La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.
La séance est reprise.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, je tiens à vous remercier très vivement des mots que vous avez prononcés tout à l’heure à la suite du décès tragique de notre collègue et ami Jean Germain.
Applaudissements.
Rien ne peut justifier la mort d’un homme, mais nous devons respecter le choix de Jean Germain.
Lorsqu’il siégeait dans l’hémicycle, il intervenait avec parcimonie, mais il écrivait et travaillait beaucoup, vous l’avez dit, monsieur le président. Nous qui l’avons connu savons qu’il était en effet un travailleur infatigable et, je le crois, un exemple pour tous.
Aujourd’hui, nous sommes abattus par cette nouvelle. Néanmoins, monsieur le président, je voulais, en mon nom personnel, au nom du groupe socialiste, ainsi que, je pense pouvoir le dire, au nom de l’ensemble des sénateurs et sénatrices, saluer l’acte fort, républicain et chaleureux par lequel vous avez rendu hommage à Jean Germain.
Applaudissements.
Croyez bien, monsieur le président du groupe socialiste, que mes mots venaient du cœur.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (projet n° 300, texte de la commission n° 371, rapport n° 370, tomes I, II et III).
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement a trait à l’organisation de nos travaux.
Était-il possible d’examiner sereinement un projet de loi comme celui dont nous débutons aujourd’hui la discussion en séance publique ?
Dans un premier temps, nous nous étions dit que les semaines allant du 14 février – date de l’adoption des derniers articles à l’Assemblée nationale – à ce mardi 7 avril pourraient être mises à profit pour étudier sereinement un texte qui, en son état initial, comprenait déjà 106 articles, soit un nombre assez important, mais encore « gérable ». Le problème, c’est que ce nombre a été porté à 209 par la commission spéciale de l’Assemblée nationale, puis à 295 en séance publique.
Ce qui était un texte pléthorique est devenu tout bonnement un monstre juridique, un texte instable, instable comme un terrain argileux où le Parlement risque fort de s’embourber.
Les quelques semaines de délai dont nous disposions au Sénat pour étudier ce projet se sont immédiatement avérées bien trop courtes.
Votre projet, monsieur le ministre de l’économie, aborde maintenant des dizaines de thèmes différents, et chacun aurait pu justifier un texte particulier. La commission spéciale du Sénat a reconnu d’emblée ce caractère hétéroclite.
Rappelons en effet que ce projet de loi traite de points aussi divers que le travail dominical, le permis de conduire, le logement, la libéralisation du transport par car, la méthode de privatisation, trois privatisations importantes, la filialisation des CHU, la simplification de la comptabilité des entreprises, les tribunaux de commerce, qui font l’objet d’une réforme non négligeable, le fonctionnement des conseils de prud’hommes, l’urbanisme commercial, les professions réglementées, le canal Seine-Nord – cher à notre cœur –, les obligations d’emploi de travailleurs handicapés, le droit de licenciement, auquel sont apportées de substantielles modifications, l’évolution de la profession de taxi, l’organisation des concessions d’autoroutes… À cette liste loin d’être exhaustive la commission spéciale du Sénat a encore ajouté les seuils sociaux, le compte pénibilité et, cerise sur le gâteau, l’ouverture à la concurrence des TER.
Certains vieux « routiers » du Parlement évoquent les DDOEF de jadis, ces textes portant diverses dispositions d’ordre économique et financier qu’on a beaucoup vus dans les années 1980 et 1990.
En fait, ce projet de loi n’a rien à voir avec ces pratiques anciennes. De l’avis même du Gouvernement – et cela a été martelé par vous-même monsieur le ministre –, il s’agit d’un texte parfaitement idéologique. Il doit, selon vous, permettre d’adapter la France à la mondialisation libérale, le meilleur moyen étant de la déréguler à outrance.
Pourquoi le choix d’un texte aussi massif et disparate ? Selon nous, pour deux raisons. D’abord, il s’agit de brouiller les pistes : qui peut en effet s’y retrouver dans ce capharnaüm juridique ? Ensuite, il s’agit de souligner la cohérence d’un texte qui démontre que le libéralisme est une conception susceptible de s’appliquer dans tous les secteurs de la société.
À cette cohérence libérale, nous opposerons tout au long de cette discussion, une cohérence sociale
Alors, monsieur le président, permettez-moi de vous poser cette question : vous qui avez à cœur la rénovation du travail parlementaire, estimez-vous acceptable d’examiner dans ces conditions un texte d’une telle ampleur ?
Je l’ai dit, nous ne disposions que de quelques semaines pour étudier un texte passé de 106 à 295 articles. Mais nous n’avons disposé que de six jours, week-end compris, pour examiner le texte modifié en commission spéciale par 347 amendements.
Le rapport, dont les deux premiers tomes comptent quelque 1 200 pages, ne fut disponible qu’en début de semaine dernière, alors que le délai limite de dépôt des amendements était fixé au jeudi 2 avril. On peut parler de complète précipitation eu égard à la longueur du texte et à l’extrême variété des sujets évoqués.
Par ailleurs, monsieur le président, acceptez-vous que le Gouvernement impose au Sénat de débattre dans un délai de deux semaines, tandis que l’Assemblée nationale, dans le cadre d’un temps programmé assoupli, mais d’un temps programmé quand même, a débattu pendant trois semaines ?
Nous avons 1 660 amendements à examiner – dont plus de 100 déposés par le Gouvernement –, alors que le travail a été pour le moins hâtif en commission spéciale, ce qui nécessitera du temps en séance publique pour y voir plus clair.
Ne croyez-vous pas qu’il faudrait au plus vite faire le point, avant même la discussion des articles, pour tenter d’expliquer au Gouvernement que débattre dans de telles conditions n’est pas tout à fait démocratique et donne à l’exécutif une forme de pleins pouvoirs législatifs ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l’article16 de celui-ci et a, lui aussi, trait à l’organisation de nos travaux.
Je souhaite revenir plus particulièrement sur le travail de la commission spéciale.
Premièrement, j’estime qu’un texte de cette ampleur aurait dû mobiliser l’ensemble des commissions, pour permettre au plus grand nombre de sénateurs de pouvoir travailler en amont, débattre et défendre des amendements.
La constitution d’une commission spéciale a été décidée le 14 décembre dernier, quand le projet de loi ne comportait que 106 articles et était examiné par la commission spéciale de l’Assemblée nationale. La prudence aurait nécessité d’attendre avant de déterminer la nature de la structure qui serait chargée de préparer le débat en séance publique.
De plus, pour une raison qui échappe à beaucoup, si huit rapporteurs ont été désignés à l’Assemblée nationale, le travail a été concentré au Sénat sur trois rapporteurs.
Alors que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale ne fut transmis au Sénat que le 19 février, que les assemblées ont suspendu leurs travaux du 23 au 27 février, que la campagne pour les élections départementales, dont les enjeux sont devenus nationaux, mobilisait les énergies de tous, la première date limite de dépôt d’amendements sur près de deux tiers des articles fut fixée au jeudi 12 mars. Il était quasiment impossible aux groupes politiques, et en particulier aux groupes de faible effectif, de réaliser un travail d’analyse et de proposition. Dans ces conditions, mon groupe s’est contenté de déposer, à cette occasion, des amendements de suppression.
Monsieur le président, vous cherchez à promouvoir une attitude constructive du Sénat sur ce texte, mais cette précipitation ne peut permettre de rapprocher les points de vue, bien au contraire.
Ce projet de loi, mes chers collègues, est une démonstration par l’absurde de la raison essentielle des difficultés du travail parlementaire : l’inflation législative. La pression normative en général et la politique de l’affichage par le vote de lois de circonstances provoquent une effervescence du travail législatif nuisible à sa qualité.
Combien de centaines de dispositions comprises dans ce projet de loi seront-elles transcrites réellement dans le droit ?
Comment ne pas s’arrêter un instant sur l’excroissance des ordonnances ? Cette pratique qui, selon les auteurs de la Constitution de 1958, devait être exceptionnelle devient monnaie courante. Le Président de la République, pourtant garant du bon fonctionnement des institutions, a lui-même demandé une multiplication des habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance. La connotation monarchique des ordonnances, par référence aux ordonnances royales, souligne le caractère très peu démocratique de cette méthode législative puisque les ratifications sont soumises au Parlement de manière tout à fait formelle.
Sachant que ce texte compte 254 articles à l’issue des travaux de la commission spéciale du Sénat et que, malgré le nettoyage effectué, il recèle encore très nombreuses habilitations à légiférer par ordonnance, comment considérer, mes chers collègues, que nous allons pouvoir débattre sérieusement ? N’est-ce pas un blanc-seing au Gouvernement et à la technostructure que nous sommes invités à donner ?
Enfin, cette précipitation a nui aux auditions effectuées par la commission spéciale. Alors que les rapporteurs ont beaucoup consulté, la commission n’a procédé qu’à de rares auditions en séance plénière. Les organisations professionnelles, par exemple, n’ont pas été auditionnées. Est-ce acceptable sur un texte comme celui-ci ? J’estime que, si des difficultés apparaissent au cours des débats, il faudra renvoyer le texte à la commission pour qu’elle puisse enfin conduire des auditions en séance plénière.
Monsieur le président, il serait appréciable que soit arrêtée dès à présent la règle d’un débat sérieux et approfondi, impliquant le refus de travailler dans la précipitation, ce qui va nous conduire à siéger la nuit et même le samedi, afin que le plus grand nombre d’entre nous soient en mesure d’assister aux débats.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Mes chers collègues, avant que commence la discussion générale et pour faire suite à ces deux rappels au règlement, je voudrais vous inviter à un temps de méditation.
Jamais, depuis 1998, le Sénat n’a eu à examiner autant d’amendements sur un même texte. Monsieur le ministre, le fascicule contenant le projet de loi en l’état représente 228 pages. Il m’a semblé entendre le Président de la République appeler de ses vœux des textes législatifs plus légers, plus toniques. Or, pour ce qui est du projet de loi relatif à la santé, nous en sommes pour le moment à 171 pages…
Je veux saluer le travail très important réalisé par la commission spéciale, remercier son président et ses trois corapporteurs, ainsi que tous ses membres. Ce travail peut être résumé en quelques chiffres : 104 auditions, 218 contributions extérieures, 26 heures de réunions destinées à examiner les 1 000 amendements déposés en commission.
Demain, la conférence des présidents devra se pencher sur le déroulement de nos travaux. Il nous faudra débattre, avec les présidents de groupe, le président de la commission spéciale et tous les autres membres de la conférence des présidents, de la meilleure manière de mener cette discussion à terme.
Vous le savez, monsieur le ministre, vendredi, j’ai écrit au Premier ministre. Il m’est en effet apparu que le dépôt au dernier moment, par le Gouvernement, de quelque 170 amendements, dont certains tendent à récrire entièrement des articles, ne me semblait pas une bonne manière de travailler ni de respecter le bicamérisme. Nous avons mis la fin de la semaine dernière à profit pour avoir des échanges. Je sais que vous-même, monsieur le ministre, avez rencontré le président de la commission spéciale. Le Gouvernement a, ainsi, finalement renoncé à un certain nombre d’amendements.
Je me permets néanmoins d’insister sur le fait que, s’agissant des méthodes de travail, celles du Sénat ne sont pas seules en cause : en l’occurrence, celles du Gouvernement le sont peut-être aussi.
