La commission entend une communication de MM. Jean-Pierre Raffarin, président, Jacques Gautier et Daniel Reiner, sur le contrôle conduit auprès des ministères chargés des finances et de l'économie, en application de l'article 7 de la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013, sur la mise en place des sociétés de projet du ministère de la défense ou, le cas échéant, de solutions alternatives.
Le 12 mars dernier, à Bercy, Jacques Gautier, Daniel Reiner et moi-même avons conduit un contrôle « sur pièces et sur place », au titre des prérogatives en la matière que notre commission a introduites dans la loi de programmation militaire (LPM) de décembre 2013. Ce contrôle portait principalement sur la mise en place, par les ministères chargés des finances et de l'économie, des « sociétés de projet » - ou SPV, pour « special purpose vehicles » -, dont le dispositif, comme vous le savez, est avant tout destiné à compenser le retard prévisible d'encaissement des ressources exceptionnelles (REX) du budget de la défense attendues de la cession de fréquences hertziennes.
Nos travaux se sont déroulés d'une façon satisfaisante. Nous avons eu un temps d'échange avec le ministre de l'économie et un dialogue approfondi, d'une heure, avec le ministre des finances. Nous avons obtenu les documents administratifs et financiers que nous avions demandés. Bercy a donc « joué le jeu » du contrôle, exercice que le Gouvernement aurait pu percevoir comme quelque peu intrusif, mais qu'il a pris avec tout le sérieux souhaitable.
Jacques Gautier et Daniel Reiner, dans un instant, vont exposer le détail de nos constatations. Voici, en synthèse, ce que j'en retiens.
Bercy s'emploie à rendre possible les sociétés de projet ; nous avons des témoignages tangibles de cette préparation, notamment l'article 50 A introduit par le Gouvernement dans le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dit « Macron ». Néanmoins, le ministère des finances préfèrerait ne pas avoir à mettre effectivement en oeuvre ce dispositif, qui présente à ses yeux l'inconvénient d'être « consolidant » pour le déficit et la dette au sens « maastrichien ».
J'ai tout de même le sentiment que les sociétés de projet sont la solution que le Gouvernement retiendra en définitive, faute d'en trouver une autre pour préserver le budget de la défense au niveau des 31,4 milliards d'euros prévus en 2015, tel que l'a confirmé le Président de la République ; d'autant qu'il faudra peut-être trouver davantage de ressources encore... Il n'est donc pas opportun de laisser abîmer l'idée de ces sociétés de projet par les diverses critiques qui s'expriment depuis quelques semaines.
Sans doute un conseil de défense devra-t-il intervenir, dans le courant du mois d'avril, afin que le Président de la République arbitre définitivement entre le point de vue du ministère des finances et celui du ministère de la défense. En tout cas, la lettre que j'ai reçue du Premier ministre, en réponse à ma demande de précisions sur les sociétés de projet, ne dissipe pas tous les doutes.
Le Président de la République a arbitré en faveur des sociétés de projet !
Cet arbitrage devra être confirmé dans les prochaines semaines. Mais la parole est à vous, chers collègues.
La commission spéciale du Sénat sur le projet de loi dit « Macron » a supprimé l'article 50 A qui autorise la création des sociétés de projet. Toutefois, le ministre de la défense est disposé à défendre, en séance publique, l'amendement de rétablissement de cet article, que le Gouvernement devrait déposer.
Notre contrôle, comme l'a indiqué le Président Raffarin, a confirmé que le ministère des finances considère les sociétés de projet comme une solution insatisfaisante, faute qu'elle reste neutre en comptabilité « maastrichienne ». En conséquence, il étudie d'autres solutions éventuelles.
L'approche consisterait à dissocier le problème conjoncturel, qui est celui du calendrier d'encaissement des REX d'origine « hertzienne », et le problème structurel, qui tient au niveau élevé des REX programmées pour le budget triennal 2015-2017 de la défense. En effet, au total, hors cessions immobilières, 5,2 milliards d'euros de REX sont prévus pour ces trois années, dont 1,8 milliard d'euros en compensation d'une diminution de même montant des crédits budgétaires initialement programmés ; la vente des fréquences, quel que soit le moment où elle interviendra, ne pourra sans doute pas dégager de telles recettes.
Pour l'année 2015, où le manque prévisible des REX « hertziennes » s'élève à 2,2 milliards d'euros, un financement alternatif est envisagé. Il s'agirait de tenir compte, entre autres, de l'évolution de l'inflation et du prix du pétrole, donc des carburants, qui s'avère plus faible que les hypothèses sur lesquelles a été établie la LPM, et, d'autre part, des ventes récentes à l'Égypte de trois avions Rafale et d'une frégate multi-missions (FREMM). Toutefois, ces équipements ayant déjà été payés par le ministère de la défense, le montage me paraît relever du leurre.
Ce financement resterait neutre, en termes de déficit « maastrichien », dans la mesure où les crédits ainsi dégagés seraient employés à des dépenses d'équipement déjà comptabilisées, comme le rend possible la particularité du traitement en comptabilité nationale des matériels militaires les plus importants, qui sont pris en compte à la livraison et non au moment du paiement. L'analyse du ministère des finances se poursuit, actuellement, dans cette optique.
Pour le reste, je laisse la parole à Daniel Reiner.
L'essentiel ayant déjà été dit, je m'en tiendrai à quelques compléments.
Que les sociétés de projet soient « consolidantes » en termes « maastrichiens », on le sait depuis le rapport dit « Charpin », établi en juillet 2014, sur les REX de la défense - rapport confidentiel de l'inspection générale des finances et de la direction générale de l'armement que notre contrôle nous a enfin permis d'obtenir, après que la commission l'eut demandé plusieurs fois déjà. Ce n'est donc pas un fait nouveau, et cela explique le manque d'entrain de Bercy pour la solution « SPV ».
Par ailleurs, le dispositif de « leasing » que représentent ces sociétés de projet se trouve souhaité de longue date par les entreprises du secteur de la défense, car il serait de nature à faciliter certaines ventes d'équipement militaire à l'export.
Les sociétés de projet permettraient de résoudre les difficultés budgétaires de l'année 2015 qui sont liées au calendrier de la cession des fréquences hertziennes. Mais, pour les années 2016 et 2017, les REX de la défense sont programmées, comme Jacques Gautier l'a souligné, à un niveau qu'il paraît déraisonnable d'attendre de ces produits de cession.
L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), hier, a fait savoir qu'elle lancerait en juillet prochain l'appel à candidatures pour l'attribution des fréquences situées dans la bande 700 MHz qui, actuellement utilisées par la télévision numérique terrestre, ont vocation à être transférées aux opérateurs de télécoms. Cette cession est officiellement annoncée pour le second semestre 2015.
Le ministère des finances préfèrerait éviter une autre solution pour abonder le budget de la défense au niveau requis, mais il a pris conscience que la vente des fréquences en temps utile n'est pas certaine. Aussi réfléchit-il au scénario alternatif que Jacques Gautier a évoqué. C'est plutôt une bonne chose. À cet égard, je précise que les économies faites en l'absence d'inflation et à la suite d'un prix du pétrole moins élevé que prévu sont des économies réelles pour la défense. Les équipements vendus à l'Égypte, en revanche, ont déjà été payés par le ministère.
Dans ce contexte, il est important que le recours aux sociétés de projet ne soit pas fermé. La commission spéciale du Sénat sur le projet de loi « Macron » a décidé de supprimer l'article 50 A, mais cet article peut encore être rétabli en séance. Je crois que c'est nécessaire, car ces sociétés de projet ne seraient peut-être pas un outil parfait mais, pour l'heure, on n'en voit guère d'autre aussi nettement dessiné, dans les propositions gouvernementales, pour résoudre les difficultés du budget de la défense. En outre, à moyen terme, ces sociétés de projet pourraient constituer, avec une ouverture de leur capital au secteur privé vraisemblablement, un outil de soutien à nos exportations d'armements.
Compte tenu de l'opération « Sentinelle » déployée sur le territoire national à la suite des attentats de janvier dernier, les crédits nécessaires à la défense en 2015 risquent d'être plus importants qu'il a été prévu. Mais tout dépend du nombre d'hommes qui seront affectés durablement à cette opération. Qu'en est-il ?
Le retrait d'une FREMM à la marine nationale pour cause de vente à l'Égypte paraît dangereuse au point de vue budgétaire. En effet, une FREMM, par rapport à la frégate qu'elle a vocation à remplacer, est non seulement destinée à améliorer la capacité militaire, mais aussi à réduire les coûts de fonctionnement et le nombre d'hommes embarqués. La décision qui a été prise entraîne donc un coût.
La suppression de l'article 50 A du projet de loi dit « Macron » adoptée par la commission spéciale du Sénat, si j'en ai bien compris l'esprit, n'est pas fondée sur l'intention d'empêcher les sociétés de projet ; elle tend à susciter un plus grand engagement du ministre de la défense dans le soutien, au Parlement, de ce dispositif. Cette approche me paraît parfaitement fondée.
Le ministre de la défense, le 24 mars dernier, est venu présenter les sociétés de projet devant la commission spéciale du Sénat et, comme je l'ai déjà indiqué, il est tout à fait disposé à porter, en séance publique, un amendement de rétablissement de cet article. Les explications qu'il a données sont claires : en 2015, ces sociétés de projet seront capitalisées par l'État seul, au moyen du produit de cessions de participations financières ; par la suite, une ouverture du capital au secteur privé, en particulier aux entreprises de défense, est possible.
Cette ouverture du capital des sociétés de projet serait liée à l'utilisation du dispositif pour soutenir nos exportations d'armement. Beaucoup de pays ont recours à des mécanismes de leasing comparables ; par exemple, c'est ainsi que le suédois Saab vend des avions Gripen. Il serait appréciable qu'on puisse faciliter de la sorte à Dassault, à Airbus ou à DCNS la conquête de parts de marché à l'international.
