Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement a trait à l’organisation de nos travaux.
Était-il possible d’examiner sereinement un projet de loi comme celui dont nous débutons aujourd’hui la discussion en séance publique ?
Dans un premier temps, nous nous étions dit que les semaines allant du 14 février – date de l’adoption des derniers articles à l’Assemblée nationale – à ce mardi 7 avril pourraient être mises à profit pour étudier sereinement un texte qui, en son état initial, comprenait déjà 106 articles, soit un nombre assez important, mais encore « gérable ». Le problème, c’est que ce nombre a été porté à 209 par la commission spéciale de l’Assemblée nationale, puis à 295 en séance publique.
Ce qui était un texte pléthorique est devenu tout bonnement un monstre juridique, un texte instable, instable comme un terrain argileux où le Parlement risque fort de s’embourber.
Les quelques semaines de délai dont nous disposions au Sénat pour étudier ce projet se sont immédiatement avérées bien trop courtes.
Votre projet, monsieur le ministre de l’économie, aborde maintenant des dizaines de thèmes différents, et chacun aurait pu justifier un texte particulier. La commission spéciale du Sénat a reconnu d’emblée ce caractère hétéroclite.
Rappelons en effet que ce projet de loi traite de points aussi divers que le travail dominical, le permis de conduire, le logement, la libéralisation du transport par car, la méthode de privatisation, trois privatisations importantes, la filialisation des CHU, la simplification de la comptabilité des entreprises, les tribunaux de commerce, qui font l’objet d’une réforme non négligeable, le fonctionnement des conseils de prud’hommes, l’urbanisme commercial, les professions réglementées, le canal Seine-Nord – cher à notre cœur –, les obligations d’emploi de travailleurs handicapés, le droit de licenciement, auquel sont apportées de substantielles modifications, l’évolution de la profession de taxi, l’organisation des concessions d’autoroutes… À cette liste loin d’être exhaustive la commission spéciale du Sénat a encore ajouté les seuils sociaux, le compte pénibilité et, cerise sur le gâteau, l’ouverture à la concurrence des TER.
Certains vieux « routiers » du Parlement évoquent les DDOEF de jadis, ces textes portant diverses dispositions d’ordre économique et financier qu’on a beaucoup vus dans les années 1980 et 1990.
En fait, ce projet de loi n’a rien à voir avec ces pratiques anciennes. De l’avis même du Gouvernement – et cela a été martelé par vous-même monsieur le ministre –, il s’agit d’un texte parfaitement idéologique. Il doit, selon vous, permettre d’adapter la France à la mondialisation libérale, le meilleur moyen étant de la déréguler à outrance.
Pourquoi le choix d’un texte aussi massif et disparate ? Selon nous, pour deux raisons. D’abord, il s’agit de brouiller les pistes : qui peut en effet s’y retrouver dans ce capharnaüm juridique ? Ensuite, il s’agit de souligner la cohérence d’un texte qui démontre que le libéralisme est une conception susceptible de s’appliquer dans tous les secteurs de la société.
À cette cohérence libérale, nous opposerons tout au long de cette discussion, une cohérence sociale
Alors, monsieur le président, permettez-moi de vous poser cette question : vous qui avez à cœur la rénovation du travail parlementaire, estimez-vous acceptable d’examiner dans ces conditions un texte d’une telle ampleur ?
Je l’ai dit, nous ne disposions que de quelques semaines pour étudier un texte passé de 106 à 295 articles. Mais nous n’avons disposé que de six jours, week-end compris, pour examiner le texte modifié en commission spéciale par 347 amendements.
Le rapport, dont les deux premiers tomes comptent quelque 1 200 pages, ne fut disponible qu’en début de semaine dernière, alors que le délai limite de dépôt des amendements était fixé au jeudi 2 avril. On peut parler de complète précipitation eu égard à la longueur du texte et à l’extrême variété des sujets évoqués.
Par ailleurs, monsieur le président, acceptez-vous que le Gouvernement impose au Sénat de débattre dans un délai de deux semaines, tandis que l’Assemblée nationale, dans le cadre d’un temps programmé assoupli, mais d’un temps programmé quand même, a débattu pendant trois semaines ?
Nous avons 1 660 amendements à examiner – dont plus de 100 déposés par le Gouvernement –, alors que le travail a été pour le moins hâtif en commission spéciale, ce qui nécessitera du temps en séance publique pour y voir plus clair.
Ne croyez-vous pas qu’il faudrait au plus vite faire le point, avant même la discussion des articles, pour tenter d’expliquer au Gouvernement que débattre dans de telles conditions n’est pas tout à fait démocratique et donne à l’exécutif une forme de pleins pouvoirs législatifs ?