J’appelle donc chacune et chacun à réfléchir, d’ici à la conférence des présidents de demain, à ce qui pourrait nous permettre d’atteindre notre objectif. Car, ne l’oublions pas, c’est dans l’intérêt de notre pays que nous devons élaborer le meilleur texte possible, à l’heure où il nous faut impérativement répondre, en particulier, aux défis du chômage et de la compétitivité de nos entreprises.
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Avant toute chose, je veux à mon tour exprimer l’émotion du Gouvernement après la disparition de Jean Germain. L’homme nous manquera, assurément, et je m’associe bien évidemment aux propos tenus par Didier Guillaume, ainsi qu’aux belles paroles prononcées par Gérard Larcher.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui est un texte d’ambition. En effet, c’est l’ambition des Français qui nous oblige à réformer avec ambition. Je parle de l’ambition que les Français ont pour eux-mêmes, pour leur famille, pour leurs enfants et pour leur pays, car cette ambition est le plus grand de nos atouts collectifs. Elle nous interdit de rester sans rien faire ou d’abandonner les unes après les autres les réformes que nous voulons porter au motif que le combat ne vaudrait pas la peine d’être mené.
Cette ambition, que l’on retrouve chez tous ceux que nous rencontrons au quotidien et qui dépasse nombre de nos débats politiques, est légitime : elle n’est rien d’autre que la volonté ardente de retrouver une fierté, d’avancer et de s’en sortir. Cette ambition est partagée par tous ceux qui souffrent de la faiblesse de notre économie, tous ceux qui ont été affaiblis par des années de crise, tous ceux qui ne demandent rien d’autre que de pouvoir se battre pour retrouver des perspectives.
Cette ambition de créer, d’investir, d’entreprendre et de travailler, nous devrions l’épauler, la renforcer. Or, aujourd’hui, elle est trop souvent bridée dans notre pays : la défiance, la complexité, les corporatismes l’empêchent de se déployer. La libérer, lui permettre de se réaliser, c’est l’unique moyen de débloquer notre économie, de la débloquer fort, de la débloquer vite et de la débloquer pour longtemps.
Les responsables politiques, les pouvoirs publics, le Parlement, le Gouvernement, nous avons tous une responsabilité. C’est pourquoi nous avons le devoir de répondre à ces attentes. Nous avons l’obligation de nous battre pour ceux qui se battent, d’avoir de l’ambition pour ceux qui ont de l’ambition, de défendre tous ceux qui ont l’énergie pour avancer, mais aussi ceux à qui elle fait défaut.
Depuis le début de l’année 2015, une nouvelle donne économique nous permet d’avoir des premiers résultats, qui tiennent non seulement à l’amélioration de la situation macroéconomique, mais aussi aux efforts accomplis par le Gouvernement ; je pense au CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou au pacte de responsabilité et de solidarité. Cette nouvelle donne, loin d’être un quitus, un prétexte à l’inaction, doit être un aiguillon pour continuer le travail. Elle doit nous encourager à réformer sans relâche, afin que nous soyons à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Chaque jour, nous constatons qu’il y a encore trop d’incertitudes, des marges trop faibles et trop peu de créations d’emplois dans notre pays. La reprise reste fragile, et nous devons collectivement tout faire pour la consolider. Tel est précisément l’objet du texte que je vous présente aujourd’hui.
Ce texte a d’abord été préparé par le Gouvernement tout au long de l’automne dernier, en concertation avec toutes les parties concernées. Il a ensuite été enrichi en profondeur par le travail de vos collègues à l’Assemblée nationale, en commission comme en séance – vous faisiez état à l’instant, monsieur le président, du volume de ce texte, mais c’est aussi le résultat de sa coproduction parlementaire. Les chiffres sont là, factuels, objectifs : il y a eu 82 heures de débat en commission, 111 heures en séance ; au total, 495 amendements ont été adoptés en commission et 559 en séance. Je ne vois pas là le signe d’un évitement du débat parlementaire. Aucune entrave n’a, me semble-t-il, été posée au bon déroulement des travaux législatifs, et j’espère que le débat au Sénat sera aussi constructif que celui qui s’est tenu à l’Assemblée nationale, où ce ne sont pas seulement des amendements de la majorité qui ont été adoptés, mais bien des amendements émanant de tous les bords politiques. À cet égard, l’usage de l’article 49-3 était un acte de responsabilité, au moment où notre économie est en état d’urgence et où des mesures sont attendues par nos concitoyens.
Le résultat est là : le texte qui a été soumis à la commission spéciale du Sénat dirigée par Vincent Capo-Canellas, que je tiens à remercier, est bien meilleur que celui que nous avions originellement proposé à l’Assemblée nationale.
Il a profité du caractère contradictoire des débats et a été enrichi par des mesures concrètes. Il lève davantage de blocages, comme sur le permis de conduire. Il va vers plus d’efficacité économique, plus de simplicité au quotidien et plus de justice, comme sur le référentiel qui aidera les juges prud’homaux à fixer les indemnités. Il s’applique aussi à donner plus de droits réels et à offrir plus d’opportunités à nos concitoyens.
C’est précisément la philosophie de ce texte que de s’attacher en priorité à recréer des droits réels et à revisiter certains formalismes du droit derrière lesquels il est trop facile de se réfugier. Il vise aussi à rejeter une alternative simpliste : défendre le formalisme du droit existant ou, au contraire, tout libéraliser, qui peut également conduire à une forme d’immobilisme. Il existe selon nous une réponse intermédiaire, qui consiste à revisiter la réalité du quotidien de nos concitoyens en cherchant à récréer concrètement des droits réels et à redonner sa place à chaque acteur.
L’examen du projet de loi au Sénat est un moment décisif du processus parlementaire. Ensemble, fixons-nous trois exigences pour nos échanges à venir : enrichir le texte, l’améliorer et débattre.
La première exigence, c’est d’enrichir le texte en lui permettant d’être le vecteur de nouvelles réformes de structure, tout en conservant sa philosophie, à savoir aller vers plus de justice et plus d’efficacité. Je pense par exemple à la modernisation des chambres de commerce et d’industrie. Je pense également à des dispositions qui n’étaient pas initialement présentes dans le projet de loi. Au cours des discussions que j’ai pu avoir avec nombre d’entre vous ces dernières semaines, j’ai pu mesurer que l’équilibre de nos territoires était peut-être insuffisamment pris en compte. Nous pourrons donc collectivement essayer de créer plus d’unité, plus d’égalité et plus d’équilibre dans nos territoires. La modernisation de notre économie passe aussi par le renforcement de cet équilibre. Il me semble donc que, sur le numérique ou d’autres points, il est possible d’enrichir ce texte dans le bon sens.
La deuxième exigence, c’est précisément d’améliorer le texte, de parfaire ce qu’il contient déjà. Je pense notamment au sujet des autoroutes, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir et pour lequel je vous propose que nous traduisions dans la loi les conclusions du groupe de travail transpartisan auquel nombre d’entre vous ont participé. Je souhaite aussi que l’examen de ce texte soit l’occasion d’avancer sur des enjeux importants comme celui relatif à la constitution de structures d’exercice interprofessionnelle associant des professions juridiques entre elles et des professions juridiques et du chiffre ou à celui concernant l’injonction structurelle ou les contrats de franchise dans les secteurs du commerce de détail.
Enfin, la troisième exigence est celle du débat. Dès aujourd’hui, nous devons engager ensemble des discussions sur des réformes capitales. J’ai en particulier à l’esprit les accords de maintien de l’emploi, ainsi que le droit d’information préalable des salariés. Je sais que vous allez aborder ces sujets lors de nos discussions. Je vous précise que, sur ces deux points, aucun amendement ne pourra obtenir l’avis favorable du Gouvernement, car il y a une articulation des temps à respecter. Les discussions sont en cours avec les partenaires sociaux et un bilan sera établi d’ici à la fin du mois de mai. Il faut donc attendre que le temps de la négociation sociale soit terminé.
Enrichir, améliorer, débattre : voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les trois exigences que, pour ma part, je compte respecter. Cette volonté me semble partagée par la commission spéciale, qui a adopté 124 articles conformes et largement modifié et enrichi le texte. Soyez assurés que je répondrai sur le fond, point par point, et que je ne me lasserai jamais de tenter de vous convaincre de l’intérêt pour notre économie de chacune des mesures contenues dans ce texte, y compris celles qui n’ont pas emporté l’assentiment de la commission spéciale, comme la question des professions réglementées. Chacune de ces mesures est importante. Aussi ne doivent-elles pas être détournées, amoindries ou émoussées.
Je ne fixe pour ma part qu’une seule limite à ma volonté de débat permanent : ne pas être en deçà de l’ambition réformiste qui est la nôtre. Les 170 amendements de rétablissement déposés par le Gouvernement traduisent cet état d’esprit. J’insiste sur ce point de forme : ils ont été déposés dans les délais.
Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.
Comme vous le savez, le Gouvernement peut aussi déposer des amendements en séance, au dernier moment.
Sourires.
Ce n’est pas l’option que nous avons retenue. J’ai refusé l’hypocrisie qui aurait consisté à ne pas chercher à rétablir en séance publique les articles supprimés par la commission spéciale du Sénat et à attendre le retour du texte à l’Assemblée nationale. Ce faisant, je fais peut-être preuve de naïveté ou d’inexpérience, mais c’est, me semble-t-il, une question d’honnêteté. Oui, je crois au débat parlementaire plein et entier, à l’Assemblée nationale comme au Sénat ! Je considère ainsi qu’il est de mon devoir de défendre des articles qui me semblent indispensables à l’équilibre du texte.
M. Emmanuel Macron, ministre. Les amendements que le Gouvernement a déposés procèdent du souci de préserver l’ambition du texte ; j’ai toutefois décidé de retirer ce matin une cinquantaine d’amendements qui me paraissaient inutiles.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Il serait regrettable de revenir sur la réforme des professions réglementées, du transport par autocar, du permis de conduire – beaucoup de nos jeunes l’attendent – ou de la simplification des procédures pour les grands projets. Réduire l’ambition, ce serait en quelque sorte accepter de ne pas être au rendez-vous. Mon état d’esprit, à l’ouverture de cette discussion, est celui d’une ambition commune, mais nous ne pourrons pas construire de bons accords aux dépens des ambitions du Gouvernement.
Je ne considère le Sénat ni comme une chambre d’enregistrement ni comme une chambre de rejet, mais comme une étape à part entière du débat démocratique. Nos discussions ne doivent pas nous empêcher de continuer à avancer, à réformer et à traduire en actes ces réformes, car nos concitoyens les attendent et les réclament. Pour ma part, je n’aurai qu’un seul objectif : l’intérêt général. Collectivement, utilement, avançons dans ce sens autour des trois axes du projet de loi : libérer, investir et travailler.
Libérer – c’est le premier pilier du texte –, c’est donner des accès à notre système, à certains emplois, à certains secteurs. La première égalité à restaurer, c’est l’égalité des opportunités.