L'opération « Sentinelle » a commencé avec 10 500 hommes ; c'est ce que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et la LPM prévoyaient, pour une période courte. L'objectif est aujourd'hui de pérenniser cette opération à hauteur de 7 000 hommes, en passant d'un mode de présence des forces terrestres qui consistait essentiellement dans des gardes statiques à une action plus dynamique. Dans ce contexte, sur les 34 000 postes dont la suppression était prévue sur la durée de la programmation militaire, c'est-à-dire entre 2014 et 2019, 18 000 devraient être conservés. En 2015, les économies réalisées par le budget de la défense en raison de l'absence d'inflation et du faible niveau du prix du pétrole devraient permettre d'absorber l'impact de ce gel des réductions d'effectifs. Pour le budget triennal 2015-2017, il manquerait 1,2 à 1,3 milliard d'euros ; il faudra que le Gouvernement trouve ce financement.
Le chef d'état-major de l'armée de terre doit présenter aujourd'hui même, au ministre de la défense, le nouveau modèle qu'il a élaboré pour l'armée de terre, intitulé « Au Contact !». On peut penser que le ministre, demain, pour notre débat en séance publique sur la préparation de l'actualisation de la LPM, aura des éléments précis pour répondre à nos interrogations.
Compte tenu de la vente à l'Égypte, la marine nationale doit à présent commander une nouvelle FREMM, et patienter deux ans pour la prochaine livraison d'une frégate de ce type.
La FREMM finalement livrée à l'Égypte avait été presque intégralement payée par le ministère de la défense. Il serait donc logique que l'industriel rembourse ce dernier.
En effet. Les armées n'ont pas vocation à servir de centre de « dépôt-vente » !
Je n'ai pas de difficulté avec la philosophie libérale qui anime les partenariats public-privé (PPP), dont les sociétés de projet du ministère de la défense constitueraient une forme si elles se trouvaient ouvertes à des investisseurs privés, dans la perspective de soutenir les exportations françaises d'armement. Mais j'aimerais savoir quels sont exactement les intentions du Gouvernement, qui n'apparaissent pas clairement aujourd'hui. Lorsque j'étais président de commission, il m'est arrivé de demander les arbitrages interministériels qui permettaient au Parlement de se prononcer en connaissance de cause...
Mais je suis hostile au recours à des sociétés de projet pour permettre à nos armées d'acquérir les équipements dont elles ont besoin et, en somme, pour aider le Gouvernement à boucler son budget. L'Agence des participations de l'État (APE) dispose de la marge de manoeuvre nécessaire pour dégager les ressources dont la défense a besoin. L'État doit-il vraiment être présent à 60 % dans le capital des aéroports, ou détenir 100 % de celui des ports ? On ne devrait pas avoir de mal à trouver, par la voie de cessions de participations, 2 milliards d'euros !
La LPM prévoit bien la cession de participations financières de l'État, et des cessions vont intervenir...
Il ne faut pas qu'il s'agisse seulement de participations dans le secteur de la défense !
En effet ; c'est bien ce que prévoit la LPM, nous y avons veillé.
Pour une raison de calendrier, seules les recettes de ces privatisations seraient employées, en 2015, pour capitaliser les sociétés de projet. L'ouverture au privé viendrait après.
L'arbitrage en faveur des sociétés de projet a été rendu par le Président de la République, en conseil de défense, au mois de janvier, et le ministère des finances s'emploie donc à les mettre en oeuvre.
Un niveau important de participations financières de l'État devrait être cédé cette année. La vente d'une partie de Safran vient de rapporter à l'État un milliard d'euros ; il faudra sans doute recapitaliser Areva, poursuivre la contribution de l'État actionnaire au désendettement public... Il nous semble bien que trouver, par ce canal, 2,2 milliards d'euros, ne serait pas un problème.
Ces recettes de cession de participations serviront à capitaliser les sociétés de projet - à défaut d'un collectif budgétaire en temps utile, qui pourrait les affecter directement au budget de la défense comme le permet la LOLF.
A-t-on une idée des entreprises concernées par les cessions de participations de l'État ?
Le ministre des finances a évidemment des idées en ce domaine mais, pour des raisons d'opportunité économique, elles ne peuvent pas être dévoilées à l'avance.
Comme Jean-Paul Émorine, je pense que les sociétés de projet constitueraient une solution valable dans certains cas. Les PPP ont un coût, mais celui-ci se justifie dans la mesure où il permet d'assumer dans les délais requis les investissements nécessaires ; il faut donc rapporter le coût à l'avantage. Aujourd'hui, faute d'autre moyen pour financer la défense, on a peut-être bien intérêt à recourir aux sociétés de projet. L'ouverture de leur capital au secteur privé pourrait être opportune. Il faudra en tout cas continuer de travailler sur la question.
Si l'arbitrage du Président de la République est déjà intervenu, en conseil de défense, en faveur de ces sociétés de projet, je m'étonne : comment, alors, le ministre des finances peut-il s'autoriser à ne pas respecter cet arbitrage, en cherchant d'autres solutions ? En séance publique, il faudra que le Gouvernement soit clair quant au projet qui a été effectivement retenu.
La « cavalerie budgétaire » dont on use pour financer notre outil de défense, qui se trouve au coeur des missions régaliennes de l'État, est éminemment critiquable. Le débat que nous tenons ce matin devrait être porté au-delà de l'aspect technique, et élargi au-delà de notre commission !
Les montages financiers en cours de préparation pour la défense me paraissent profondément préoccupants. On prévoit des recettes « one shot », en vendant des fréquences hertziennes qui sont le patrimoine de l'État, en vue de répondre à des besoins de financement potentiellement récurrents, qui concernent le fonctionnement de nos armées. En nous mettant en situation d'être « coproducteurs », avec le Gouvernement, des sociétés de projet, nous serons aussi les coproducteurs de l'échec possible de ce dispositif...
Si de nouvelles opérations militaires devaient être décidées, comment les financerait-on ? Sur le terrain, la gendarmerie a déjà du mal à fonctionner, faute de moyens ; en ira-t-il de même des armées ?
Je suis choqué par la méthode retenue par le Gouvernement, et je suis inquiet pour l'avenir de notre défense. Le sujet mériterait, selon moi, un plus large débat.
Il y a un débat que nous n'avons pas réussi à porter, ni les uns, ni les autres : c'est celui de la place essentielle de nos armées dans la République. Nous n'avons pas su présenter ce débat à nos concitoyens.
Aujourd'hui, les moyens de la défense servent de variable d'ajustement budgétaire dans la mesure où la défense demeure l'un des plus importants budgets de l'État. Pour tenir le budget de la Nation, on organise, avec la suppression d'unités, la désertification de nos territoires !
Cela dit, le problème des REX n'est pas nouveau. La LPM pour les années 2009 à 2014 prévoyait déjà la cession de fréquences hertziennes. La « cavalerie budgétaire », pour la défense, n'est pas d'hier...
Il s'agit d'inscrire une dépense prévisionnelle alors que la ressource de financement n'est pas encore effective...
L'État dispose de plus de liberté budgétaire que les collectivités territoriales !
C'est tout de même une source de difficulté !
Par ailleurs, je voudrais faire observer que, lorsque la décision de regrouper sur le site de Balard les services centraux du ministère de la défense via un partenariat public-privé (PPP) a été prise, en son temps, par le Chef des armées de l'époque, nous nous sommes tus, pour faire prévaloir l'intérêt des armées. Aujourd'hui, si les sociétés de projet sont la solution au problème de financement en cause, il convient de la soutenir, aux côtés du ministre de la défense.
Notre outil de défense doit d'abord faire l'objet d'une approche de long terme : il faut éviter des décrochages, capacitaires et industriels, qui pourraient s'avérer irrattrapables, comme d'autres pays en connaissent. De ce point de vue, même dans le contexte actuel des finances publiques et des choix politiques qui sont faits, nous devons être solidaires des solutions proposées pour éviter le pire.
Néanmoins, se pose la question de la méthode mise en oeuvre pour atteindre cet objectif. Les sociétés de projet sont-elles une solution hasardeuse ? Il nous appartient de l'apprécier. À cet effet, il faut en tout cas que le Gouvernement se mette position de présenter sa démarche de façon claire et ordonnée, de sorte que nous puissions nous prononcer de la bonne manière, au bon moment.
Si Alain Joyandet, à travers son propos, a souhaité laisser entendre que nous devons être partisans que les crédits de la défense soient des crédits budgétaires plutôt que des REX, il a eu raison. S'agissant du domaine régalien, ce financement par ressources extrabudgétaires est en effet critiquable.
Toutefois, la charge contre la technique des sociétés de projet est mal fondée, car ce dispositif vise à rendre disponible, au bénéfice de la défense, des financements que le calendrier de la cession des fréquences ne permettraient d'obtenir, autrement, que plus tard.
Jacques Gautier a évoqué la possibilité qu'un collectif budgétaire affecte directement des recettes de cessions de participations financières de l'État au budget de la défense. Or, si j'ai bien écouté le ministre de la défense présentant les sociétés de projet, il a précisément expliqué que le recours à ce montage, qui emploiera le produit de cessions de participations financières pour capitaliser les futures sociétés, est nécessaire compte tenu de l'impossibilité juridique d'employer directement des recettes de privatisation au profit du budget de la défense... Y aurait-il une alternative ?
L'article 21 (paragraphe II) de la LOLF, à titre de dérogation au principe qui est certes l'interdiction, autorise cette affectation directe de produits de cession de participations financières au budget général, par exemple la mission « Défense », au moyen d'une disposition expresse en loi de finances, initiale ou rectificative. Nous avons demandé au ministre des finances la raison pour laquelle il ne suivait pas cette voie ; nous n'avons pas eu de réponse.
Une chose au moins est certaine : il est essentiel de préparer l'avenir de notre outil de défense, et donc de garantir le financement de programmes d'équipement militaire conçus, par nature, pour le long terme, tout en respectant les contraintes de l'annualité budgétaire. La présence de ressources extrabudgétaires dans ce financement, au demeurant, n'est pas choquante : la LPM pour 2009 à 2014 prévoyait déjà, au titre de REX, la cession de fréquences hertziennes ; cette cession a tardé par rapport au calendrier prévisionnel, mais les produits finalement dégagés ont dépassé les estimations.
