachons aussi préserver les puits de carbone existants.
Les choses bougent dans le domaine financier, y compris aux Etats-Unis. Le risque carbone est désormais intégré. Il conviendrait d'améliorer la transparence de manière à savoir où les fonds s'orientent. Ainsi les investisseurs pourraient choisir en toute connaissance de cause.
Je passe mon temps à exiger toujours plus de la France, qui aurait intérêt à y aller pleinement. Je plaide pour l'utilisation du levier fiscal. Jusqu'à présent, il a été mal utilisé, ce qui a suscité le rejet. La fiscalité écologique ne doit pas être une fiscalité additionnelle. Il convient d'envisager une révision holistique de la fiscalité : taxer le négatif, avoir une fiscalité incitative afin d'encourager des modes de production et de consommation vertueux. La taxation est un instrument de recette mais aussi de régulation. Au lieu de pénaliser le travail, nous pourrions réguler là où c'est nécessaire.
La faiblesse et les effets pervers du marché carbone sont connus. Il ne concerne que 40% des émissions de gaz à effet de serre, issus de l'industrie lourde. Nous avons pourtant besoin d'un prix du carbone qui s'applique à tous les secteurs économiques. Il devra jouer un rôle de cliquet anti-retour pour contrebalancer l'évolution erratique du prix du pétrole.
L'Union européenne a fait beaucoup, mais les questions écologiques ne font pas l'unanimité. Compte tenu de l'état d'esprit d'un certain nombre de pays de l'Est, nous ne devons pas nous attendre à de grandes avancées. Cela n'empêche pas des groupes de pays de prendre des initiatives. La France, qui a le courage d'accueillir la COP21, n'est guère soutenue par la chef de la diplomatie européenne - nous connaissions mieux avec la précédente Commission sur les questions du climat.
Les pays à cibler en priorité sont les États-Unis, la Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie, l'Arabie saoudite, le Mexique, ainsi que l'Egypte et l'Afrique du Sud pour l'Afrique, la Malaisie pour les like minded developing countries, les Maldives pour l'AOSIS (alliance of small island states), l'Angola pour les pays les moins avancés, le Venezuela et Cuba aussi.
La Chine montre qu'elle est disposée à agir contre la pollution, doit-on la froisser en évoquant le Tibet ? Nous marchons sur une corde raide. Le Tibet subit de plein fouet les effets du changement climatique, nous ne pouvons l'abandonner mais peut-être pouvons-nous, sans être silencieux sur la cause tibétaine, scinder les problèmes - culturels, climatiques - plutôt que les aborder tous de front ?