L’ouverture concerne certains secteurs majeurs de notre économie. Le projet de loi prévoit notamment de réformer le secteur des autocars, que j’évoquais il y a un instant, afin de favoriser la mobilité. Aujourd'hui, il est impossible de se rendre à peu de frais où l’on veut – par exemple d’aller à Nantes depuis Bordeaux – autrement qu’en voiture ou en train. L’an dernier – je ne citerai que ce chiffre, pour qu’il soit présent dans les esprits –, seules 110 000 personnes ont voyagé en car en France, contre 8 millions en Allemagne et 30 millions au Royaume-Uni. En effet, notre droit pose une interdiction de principe : dans ce domaine, la liberté d’entreprendre est une dérogation.
La portée de la réforme a été – nous aurons l’occasion d’en discuter – quelque peu réduite par les travaux de la commission spéciale, qui a notamment relevé à 200 kilomètres le seuil en dessous duquel l’autorité organisatrice des transports pourra interdire les lignes d’autocars qui feraient concurrence aux services publics de transport, après avis simple de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières. Or il faut garder l’ambition de mobilité et de simplicité du projet initial. Il s’agit à la fois de favoriser la mobilité de nos concitoyens, en particulier des plus modestes, et de libérer la capacité à entreprendre et à créer de l’emploi dans un secteur important.
Favoriser la mobilité, cela concerne aussi le permis de conduire. La réforme engagée par le Gouvernement en juin 2014 a franchi une étape importante à l’Assemblée nationale. De nouveaux droits ont été reconnus et une organisation administrative de l’examen pratique et des cours dispensés en amont a été créée pour réduire à 45 jours – c’est la moyenne européenne – les délais d’attente, qui sont aujourd'hui de 98 jours en moyenne et atteignent 200 jours dans certaines régions.
La situation actuelle est une entrave à la mobilité sur le territoire, mais c’est surtout une entrave à l’accès à l’emploi – elle empêche certains de se déplacer pour répondre à une offre d’emploi ou pour travailler – et à la liberté de se distraire. C’est donc une véritable injustice. Réduire l’ambition de la réforme adoptée par l’Assemblée nationale, c’est retirer des chances, en rendant l’obtention du permis de conduire moins simple et moins rapide. Peut-être peut-on faire mieux encore ; je n’aspire qu’à être convaincu. On peut aller plus loin, mais on ne saurait aller moins loin, car le statu quo n’est pas satisfaisant.
Libérer l’activité, c’est également favoriser la concurrence et mieux réguler les situations de monopole. Certains secteurs de notre économie sont insuffisamment transparents, voire même capturés par quelques acteurs. Le projet de loi prévoit de renforcer la transparence à tous les niveaux. Il s’agit par exemple de s’assurer que les documents d’urbanisme ne soient pas trop restrictifs et de permettre un meilleur fonctionnement du marché de la distribution, en donnant des pouvoirs supplémentaires à l’Autorité de la concurrence ; nous aurons l’occasion de revenir sur cette injonction structurelle.
Renforcer la transparence, c’est aussi permettre à une autorité de régulation, ainsi qu’au Parlement, de mieux réguler les concessions autoroutières. S’il y a bien un domaine dans lequel nous avons échoué collectivement depuis dix ans, c’est celui-là : force est de constater que les concessions autoroutières n’ont pas été régulées de manière satisfaisante. Le projet de loi prévoit d’étendre les compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, à la régulation du secteur autoroutier et du transport régulier routier de personnes ; il s’agit des autocars, dont je viens de parler. L’ARAF deviendra ainsi l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER.
L’ARAFER aura pour mission d’appuyer l’État dans les négociations tarifaires avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Elle devra notamment garantir la meilleure prise en compte de l’intérêt des usagers dans le cadrage financier des investissements autoroutiers, un meilleur paramétrage des contrats de concession et une plus grande transparence dans les procédures de passation des marchés de travaux. C’est sur ce dernier point que nous avons tout particulièrement échoué. L’ARAFER sera dotée des pouvoirs d’investigation nécessaires au suivi des contrats. L’Assemblée nationale a également introduit une disposition prévoyant l’information du Parlement avant la conclusion des contrats. En outre, des clauses de bonne fortune devront obligatoirement être introduites dans le cadre d’une remise à plat des contrats pour les futures concessions.
Je tiens à saluer, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire ici même il y a quelques semaines, le rapport du groupe de travail parlementaire qui s’est réuni pendant près de deux mois afin de rendre une expertise sur le sujet. Dans la lignée du rapport, plusieurs amendements ont été déposés, notamment par Jean-Jacques Filleul, afin de renforcer la transparence des contrats et le pouvoir d’information et d’analyse de l’ARAFER.
Il est aussi proposé d’interdire pour l’avenir l’allongement systématique de la durée des concessions, qui avait été fortement critiqué tant par des parlementaires de tous bords que par les PME du secteur. Les plans de relance éventuels doivent être pleinement transparents vis-à-vis du Parlement et être soumis au plein contrôle, dans tous ses aspects économiques, de la nouvelle autorité de régulation.
Par ailleurs, le projet de loi a pour objectif de moderniser les professions du droit. Cet aspect a beaucoup fait parler de lui. La version du texte adoptée par votre commission spéciale indique que vous ne partagez pas l’approche que nous proposons pour atteindre cet objectif.
Je le regrette. D’autres approches ont été tentées par le passé, notamment dans le cadre de la réforme de 2009, mais elles ont échoué. Les professionnels n’ont en effet pas tenu leur engagement – ils l’ont eux-mêmes reconnu – de créer 3 000 à 4 000 postes pleins et entiers de notaires. Il faut dire qu’il n’y avait pas de mouvement spontané. D'ailleurs, oserais-je dire, s’il y avait un mouvement spontané, nous l’aurions collectivement constaté.
J’en viens aux grandes lignes de la réforme. La première est de ne pas toucher à ce qui fonctionne bien.
Les fondamentaux des professions du droit sont conservés. Par exemple, contrairement à ce qui a pu être décidé par le passé, nous n’allons pas revenir sur l’acte authentique des notaires. Il a pu être considéré que l’acte d’avocat pouvait être une bonne façon de le revisiter. Nous ne partageons pas ce point de vue. La sécurité juridique des missions de ces professionnels sera préservée dans son intégralité. Le maillage territorial, qui implique la présence de professionnels partout dans notre pays, est également un élément fondamental. Il est lui aussi préservé ; j’y reviendrai.
Certains éléments peuvent toutefois être améliorés. Le premier est l’accès aux professions du droit. Il existe actuellement des « déserts », des parties du territoire où nous manquons manifestement de notaires, d’huissiers, etc. En outre, les règles d’accès ne sont pas pleinement méritocratiques et manquent de transparence, ce qui est regrettable ; je pense que nous partageons le même attachement aux valeurs de méritocratie et de transparence. Pour autant, nous sommes tout à fait conscients qu’une liberté complète d’installation ne serait pas satisfaisante, car elle pourrait déstabiliser certains territoires ou certains professionnels garants de la sécurité juridique que j’évoquais il y a un instant.
Le but est d’apporter une information objective, en établissant une cartographie des manques, pleins et entiers ou relatifs, de professionnels sur le territoire. Là où il y a une insuffisance de professionnels, on peut considérer que la liberté d’installation ne va pas déstabiliser les professionnels en place. Là où il y a un manque relatif, on peut ouvrir un peu l’accès tout en laissant un droit de veto à la Chancellerie. Le droit existant est en revanche satisfaisant pour toutes les zones – elles sont majoritaires – où il y a un nombre suffisant de professionnels. Cette réforme me paraît être de bon sens ; elle me semble suffisamment objectivée pour pouvoir fonctionner.
Le deuxième élément est l’interprofession. Je crois – nous aurons l’occasion d’y revenir – que l’ouverture du capital entre professionnels du droit, dont la pleine indépendance déontologique sera garantie, est une bonne mesure pour faciliter le fonctionnement des structures, en particulier dans les territoires, et permettre aux plus jeunes d’accéder plus facilement à la profession, car l’installation sera moins coûteuse et l’organisation plus efficace.
Le texte a été substantiellement amélioré par l’Assemblée nationale. Il s’agit d'abord d’éviter la financiarisation des professions de droit. Contrairement à ce qui a pu être dit, c’était déjà l’intention initiale du Gouvernement. De nombreux verrous avaient été mis, notamment en termes de détention du capital par les professionnels eux-mêmes. Il s’agit ensuite d’éviter de relancer des guerres de territoire entre les professionnels du droit et les professionnels du chiffre. Le texte peut encore être amélioré pour lever toute ambiguïté. Je crois que les interprofessions que nous allons créer permettront une meilleure organisation et une meilleure ouverture des professions.
Les tarifs sont le troisième élément que l’on peut améliorer sans faire de révolution inutile. Le système actuel n’est pas satisfaisant, car les tarifs sont insuffisamment révisés et ne permettent pas le bon fonctionnement de notre économie. C’est un coût pour nos entreprises et nos concitoyens. Les tarifs sont déconnectés des coûts réels, surtout lorsqu’ils sont proportionnés aux actes ou à la vente.
Il n’est pas aberrant de penser que les tarifs des officiers publics ou ministériels doivent être révisés de manière régulière et en rapport avec les investissements consentis et les coûts réels. C’est cette philosophie d’une plus grande transparence et d’une plus grande adaptabilité des tarifs réglementés que nous défendons. Les professionnels concernés sont les notaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les huissiers, les commissaires-priseurs judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires. Nous voulons promouvoir une juste rémunération plus proche des coûts réels.
Le projet de loi, toujours dans la volonté de libérer certains secteurs, vise à développer le logement, plus particulièrement le logement intermédiaire. Nous devons lever ce blocage. C’est parce que cette analyse est largement partagée parmi vous que la commission spéciale n’a pas modifié les principales dispositions du texte adopté par l’Assemblée nationale.
Le développement du logement intermédiaire est aujourd'hui entravé à la fois par des difficultés techniques liées à une réglementation excessive et parfois hétérogène entre le zonage « fiscal » et le zonage « réglementaire » – il faut donc la simplifier – et par les problèmes génériques que rencontre le secteur du logement : délai de délivrance des avis et accords périphériques au droit des sols trop long, complexité des régimes d’autorisation, complexité et parfois redondance des études environnementales à produire. Ce sont d’autant d’éléments que le projet de loi tend à simplifier. Il me semble important d’opérer cette simplification, afin de rendre notre droit plus lisible et d’accélérer les procédures, sans renoncer à nos exigences environnementales et démocratiques. Le système sera ainsi plus cohérent.
Il convient aussi de mettre en place des garde-fous pour que le développement du logement intermédiaire ne se fasse pas au détriment du logement social. L’étanchéité entre les offices d’HLM et leurs filiales est renforcée. Concernant les rapports bailleurs-locataires, diverses mesures viennent aménager des dispositions de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », afin d’assurer un juste équilibre entre protection des locataires et incitation à l’investissement dans le logement. Les députés ont par ailleurs adopté une mesure qui protégera les locataires ayant à leur charge une personne âgée, sous condition de ressources ; cette mesure a été conservée par votre commission spéciale. Je crois que, à ce stade, cette partie du texte fait consensus.
Le deuxième pilier du projet de loi, c’est l’investissement. Nous devons investir plus et mieux, car c’est l’un des éléments qui permettra la reprise d’activité dont notre économie a besoin. Diverses dispositions tendent à simplifier les critères d’investissement, à associer davantage les salariés et à renforcer la stratégie de l’État actionnaire.