Une difficulté majeure, en revanche, tient au report de charges du budget de la défense, d'un exercice à l'autre, qu'on ne parvient pas à résorber et qui a crû jusqu'à atteindre, à présent, près de 3,5 milliards d'euros. Une gestion financière saine exigerait que cet effet « boule de neige » soit stoppé, et que des crédits budgétaires supplémentaires viennent mettre un terme à ce phénomène.
D'autant que ce report de charge porte sur des factures d'entreprises !
Les sociétés de projet ne constituent pas de la « cavalerie budgétaire », mais il faut souhaiter que le « troisième scénario » ne soit pas une aggravation du report de charges du budget de la défense, entre 2015 et 2016, comme peuvent le faire craindre certains signaux, dont la lettre que j'ai reçue du Premier ministre.
La commission nomme rapporteur :
Daniel Reiner sur le projet de loi n° 365 (2014-2015) autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs Etats membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part.
La commission examine le rapport de Mme Hélène Conway-Mouray et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 355 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas relatif à la coopération insulaire en matière policière à Saint-Martin.
Cet accord relatif à la coopération insulaire en matière policière à Saint-Martin a été signé par les gouvernements français et néerlandais le 7 octobre 2010. Son entrée en vigueur a été retardée par des incertitudes nées du changement du statut constitutionnel de la partie néerlandaise de l'île, quelques jours après la signature de l'accord, le 10 octobre 2010.
Ces incertitudes portaient sur la répartition des compétences entre la métropole néerlandaise et la collectivité de Sint-Maarten. Elles ont été levées, ce qui a permis la ratification de l'accord par les Pays-Bas, dont l'instrument de ratification a été reçu par la France le 19 janvier 2015.
Il convient donc de permettre l'entrée en vigueur de l'accord en autorisant son approbation par le gouvernement français, ce qu'a fait l'Assemblée nationale le 19 mars dernier.
L'accord institue sur l'île de Saint-Martin un cadre de coopération en matière policière, afin que la division de l'île en deux entités, française et néerlandaise, ne constitue plus un obstacle à l'efficacité des actions entreprises par les services de police sur le territoire.
Avant de vous présenter le contenu de l'accord, j'en évoquerai le contexte et la justification.
Située au nord de la Guadeloupe, dans la mer des Caraïbes, Saint-Martin est une île divisée de longue date - depuis le traité de Concordia du 23 mars 1648 - entre la France et les Pays-Bas. La partie française représente 62 % du territoire de l'île et environ 40 % de sa population.
Côté français, après avoir été, pendant près de deux siècles, une commune de la Guadeloupe, Saint-Martin bénéficie depuis 2007 du statut de collectivité d'outre-mer, régi par l'article 74 de la Constitution. Les institutions locales se composent d'un conseil territorial, élu au suffrage universel direct, d'un conseil exécutif présidé par la présidente du conseil territorial, et d'un conseil économique, social et culturel.
Côté néerlandais, depuis la dissolution de la Fédération des Antilles néerlandaises en 2010, Sint-Maarten est l'un des quatre « pays » constitutifs du Royaume des Pays-Bas, disposant d'un Parlement et d'un Gouvernement compétents pour élaborer la législation relative aux affaires internes.
L'île de Saint-Martin est donc divisée entre deux entités dont les statuts sont de nature très différente : côté français une collectivité d'outre-mer conservant un lien étroit avec sa métropole ; côté néerlandais, un « pays » autonome, disposant de sa propre constitution et dont l'indépendance est beaucoup plus affirmée.
Ces deux entités sont séparées par le droit applicable, la monnaie, le régime de protection sociale et des statuts différents au regard de l'Union européenne. Les deux territoires sont pourtant très proches, culturellement et linguistiquement. L'anglais est la langue de communication principale. La frontière n'est pas réellement matérialisée ; elle peut être franchie librement.
La situation institutionnelle, économique et sociale de la collectivité française de Saint-Martin a été décrite dans un rapport d'information récent (2014) de nos collègues députés René Dosière et Daniel Gibbes. Je n'y reviendrai pas.
Ce qu'il convient de souligner, pour l'examen du présent accord, c'est l'ambiguïté de la frontière interne, dont la longueur est de 13 km. D'une part, cette frontière existe juridiquement. Des lois et règlements distincts s'appliquent de part et d'autre et les services de police de chaque Partie ne sont compétents que sur leur propre territoire. Mais, d'autre part, n'étant ni matérialisée ni contrôlée, la frontière laisse libre cours à toutes sortes de flux, et notamment au trafic illicite de stupéfiants, qui est l'un des principaux fléaux de l'île.
L'augmentation de la délinquance, au cours des années récentes, impose de développer la coopération entre services de police, et, en particulier, de leur donner la possibilité de poursuivre, de part et d'autre de la frontière, les actions entreprises sur leur territoire.
Ce renforcement de la coopération sera favorable au développement économique et notamment au développement du tourisme, qui constitue la principale ressource de l'île, où 2,4 millions de visiteurs se rendent chaque année, beaucoup plus du côté néerlandais que français.
Le présent accord de coopération policière est nécessaire pour relever les défis auxquels l'île de Saint-Martin est confrontée.
Juridiquement, cet accord est nécessaire car la convention d'application de l'accord de Schengen (CAAS) du 14 juin 1985, dont la France et les Pays-Bas sont Parties, ne s'applique pas sur l'île de Saint-Martin.
L'accord proposé met en place un cadre général de coopération policière dont les principes s'inspirent de ceux des accords de coopération transfrontalière que la France a conclus avec ses voisins , notamment la convention d'application de l'accord de Schengen (1990) relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes et le traité de Prüm (2005) relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière.
L'accord porte tant sur l'espace terrestre que sur les eaux territoriales et l'espace aérien.
Il institue une assistance spontanée ou sur demande entre services, prévoit le détachement d'agents de liaison ainsi qu'une coordination renforcée entre unités. L'accord prévoit aussi une assistance mutuelle lors de manifestations de masse ou d'événements majeurs, tels qu'une catastrophe naturelle ou un accident grave.
Pour lever l'obstacle que constitue, pour les services de police, l'existence de la frontière interne à l'île, un droit d'observation et un droit de poursuite transfrontalière sont institués.
Le droit d'observation permettra de continuer, sur le territoire de l'autre Partie, la surveillance et la filature d'un individu, en liaison avec l'autre Partie et avec les autorités judiciaires, sans droit d'interpellation des agents observateurs.
Quant au droit de poursuite transfrontalière, il permettra de poursuivre un individu sur le territoire de l'autre Partie, dans un certain nombre de cas énumérés, notamment le flagrant délit ou l'évasion, toujours en liaison avec l'autre Partie et avec les autorités judiciaires compétentes, et sans que les agents concernés ne disposent du droit d'interpellation, d'où l'importance de la coopération.
Enfin, l'accord met également en place des patrouilles mixtes. Il traite du statut juridique des agents exerçant leurs fonctions sur le territoire de l'autre Partie et affirme le principe de protection des données à caractère personnel, conformément aux lois en vigueur en France. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) estime, par ailleurs, que les Pays-Bas disposent d'une législation adéquate dans ce domaine.
L'accord ne prévoit pas l'engagement de nouveaux crédits par rapport à l'existant. Toutefois des crédits pourront être affectés à la coopération technique par la direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des affaires étrangères. La dynamique locale pourrait faciliter la recherche de financements multilatéraux, notamment européens.
Tels sont, mes cher(e)s collègues, les principaux enjeux et les dispositions de l'accord soumis à notre examen. Il met en place des mécanismes de coopération en matière policière, classiques en Europe continentale, mais novateurs dans la zone caribéenne. L'accord ne prévoit pas la création d'un centre de coopération policière et douanière, tel que celui créé, par exemple, pour la Guyane, dans le cadre de l'accord franco-brésilien de partenariat et de coopération en matière de sécurité publique, dont l'esprit est différent.
La bonne mise en oeuvre de l'accord que nous examinons aujourd'hui nécessitera :
- d'une part, l'aboutissement de négociations en cours, relatives à la délimitation de la frontière maritime entre les deux Parties, qui reste sujette à des désaccords ;
- d'autre part, une réelle volonté de coopérer, de la part des services locaux des deux Parties, à qui il reviendra de concrétiser les effets de l'accord, non seulement dans les situations d'urgence mais aussi dans la durée.
Au bénéfice de ces observations, je propose à la commission d'autoriser l'approbation de cet accord en adoptant le projet de loi soumis à notre examen.
La commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité.
La commission examine le rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 48 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d'enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme.
Cet accord s'inscrit dans le cadre d'une coopération déjà ancienne. La France et les Etats-Unis ont conclu deux accords, le premier relatif à l'extradition, le 23 avril 1996, et le second à l'entraide judiciaire, le 10 décembre 1998. Depuis 2007, 475 demandes d'entraides ont été adressées aux Etats-Unis par les autorités françaises dont 48 en matière de terrorisme et 225 par les autorités américaines à la France dont 37 en matière de terrorisme.
Dans ce cadre, la France peut refuser d'exécuter une demande d'entraide judiciaire si l'exécution de celle-ci « risque de porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre juridique ou à d'autres intérêts essentiels ». C'est ainsi qu'elle refuse toute entraide dans une affaire judiciaire pouvant conduire à une condamnation à la peine de mort aux Etats-Unis.
À cette coopération judiciaire s'ajoute une coopération opérationnelle très efficace, notamment avec le ministère de la sécurité intérieure et les agences fédérales qui dépendent du ministère de la justice comme le FBI et la Drug Enforcement Administration.
Le caractère international des mouvements terroristes et des réseaux du crime organisé, l'extrême mobilité de leurs membres, leur remarquable capacité à contourner les techniques d'investigation des services d'enquêtes, même les plus nouvelles, rendent nécessaires le renforcement de la coopération afin de pouvoir identifier de manière certaine des personnes qui utilisent de multiples identités, au moyen des données dactyloscopiques et génétiques.
