Intervention de Gérard Larcher

Réunion du 7 avril 2015 à 9h30
Réception solennelle de s.e. m. béji caïd essebsi président de la république tunisienne

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher, président du Sénat :

La constitution tunisienne a également ouvert la voie à une série d’élections, l’élection législative d’octobre 2014, l’élection présidentielle, qui s’est déroulée pour la première fois au suffrage universel direct et a donné lieu à votre victoire, monsieur le président : c’était le 21 décembre dernier ! La communauté internationale dans son ensemble a salué la transparence et la régularité de ces scrutins. La transition politique de la Tunisie, qui aura duré quatre ans, s’est achevée au moment où votre présidence s’est ouverte.

Le rappel linéaire de ces étapes peut donner une impression de marche lente et continue vers la démocratie : ce serait oublier les débats, les tensions, le risque de réactions, le cadre régional, profondément instable, qui les ont accompagnées.

Ces chausse-trappes dans lesquelles votre pays n’est pas tombé font d’autant plus ressortir le sens des responsabilités de ses dirigeants dans leur diversité. Vous avez été l’un des acteurs les plus engagés dans le succès de la transition. Vous étiez Premier ministre, et vous m’aviez rendu visite en mai 2011, ici au Sénat, lorsqu’il s’est agi d’élire l’Assemblée nationale constituante tunisienne en octobre 2011. Monsieur le président de la République, vous incarnez, par votre expérience de la vie politique, le lien entre la Tunisie d’aujourd’hui et les idéaux qui ont inspiré la construction de l’État tunisien moderne, après l’indépendance : le statut personnel, la place accordée à l’islam dans la société, la conviction que le développement repose sur la généralisation de l’enseignement, une certaine conception de la Nation.

Il est probable que, sans ce terreau fertile hérité du passé, la Tunisie n’aurait pas surmonté les quatre années de transition avec les mêmes résultats.

Monsieur le président de la République, en Tunisie, en France, mais aussi bien au-delà du pourtour méditerranéen ou de l’Europe, le terrorisme continue de frapper.

C’était encore le cas le 2 avril dernier, au Kenya. La Tunisie et la France ont chacune payé, à quelques semaines d’intervalle, un lourd tribut au terrorisme. À Paris comme à Tunis, des familles ont été endeuillées : permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour Yoav Hattab, tué lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher à Paris, le 9 janvier, et dont la famille est de Tunis, ainsi que pour l’ensemble des victimes assassinées au musée du Bardo à Tunis, le 18 mars dernier.

L’émotion collective a constitué une première réponse au terrorisme. Il y aura un « avant » et un « après » les marches de Paris et de Tunis, ces marches qui se répondent, tel un écho, de part et d’autre de la Méditerranée : nous sommes tous des cibles potentielles, Français, Tunisiens, quelle que soit notre nationalité ; nous sommes tous des cibles potentielles, juifs, chrétiens, musulmans, non-croyants, quelle que soit notre conviction. Ce n’est pas faire preuve d’angélisme que de l’affirmer, mais c’est faire face à la réalité : Daech, Al-Qaïda et d’autres encore auront démontré, si cela était nécessaire, que leurs victimes n’ont ni nationalité ni religion.

Bien évidemment, la réponse au terrorisme doit être sécuritaire : je sais que les autorités gouvernementales de nos deux pays travaillent en ce sens. Mais en Tunisie comme en France, des jeunes répondent à la tentation djihadiste et se radicalisent.

Il faut combattre la radicalisation et continuer à se mobiliser pour défendre les valeurs de la démocratie. Vous l’avez déclaré, « la Tunisie est un pays musulman, pas islamiste ».

Monsieur le président de la République, le temps me paraît venu d’un partenariat plus ambitieux entre la France et la Tunisie, afin d’être à la hauteur des enjeux et de la confiance qui nous lient.

Le Sénat est prêt à accomplir sa part du chemin. Je l’ai évoqué avec vous, monsieur le président Essebsi, et je le répéterai au président de l’Assemblée des représentants du peuple de Tunisie : en matière de décentralisation, en matière de coopération décentralisée, le Sénat français, assemblée des territoires, dispose d’une expertise spécifique dans les institutions de la République.

J’ai donc proposé que nous puissions travailler ensemble à un nouvel accord de coopération entre nos parlements.

Un partenariat plus ambitieux, aussi, est indispensable dans le domaine de l’économie : « il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu », avez-vous dit avec raison, citant Saint Thomas d’Aquin. Je forme des vœux pour que votre visite permette de progresser sur les dossiers bilatéraux.

Dans l’exercice de leurs fonctions de contrôle, les sénateurs veilleront à ce qu’un juste équilibre soit maintenu en faveur des aides destinées au sud de la Méditerranée, et donc à la Tunisie, dans le cadre de la politique européenne de voisinage.

Notre partenariat doit être plus ambitieux, enfin, en matière d’éducation. La Tunisie et la France ont la francophonie en partage, qui est porteuse de valeurs et d’une conception de la vie en société. Je sais, monsieur le président de la République, les efforts que vous accomplissez pour maintenir la place du français dans le système éducatif. Je souhaite que nous puissions vous aider à cet égard.

L’éducation est l’une des clefs d’une stratégie globale de réponse au terrorisme. Évitons les tracasseries administratives : les étudiants tunisiens sont les bienvenus en France. Renforçons notre coopération pour « élever les défenses de la paix dans l’esprit des hommes », comme le proclame le préambule de la Charte de l’UNESCO. Les sénateurs ici présents sont très nombreux, et c’est un signe d’amitié et de respect envers vous, monsieur le président de la République, comme envers la Tunisie. Chacun d’entre eux, comme je le fais à cet instant, aura à cœur de porter un message de confiance à l’égard de votre pays. Je le dis à nos compatriotes : renoncer à un déplacement touristique prévu en Tunisie, c’est quelque part céder à la pression terroriste, qui n’a pas de frontière ; c’est laisser le terrorisme envahir notre propre vie.

Monsieur le président de la République, de nouveau, soyez le bienvenu au Sénat de la République française, vous qui venez de l’autre rive de la Méditerranée, en voisin et en ami, porteur de valeurs qui nous sont si proches et que nous comprenons.

Depuis l’Antiquité, la Méditerranée n’a jamais constitué un obstacle à nos échanges. Et nous avons tant de moments d’histoire commune ! Moments heureux, parfois douloureux, mais qui ont au fond contribué à construire cette amitié si profonde.

Vive la Tunisie ! Vive la France ! Vive l’amitié franco-tunisienne !

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