Le projet de loi vise à accroître l’investissement dans les infrastructures numériques. Comme je l’ai déjà souligné, je crois que nous pouvons aller encore plus loin. Plusieurs amendements ont été déposés en ce sens. Il faut accélérer l’investissement de l’État et des opérateurs dans les infrastructures numériques, afin d’améliorer la couverture fibre et la couverture mobile de notre territoire, car c’est un véritable levier pour garantir une plus grande égalité des territoires, mais aussi – c’est toute la philosophie du projet de loi – pour accroître l’accès réel de nos concitoyens à l’économie et à de nouveaux droits. Or si le numérique ne fonctionne pas sur nos territoires, comment tenir ce discours de manière cohérente ?
Le déploiement de la fibre optique doit être accéléré. Pour ce faire, il nous faut lever les blocages qui empêchent son introduction dans chaque foyer. C’est l’objet de plusieurs dispositions du texte, qui pourront être renforcées. Nous pourrons aussi, comme nous aurons l’occasion d’en débattre, donner de la visibilité aux conditions de passage du réseau hérité du cuivre vers les nouveaux réseaux de fibre optique.
Pour investir efficacement, le projet de loi prévoit un encadrement des accords de partage des réseaux mobiles afin non pas de freiner l’investissement, mais de l’encourager en assurant une transition réaliste dans le temps.
Investir dans l’avenir, c’est aussi apporter des améliorations tangibles dans la vie de nos concitoyens, où qu’ils se trouvent sur le territoire. Des propositions ont été faites à cet égard en matière de couverture des zones blanches de la téléphonie mobile ; nous pourrons nous appuyer sur les travaux réalisés en commission spéciale pour avancer ensemble sur ce sujet d’importance.
Le texte a en outre pour objet de faciliter la réalisation de grands projets en étendant les expérimentations d’autorisation unique et de certificats de projet en cours – j’y faisais référence voilà un instant en matière de logement. Le certificat de projet est une réponse garantie délivrée en deux mois par le préfet de département permettant aux acteurs économiques, pour une opération donnée, de bénéficier notamment d’un interlocuteur unique, d’un engagement de l’administration sur les procédures nécessaires ou potentiellement nécessaires et sur leur délai d’instruction. Enfin, il s’agit d’apporter une sécurité juridique essentielle, grâce à une cristallisation du droit applicable, sauf exception, à la date de délivrance du certificat, et ce pendant dix-huit mois. Ce dispositif, qui a prouvé son efficacité dans le cadre de l’expérimentation, serait par exemple étendu à l’Île-de-France afin de pouvoir s’appliquer aux projets du Grand Paris.
Vous l’aurez compris, par ces mesures, il s’agit d’accélérer la réalisation de grands projets afin de contribuer au retour de la croissance.
Elles ont été en partie, voire largement supprimées par la commission spéciale, ce que je regrette. Je pense vraiment que nous devrions y revenir, car c’est un élément d’accélération et de simplification de notre économie. En élargissant ces expérimentations, nous ne renonçons en rien à notre degré d’ambition. Nous évitons simplement d’imposer aux acteurs économiques ce qui relève parfois de nos propres turpitudes. Je le répète, je pense que nous devrions collectivement regarder avec plus d’attention ce point.
Le projet de loi permet aussi de renouer avec l’actionnariat salarié. Récompenser le risque et traquer la rente : tel est l’objectif visé par ce texte, et j’assume l’intégralité des mesures qu’il tend à introduire à cet effet.
Chaque jour, dans notre pays, nous pourrions avoir des débats sur la rémunération de nos dirigeants. C’est d’ailleurs le cas… Comme nous vivons dans une économie ouverte, mondialisée, il faut comprendre que si nous continuons à avoir de tels débats, nous aurons beaucoup de mal à attirer les meilleurs, parfois à les garder, en tout cas à faire réussir notre économie. Pour autant, nous devons avoir le souci commun de moraliser certaines pratiques, à tout le moins d’avoir plus de clarté. L’État a pris ses responsabilités en tant qu’actionnaire dans les entreprises au capital desquelles il est, notamment en prenant des dispositions législatives en la matière. Maintenant, il nous faut trouver un équilibre.
Le texte comprend trois éléments illustrant cette philosophie, sur lesquels je veux ici revenir : l’actionnariat salarié, les bons de souscription pour créateurs d’entreprises et les retraites chapeaux. Avec ces trois dispositifs, nous tentons en quelque sorte d’atteindre l’équilibre que je viens de décrire.
La réforme de l’actionnariat salarié vise à restaurer une forme d’attractivité fiscale et sociale pour nos entreprises, qu’elles soient petites ou grandes. En effet, il s’agit de l’une des conditions de la compétitivité de notre économie.
À défaut de réforme en la matière, nous continuerons de constater que des entreprises, petites ou grandes, n’arrivent pas à retenir leurs cadres les plus talentueux ou que, pour garder des comités exécutifs, elles les expatrient. Je ne saurais me résoudre à cet état de fait.
Sur ce sujet, nous ne pouvons pas reprocher à nos voisins allemands d’être des grands libéraux dénués de bon sens. Aussi, il me semble qu’aligner notre fiscalité et nos contributions sociales sur le modèle allemand relève du bon sens. Cette philosophie permettra à nos PME de garder ou d’attirer de nouveaux talents, à nos ETI de croître plus vite et à nos grands groupes, qui sont des éléments de notre compétitivité internationale et qui tirent des filières, de rester tout simplement français. Je le répète, je ne me résous pas à voir, mois après mois, des grands groupes décider progressivement, de manière parfois insidieuse, d’installer leur comité exécutif à l’étranger parce qu’ils n’arrivent pas à les rémunérer décemment en France.
Je le dis avec beaucoup de gravité, cette ouverture doit aller de pair avec une certaine exigence. Dire que mieux rémunérer des cadres dirigeants est inacceptable ou prétendre qu’il est logique de voir filer ces entreprises à l’étranger sont deux arguments un peu faciles. C’est pourquoi l’appel à la responsabilité que je lance à ces grands dirigeants doit avoir pour symétrie une responsabilité collective afin de pouvoir appréhender le monde ouvert dans lequel nous vivons.
Réformer les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise a pour objet de restaurer les mécanismes fiscaux et sociaux rendant ces outils suffisamment attractifs pour permettre, en particulier à nos entreprises les plus jeunes et les plus innovantes, d’attirer les talents qu’elles ne peuvent pas payer en salaires et de les garder en les intéressant au capital. Il était important de redonner une attractivité pleine et entière à ce dispositif qui a montré sa force par le passé.
S’agissant des retraites chapeaux des cadres dirigeants ou des mandataires sociaux, nous introduisons pour la première fois des éléments de moralisation. Nous instaurons également de la transparence et des conditions de performance. S’il est vrai que la rémunération du risque est bonne pour l’économie, l’existence de rentes de situation, avec des salaires différés sans aucun critère de performance, ne peut être considérée comme acceptable. C’est justement ce que vient corriger le projet de loi.
L’épargne salariale sera renforcée, car c’est le meilleur moyen d’associer l’ensemble des salariés à la bonne marche de leur entreprise. Or elle est aujourd’hui trop complexe pour jouer ce rôle de manière satisfaisante, ce qui a tendance à créer une inégalité entre les salariés. Il faut être aveugle pour considérer que tout va bien aujourd’hui en matière d’épargne salariale, alors que huit salariés sur dix y ont accès dans les grands groupes, contre un salarié sur dix dans les PME.
M. Emmanuel Macron, ministre. Dénoncer est une chose, mais corriger est un progrès. Ce texte permet donc de corriger cette inégalité d’accès en étendant pour la première fois les dispositifs aux PME-TPE au travers de la mise en place d’accords d’épargne salariale. Il vise également à améliorer le forfait et, s’agissant des réinvestissements dans un PERCO, un plan d'épargne pour la retraite collectif, les six premières années, à bonifier cet avantage fiscalo-social avec un taux de forfait social encore réduit.
Marques d’impatiencesur les travées de l'UMP.
La commission spéciale a souhaité sur ce point augmenter la diminution du forfait social proposé par le Gouvernement. En toute honnêteté, je tiens à lui rendre pleinement hommage, car elle a repris à cet égard les conclusions du COPIESAS, le Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié, de manière plus rigoureuse que le Gouvernement ne l’avait fait. J’avoue ici que nous n’étions pas allés plus loin pour des raisons budgétaires, ces avantages ayant un coût important. Lorsque nous aurons cette discussion – n’y voyez pas un argument d’autorité –, j’évoquerai cette contrainte budgétaire, même si, vous l’avez compris, la philosophie du COPIESAS est partagée par le Gouvernement. Nous avons d’ailleurs déjà introduit des dispositions qui vont dans le sens qu’il préconise.
Pour pouvoir investir sur ses priorités et se désendetter, le Gouvernement propose d’autoriser l’État à céder certains de ses actifs, ou en tout cas de l’encourager à avoir une gestion plus active de son portefeuille de participations.
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
Ce volet servirait d’abord à mieux accompagner des projets industriels d’entreprises publiques. Des dispositions autoriseraient, en particulier, le Gouvernement à mettre en œuvre le projet de rapprochement entre Nexter et KMW. Ce projet, annoncé le 1er juillet 2014, permettrait de créer un leader européen de l’armement terrestre, bénéficiant des compétences et des savoir-faire complémentaires des deux entreprises et disposant d’une envergure suffisante pour assurer son développement, en particulier à l’export.
Je sais que la commission spéciale a auditionné mon collègue ministre de la défense et que le débat reviendra en séance publique…
Ce volet de la loi ouvrirait aussi le capital de certaines entreprises publiques, en particulier de certains aéroports
Mêmes mouvements.
… mais nous considérons qu’il est préférable de se réveiller pour réinvestir sur des priorités. Nous l’avons fait dans le passé avec PSA, pour ne citer qu’un exemple.
Libérer de l’argent de participations qui ne sont plus des priorités pour aller le réinvestir dans d’autres ou se désendetter nous paraît être une philosophie d’État actionnaire plus constructive.
Enfin, le projet de loi a pour objet de réformer les procédures collectives.
Le droit en vigueur consacre la primauté absolue de l’actionnariat au nom de la protection du droit de propriété, même lorsque cette primauté conduit à la destruction de l’entreprise et des emplois. Nous avons, toutes et tous, vécu des situations où les actionnaires en place peuvent bloquer une opération de reprise par des investisseurs qui porteraient un projet. Lorsque les dirigeants et les actionnaires ne peuvent plus sauver leur entreprise, qui se dirige vers la liquidation, le tribunal pourra, en dernier recours, permettre à des créanciers ou à de nouveaux investisseurs de prendre le contrôle de la société contre l’avis des actionnaires, dans le cadre et les conditions que je viens d’évoquer.
Simplifier, accélérer, …
… rendre plus attractif : telles sont les priorités de ces mesures pour favoriser l’investissement productif en France.
J’en viens au travail, qui est, rassurez-vous, le troisième et dernier pilier de ce texte
Ah ! sur les travées de l'UMP.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne pense pas avoir été trop long.
Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.
Partant de l’hypothèse que tout le monde n’avait pas lu ce texte, j’ai pensé faire preuve de respect en détaillant les mesures…
… en expliquant leur philosophie, en disant ce à quoi je tenais.