A l'heure actuelle, les échanges de données biométriques entre la France et les Etats-Unis se font dans le cadre de lettres d'entraide internationale via Interpol. Ils sont très limités du fait de l'absence d'un outil adapté. La coopération policière prévue par cet accord devrait permettre la facilitation et l'intensification de ces échanges.
Les Etats-Unis sont demandeurs d'un renforcement de cette coopération et conditionnent le maintien du programme d'exemption de visa pour des séjours de moins de trois mois (« Visa Waiver Program »), mis en place en 1986, avec un certain nombre de pays, au développement des échanges d'informations dans le domaine de la prévention et de la répression du terrorisme et de la criminalité grave. Ainsi, en 2008, la France a-t-elle été invitée à négocier un accord sur l'échange de données génétiques et d'empreintes digitales.
Les négociations ont duré presque trois ans. Le texte de cet accord a finalement été conclu en mai 2012.
Inspiré du traité dit de « Prüm », du 27 mai 2005 relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale conclu entre la France, la Belgique, l'Allemagne, l'Espagne, les Pays-Bas et l'Autriche, partiellement incorporé dans les décisions du Conseil de l'Union européenne du 23 juin 2008, le présent accord prévoit une coopération judiciaire pénale reposant essentiellement sur un accès automatisé d'une Partie aux bases de données d'empreintes génétiques et dactyloscopiques de l'autre Partie.
Sont concernées les infractions relatives à la criminalité grave et au terrorisme, définies en annexe, ainsi que les autres faits passibles d'une peine privative de liberté égale ou supérieure à trois ans. A titre d'exemple, on peut citer les crimes contre l'Etat, les infractions relatives aux armes et les infractions graves impliquant des substances règlementées. En revanche les infractions relatives à la migration illégale mentionnée dans le traité de Prüm n'y figurent pas.
L'échange d'informations se déroule en deux temps.
En premier lieu un échange d'informations relatives à la présence d'une empreinte dactyloscopique ou génétique, largement automatisé.
L'accès aux bases de données se fait via des points de contact nationaux désignés par les Parties qui les autorisent à accéder à leurs bases de données indexées, pour procéder à des comparaisons par une interrogation « concordance/ pas de concordance ». Cet accès permet seulement de savoir si les empreintes sont connues de l'autre Partie, mais il ne permet pas d'obtenir directement les données personnelles.
Ces droits de consultation sont strictement encadrés. Ils doivent être exclusivement utilisés dans le cadre d'une procédure judiciaire ou d'une procédure d'enquête relatives à des crimes graves et concernant une ou plusieurs personnes déterminées.
Les consultations ne peuvent s'opérer qu'au cas par cas et dans le respect de la législation nationale de la Partie requérante.
Le point de contact de la Partie requérante est informé par voie automatisée, soit de l'absence de concordance, soit au contraire, en cas de concordance constatée, de l'existence des données indexées qui s'y rapportent. La concordance doit ensuite être affinée entre la donnée transmise et une donnée enregistrée dans le fichier de la Partie requise, pour qu'« une concordance claire » soit établie.
En France, le point de contact devrait être la sous-direction de la police technique et scientifique de la direction centrale de la police judiciaire.
Les fichiers automatisés susceptibles d'être consultés à la demande des Etats-Unis sont le fichier national automatisé des empreintes génétiques pour les profils ADN, le FNAEG, et le fichier automatisé des empreintes digitales, le FAED.
Le FAED, créé en 1987 est un traitement automatisé des empreintes digitales et palmaires dont l'objet est de faciliter la recherche et l'identification des auteurs de crimes et de délits et de faciliter la poursuite, l'instruction et le jugement des affaires judiciaires. Il est placé sous le contrôle du Procureur général près la Cour d'appel de Paris.
Le FNAEG, créé en 2003, est destiné à centraliser les empreintes génétiques prélevées sur les scènes d'infraction ainsi que celles des personnes suspectes et déclarées coupables de l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 du code de procédure pénale en vue de faciliter l'identification et la recherche des auteurs de ces infractions. Dans cette liste d'infractions figurent notamment les actes de terrorisme et les crimes et délits de trafic de stupéfiants. Il est placé sous le contrôle d'un magistrat du parquet hors hiérarchie et d'un comité de trois personnes qui l'assistent à cette fin.
Au 31 août 2014, le FAED contenait les empreintes digitales et palmaires de 5 millions d'individus et 233 300 traces papillaires non identifiées tandis que le FNAEG comprenait les profils génétiques de 2,6 millions d'individus et 237 217 traces non identifiées.
Dans l'attente que la législation de chacune des Parties permette un accès automatisé aux profils ADN détenus par l'autre Partie, chaque Partie peut effectuer une consultation de sa propre base de données automatisée à la demande de l'autre Partie. En effet, compte tenu de l'organisation fédérale des Etats-Unis, chaque Etat a son propre fichier automatisé des empreintes génétiques et il n'y a pas encore de fichier central de profils génétiques.
En second lieu, la transmission de données à caractère personnel (noms, prénoms, date et lieu de naissance ainsi qu'un exposé des circonstances de la collecte et de l'enregistrement des données) est réalisée selon la législation nationale de la Partie requise. C'est à ce stade que devra être précisément justifiée l'inscription de la demande de transmission des données personnelles dans un cadre de police judiciaire. D'ailleurs les services du ministère de l'intérieur auditionnés m'ont indiqué que la transmission de ces données personnelles se fera encore souvent par le biais d'une demande d'entraide judiciaire pour qu'elles puissent être valablement utilisées comme preuves dans un procès ultérieur et que le bureau de l'entraide pénale internationale (BEPI) sera associé au travail du point de contact national.
Les dispositions opérationnelles et techniques nécessaires à la mise en oeuvre de ces procédures de consultation feront l'objet d'arrangements administratifs ultérieurs.
À côté de ce dispositif, l'article 9 de l'accord prévoit la possibilité d'une transmission spontanée de données personnelles, à titre préventif, au vu de circonstances particulières faisant présumer qu'une personne est susceptible de commettre des infractions terroristes ou liées à la grande criminalité. Elle se fait par l'intermédiaire des points de contact désignés et peut être assortie de conditions d'utilisation. Cet article vise à encadrer le traitement des urgences et selon les services du ministère de l'intérieur interrogés, il n'y serait recouru que dans les cas de périls imminents. En France, c'est l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), rattachée au Directeur général de la police nationale qui devrait être le point de contact.
Abordons maintenant la protection des données à caractère personnel. La longueur des négociations s'explique par les garanties exigées par la France en la matière.
En effet, le transfert de données vers des États tiers hors Union européenne est soumis à un régime particulier prévu par les articles 68, 69 et 70 de la loi du 6 janvier 1978 qui transposent la directive européenne du 24 octobre 1995.
Selon le principe de l'article 68, le transfert n'est possible que vers les États qui assurent « un niveau de protection suffisant de la vie privée et des libertés et des droits fondamentaux ». La Commission européenne estime que les États-Unis ne présentent pas un niveau de protection globale adéquat et que l'appréciation du niveau de protection doit se faire au cas par cas. Ainsi en 2001, la Commission a négocié avec les autorités américaines un ensemble de principes de protection des données personnelles rassemblés sous le terme de Safe Harbour (« sphère de sécurité ») auxquels les entreprises établies aux Etats-Unis ont la possibilité d'adhérer afin d'obtenir l'autorisation de recevoir des données en provenance de l'Union européenne. On peut également citer l'accord conclu entre l'Union européenne et les Etats-Unis sur le transfert des données des passagers des compagnies aériennes (PNR), entré en vigueur le 1er juillet 2012.
L'article 69 alinéa 2 prévoit la possibilité d'échanger des données à caractère personnel avec un État dont le niveau de protection n'est pas suffisant, si le transfert est nécessaire à la sauvegarde de l'intérêt public, selon un régime particulier. En conséquence, la France a négocié des garanties importantes qui sont détaillées dans l'article 10. Cet article érige en principe le respect de la confidentialité et la protection appropriée des données à caractère personnel transférées. En conséquence, les Parties s'engagent à ne transmettre que les données à caractère personnel « adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont communiquées » ; à s'assurer que toute erreur constatée soit signalée à la Partie destinataire en vue de sa rectification par celle-ci et à conserver les données transmises pendant la seule durée d'utilisation nécessaire à la procédure judiciaire pour lesquelles elles ont été demandées.
Garantie supplémentaire, la transmission des données obtenues en provenance d'un Etat tiers est soumise à l'autorisation de ce dernier. La tenue d'un registre des données reçues ou transmises permet d'assurer la traçabilité des échanges et la sécurité des données, ainsi que le contrôle effectif des dispositions de l'accord.
Un mécanisme de contrôle par une autorité indépendante est également prévu, qui peut être l'autorité compétente en la matière de la Partie concernée, comme la CNIL, en France.
La transparence et l'information des personnes concernées « sur les finalités du traitement, l'identité de l'autorité de contrôle, les destinataires ou catégories de destinataires, l'existence du droit d'accès, de rectification, de mise à jour ou de suppression des données la concernant » sont également exigées.
En outre, est garanti un droit de recours approprié à toute victime d'une violation de ses droits à la protection des données à caractère personnel, indépendamment de la nationalité ou du pays de résidence de l'intéressé. L'effectivité de ce recours suppose une adaptation de la législation américaine en vue d'étendre, aux Français et plus généralement aux Européens, le droit de recours judiciaire prévu par le Privacy Act de 1974, qui est actuellement réservé aux Américains et aux résidents aux États-Unis. Cette extension nécessite l'adoption, par le Congrès, d'un texte législatif, annoncé par le Président Obama, en janvier 2014, mais non encore adopté.
En contrepoint, on peut faire valoir l'existence d'une possibilité de rectifier, de bloquer ou d'effacer, à la demande de la Partie émettrice, les données reçues si celles-ci sont incorrectes, incomplètes ou si leur collecte ou leur traitement complémentaire enfreint les dispositions de l'accord ou les règles applicables à la Partie émettrice.
