Notre institut, qui travaille à rechercher des solutions aux problématiques soulevées par les pouvoirs publics, privilégie une approche interdisciplinaire. Tel est le cas en ce qui concerne la problématique de la qualité de l'air, sur laquelle nous travaillons depuis de nombreuses années, de même que sur les gaz à effet de serre. Afin de prendre en compte tous les enjeux qu'engage une telle problématique, nos équipes réunissent des scientifiques spécialisés dans l'atmosphère et les écosystèmes, mais aussi des spécialistes dans le champ de l'économie, des technologies, de l'énergie, de l'agriculture, de la santé, qui travaillent ensemble à rechercher des solutions financièrement soutenables pour améliorer la qualité de l'air et réduire les émissions de gaz à effets de serre.
Nous travaillons en collaboration avec de nombreux partenaires institutionnels à travers le monde. En France, par exemple, nous collaborons depuis trente ans avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) sur la modélisation de la dispersion atmosphérique, ainsi qu'avec le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), partenaire clé pour l'évaluation des technologies de contrôle des émissions de polluants.
L'une des réussites marquantes, ces dernières années, de notre coopération avec l'Ineris, et qui a contribué à infléchir les politiques européennes en matière de gestion de la qualité de l'air, est le travail commun que nous avons mené, avec quelques autres institutions, pour tenter de comprendre et de quantifier la dispersion des polluants dans l'atmosphère sur le continent européen. Nous avons ainsi développé une méthodologie destinée à identifier les sources des particules fines, dites PM2.5 - inférieures à 2,5 micromètres -, dont les spécialistes s'accordent à souligner l'impact négatif sur la santé. Grâce à une approche très locale, via 2 000 sites de contrôle, nous parvenons à identifier les sources d'émission et à mesurer, de là, la dispersion à long terme. Alors que la plupart des politiques mises en oeuvre jusqu'à présent partent du principe que ces particules ont un effet polluant localisé, notre étude montre que le problème se pose, au contraire, à large échelle. Les analyses chimiques menées via nos systèmes de contrôle font apparaître que 10 % à 15 % seulement de ces particules ont une origine locale. A l'échelle d'une ville, on peut considérer qu'un tiers vient de la ville elle-même, tandis que les deux tiers viennent d'ailleurs. A l'échelle d'un pays comme la France, on peut considérer qu'un tiers des particules vient de sources d'émission situées dans le pays mais hors des grandes villes, tandis qu'un autre tiers vient de l'extérieur. Ce constat n'est pas sans conséquence sur les politiques à mener. On ne saurait se contenter de gérer les émissions au niveau local : il faut retenir une approche allant au-delà des limites de la ville, et même du pays. Dans certaines zones, 60 % des polluants viennent d'autres pays. C'est là un point déterminant pour définir les réponses propres à réduire l'exposition de la population aux polluants, et qui devrait modifier l'approche de la Commission européenne.
Les particules fines proviennent de diverses sources d'émission. Le trafic automobile est souvent montré du doigt, mais nos analyses ont fait apparaître qu'il ne contribue qu'à hauteur de 20 % à 30 % à leur concentration. Dans beaucoup de pays européens, un tiers des émissions est imputable aux systèmes domestiques de chauffage au bois ou au charbon, tandis que 30 % à 40 % sont des particules inorganiques secondaires produites à partir des émissions d'ammonium de l'agriculture. Une pollution aux sources multiples, donc, qui pose des défis multiples. Alors que l'on se focalise sur le trafic automobile, le fait est que 60 % à 80 % des émissions viennent d'autres sources. Telle est la contribution que grâce à notre collaboration avec l'Ineris, nous avons pu apporter à la réflexion.
Nous travaillons également avec le Citepa, qui nous fournit, pour la France, des projections en matière énergétique qui nous permettent d'analyser le potentiel de réduction des émissions. Le Citepa travaille également avec un groupe d'experts à l'échelle européenne, pour une analyse systématique des technologies via une interface de contact avec l'ensemble des industriels.
L'Iiasa s'emploie à rechercher des solutions financièrement soutenables pour améliorer la qualité de l'air. Nous sommes attentifs au coût des solutions à proposer pour parvenir aux objectifs de réduction fixés par les pouvoirs publics. Après avoir identifié l'ensemble des sources d'émissions - trafic automobile, habitat, secteur industriel, agriculture -, nous dressons un inventaire détaillé des mesures susceptibles de réduire les émissions dans chaque secteur, et nous quantifions le coût de chacune d'entre elles, depuis l'investissement technologique jusqu'aux coûts d'exploitation qui sont ajustés pour chaque pays. Nous regardons l'impact des mesures prises, des mesures en cours et nous nous attachons particulièrement aux mesures susceptibles d'être prises au-delà des obligations européennes actuelles. Nous prenons également en compte les retombées positives que ces mesures peuvent induire, notamment en matière de santé publique.
Une mesure peut avoir un impact sur plusieurs polluants, aussi ne mesurons-nous pas son coût par polluant, mais globalement. Un pot catalytique, par exemple, permet de réduire à la fois les émissions d'oxydes d'azote et d'autres émissions, et de réduire ou d'augmenter les émissions de CO2. Nous analysons ainsi l'impact de chaque mesure à tous les niveaux, pour en identifier les retombées bénéfiques, qui sont souvent, pour une seule mesure, multiples.
Nous cherchons à identifier les mesures les moins coûteuses et qui ont le plus d'impact en matière de santé publique. Nous sommes à même de proposer, pour chaque pays, un portefeuille de mesures, en fondant nos analyses sur les objectifs environnementaux définis par les pouvoirs publics. L'objectif, pour l'Union européenne, est de réduire de 50 % l'impact de la pollution sur la santé. Par quelles mesures y parvenir au meilleur coût ? Telle est la question à laquelle nous nous employons à répondre. Sans pouvoir précisément quantifier en termes monétaires les retombées des mesures proposées, nous sommes en mesure de dire que le coût des investissements requis est compensé par leurs retombées économiques sur les secteurs industriels qui produiront les instruments destinés à la réduction des émissions, ainsi que par leurs retombées en matière de santé.
S'agissant de l'analyse de l'impact macroéconomique des mesures proposées, le Centre commun de recherche de l'Union européenne de Séville estime que les coûts à exposer pour mettre en oeuvre les mesures de contrôle des émissions récemment proposées par la Commission européenne s'élèveraient à 2 milliards, soit 1 % du budget de l'Union, qui ne représente lui-même que de 1 % du PIB de l'Union européenne. Il est vrai que cela modifierait les rapports de compétitivité entre les secteurs de production, les uns en ressortant gagnant, d'autres perdants, mais au total, l'impact sur la performance économique générale serait mineur.
Nous travaillons sur des modèles d'équilibre standard. Or, réduire de 50 % l'impact des émissions sur la santé, c'est faire reculer la mortalité, mais aussi la morbidité. Les gens vivront plus longtemps, mais ils seront aussi plus productifs au travail. Une population en meilleure santé est une population qui travaille mieux et plus. Cela fait partie des bénéfices économiques. On voit, au total, que les bénéfices nets de telles politiques sont clairement supérieurs à leurs coûts.