Cet accord relatif à la coopération insulaire en matière policière à Saint-Martin a été signé par les gouvernements français et néerlandais le 7 octobre 2010. Son entrée en vigueur a été retardée par des incertitudes nées du changement du statut constitutionnel de la partie néerlandaise de l'île, quelques jours après la signature de l'accord, le 10 octobre 2010.
Ces incertitudes portaient sur la répartition des compétences entre la métropole néerlandaise et la collectivité de Sint-Maarten. Elles ont été levées, ce qui a permis la ratification de l'accord par les Pays-Bas, dont l'instrument de ratification a été reçu par la France le 19 janvier 2015.
Il convient donc de permettre l'entrée en vigueur de l'accord en autorisant son approbation par le gouvernement français, ce qu'a fait l'Assemblée nationale le 19 mars dernier.
L'accord institue sur l'île de Saint-Martin un cadre de coopération en matière policière, afin que la division de l'île en deux entités, française et néerlandaise, ne constitue plus un obstacle à l'efficacité des actions entreprises par les services de police sur le territoire.
Avant de vous présenter le contenu de l'accord, j'en évoquerai le contexte et la justification.
Située au nord de la Guadeloupe, dans la mer des Caraïbes, Saint-Martin est une île divisée de longue date - depuis le traité de Concordia du 23 mars 1648 - entre la France et les Pays-Bas. La partie française représente 62 % du territoire de l'île et environ 40 % de sa population.
Côté français, après avoir été, pendant près de deux siècles, une commune de la Guadeloupe, Saint-Martin bénéficie depuis 2007 du statut de collectivité d'outre-mer, régi par l'article 74 de la Constitution. Les institutions locales se composent d'un conseil territorial, élu au suffrage universel direct, d'un conseil exécutif présidé par la présidente du conseil territorial, et d'un conseil économique, social et culturel.
Côté néerlandais, depuis la dissolution de la Fédération des Antilles néerlandaises en 2010, Sint-Maarten est l'un des quatre « pays » constitutifs du Royaume des Pays-Bas, disposant d'un Parlement et d'un Gouvernement compétents pour élaborer la législation relative aux affaires internes.
L'île de Saint-Martin est donc divisée entre deux entités dont les statuts sont de nature très différente : côté français une collectivité d'outre-mer conservant un lien étroit avec sa métropole ; côté néerlandais, un « pays » autonome, disposant de sa propre constitution et dont l'indépendance est beaucoup plus affirmée.
Ces deux entités sont séparées par le droit applicable, la monnaie, le régime de protection sociale et des statuts différents au regard de l'Union européenne. Les deux territoires sont pourtant très proches, culturellement et linguistiquement. L'anglais est la langue de communication principale. La frontière n'est pas réellement matérialisée ; elle peut être franchie librement.
La situation institutionnelle, économique et sociale de la collectivité française de Saint-Martin a été décrite dans un rapport d'information récent (2014) de nos collègues députés René Dosière et Daniel Gibbes. Je n'y reviendrai pas.
Ce qu'il convient de souligner, pour l'examen du présent accord, c'est l'ambiguïté de la frontière interne, dont la longueur est de 13 km. D'une part, cette frontière existe juridiquement. Des lois et règlements distincts s'appliquent de part et d'autre et les services de police de chaque Partie ne sont compétents que sur leur propre territoire. Mais, d'autre part, n'étant ni matérialisée ni contrôlée, la frontière laisse libre cours à toutes sortes de flux, et notamment au trafic illicite de stupéfiants, qui est l'un des principaux fléaux de l'île.
L'augmentation de la délinquance, au cours des années récentes, impose de développer la coopération entre services de police, et, en particulier, de leur donner la possibilité de poursuivre, de part et d'autre de la frontière, les actions entreprises sur leur territoire.
Ce renforcement de la coopération sera favorable au développement économique et notamment au développement du tourisme, qui constitue la principale ressource de l'île, où 2,4 millions de visiteurs se rendent chaque année, beaucoup plus du côté néerlandais que français.
Le présent accord de coopération policière est nécessaire pour relever les défis auxquels l'île de Saint-Martin est confrontée.
Juridiquement, cet accord est nécessaire car la convention d'application de l'accord de Schengen (CAAS) du 14 juin 1985, dont la France et les Pays-Bas sont Parties, ne s'applique pas sur l'île de Saint-Martin.
L'accord proposé met en place un cadre général de coopération policière dont les principes s'inspirent de ceux des accords de coopération transfrontalière que la France a conclus avec ses voisins , notamment la convention d'application de l'accord de Schengen (1990) relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes et le traité de Prüm (2005) relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière.
L'accord porte tant sur l'espace terrestre que sur les eaux territoriales et l'espace aérien.
Il institue une assistance spontanée ou sur demande entre services, prévoit le détachement d'agents de liaison ainsi qu'une coordination renforcée entre unités. L'accord prévoit aussi une assistance mutuelle lors de manifestations de masse ou d'événements majeurs, tels qu'une catastrophe naturelle ou un accident grave.
Pour lever l'obstacle que constitue, pour les services de police, l'existence de la frontière interne à l'île, un droit d'observation et un droit de poursuite transfrontalière sont institués.
Le droit d'observation permettra de continuer, sur le territoire de l'autre Partie, la surveillance et la filature d'un individu, en liaison avec l'autre Partie et avec les autorités judiciaires, sans droit d'interpellation des agents observateurs.
Quant au droit de poursuite transfrontalière, il permettra de poursuivre un individu sur le territoire de l'autre Partie, dans un certain nombre de cas énumérés, notamment le flagrant délit ou l'évasion, toujours en liaison avec l'autre Partie et avec les autorités judiciaires compétentes, et sans que les agents concernés ne disposent du droit d'interpellation, d'où l'importance de la coopération.
Enfin, l'accord met également en place des patrouilles mixtes. Il traite du statut juridique des agents exerçant leurs fonctions sur le territoire de l'autre Partie et affirme le principe de protection des données à caractère personnel, conformément aux lois en vigueur en France. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) estime, par ailleurs, que les Pays-Bas disposent d'une législation adéquate dans ce domaine.
L'accord ne prévoit pas l'engagement de nouveaux crédits par rapport à l'existant. Toutefois des crédits pourront être affectés à la coopération technique par la direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des affaires étrangères. La dynamique locale pourrait faciliter la recherche de financements multilatéraux, notamment européens.
Tels sont, mes cher(e)s collègues, les principaux enjeux et les dispositions de l'accord soumis à notre examen. Il met en place des mécanismes de coopération en matière policière, classiques en Europe continentale, mais novateurs dans la zone caribéenne. L'accord ne prévoit pas la création d'un centre de coopération policière et douanière, tel que celui créé, par exemple, pour la Guyane, dans le cadre de l'accord franco-brésilien de partenariat et de coopération en matière de sécurité publique, dont l'esprit est différent.
La bonne mise en oeuvre de l'accord que nous examinons aujourd'hui nécessitera :
- d'une part, l'aboutissement de négociations en cours, relatives à la délimitation de la frontière maritime entre les deux Parties, qui reste sujette à des désaccords ;
- d'autre part, une réelle volonté de coopérer, de la part des services locaux des deux Parties, à qui il reviendra de concrétiser les effets de l'accord, non seulement dans les situations d'urgence mais aussi dans la durée.
Au bénéfice de ces observations, je propose à la commission d'autoriser l'approbation de cet accord en adoptant le projet de loi soumis à notre examen.