On peut également ajouter qu'un suivi et des consultations entre les Parties sur la mise en oeuvre de l'accord, notamment sur la protection des données à caractère personnel, sont prévus, et particulièrement en cas d'évolution des négociations sur l'accord dit « accord parapluie » entre l'Union européenne et les Etats-Unis relatif à la protection des données personnelles lors de leur transfert et de leur traitement aux fins de prévenir les infractions pénales, dont les actes terroristes.
Par ailleurs, l'accord peut être suspendu, en cas de manquement substantiel et après consultation bilatérale des Parties. Il y aura donc un travail scrupuleux de vérification de l'application de l'accord par chacune des Parties qui ont un intérêt mutuel à ce qu'il fonctionne dans le respect des exigences posées.
Après un examen attentif en particulier, vous l'aurez compris, sur l'effectivité du droit de recours, je recommande l'adoption de ce projet de loi, qui facilitera la coopération judiciaire entre la France et les Etats-Unis, à un moment où les services de police français et américains ont de plus en plus besoin d'échanger rapidement des données dans des conditions techniques et juridiques sûres, et qui permettra de surcroît de maintenir le bénéfice de l'exemption de visa pour des séjours de moins de trois mois à nos compatriotes.
La Conférence des présidents a décidé lors de l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour qu'il fera l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique, le vendredi 17 avril 2015, en application des dispositions de l'article 47 decies du règlement du Sénat.
À l'issue de la présentation de la rapporteure, la commission a adopté le rapport ainsi que le texte proposé.
- Co-Présidence de MM. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense, et de M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable -
Le Sénat est mobilisé autour de la Conférence Paris climat 2015 (COP 21). De nombreuses initiatives ont été lancées, et Hervé Maurey est en charge de coordonner notre travail collectif. Au sein de la commission des affaires étrangères, particulièrement concernée par ce rendez-vous majeur pour la diplomatie française, nous avons créé un groupe de travail présidé par Cédric Perrin et Leila Aïchi. Il se concentre sur les aspects diplomatiques et internationaux du sujet, comme la question des réfugiés climatiques ou la situation géopolitique de l'Arctique.
Le calendrier fait coïncider la COP 21 avec le résultat des élections régionales en France. Le weekend dernier, quinze chefs d'État dont le président chinois étaient présents au Boao Forum for Asia, le Davos de l'Asie. Si le premier ministre néerlandais a mobilisé positivement autour de la Conférence de Paris, un représentant de l'Institut Rockefeller aux États-Unis a, en séance plénière, mentionné la France dans son discours, avec une photo de Marine le Pen en arrière-fond. C'est dire le risque qu'il y a à ce que la COP 21 serve de caisse de résonance aux résultats du FN en régions. Le monde entier se mobilisera sur le sujet, alors que ce n'est pas l'essentiel. Nous avons des ambitions fortes pour la COP 21. C'est un combat politique qui nous rassemble. Anticipons cette difficulté du calendrier pour qu'elle ne menace pas la substance même de notre mobilisation : le climat et l'avenir de notre planète.
Le Sénat souhaite prendre toute sa part dans la préparation de la COP21. Un groupe de travail sur les négociations climatiques internationales existait au sein de la commission du développement durable. A la demande du président du Sénat, il a été élargi à l'ensemble des commissions et délégations du Sénat ; il est présidé par Jérôme Bignon. D'autres initiatives ont été prises. Outre le groupe de travail sur le climat en outre-mer, la délégation aux collectivités territoriales s'occupe également du sujet, sous la présidence de Jean-Marie Bockel. Enfin, le Président du Sénat souhaite qu'on y consacre un temps de discussion lors de la journée au Sénat des maires à l'occasion de leur prochain congrès.
La COP 21 représente une échéance capitale. Comme Jean-Pierre Raffarin, je regrette la malheureuse concomitance de la conférence et des élections régionales. Nous l'avions pourtant signalée assez tôt. Cette rencontre est importante pour notre diplomatie et pour la préservation de la planète. Pour reprendre les mots de Ban Ki-moon, « il n'y a pas de plan B parce qu'il n'y a pas de planète B ».
Monsieur Hulot, êtes-vous toujours raisonnablement optimiste, comme vous nous l'aviez dit il y a un an lors d'une précédente audition, sur l'issue positive de cette négociation ? Depuis Lima, je crois pouvoir dire que l'optimisme est plus mesuré. Nous avons été impressionnés de constater que beaucoup de pays africains, par exemple, n'étaient pas forcément prêts à se mobiliser sur la question du climat. Je reviens d'Hanoï, où j'étais à l'Assemblée générale de l'Union interparlementaire. On y observe une situation qui se retrouve dans de nombreux pays. Ainsi, le Vietnam est un pays entouré par les mers, avec les problèmes qui vont avec : inondations, salinisation, moindre fréquence des récoltes.... Le ministre vietnamien de l'environnement se dit conscient de l'importance des questions climatiques. Mais par une sorte de schizophrénie, on continue pourtant dans ce pays à développer des centrales à charbon.
Autre raison de ne pas céder à un optimisme béat, le nombre réduit de contributions reçues dans le cadre préparatoire de la COP21. Les États étaient invités à soumettre leurs propositions avant la fin du premier trimestre 2015. À ce jour, n'ont été déposées que celles de l'Union européenne, de la Suisse et de la Norvège.
Vous insistez également beaucoup, avec raison, sur la nécessité de prendre des engagements financiers forts, en instaurant une taxe sur le carbone et une autre sur les transactions financières. Comment ce sujet a-t-il évolué ?
Enfin, nous sommes très sensibles au Sénat à l'implication des territoires et à leur rôle actif dans la préservation du climat. Vous avez exprimé le souhait et manifesté la volonté que les Français exercent un rôle moteur dans la dynamique des initiatives. Vous invitez notamment les internautes à « liker » les initiatives qui leur paraissent intéressantes, sur le site My positive Impact. Un sondage récent montre pourtant qu'il faut encore travailler à convaincre les Français de l'importance du sujet et de la nécessité de se mobiliser. Quels éléments pouvez-vous nous livrer sur ces différentes questions ?
Soyez remerciés de m'avoir donné l'occasion de cet échange. Je déplore également ce calendrier malheureux qui fait que l'issue de la COP 21 coïncidera avec le résultat des élections régionales. Le problème serait constitutionnel, m'a-t-on dit. Sans forcer le trait, je crois pouvoir dire que la réussite de la Conférence de Paris est largement aussi importante que les résultats des régionales.
Quant à mon état d'esprit, je suis d'un optimisme désespéré. J'ai du mal à comprendre pourquoi il faut déployer autant d'énergie pour convaincre l'humanité de se sauver elle-même. Le constat est clairement établi. Personne ne conteste les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), et la responsabilité anthropique est avérée. Le scepticisme qui a longtemps entravé la dynamique d'une action sur le climat n'est plus un argument opposable. Initialement, la perspective de se passer des énergies fossiles grâce auxquelles nos économies ont prospéré depuis 150 ans a créé un état de sidération. Cependant, quand la contrainte devient imparable, l'improbable est possible. La créativité est en marche pour proposer un modèle de substitution. La transition énergétique est possible, pour peu que nous ayons foi en son avènement. L'heure n'est plus au conservatisme, au scepticisme ou au fatalisme : il nous faut briser un verrou culturel.
Lors de mon dernier séjour en Russie, il y a quelques jours, j'ai pu mesurer combien l'espoir n'était jamais loin de l'abattement. Avec Laurence Tubiana, ambassadrice pour le climat, nous avons rencontré pendant trois heures et demie le conseiller spécial de Vladimir Poutine sur le changement climatique. Il avait manifestement été mandaté par le président russe pour nous aider à préparer la prochaine négociation avec les BRICS, et pour nous annoncer une contribution russe à venir, éléments positifs s'il en est. Dans la même matinée, le ministre russe en charge de l'énergie nous présentait une planification sur trente ans prévoyant de faire passer l'exploitation des énergies fossiles de 30 % à 60 % dans les quinze prochaines années, en triplant les exportations vers la Chine. L'on vérifie le paradoxe exprimé par Bossuet à propos de ces étranges créatures « qui déplorent des effets dont elles chérissent les causes ». Cela signifie que nous n'avons pas suffisamment pris la mesure des choix que nous devons faire : quelles doivent être nos priorités et à quoi devons-nous renoncer ? Si nous voulons être cohérents, le constat doit laisser place à l'action. Les ONG et les pays du sud attendent que la communauté internationale fixe des objectifs et se dote des instruments nécessaires pour les réaliser.
À Lima, certains avaient sous-estimé la défiance, pour ne pas dire plus, des pays les plus vulnérables, envers les promesses énoncées à Copenhague, notamment celle du Fonds vert pour le climat. Nous ne sommes pas crédibles, parce que les procédures pour accéder aux mécanismes sont dissuasives : certains pays d'Afrique centrale auraient dû mobiliser leur administration pendant un an pour pouvoir accéder à certains fonds. Des promesses ont été faites sur des crédits non encore identifiés. Les pays d'Afrique sont rangés comme un seul homme derrière l'Afrique du Sud. Si nous voulons qu'ils viennent dans un esprit coopératif, il faudra saisir l'occasion du G7 et du G20, qui reste une échéance essentielle même s'il est programmé à quinze jours de la COP 21, pour rétablir la confiance en affichant davantage de transparence dans notre réflexion. Si, au sein du G20, les quinze pays qui émettent 70 % des gaz à effet de serre n'assument pas leurs responsabilités, je ne vois pas comment aborder la Conférence de Paris dans de bonnes conditions.
Nous n'avons pas plus de raison de céder au défaitisme que de nous laisser aller à un optimisme sans modération. Chacun des 195 pays engagés doit jouer son rôle. Quelle que soit notre fonction, que nous soyons ministre, député ou sénateur, nous devons défendre le sujet du climat dans toutes les occasions, en amont de la Conférence de Paris, ou en provoquant des discussions.