Maintenant, si vous préférez avoir un débat expéditif, je peux m’adapter….
Je veux revenir sur trois éléments.
Tout d’abord, l’ouverture du travail le dimanche…
Ah ! sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Votre réaction traduit un appétit qui m’oblige à m’attarder.
Sourires.
Le système actuel entraîne des déséquilibres entre les territoires. Force est de constater que la situation est extrêmement insatisfaisante, notamment parce qu’elle est hétérogène : d’un côté, il y a les PUCE, les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, dans lesquels les dimanches travaillés sont compensés ou payés double ; de l’autre, il y a les zones touristiques, dans lesquelles la loi ne prévoit pas de compensation. En outre, il y a des dimanches du maire qui ne sont pas obligatoires et qui peuvent faire l’objet de compensations selon les situations.
Les dispositions du texte portant sur l’exception au repos dominical pour les commerces de détail cherchent à apporter principalement trois éléments de changement.
Le premier est la simplification et l’homogénéisation des règles de compensation : partout sur le territoire, il doit y avoir une compensation au travail le dimanche. Celle-ci ne doit pas être définie par la loi, car les secteurs et les territoires sont très différents. Seul l’accord, soit d’entreprise, soit de branche, soit de territoire, peut la définir. S’il n’y a pas d’accord, il n’y a pas d’ouverture. C’est un premier facteur d’homogénéisation, de plus grande justice et, dans le même temps, une marque de confiance dans le dialogue social.
Le deuxième changement consiste en l’instauration de zones touristiques internationales, très circonscrites, où l’ouverture en soirée et le dimanche est source de création d’activité économique. Avec un encadrement très strict et une compensation salariale très généreuse pour le travail en soirée, puisqu’elle est supérieure à ce qui existe aujourd’hui pour le travail de nuit, le projet de loi permet une ouverture décidée par l’exécutif, pour éviter les blocages.
Enfin, le projet de loi offre aux maires la possibilité d’autoriser douze ouvertures dominicales des commerces dans l’année, au lieu de cinq actuellement. Le rapport rendu en 2013 par Jean-Paul Bailly avait prouvé la nécessité de trouver un équilibre entre les cinq dimanches du maire et les cinquante-deux dimanches des PUCE : dans certaines régions, les cinq dimanches ne suffisent pas, dans d’autres, c’est déjà trop ! Enfin, on voit bien que certaines villes cherchent une flexibilité supplémentaire, ce qui les a incitées à se classer en zone touristique, pour n’utiliser qu’un dimanche par mois, donc douze dimanches par an. Le projet de loi permet aux maires d’accorder jusqu’à douze autorisations d’ouverture dominicale, au lieu de cinq actuellement, avec un avis conforme de l’EPCI au-delà de cinq dimanches.
Au-delà de ces trois points sur lesquels je voulais insister, le projet de loi a aussi vocation à protéger le petit commerce, garant de la vitalité de nos territoires, en redonnant des marges de manœuvre aux maires et en coordonnant les ouvertures au niveau de l’EPCI. Les commerces alimentaires de plus de 400 mètres carrés qui, aujourd’hui, ouvrent le dimanche sans accorder de compensation salariale devront désormais verser à leurs salariés une majoration de leur rémunération d’au moins 30 %. Il s’agit de corriger une inégalité entre entreprises, d’apporter davantage de garanties aux salariés et de préserver l’équilibre des territoires, qui s’est largement dégradé ces dernières années.
Ensuite, je souhaite mettre l’accent sur la réforme de la justice prud’homale. Quelle a été notre philosophie ? Nous sommes partis du constat que cette justice était trop lente, la durée d’une procédure pouvant aller jusqu’à vingt-sept mois, et qu’elle recourrait peu à la conciliation – dans 6 % des cas seulement.
Cette situation joue au détriment des plus petits employeurs et des salariés les plus fragiles. Notre volonté est donc d’encourager le recours à la conciliation, d’accélérer la mise en état des dossiers et de donner les voies et moyens aux parties de trouver plus vite un accord grâce à la mise en œuvre d’un référentiel, ce dernier point constituant, à mes yeux, l’un des apports majeurs du texte adopté par l’Assemblée nationale.
Enfin, pour achever mon propos, …
… je veux revenir sur d’autres mesures en faveur du travail. Nous devons nous battre contre la concurrence déloyale et renforcer l’attractivité de nos territoires. À cette fin, le projet de loi cherche à protéger la vitalité de nos régions et de nos départements en favorisant la lutte contre la concurrence déloyale et le travail illégal. L’inspection du travail serait donc réformée et la lutte contre la prestation de service internationale illégale serait facilitée par le renforcement des sanctions et l’instauration de nouveaux moyens de contrôle.
Le projet de loi simplifie également des dispositions qui ne sont pas utilisées, mais qui nuisent à l’attractivité économique de notre pays, en particulier la peine de prison associée au délit d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Cette peine est disproportionnée, inefficace et très exceptionnellement appliquée. Parallèlement, le montant de l’amende pénale serait majoré pour rendre le délit d’entrave plus dissuasif – ce montant a été diminué par la commission spéciale, mais nous devrons en débattre.
Enfin, le dispositif de sécurisation de l’emploi, issu de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et repris dans la loi du 14 juin 2013, a été corrigé sur certains points qui posaient, notamment, des questions d’interprétation jurisprudentielle. Tous les articles du projet de loi relatifs à cette problématique ont fait l’objet d’une analyse par les services du ministère du travail, ainsi que d’une concertation avec l’ensemble des organisations syndicales avant d’être présentés au vote de l’Assemblée nationale. Certaines interprétations jurisprudentielles sont en effet contraires à l’esprit de la loi de sécurisation de l’emploi et le présent projet de loi tend à clarifier certains points. Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur ces mesures qui visent à simplifier les procédures ainsi que leur sécurité juridique.
(Ah ! sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) Si mon intervention a pu paraître trop longue à certains d’entre vous, croyez que je le regrette
Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je voulais vous dire. §, mais je saurai être plus rapide si tel est votre souhait, toujours dans le même esprit constructif. Vous avez pu mesurer ce faisant que, lorsque je parle de débat constructif pour l’intérêt général, je ne me paie pas de mots !
Je défends mes arguments et j’écouterai ceux qui me seront opposés en temps voulu, mais débattre suppose d’aller au fond.
M. Emmanuel Macron, ministre. J’ai donc fait le choix d’aller au fond, parce que je crois en la vertu de l’échange que nous aurons. Aller au fond, pour l’intérêt général, avec plus d’ambition : tel est l’esprit dans lequel s’inscrit ma démarche !
Applaudissementssur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur d’engager le débat en séance publique au nom de notre commission spéciale, qui soumet aujourd’hui à la Haute Assemblée le fruit de ses travaux sur un texte d’une ampleur peu commune et, si l’on se fie à son intitulé, lourd de forts enjeux politiques, économiques et sociaux.
Il m’est revenu d’examiner les dispositions du volet social du projet de loi, c’est-à-dire la réforme des dérogations au repos dominical, le renforcement de la lutte contre le détachement illégal de salariés, les ajustements au droit des plans de sauvegarde de l’emploi et l’épargne salariale, ainsi que celles portant sur le financement des entreprises.
Le travail dominical est une thématique qui, chaque fois qu’elle est soumise au législateur, suscite un débat passionnel. Au-delà de questions purement juridiques sur l’évolution du droit du travail, ses enjeux sociétaux sont majeurs. Pourtant l’époque où toute activité cessait en fin de semaine est désormais révolue : la loi du 13 juillet 1906 prévoyait déjà de nombreuses dérogations au repos dominical, ce qui n’a pas empêché, au fil du temps, le développement des pratiques d’ouverture dominicale illégale.
En 2009, la loi Mallié a tenté d’apporter des réponses à ces situations, sans toutefois parvenir à simplifier la réglementation. Elle l’a même, à certains égards, complexifiée, sans apporter de solution pérenne aux problématiques liées à l’ouverture des commerces le dimanche, alors que la concurrence a désormais lieu en ligne, à tout instant du jour et de la nuit.
C’est pourquoi notre commission spéciale a conforté l’esprit des modifications de la réglementation du travail dominical proposées dans le cadre de ce projet de loi. Elle adhère à la philosophie du rapport remis par Jean-Paul Bailly en novembre 2013, intitulé La question des exceptions au repos dominical dans les commerces : vers une société qui s’adapte en gardant ses valeurs, que l’on peut résumer ainsi : simplifier le cadre juridique existant ; harmoniser, dans la mesure du possible, les contreparties en faveur des salariés privés du repos dominical et respecter leur volontariat ; faire du dialogue social et territorial la clé de ces dérogations et prendre en compte les enjeux d’attractivité touristique internationale de notre territoire associés à l’ouverture dominicale des commerces.
Tout en respectant l’équilibre du texte voté par l’Assemblée nationale, en particulier sur la question des « dimanches du maire », et sans prôner une libéralisation du travail dominical, nous avons souhaité compléter la réforme. Deux objectifs nous ont guidés : tout d’abord, garantir son effectivité afin que, demain, les dérogations au repos dominical que nous allons approuver ne restent pas purement virtuelles ; ensuite, éviter que des commerces qui, aujourd’hui, peuvent ouvrir le dimanche ne se voient contraints de fermer ce jour-là.
La commission spéciale a donc rétabli, pour les commerces situés dans une zone où le travail dominical est autorisé, la possibilité, subsidiaire et ouverte uniquement si la négociation d’un accord collectif de branche, d’entreprise ou d’établissement a échoué, d’ouvrir le dimanche sur la base d’une décision de l’employeur. Cette décision devra être approuvée par les salariés lors d’un référendum et sera soumise aux mêmes obligations, en matière de contreparties sociales, qu’un accord.
Il faut sans nul doute faire confiance au dialogue social. C’est la raison pour laquelle nous pensons, comme vous, monsieur le ministre, que la loi ne doit pas fixer un montant minimal de majoration salariale pour les employés travaillant le dimanche. Pour autant, on ne peut nier, et on peut même regretter, l'existence de nombreuses situations de blocage du dialogue social dans les entreprises sur cette question ainsi qu’une opposition de principe de certaines organisations syndicales, malgré le volontariat de nombreux salariés.
Nous avons ensuite exonéré les entreprises de moins de onze salariés situées dans les zones touristiques des obligations nouvelles en matière de dialogue social et de contreparties fixées par ce texte. Il s’agit d’ailleurs de la traduction d’une des recommandations du rapport Bailly. Ces commerces peuvent ouvrir aujourd’hui sans condition préalable. De petite taille, ils n’ont ni institutions représentatives du personnel ni habitude de la négociation collective. Commerces indépendants, ils assurent l’animation des centres-villes de nos communes touristiques, mais la plupart d’entre eux sont fragilisés économiquement par le développement des zones commerciales périurbaines et l’évolution des modes de consommation. À l’avenir, il ne faut pas qu’ils baissent le rideau le dimanche à cause de ce projet de loi. Je suis d’ailleurs heureuse de constater que Mme Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce et de l’artisanat, a rejoint, dans une interview récente, notre position sur ce sujet.