Quand nous aurons évalué les contributions nationales et que nous nous apercevrons que nous sommes loin de la trajectoire prévue, nous devrons veiller à ne pas donner le sentiment que nous nous en accommodons. Le mandat donné par les Nations unies vise à ce que la somme des engagements nationaux pris à Paris maintienne la trajectoire d'augmentation de la température en deçà de deux degrés Celsius, tout au long du siècle. Tous les modèles scientifiques, qu'ils soient produits par le GIEC, l'Académie des Sciences de Moscou, celle du Saint Siège ou par la Banque mondiale, estiment qu'au-delà, les conséquences seraient irréversibles. Cette cible difficilement atteignable n'est ni anodine, ni indolore. L'existence de millions de personnes dépend de l'échec ou de la réussite de la COP21. J'ai encouragé le président Hollande à se rendre aux Philippines pour montrer que nous sommes conscients de cet enjeu, aussi impalpable qu'il soit au regard des souffrances quotidiennes de nos concitoyens.
Pour mobiliser la société civile, il nous faut rappeler que l'enjeu climatique n'est pas optionnel, et qu'il conditionne la solidarité à laquelle nous sommes tous attachés. Le changement climatique n'affectera pas seulement les plus vulnérables. Facteur multi-aggravant, il déclenchera une chaîne d'impact dans le monde entier. C'est l'avenir de l'humanité qui se joue, plus que celui de la planète. Ma priorité est que les enfants qui jouent dans les cours d'école puissent demain déterminer leur avenir sans subir les conséquences de phénomènes qu'ils n'auront pas provoqués. L'enjeu climatique est l'injustice ultime. C'est la pierre angulaire de la justice et de la solidarité. Ceux qui en subissent les conséquences n'ont pas profité des modèles de développement qui en sont à l'origine. Une telle situation est un facteur d'instabilité majeur dans le monde connecté qui est le nôtre, où tout se voit.
En 2012, on a compté 40 millions de déplacés climatiques, pour une moyenne de 27 millions par an. Si le phénomène se développe, plusieurs centaines de millions de personnes pourraient être concernées. Monique Barbut, la secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, estime que la progression de la désertification en Afrique aura porté entre 2000 et 2020 60 millions de personnes aux portes de l'Europe. Même les Américains sont sensibles à cet argument, et en premier lieu les militaires qui estiment la menace climatique aussi dangereuse que le terrorisme pour la sécurité intérieure de leur pays, d'autant qu'un lien existe entre les deux sujets, comme le montrent les travaux de Leila Aïchi et de bien d'autres. Le lien entre changement climatique et instabilité est important. Au nord-est de la Syrie, la désertification a réduit la production agricole de 80 % en dix ans et détruit 60 % des troupeaux. Un million et demi de personnes ont dû se déplacer vers le sud du pays. Le changement climatique a été un facteur aggravant. Il en va de même au Darfour.
La question n'est plus de savoir si l'on entrera ou non dans une ère d'économie bas carbone, mais quand et à quel rythme nous y parviendrons. Nous devons convaincre chacun qu'il n'y a pas d'autre issue possible tout en dessinant ensemble un horizon désirable, dans le cadre de cette trajectoire. Dans son « agenda des solutions », Laurent Fabius montre ainsi qu'il existe un modèle de société compatible avec nos exigences économiques et sociales, qui pourra se mettre en place pour peu que nous ayons la volonté de le faire.
Les financements pour le développement doivent être discutés à Addis-Abeba. Les objectifs du développement durable seront revus en septembre à New York. Quant à l'alimentation du Fonds vert, elle nécessite que nous sortions d'une forme d'orthodoxie financière pour la rendre effective et pour que nous gagnions de la crédibilité sur nos promesses de financement. Un agenda onusien est en place sur ces sujets. J'ai souhaité que la France et l'Allemagne prennent des initiatives dans l'évaluation de ces financements innovants afin de mobiliser un certain nombre d'États, et qu'elles s'en fassent les promoteurs au G7, au G20, ou au Forum des économies majeures. François Hollande a nommé deux économistes pour animer une commission d'évaluation qui travaille en collaboration avec l'Allemagne. C'est une de nos priorités. Nous l'avons coordonnée, hier soir, avec Michel Sapin et Ségolène Royal, entre autres.
Évitons d'abandonner la négociation de Paris aux négociateurs. Si nous ne parvenons pas à en extraire des priorités de niveau ministériel ou présidentiel, il y a peu de chance qu'elle aboutisse. Il est important que les ministres de l'économie s'emparent du sujet climatique lors du G20 et le fassent savoir.
Il est également essentiel qu'à côté des revendications portées par les parties lors de la session de Genève, le texte de Paris mentionne les éléments de blocage. Le principe onusien de responsabilité commune et différenciée en est un, dans la mesure où chaque État en a sa propre conception. Le climat est un enjeu universel, mais qui est appréhendé à travers le prisme des intérêts nationaux. Chacun tente de s'exonérer de ses responsabilités ou de rendre la contrainte moins forte, alors que personne ne peut tirer seul son épingle du jeu. La phrase de Martin Luther King s'applique parfaitement à la situation : « Nous devons apprendre à vivre ensemble, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots ». Si les gouvernements des grands émetteurs historiques n'assument pas leurs responsabilités, il sera difficile de demander aux pays en voie de développement de prendre leur part d'engagement. Dans le groupe des Like minded developing countries, certains pays, comme l'Arabie Saoudite et le Qatar, considèrent qu'ils doivent être dédommagés pour les conséquences du changement climatique qu'ils subissent. Chacun doit prendre sa part d'engagement. On ne peut pas laisser se développer des discussions stériles comme celles qui ont cours entre les États-Unis et la Chine, les Américains affirmant qu'ils produisent moins de CO2 que les Chinois en volume, et les Chinois répondant que les Américains en produisent quatre fois plus par habitant. Nous n'avons qu'un seul objectif à long terme : la neutralité carbone à l'horizon 2050.
L'évaluation des engagements nationaux reste difficile car elle bute sur la souveraineté des Etats. La communauté internationale doit se doter de moyens de contrôle tout en conservant une certaine souplesse. Il importe que l'accord de Paris soit dynamique, qu'il puisse être révisé au fil du temps.
L'adaptation est une revendication légitime majeure des pays les plus vulnérables qui souhaitent à juste titre que le Fonds vert ne soit plus seulement réservé à l'atténuation. Enfin, les Nations unies ont décidé à Durban que cet accord devait être global et juridiquement contraignant. Il reste à préciser si les contraintes doivent être nationales ou s'il s'agit d'un accord international qui doit être ratifié. Gardons de la souplesse : un traité ne sera pas ratifié par le Congrès américain mais des alternatives existent pour que le président Obama mette en oeuvre l'accord international par le biais des agences nationales. Un précédent historique existe : le Clean Air Act.
La Chine était venue à Copenhague à reculons, sous la pression internationale. Elle est désormais partie prenante dans les négociations, davantage mobilisée sur les conséquences de la pollution que sur les changements climatiques. En matière de développement des énergies renouvelables et d'efficacité énergétique, les Chinois, qui parlent désormais de civilisation écologique, ont dépassé tous leurs objectifs. Pour autant, l'engagement qu'ils ont pris à Brisbane reste insuffisant. Les Chinois ont promis d'atteindre le pic de leurs émissions de gaz à effet de serre en 2030 ; quant aux États-Unis, ils se sont engagés à réduire les leurs en 2025 pour les ramener au niveau de 2005. D'autres étapes sont nécessaires. Nous sommes comme dans une partie de poker où chacun dévoile ses cartes petit à petit.
L'Union européenne a pris ses responsabilités. Il est cependant difficile aux 28 de réviser leurs ambitions à la hausse dans la situation de crise où nous nous trouvons. Néanmoins, certains pays leaders pourraient prendre des initiatives unilatérales pour montrer le chemin aux autres - je plaide en ce sens.
La diplomatie française s'est mobilisée depuis deux ans. Laurent Fabius est sur tous les fronts. Mmes Tubiana et Girardin sont très actives. Le Président de la République profite de toutes les occasions bilatérales pour mettre le sujet à l'ordre du jour, comme avec Vladimir Poutine, quand il l'a rencontré sur le dossier ukrainien. Pour ma part, je n'ai qu'un rôle complémentaire : ma mission est de convaincre et de mobiliser toutes les composantes de la société. C'est pourquoi, j'ai souhaité m'adresser aussi aux différentes autorités religieuses : j'irai bientôt au Caire pour discuter avec des responsables musulmans.
L'enjeu climatique n'est pas que politique, économique, institutionnel ou technologique ; il est aussi philosophique et spirituel. Un couple de modernité s'était formé, qui unissait avenir et progrès. Sa marche triomphante a été entravée. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Telle est la question dont chacun doit s'emparer. Il faut que des voix supérieures s'expriment à Paris pour demander aux responsables politiques d'écrire l'histoire plutôt que de la subir. Le monde ne s'effondrera pas si Paris est un échec, mais un coup d'arrêt serait porté aux négociations multilatérales, ce qui serait lourdement préjudiciable tant du point de vue économique qu'humain.
Je vous remercie pour cet exposé intéressant qui ne manquera pas de susciter de nombreuses réactions. Un colloque doit être organisé avant l'été au Sénat où interviendront les représentants des différentes religions. Vous me faites penser à Jean Monnet, lorsqu'il disait : « Je ne sais pas si je suis pessimiste ou optimiste. Je sais que je suis déterminé ».
Il est important que tous nos collègues soient informés que l'ancien groupe de travail de la commission du développement durable s'est élargi pour mobiliser l'ensemble des forces vives du Sénat sur le sujet du climat. Même si nous ne sommes pas à la table des négociations, certains aspects nous concernent au premier chef, comme le rôle des territoires. Avec Jacques Cornano, nous développons la réflexion sur l'outremer et les changements climatiques. Notre objectif est d'avoir, avant la Conférence de Paris, un débat dans l'hémicycle à l'issue duquel nous adopterons une résolution qui sera le fruit de l'ensemble de nos travaux. Chantal Jouanno a par exemple proposé de faire participer la Délégation aux droits des femmes. En tant que sénateurs, nous assurons le relais avec les territoires.