Enfin, dans un élan d’unanimité, notre commission spéciale a su se montrer plus ferme que vous, monsieur le ministre, puisqu’elle a supprimé l’article 82 bis relatif à l’adaptation des jours fériés outre-mer.
J’en viens aux autres dispositions relatives au droit du travail.
La commission spéciale a tout d’abord supprimé la demande d’habilitation du Gouvernement à réformer par ordonnance les pouvoirs de l’inspection du travail. Cette demande nous a semblé injustifiée, car nous connaissons très précisément son contenu depuis plus d’un an, lorsque notre assemblée a examiné et rejeté, en février 2014, l’article 20 du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Cette réforme suscite de nombreuses inquiétudes, dans les entreprises comme chez les inspecteurs, et le recours à une ordonnance ne permet pas d’y répondre.
La commission spéciale a également parachevé la réforme du délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel, qui traduit un engagement du Président de la République, en supprimant la peine d’emprisonnement d’un an en cas d’entrave à leur constitution, tout en portant l’amende afférente à ce délit à 15 000 euros.
Nous avons également supprimé les nombreux verrous qui obèrent le développement des accords de maintien de l’emploi, dont l’échec est manifeste, tout en donnant la possibilité aux partenaires sociaux dans l’entreprise de conclure des accords de développement de l’emploi qui seront soumis aux mêmes règles. Gages de flexibilité interne, ces accords permettront aux entreprises de répondre aux fluctuations de l’économie en modifiant l’organisation et la répartition du temps de travail de leurs salariés. L’économie française ne sera plus condamnée à recourir à des ajustements externes qui pénalisent les salariés en contrat précaire et nourrissent le chômage de masse. Nous attachons donc une grande importance à ces accords, car ils pourraient redonner de l’oxygène à nos entreprises qui en ont plus que jamais besoin.
Sur ma proposition, la commission spéciale a également simplifié deux mécanismes qui sont un frein au développement des entreprises et une source de très grande inquiétude pour les chefs d’entreprise. Elle a mis en place un dispositif permanent de lissage dans le temps des conséquences du franchissement des seuils sociaux, afin de laisser trois ans aux entreprises pour se conformer à leurs nouvelles obligations. Dans la même optique, elle a relevé de onze à vingt et un salariés l’effectif à partir duquel l’élection de délégués du personnel devient obligatoire. Enfin, elle a apporté plusieurs modifications au compte personnel de prévention de la pénibilité, en supprimant la fiche individuelle de suivi de chaque salarié et en le recentrant, pour l’instant, sur les trois facteurs de pénibilité dont la mesure est opérationnelle.
S’agissant du volet relatif à l’épargne salariale et à l’actionnariat salarié, la commission spéciale a souhaité s’inscrire, pour partie, dans la continuité des travaux du COPIESAS, ainsi que dans celle du projet de position commune des partenaires sociaux. Elle a ainsi abaissé de 16 % à 12 % le taux du forfait social applicable à un plan d’épargne pour la retraite collectif, ou PERCO, dont au moins 7 % des fonds sont destinés au financement des PME et des ETI. Elle a également totalement exonéré de cette contribution pendant trois ans les entreprises employant moins de cinquante salariés qui concluent pour la première fois un accord de participation ou d’intéressement, tout en prévoyant un taux réduit de 8 % pendant les trois années suivantes.
La commission spéciale a également veillé à tenir compte des spécificités des petites entreprises. Elle a en effet obligé les branches professionnelles à négocier, avant le 30 décembre 2017, un accord d’intéressement qui sera directement applicable par les entreprises souhaitant y avoir recours. Elle a par ailleurs suspendu pendant trois ans l’obligation de conclure un accord de participation pour les entreprises qui franchissent le seuil de cinquante salariés, si elles disposent déjà d’un accord d’intéressement et qu’elles l’appliquent continûment pendant cette période.
La partie du texte qui m’incombe comporte également des mesures qui, si elles ne relèvent pas du champ de l’épargne salariale, visent à améliorer le financement des entreprises. On citera, à titre d’exemple, la création de la société de libre partenariat, un nouveau véhicule de capital-risque destiné à attirer les investisseurs institutionnels étrangers. Je me félicite de bon nombre de ces mesures, qui constituent des avancées modestes, mais réelles.
Toutefois, comme le souligne la dernière note de conjoncture de l’INSEE, l’investissement des entreprises est actuellement au point mort, alors même que les autres moteurs de la croissance repartiraient enfin plutôt à la hausse. Face à l’urgence de la situation, la commission spéciale a tenu à renforcer le texte issu de l’Assemblée nationale plutôt que d’attendre une hypothétique « loi Macron II ». À titre d’exemple, la commission spéciale a adopté un amendement rendant la réduction d’impôt « Madelin » éligible au plafonnement global des avantages fiscaux de 18 000 euros, contre 10 000 euros dans le droit en vigueur. En contrepartie d’un meilleur ciblage qui pourrait être exigé par la Commission européenne, la commission spéciale a également souhaité doubler le montant du plafond de la réduction d’impôt « ISF-PME », le portant à 90 000 euros.
De manière générale, les mesures retenues par la commission spéciale répondent à deux critères.
Premièrement, leur impact budgétaire demeure raisonnable. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas réalisé les économies qui auraient permis de faire des gestes fiscaux de grande ampleur en faveur du développement des entreprises et de la relance de l’activité économique. Le texte actuel ne semble pas adapté pour décider de tels aménagements, dans la mesure où il ne permet pas, contrairement à une loi de finances, de marcher sur deux jambes : réduction des dépenses et baisse des impôts.
Deuxièmement, les mesures retenues bénéficient aux PME. Pour ces sociétés, le niveau de risque très important, l’asymétrie d’information entre l’entreprise et les investisseurs et l’externalité positive liée à l’innovation technologique rendent indispensable la mise en place de dispositifs incitatifs visant à encourager les prises de participation.
Faire preuve de responsabilité budgétaire et d’efficacité économique : c’est de nouveau cette grille d’analyse que j’appliquerai dans ce domaine tout au long de l’examen du présent projet de loi.
Pour conclure, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire part de ma déception et de mon inquiétude quant à l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement aborde l’examen de votre projet de loi devant le Sénat, tel qu’il résulte des nombreux amendements que vous avez déposés et dont nous avons commencé l’examen ce matin. Je vous ai bien entendu : vous avez déposé ces amendements « dans les délais », mais vous n’en avez retiré qu’une cinquantaine aujourd’hui, à quatorze heures trente-huit, courriel faisant foi.
Permettez-moi de faire un rappel. Lors de ses travaux, la commission spéciale a suivi une ligne directrice claire : ne pas se faire le porte-parole d’intérêts particuliers, mais se saisir de toutes les opportunités présentées dans le projet de loi pour engager les réformes indispensables à la relance de notre économie. Nous avons souhaité partager l’état d’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte.
Pour quelle écoute ? Malgré l’engagement que vous avez pris lorsque la commission spéciale vous a reçu et les assurances que vous aviez alors formulées sur votre volonté d’œuvrer avec le Sénat pour améliorer votre projet de loi, vous proposez une remise en cause quasi systématique des modifications que nous avons apportées, comme si le Gouvernement considérait le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale comme l’alpha et l’oméga, l’optimum de la législation. C’est pourtant loin d’être le cas…
Monsieur le ministre, en dépit de toutes les concessions que vous avez dû faire, vous n’avez pas été en mesure de faire voter ce projet de loi par les députés !
Dans ces conditions, constater que vous souhaitez, par exemple, le rétablissement de la consultation du conseil municipal sur l’ouverture dominicale des bibliothèques – quel est le lien de cette mesure avec l’objet du projet de loi ? – peut sembler décourageant à qui ignore que cette mesure trouve son origine dans un amendement d’une ancienne ministre de la culture, aujourd’hui députée frondeuse.
Comme vous le savez, les désaccords entre les deux assemblées sont courants et font partie intégrante de la procédure parlementaire. Habituellement, la deuxième lecture d’un texte permet de les circonscrire. Puisque vous avez engagé la procédure accélérée, il n’y en aura malheureusement pas, mais une commission mixte paritaire se réunira une fois le texte voté par le Sénat.
À cette occasion, nous confronterons notre position à celle de nos collègues députés. Si les deux chambres du Parlement ne parviennent pas à transiger, la Constitution fait prévaloir l’Assemblée nationale. Il en est ainsi… Cependant, il est regrettable que le Gouvernement prenne ouvertement parti en la matière. Si nous étions susceptibles, …
Mme Catherine Deroche, corapporteur. … nous pourrions y voir, de votre part, un mépris du bicamérisme, en particulier des travaux de la chambre haute.
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Étant de nature optimiste, je préfère penser que ce climat peu propice à un débat serein et constructif est lié au fait que votre « compagnonnage législatif » – c’est l’expression que vous avez utilisée à l’Assemblée nationale – n’est pas achevé. J’espère que votre découverte du Sénat, à l’occasion de l’examen de ce texte, permettra de dissiper ces malentendus et vous fera comprendre quenous sommes animés, tout autant que lesdéputés, par l’intérêt général.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
M. Claude Bérit-Débat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Monsieur le ministre, qu’avons-nous donc fait pour mériter untel dédain ? Certes, j’ai pris bonne note, comme ma collègue corapporteur Catherine Deroche, que vous aviez retiré, deux heures avant le début de cette séance, une cinquantaine de vos amendements. Je précise toutefois que certains d’entre eux étaient intégralement identiques à plusieurs amendements déposés par le groupe socialiste, lesquels ont, quant à eux, été maintenus.
Eh oui ! sur les travées de l'UMP.
Il reste donc 125 amendements déposés par le Gouvernement sur le texte de la commission spéciale, des amendements qui sont autant de coups de gomme sur notre travail.
Lorsque vous êtes venu devant la commission spéciale, vous nous avez assurés de votre volonté de coconstruire ce texte avec le Sénat, comme vous l’aviez fait avec l’Assemblée nationale. Il faut croire que votre bonne volonté s’est quelque peu émoussée.
Nous pouvons, bien évidemment, constater des désaccords. La commission a toujours des désaccords avec le Gouvernement, y compris d’ailleurs lorsqu’elle le soutient.
Néanmoins, le Sénat, que vous ne connaissez pas encore très bien, aime débattre sur le fond des choses. Mais comment débattre lorsque certains de vos amendements inscrivent comme seul objet « Rétablissement du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale » ?
La commission spéciale n’a pas travaillé de manière arbitraire ou fantaisiste.
Mes collègues corapporteurs et moi-même avons mené plusieurs centaines d’heures d’auditions. La commission spéciale vous a entendu. Elle a aussi entendu l’Autorité de la concurrence, plusieurs économistes, ainsi que quatre de vos collègues du Gouvernement.
La commission spéciale a adopté des amendements sur le fondement d’arguments juridiques ou d’arguments d’opportunité nouveaux. Certes, me direz-vous, vous n’étiez pas présent en commission spéciale, mais telle est la tradition au Sénat. Ses travaux sont néanmoins publics, tout comme notre rapport. Vous connaissez donc les motifs qui nous ont conduits à retenir telle ou telle rédaction.
Avec cette formulation lapidaire, « Rétablissement du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale », vous faites comme s’il n’y avait qu’une seule chambre au sein du Parlement.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Or, par définition, dans un parlement bicaméral, le travail d’une assemblée ne constitue jamais un argument d’autorité pour l’autre assemblée.