Nous appartenons également pour beaucoup d'entre nous à des groupes d'amitié avec les différents pays du monde, ce qui offre une excellente occasion de sensibiliser chacun à l'importance de ces sujets. Nous sommes mobilisés. Comment être encore plus efficaces et plus utiles ?
Le groupe de travail mis en place par la commission des affaires étrangères se focalise sur les conséquences géopolitiques du réchauffement climatique. Avec Leila Aïchi, nous avons décidé de nous attacher particulièrement à l'Arctique, qui fait l'objet de convoitises importantes. L'ouverture de nouvelles voies de navigation vers l'ouest et l'est est envisagée, et les riverains sont tentés de s'approprier ses ressources halieutiques et minérales. Quelles sont les conséquences du dérèglement climatique sur cette partie du monde que vous connaissez bien ?
Si l'objectif est de respecter la trajectoire des deux degrés, notre capacité d'émission est de 250 milliards de tonnes de CO2 ; or le phénomène de fonte du pergélisol réduit cette capacité de 50 milliards de tonnes. D'après vous, existe-t-il d'autres phénomènes similaires que l'on n'aurait pas décelés ?
Quel est l'impact géopolitique des conséquences du dérèglement climatique sur les relations entre pays industrialisés et pays en voie de développement ? Les États-Unis et la Chine sont les deux pays qui octroient les financements les plus importants à la recherche scientifique sur les conséquences du réchauffement ; pour autant ils ne sont pas les plus enclins à diminuer leurs émissions de gaz carbonique. Qu'en pensez-vous ? Je suis présidente déléguée du groupe d'amitié France-Koweit, pouvez-vous m'éclairer sur la manière dont les pays du Golfe appréhendent la conférence COP 21 ?
Les sénateurs et les groupes d'amitié remplissent un rôle inestimable dans notre dispositif diplomatique. Qui peut rencontrer personnellement des représentants des 195 pays participant à la conférence ? Les contacts doivent être les plus larges possibles aussi bien en ce qui concerne les interlocuteurs - il convient de pas se limiter aux chefs d'État et aux ministres - que les sujets : il faut communiquer sur les solutions et les outils indispensables pour rentrer dans une économie bas carbone, par exemple sur la mise en place d'un prix du carbone. D'autres sujets que nous pourrions porter collectivement sont ceux du nécessaire basculement des 650 milliards de dollars annuels d'exonérations et subventions fiscales diverses accordées au bénéfice des énergies fossiles vers des modèles énergétiques répondant aux enjeux climatiques, ou encore de l'orientation de la commande publique, qui représente 15 à 20 % de la production mondiale, vers des producteurs respectueux des normes bas carbone.
La création d'une organisation mondiale en charge de la gestion des biens communs a été écartée à la conférence de Rio mais doit être de nouveau défendue car cette question ne peut être prise en charge efficacement au rythme de conférences lourdes et onéreuses. Votre proximité avec les élus et les citoyens est précieuse pour mobiliser la société civile sur ces enjeux supra-politiques.
La contrainte environnementale doit aussi être envisagée comme une opportunité à saisir ; elle nous offre la possibilité de nous retrouver sur ce qui nous rassemble, de faire de nos différences un atout. La famille humaine est confrontée à des problématiques complexes qui demandent moins des sacrifices qu'une vision, une détermination et une intelligence collectives.
La France est peu influente sur la question de l'Arctique car elle n'y possède aucun territoire. Michel Rocard est très engagé sur le sujet. Le thermofrost nous offre un exemple d'effet d'emballement : à mesure que la glace estivale se réduit, les rayons lumineux qu'elle réfléchissait sont absorbés par l'océan, ce qui renforce le processus de disparition des glaces et ouvre des opportunités nouvelles d'exploitations des ressources du sous-sol pour des pays comme la Russie. La tentation de la ruine s'offre alors : l'exploitation de ces ressources achèvera de dégrader l'écosystème et sera source de tensions entre États. Ce sujet central a donné lieu à des modélisations du GIEC : lorsque la température estivale redevient positive, le processus de décomposition des matériaux organiques contenus dans le sol reprend et débouche sur la libération de méthane, quarante fois plus nuisible que le gaz carbonique. Le changement climatique n'évolue pas de manière linéaire, à des phases stationnaires succèdent des périodes d'accélération. Lorsque l'océan se réchauffe, sa capacité d'absorber le gaz carbonique diminue. La prise de conscience va moins vite que les effets d'emballement.
Les conséquences du dérèglement climatique constituent l'ultime injustice dans un monde d'incompréhension mutuelle. Les phénomènes auxquels nous assistons sont la conséquence de siècles d'histoire ; les pays en voie de développement écrivent l'histoire de demain. « Quand vous ajoutez l'humiliation à l'exclusion, tout est possible », dit Patrick Viveret. Dans notre monde connecté, tout se sait : les femmes sahéliennes qui doivent marcher plusieurs kilomètres pour trouver de l'eau savent qu'elles subissent les conséquences d'un développement économique dont elles ne profitent pas. La population de Dakar s'accroît de 300 000 personnes chaque année et double tous les dix ans du fait de la désertification. Les populations chassées par le désert viennent d'abord en ville trouver refuge puis mettent le cap au Nord, vers l'Europe, dans des conditions risquées. Bien des morts du détroit de Messine trouvent leur cause lointaine dans le changement climatique... Il faut agir et organiser les transferts de technologie nécessaires au développement. Il convient aussi de réhabiliter les terres dégradées et de revoir nos politiques d'aides au développement.
Le Qatar a fait preuve de bonne volonté en accueillant la conférence de Doha. J'ai eu l'occasion de visiter des centres de recherches, notamment sur le stockage des énergies intermittentes, situés dans les pays du Golfe. Ils sont dotés de moyens très importants. Ces pays ont compris que leur intérêt est de se diversifier. Ils ne pratiquent pas l'obstruction vis-à-vis des questions environnementales.
Les équipes de négociateurs des grandes conférences environnementales n'apprécient pas l'implication des politiques et des parlementaires. Ils préservent leur chasse gardée... Pouvons-nous toutefois cibler quelques pays sur lesquels intervenir, si oui, lesquels ?
La question de la gouvernance du fonds climat était apparue de façon plutôt virulente à Lima ; est-il opportun de développer d'autres sujets ? La France n'a pas été moteur sur le sujet des déplacés environnementaux ; quelle solution juridique apporter ? L'Organisation mondiale de l'environnement n'a pas été mise en place du fait de l'opposition des États, mais, sur ces sujets, les grandes entreprises et les fonds souverains sont souvent prescripteurs. N'aurions-nous pas intérêt à parier sur cette forme de négociation parallèle et sur le fait que ces acteurs pourraient conditionner leur soutien financier à des engagements climatiques ?
Comment trouver l'équilibre entre la volonté de développement économique des pays pauvres et les impératifs de protection du climat ? La COP21 se déroulera en Seine-Saint-Denis... où siège l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Est-il envisageable d'utiliser cet équipement ? Selon vous, quel sera le critère de réussite de la COP 21 ?
Vous exposez que les sujets environnementaux sont supra-politiques, certes, mais tous les sujets le sont ! Cela ne signifie pas que les politiques ne s'en emparent pas. Certains en ont fait leur fonds de commerce ; ne soyons pas naïfs !
Le Tibet est peut-être le théâtre de la plus grande catastrophe écologique du monde. La biodiversité culturelle est menacée, la déforestation engagée ; les détournements de fleuves dans ce château d'eau du monde pourraient avoir des conséquences dramatiques. Pour des raisons diplomatiques, le sujet est peu abordé. Quelle est votre opinion ?
Je vous remercie pour votre engagement passionné. La conférence de Copenhague fut un échec. Comment l'expliquez-vous ? Les pays en voie de développement à qui des efforts étaient demandés les ont refusés au motif qu'il leur fallait en priorité nourrir leur population. La situation a-t-elle évolué depuis ? La troisième conférence de l'ONU sur la diminution des risques naturels a eu peu d'effet. Dans ce contexte, quels éléments vous permettent-ils de ne pas céder au pessimisme et de croire au changement ? Peut-on faire confiance à la bonne volonté des États ? Comment évaluer le respect des engagements qu'ils prennent ? Les critères sont-ils identiques pour tous ? L'Inde a-t-elle les moyens de mesurer ses émissions de gaz à effet de serre comme le font la France ou les États-Unis ?
Merci pour votre engagement, qui, pour le coup, est bien supra-politique : vous travaillez avec tous ! J'ai participé à une conférence interparlementaire sur la COP 21. Quelle est l'articulation entre le commissaire européen, Miguel Arias Cañete, et la diplomatie française ? Le bon niveau est le niveau européen. Sauf erreur, la France n'a pas proposé de résolution ; j'ai pourtant le souvenir qu'à l'issue de la conférence en 2008, une résolution parlementaire avait permis de passer le paquet 3x20, alors que le conseil européen bloquait.
Le marché carbone va mal ; il est à des prix ridicules. Le moment ne serait-il pas venu de donner un signal ? Des montants extraordinaires ont été annoncés pour le Fonds vert pour le climat, qui n'ont pas été concrétisés à ce jour. Quels sont les financements envisageables ? Quelle priorisation opérer et quelle gouvernance pour le Fonds ?
Le nombre de sénateurs présents manifeste l'intérêt du Sénat pour les questions environnementales. Il est urgent d'agir, de sensibiliser afin qu'une prise de conscience s'opère à l'échelle planétaire. La France va recevoir la COP21 mais Paris n'est pas exemplaire en matière de pollution. Si nous devions prendre une seule mesure afin de démontrer l'engagement de notre pays, quelle pourrait-elle être ?
Je ne voudrais pas vous désespérer davantage. Vous affirmez qu'il n'existe plus de climato-sceptiques... J'en croise pourtant au Sénat dans tous les groupes. Un de mes excellents collègues expliquait récemment que la main de l'homme n'était pas responsable de plus de 1% du réchauffement climatique. A l'occasion de la COP, il est donc nécessaire de poursuivre la pédagogie.
Quelle est la crédibilité de la France sur ces sujets ? L'ancienne majorité, à laquelle j'appartiens, a renoncé à la taxe carbone ; l'actuel gouvernement vient d'abandonner de manière pitoyable l'écotaxe poids lourds, même revisitée par nos deux assemblées !
Comme Fabienne Keller, je m'interroge sur la situation du marché carbone et ses effets pervers. Dans ma région, Mittal gagne de l'argent en vendant des quotas de gaz carbonique à chaque fermeture de haut-fourneau...
L'affichage d'un objectif de zéro gaz à effet de serre en 2050 me laisse sceptique. Est-il atteignable sauf à passer au tout nucléaire, dans toutes les régions du monde y compris les plus instables ? Les objectifs de long terme ne constituent-ils pas un alibi commode pour éviter de fixer des objectifs de moyen ou court terme plus contraignants ? Le Fonds vert est destiné à financer des mesures d'adaptation et non de réduction des émissions de gaz à effet de serre, un basculement total ne marquerait-il pas un renoncement ?
Martin Schulz a déclaré qu'il était minuit moins cinq pour la survie de la planète. Vous avez préféré évoquer la survie de l'humanité, et vous avez raison de parler aux hommes. De nombreux sénateurs ont fait part de leur volonté de s'impliquer sur les questions environnementales. J'ai demandé à Laurent Fabius une feuille de route avec des objectifs clairs et simples. Elle pourrait être envoyée à tous les parlementaires et démultiplier votre action. Ne pensez-vous pas que la résolution du problème climatique passe aussi par une réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et des règles du commerce international ? Les engagements de l'Union européenne en date du 6 mars dernier sont-ils suffisants ?
Je vous remercie pour votre présentation dont je retiens qu' « il faut dessiner ensemble un horizon désirable ». Malheureusement, ce n'est pas la qualité première des négociateurs. Convaincre les décideurs est nécessaire mais non suffisant. Il faut gagner le coeur de nos concitoyens. Si les programmes scolaires ont été modifiés, il reste un combat à mener dans les medias. Dans les dix dernières années, ils ont fait défiler des présentateurs de météo négationnistes et ont invité Claude Allègre plus souvent qu'à son tour au détriment de vrais scientifiques. Ne pouvez-vous sensibiliser les journalistes, dans le respect de leur indépendance ?
Président du groupe d'amitié France-Australie, je sens dans ce pays une évolution sur ces sujets. La confirmez-vous ? Il ne faut pas laisser le sommet aux mains des négociateurs, les présidents et ministres concernés doivent intervenir. Au vu de l'évolution de la conscience de ces questions, le succès de la COP21 ne dépend-il pas en premier lieu d'un travail dans la société française ? La proposition d'Hélène Conway-Mouret d'une feuille de route largement diffusée est particulièrement pertinente. Une mobilisation générale est indispensable dans les prochains mois. Je suis surpris de notre capacité de dénigrement. Pour susciter l'adhésion de nos concitoyens, il convient de mettre en avant avec fierté le travail réalisé. Cessons de pointer nos insuffisances ! Mesurons au contraire notre progression collective.
Notre naïveté collective m'inquiète. La diplomatie ne défend pas l'intérêt général mais, de plus en plus, l'intérêt national - voyez le recul du droit d'ingérence depuis dix ans. Chaque pays a ses objectifs. Si nous voulons convaincre, ne cherchons pas à imposer notre vision par le haut, dans une démarche ethnocentrique. Il nous faut partir des soucis des autres pays et leur proposer des solutions. Soyons vigilants sur une initiative diplomatique qui pourrait tourner au fiasco si l'on ne mesure pas que le monde n'attend pas de leçons. Il nous faut convaincre que la résolution des problèmes du monde - développement, pauvreté, pollution - est liée aux questions environnementales. Chaque pays viendra à la conférence avec ses objectifs vis-à-vis de son opinion publique. La démarche collective sera difficile. Nous devons travailler dans les sociétés et chercher des convergences entre notre intérêt, à nous qui avons une conscience universelle, c'est la tradition française - et ceux des autres nations.
L'espoir vient de l'idée émise par Chantal Jouanno du recours à des forces extranationales, tels que le GIEC ou les groupes industriels qui échappent aux clivages nationaux. Schneider a des solutions mondiales à proposer ! Nous disposons de grands groupes dans les domaines de l'eau ou de la santé, ils pourraient être des alliés de nos causes environnementales. Associons-les à ces combats. Lorsque le groupe Schneider envisage de s'implanter en Chine, il peut convaincre ses partenaires locaux de la nécessité de résoudre un certain nombre de problèmes et leur proposer des solutions pragmatiques. Il nous faut prendre la mesure des difficultés. La France joue gros. Ne passons pas à côté de l'histoire pour avoir sous-estimé la résistance des autres nations.
Nos institutions ne sont pas adaptées à ces enjeux universels et de long terme. Le futur s'invite pour la première fois dans notre logiciel. Nous devons raisonner au présent qui nous sollicite, au passé - en prenant en charge les conséquences du développement économique des cent cinquante dernières années - et au futur - en tenant compte de l'impact de nos décisions sur les générations à venir. Cette complexité ne peut s'accommoder de nos divisions traditionnelles. Nous avons besoin de mutualiser nos intelligences et de faire preuve d'objectivité. En France, nous abordons ces sujets avec un prisme politique. Il faut tirer les choses vers le haut. La loi sur la transition énergétique, qui fait la navette entre les deux assemblées, peut être un instrument de sortie de crise pour notre pays.
Vous avez évoqué les grands groupes, n'oublions pas les PME françaises. L'innovation s'y trouve ! Il en va de nos PME comme de l'économie, elles attendent une trajectoire de référence et une fois rassurées, elles créeront de l'emploi. Chez nous, un risque est un risque ; ailleurs, il peut devenir une chance. Ne laissons pas nos ingénieurs, nos entreprises partir sous d'autres cieux - Colorado, Espagne - où ils bénéficient de conditions administratives et économiques plus favorables. Notre pays n'est pas à cours d'ingéniosité ; il souffre d'un peu de conservatisme. Montrer que la contrainte écologique n'est pas l'ennemi de la créativité mais sa condition suscitera l'adhésion.
Comme vous l'avez souligné, le rôle des médias est important. Chaque semaine, je prends du temps avec des rédactions entières - de presse écrite, de radio, de télévision - pour leur donner des éléments de réflexion et pour montrer que des choses fonctionnent déjà et sont reproductibles à grande échelle, comme l'illustre la campagne My Positive Impact.
Les règles de l'OMC ne sont pas compatibles avec la finitude de nos ressources. La raréfaction des matières premières est le paramètre le plus contraignant du XXIe siècle. Nous la découvrons en même temps que la vulnérabilité des écosystèmes. Elle doit se piloter grâce à des lois et des régulations. À défaut, nous souffrirons de pénurie, dont nous savons qu'elle conduit à la guerre.
Je relaierai évidemment l'idée de la feuille de route. Grâce aux analyses du Club de Rome, nous en savions assez pour agir depuis bien plus de vingt ans mais nous nous heurtons à une certaine inertie... Le climato-scepticisme a été préjudiciable mais il n'y a plus lieu de lui consacrer du temps. Sur 195 États participants, aucun ne conteste la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Nous mobiliserons sur des solutions et non sur des constats.
En ce qui concerne le Fonds vert, ne tombons pas d'un excès dans un autre. Certains projets d'adaptation contribuent aussi à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par exemple la réhabilitation des sols : voyez la muraille verte au Sénégal. Pour autant, nous ne devons naturellement pas renoncer à l'atténuation. Elle demeure prioritaire. Sachons aussi préserver les puits de carbone existants.
Les choses bougent dans le domaine financier, y compris aux Etats-Unis. Le risque carbone est désormais intégré. Il conviendrait d'améliorer la transparence de manière à savoir où les fonds s'orientent. Ainsi les investisseurs pourraient choisir en toute connaissance de cause.
Je passe mon temps à exiger toujours plus de la France, qui aurait intérêt à y aller pleinement. Je plaide pour l'utilisation du levier fiscal. Jusqu'à présent, il a été mal utilisé, ce qui a suscité le rejet. La fiscalité écologique ne doit pas être une fiscalité additionnelle. Il convient d'envisager une révision holistique de la fiscalité : taxer le négatif, avoir une fiscalité incitative afin d'encourager des modes de production et de consommation vertueux. La taxation est un instrument de recette mais aussi de régulation. Au lieu de pénaliser le travail, nous pourrions réguler là où c'est nécessaire.
La faiblesse et les effets pervers du marché carbone sont connus. Il ne concerne que 40% des émissions de gaz à effet de serre, issus de l'industrie lourde. Nous avons pourtant besoin d'un prix du carbone qui s'applique à tous les secteurs économiques. Il devra jouer un rôle de cliquet anti-retour pour contrebalancer l'évolution erratique du prix du pétrole.
L'Union européenne a fait beaucoup, mais les questions écologiques ne font pas l'unanimité. Compte tenu de l'état d'esprit d'un certain nombre de pays de l'Est, nous ne devons pas nous attendre à de grandes avancées. Cela n'empêche pas des groupes de pays de prendre des initiatives. La France, qui a le courage d'accueillir la COP21, n'est guère soutenue par la chef de la diplomatie européenne - nous connaissions mieux avec la précédente Commission sur les questions du climat.
Les pays à cibler en priorité sont les États-Unis, la Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie, l'Arabie saoudite, le Mexique, ainsi que l'Egypte et l'Afrique du Sud pour l'Afrique, la Malaisie pour les like minded developing countries, les Maldives pour l'AOSIS (alliance of small island states), l'Angola pour les pays les moins avancés, le Venezuela et Cuba aussi.
La Chine montre qu'elle est disposée à agir contre la pollution, doit-on la froisser en évoquant le Tibet ? Nous marchons sur une corde raide. Le Tibet subit de plein fouet les effets du changement climatique, nous ne pouvons l'abandonner mais peut-être pouvons-nous, sans être silencieux sur la cause tibétaine, scinder les problèmes - culturels, climatiques - plutôt que les aborder tous de front ?