Applaudissementssur les travées de l'UMP.
Vous défendez à tous crins le texte de l’Assemblée nationale, alors que celle-ci ne l’a même pas adopté. Cette démarche doit être inédite dans les annales de la navette parlementaire…
Applaudissements sur les travées de l’UMP.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Vous comprendrez également que nous éprouvions du courroux lorsque nous constatons que vos amendements tendent à rétablir massivement le texte de l’Assemblée nationale, sans argument à l’appui, tout en se bornant parfois – mais pas toujours ! – à retenir les modifications formelles que nous avons apportées. Là encore, je crois utile de vous détromper : le Sénat ne se contente pas de rectifier les virgules mal placées !
Applaudissementssur les travées de l'UMP.
Vous venez de nous rappeler les grandes lignes de votre projet de loi, dont l’objectif est la croissance. La majorité sénatoriale partage le même objectif, mais elle fait le constat que le présent texte s’arrête au milieu du gué. C’est d’autant plus préjudiciable pour notre économie que le gouvernement auquel vous appartenez a renoncé à une politique de baisse substantielle de la dépense publique, ainsi qu’à celle de baisse des charges pesant sur les entreprises.
Si le projet de loi comporte des mesures qui vont dans le bon sens et que nous soutenons, il ne s’attaque pas aux verrous qui pourraient permettre à l’économie de la France de redémarrer et de créer des emplois.
Nous avons conforté et complété les dispositions visant à soutenir l’esprit d’entreprise et l’investissement. Par exemple, pour surmonter les blocages actuels sur le marché du logement, nous avons institué un socle juridique plus favorable à l’investissement immobilier, tout en préservant un niveau élevé de protection des locataires. Nous espérons ainsi réduire les excès de la loi ALUR, controversée et complexe.
De même, par les articles 47 et 48, le Gouvernement propose de soutenir deux projets ambitieux pour les entreprises publiques Nexter et LFB. Notre commission spéciale, après un examen très minutieux, s’y est déclarée favorable, car nous avons acquis la conviction qu’ils étaient véritablement bénéfiques pour la croissance et l’activité. Vous vous souviendrez, monsieur le ministre, que cette position n’était pas forcément celle qui prévalait à l’Assemblée nationale, y compris sur les bancs du groupe majoritaire.
En matière de financement de l’économie, nous avons repris et sécurisé l’article adopté par l’Assemblée nationale – contre l’avis du Gouvernement, même si vous avez depuis fait volte-face –, afin d’encourager les prêts interentreprises. Nous avons voulu que ce dispositif soit, à la fois, efficace et de nature à éviter les situations de dépendance économique abusive entre un donneur d’ordre et son sous-traitant.
Parce que nous voulons mettre fin à l’immobilisme et faire bouger les lignes, nous avons voulu aller plus loin et proposer de vraies nouvelles mesures pour la croissance.
Tout au long de la discussion qui s’ouvre, nous allons ainsi savoir si vous êtes décidé à agir, à ne pas vous contenter de faire semblant de réformer et à prendre à bras-le-corps le problème du chômage.
Vous avez dit à la commission spéciale : « Ma première ambition est de libérer l’activité et d’ouvrir à nos concitoyens des accès dans les secteurs trop fermés. C’est d’abord le cas des transports. » De fait, vous avez proposé l’ouverture à la concurrence du transport par autocar. Non seulement nous validons votre proposition, mais nous allons plus loin en proposant l’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires régionaux à compter du 1er janvier 2019. Nous sommes persuadés que cette mesure est susceptible de rendre du pouvoir d’achat aux Français. Existe-t-il d’ailleurs un secteur plus fermé que le transport ferroviaire ?
Lors de votre audition, vous aviez également souligné qu’il devait être possible d’adapter davantage ce texte à la réalité des territoires. Nous y avons été très attentifs. Ainsi, conformément à une préoccupation constante du Sénat, la commission spéciale a adopté un dispositif de nature à assurer une meilleure couverture des zones dites « blanches » ou « grises » en matière de téléphonie mobile. C’est aussi dans cette perspective que nous avons supprimé l’article 10, qui prévoit la possibilité pour l’État ou le préfet de consulter l’Autorité de la concurrence sur les documents d’urbanisme. Outre que nous n’avons pas bien compris quel serait l’apport réel de cet avis, il nous a semblé, pour reprendre les mots d’un sénateur du groupe socialiste, que cette disposition était teintée d’une forme de jacobinisme que nous récusons.
Nous avons également renforcé le volet numérique du projet de loi. La modernisation de l’économie passe en effet par son adaptation aux nouvelles technologies. Un projet de loi sur le numérique nous est d’ailleurs promis depuis plusieurs mois, mais nous ne savons pas à quelle échéance il sera présenté au Sénat et à l’Assemblée nationale.
C’est ainsi que nous avons encadré les relations entre les hôteliers et les plateformes de réservation sur internet, via un mécanisme de contrat de mandat. Nous avons aussi permis à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, d’émettre un avis public sur les conditions tarifaires d’accès aux réseaux d’initiative publique des collectivités.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré notre regard bienveillant sur des micro-mesures, certes utiles et bienvenues, mais aussi micro-efficaces, nous avons également considéré qu’il fallait « raison garder ».
Nous avons ainsi amendé, voire supprimé, certaines mesures, libérales mais maladroites, qui risquaient de mettre à mal un maillage social, territorial, ainsi qu’un service public qui fonctionnent bien.
Aussi avons-nous modifié la procédure applicable aux transports par autocar afin de protéger davantage les services de transport conventionnés.
Nous avons également supprimé les dispositions introduites de façon improvisée ou ne reposant sur aucune étude ou élément précis. Je pense au recours à des fonctionnaires ou des agents publics comme examinateurs de l’épreuve pratique du permis de conduire.
Par ailleurs, alors que les relations entre distributeurs et fournisseurs sont aujourd’hui très encadrées dans notre pays, les tentatives de contournement et les risques de déséquilibre surgissent de manière constante. Plutôt que de légiférer dans la précipitation en modifiant le cadre juridique et en alourdissant les sanctions à intervalles de plus en plus rapprochés – il en est ainsi de l’article 10 A –, la commission spéciale préconise l’adoption de dispositifs précédés d’un tour de table et d’une expertise satisfaisante.
Lors de l’examen de tous les articles, nous avons cherché à éviter les formalités ou les normes nouvelles.
Pour lutter contre l’introduction hâtive de nouvelles « usines à gaz » dans notre droit, la commission spéciale estime nécessaire de consulter au préalable les acteurs économiques sur l’utilité et l’efficacité de nouvelles mesures qui les concernent directement.
Elle a aussi veillé à maintenir les prérogatives du Parlement en limitant le recours aux ordonnances aux seules habilitations au sujet desquelles le Gouvernement a expliqué avec précision ses intentions.
À l’évidence, ce n’était pas le cas de l’ordonnance prévue à l’article 28 en matière de droit de l’environnement. C’est pourquoi la commission spéciale a refusé de donner un blanc-seing au Gouvernement.
Plus largement, la commission spéciale a veillé au respect des grands piliers de notre droit et a écarté les mesures portant atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ou à la vie privée.
Enfin, le dernier pilier de notre travail a consisté à simplifier le projet de loi et à clarifier le droit existant.
À propos du permis de conduire, par exemple, nous avons supprimé toutes les dispositions qui relèvent du domaine réglementaire. Les inscrire dans la loi aurait pour conséquence d’en rendre difficile, à l’avenir, toute modification, puisqu’il faudrait à chaque fois trouver un véhicule législatif.
Nous nous sommes aussi penchés sur les relations entre les locataires et les bailleurs. Ainsi, la commission spéciale a réduit une partie des imprécisions – donc les sources de conflits – issues de la trop complexe loi ALUR. Pour limiter les conséquences de l’instabilité législative, nous avons prévu d’éviter de prolonger trop longtemps la coexistence de plusieurs régimes locatifs différents. Toutefois, nous avons été attentifs à ne pas porter une atteinte excessive aux contrats légalement conclus. Notre pays a besoin de repères stables et les éléments essentiels de l’accord entre deux parties doivent être respectés.
Monsieur le ministre, vous le constatez, nous avons pris à bras-le-corps votre projet de loi et le vaste ensemble de dispositions qu’il contient. Parmi cet agglomérat de mesures, nous voterons en faveur de celles qui vont dans le sens de la croissance et nous supprimerons celles qui sont contre-productives, sans incidence sur la croissance.
Nous formulons des propositions fortes, visibles, de nature à peser sur la croissance.
Nous espérons que le débat qui s’ouvre aujourd’hui et qui se poursuivra dans les prochains jours permettra de constater que le dépôt d’amendements par le Gouvernement reposait d’abord sur une mauvaise compréhension de nos travaux.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, les domaines dont l’étude et la présentation m’ont été confiées pour préparer les débats de la commission spéciale sont particulièrement variés. Je les rappelle, car nous aurons à en débattre.
La réforme des professions réglementées comprend d’importantes dispositions relatives aux tarifs. Monsieur le ministre, permettez-moi cette parenthèse : depuis que les professions réglementées existent, c’est toujours le Gouvernement qui a eu la main sur leurs tarifs. Ce ne sont pas les professions qui en décident.
D’autres mesures touchent à la liberté d’installation, à l’accès à la profession, à l’exercice salarié, à l’exercice en société, aux ressorts d’exercice…
Quant au droit général de la consommation, il vise par exemple l’action de groupe, les sanctions administratives.
Sont également concernées les prérogatives et procédures de l’Autorité de la concurrence, comme celles qui tiennent aux pouvoirs d’injonction structurelle et de transaction.
En droit de la propriété industrielle, des aménagements de l’information de l’inventeur salarié sont prévus.
Le droit commercial est réformé ou élargi en matière de gestion du registre du commerce et des sociétés, de cession de fonds de commerce, des baux commerciaux, d’obligations comptables des entreprises, d’insaisissabilité de droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel.
Sont visés le droit des sociétés, en ce qu’il règle le cumul des mandats, l’encadrement des retraites chapeaux, et le droit civil, en ce qu’il organise le recouvrement des petites créances.
La réforme des tribunaux de commerce a un objectif délicat : la spécialisation de certains tribunaux.
Il faut mentionner le droit des entreprises en difficulté, avec la prise en compte des groupes de sociétés et, surtout, la possibilité d’une cession forcée des actions des actionnaires opposés à un plan de redressement.
Il convient d’évoquer aussi la réforme des conseils de prud’hommes portant modification de la procédure d’instruction et de règlement des contentieux, du statut du défenseur prud’homal.
Sans être toutefois complet, on peut même citer la réforme par ordonnance du régime du gage des stocks défini par le code de commerce pour pouvoir lui appliquer le pacte commissoire et le gage avec dépossession prévue par le code civil.
Cet inventaire synthétique s’ajoutant à celui qu’ont dressé Dominique Estrosi Sassone et Catherine Deroche laisse imaginer l’étendue du travail, certes gouvernemental, mais surtout parlementaire, puisqu’il s’agit de légiférer.
Monsieur le ministre, je ne dirai pas que c’est un projet fourre-tout, pour que vous conveniez avec moi que c’est un projet éclectique !
Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Ce faisant, sans être grand clerc, on peut admettre que, multipliant en quelque sorte les lois à l’intérieur d’une seule, ce texte risque par nature de susciter plus de rejet et d’irritation que d’adhésion. Il serait dès lors commode d’écarter la plupart, sinon la totalité, de ses dispositions au motif que, décidément, on ne contourne pas ainsi le pouvoir législatif, exclusif du Parlement !
Aurait-elle été légitime que le Sénat n’a pas, pour autant, choisi cette voie.
L’objectif général du texte n’étant pas remis en cause, nous avons recherché un consensus auquel l'Assemblée nationale n’était pas parvenue, et ce par l’écoute et l’écriture.
Outre les auditions plénières devant la commission spéciale, j’ai reçu environ soixante-dix personnes, représentants d’organismes publics et privés, d’administrations, de syndicats de salariés, d’organisations professionnelles ou personnalités qualifiées. Il a été expressément offert à chacun et chacune de développer ou compléter sa pensée par l’envoi d’une contribution écrite. Peu ont manqué d’user de cette offre ! L’avis du premier président de la Cour de cassation et de tous les premiers présidents de cour d’appel a été suscité. Toutes les contributions spontanées ont fait l’objet d’une lecture attentive.
Il est également à souligner qu’un espace participatif a été ouvert sur le site du Sénat afin de collecter les avis des différentes professions concernées par le texte et des citoyens.
Des dizaines de contributions ont été recensées.
Nous avons veillé à ce que l’expression et l’information soient les plus diverses et les plus complètes.
Il a été proposé à tous et à toutes d’appréhender les avancées et réformes de façon responsable, afin que les objectifs principaux du Gouvernement ne soient pas remis en cause.
Avec pragmatisme, en évitant les postures uniquement conservatrices ou partisanes, des voies raisonnables de compromis et d’apaisement ont aussi été recherchées. Elles ont mené à des solutions qui s’accordent parfaitement avec la mise en place de dispositions visant à favoriser la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Même lorsque le projet de loi concernait des domaines extrêmement peu influents dans cette croisade, son contenu et sa rédaction furent non pas amputés, mais amendés, pour que l’incorporation des dispositions en cause s’effectue harmonieusement dans notre État de droit, et, surtout, pour que, au surplus, certaines innovations dépassent le champ premier d’application du texte.
Monsieur le ministre, vous pouvez aisément le constater, le Sénat, par l’intermédiaire de la commission spéciale et sous l’autorité souriante du président de celle-ci, Vincent Capo-Canellas, en associant toutes les forces sociales, économiques et professionnelles, n’a pas déstructuré le projet de loi pour dénaturer son objectif.
À titre d’exemple, vous avez pu noter que, à propos des professions réglementées, nous avons conservé l’avis de l’Autorité de la concurrence, concilié l’approche économique et la spécificité de la prestation juridique, maintenu la péréquation et les remises tarifaires en évitant leur dénaturation, confirmé la liberté d’installation, mais en précisant le régime juridique applicable aux zones non carencées.
S’agissant de la spécialisation des tribunaux de commerce, nous avons trouvé un compromis sur le seuil de compétence de ces juridictions spécialisées, prévu au moins un tribunal spécialisé par cour d’appel pour assurer un maillage territorial satisfaisant, sorti les dispositifs de prévention de la spécialisation.
Nous avons reconnu à l’Autorité de la concurrence la légitimité d’exercer ses pouvoirs, après des débats compatibles avec les grands principes de notre droit au respect desquels veillent tant le Conseil constitutionnel que la Cour européenne des droits de l’homme.
Si nous n’avons conservé qu’une seule des trois dispositions relatives aux sociétés d’exercice du droit – les deux autres ne présentant pas suffisamment de garanties –, c’était pour vous engager, monsieur le ministre, à reprendre la plume au sujet de dispositifs sans doute trop hâtivement rédigés et à proposer un texte plus conforme à la protection de l’indépendance d’exercice des professions juridiques. Cette suppression n’a été faite qu’à titre conservatoire.
J’arrête cette énumération. Nous en reparlerons lors de l’examen des amendements.
Mes chers collègues, ce projet de loi, amendé par la commission spéciale, dans un esprit dont chacun et chacune d’entre vous saluera, je suppose, le caractère constructif, a été sans doute, au surplus, en grande partie défendu, auprès de leurs membres plus radicaux, par les mandataires responsables de la plupart des activités économiques, juridiques ou judiciaires concernées.
Monsieur le ministre, ne laissez pas passer cette occasion, parmi d’autres, qui, contrairement à l’avis de M. le Président de la République, pourrait faire que la future loi soit celle de l’année ! Pour cela, restez-en à ce que vous avez affirmé sur ce projet de loi lors de votre audition par la commission spéciale du Sénat : « Le texte peut être amélioré tout en conservant l’équilibre entre efficacité économique accrue et justice sociale préservée, parfois même renforcée. » Vous indiquiez également : « Je ne doute pas qu’il sera encore enrichi par vos discussions guidées par l’intérêt général. »
Mes chers collègues, monsieur le ministre, il y a les lois qui, dès leur promulgation, se diluent dans les textes préexistants qu’elles ont modifiés ou phagocytés. Il y a les lois qui s’identifient par leur date ; elles ne peuvent alors espérer être évoquées que par quelques juristes et parlementaires. Il y a celles qu’on affuble d’un acronyme ; les médias leur accordent une attention souvent éphémère. Et puis il y a les lois que nos concitoyens, eux, gardent en mémoire, parce qu’ils ont jugé leur genèse et leurs effets. Veillons-y, monsieur le ministre. Ces lois-là sont celles qui portent le nom de leur auteur.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Monsieur le ministre, je commencerai par souligner un instant vos mérites.
Murmures sur les mêmes travées.
Le présent texte était initialement marqué par des intentions que vous avez su remiser avec soin. Par exemple, rendre 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat à nos concitoyens. Comme si une loi pouvait y suffire !
Vous avez donc su minorer cette intention de votre prédécesseur et revenir à des principes un peu plus réalistes.
M. Pillet vient de le rappeler, vous avez gardé un certain nombre de dispositions relatives aux professions réglementées qui visaient à désigner du doigt ces dernières : elles allaient rendre une partie des milliards d'euros en question. Nous y reviendrons. Quoi qu’il en soit, l’essentiel de l’idéologie a disparu, au moins dans le discours. Nous veillerons avec les corapporteurs à ce qu’il en soit de même dans les actes.
Monsieur le ministre, ce satisfecit est très partiel. Il vise une partie du travail accompli et vous invite à continuer à progresser avec nous. C’est ce que le Sénat s’est employé à faire lors des travaux de la commission spéciale.
À vrai dire, le Gouvernement et le Parlement vont vivre un moment singulier. Selon que seront défendues dans cette enceinte des positions utiles à la discussion, à la réforme du pays, au déblocage du marché de l’emploi et à la compétitivité – les deux vont de pair – ou que sera conduit un débat politicien, c’est une certaine idée de la réforme et de l’adaptation du pays au temps présent qui sortira consolidée ou entravée des travaux du Sénat.
Nous mesurons la responsabilité qui est la nôtre. Aussi l’ambition de la commission spéciale a-t-elle été, par son travail, d’apporter une contribution éclairée, exigeante, afin que la Haute Assemblée offre au Gouvernement l’occasion de clarifier sa démarche, non par plaisir, mais simplement pour être utile à l’emploi. Les temps actuels appellent de la clarté et requièrent que l’on s’intéresse aux véritables questions.
Monsieur le ministre, nous nous interrogeons : êtes-vous prêt à bouger ? Je vous donne acte du retrait de certains amendements par le Gouvernement et de votre volonté de discuter maintenant avec le Sénat. C’est cela qui compte.
La Haute Assemblée tente d’aborder les véritables enjeux : la situation de l’emploi et celle de la compétitivité des entreprises. Ces situations sont telles, si difficiles, que nous pourrions trouver des accords. Si vous sortiez du flou, monsieur le ministre, comme nous vous y invitons, des avancées seraient possibles.
Si je devais caricaturer votre action, je dirais que vous nous proposez trop souvent une mesure favorable à la compétitivité pour deux mesures d’atténuation, ce qui rend le tout illisible et peu opérationnel. Trop tard, trop peu, de façon contradictoire : c’est souvent la manière de faire du Gouvernement. Toutefois, je m’en tiendrai au fond.
Parmi les pays de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, seule l’Italie a connu une croissance par tête plus faible que celle de la France au cours des vingt-cinq dernières années. C’est à dessein que je procède à une comparaison sur un laps de temps long, afin de ne stigmatiser ni le Gouvernement actuel ni aucun autre gouvernement. Je pense que nous devons méditer ensemble ce constat. Tel est tout l’enjeu de nos débats : en finir avec la fatalité qui fait que nous sommes à la traîne des pays européens.
Cela étant, l’examen de votre texte révèle plusieurs paradoxes.
Le premier a déjà été relevé à plusieurs reprises. Alors que vous parlez de favoriser la croissance et la compétitivité, vous traitez beaucoup du secteur réglementé, lequel n’est presque pas ouvert à la concurrence, en tout cas à la concurrence internationale.
Ensuite, vous abordez dans le présent projet de loi de nombreux sujets qui ne relèvent pas du champ de votre ministère, comme la justice, le travail, l’urbanisme, et j’en oublie. L’exercice a un côté classique, mais jamais un texte n’avait embrassé autant de champs ministériels, allant parfois jusqu’à les étouffer, au point qu’un certain nombre de ministères se sont sentis non seulement dépossédés, mais aussi désavoués.
Au final, et c’est là le principal paradoxe, l’ambition initiale de ce texte, favoriser la croissance et l’activité, disparaît assez vite.
D’abord, il faut souligner que le secteur du numérique est absent du projet de loi, même si vous nous assurez, monsieur le ministre, qu’il sera abordé plus tard. Or, à terme, le numérique constituera sans doute une véritable révolution, à laquelle nous devons donc nous préparer.
Ensuite, il manque à votre texte de véritables dispositions en faveur de la croissance et de l’activité, comme l’a fort bien relevé Catherine Deroche voilà quelques instants. La commission spéciale les a légitimement introduites. Alors que vous nous parliez de croissance et d’activité, monsieur le ministre, on se disait qu’il y avait une erreur d’étiquette, pour ne pas dire tromperie sur la marchandise, car le texte ne contenait aucune mesure susceptible de les favoriser.
De ce texte qui aurait en fait pu être intitulé « projet de loi portant diverses dispositions d’ordre économique », nous avons fait un véritable texte pour la croissance et l’activité.
Nous pensons qu’il faut travailler à la fois pour la croissance, pour l’activité et pour l’emploi. C’est là l’essentiel.
J’évoquerai maintenant le volet relatif au droit du travail.
Nous avons lu avec attention la déclaration suivante de M. le Premier ministre – comme vous pouvez le constater, nos sources sont bonnes – au magazine Challenge il y a quelques jours : « Je veux ouvrir le chantier de l’emploi dans les PME. » Nous avons entendu M. Valls, et nous lui proposons des mesures utiles à cette fin.
Comme le titrait récemment un excellent quotidien du soir, « Le Premier ministre [avance] à tâtons sur la réforme du marché du travail ». Pour notre part, nous voulons le guider – cela part d’une bonne intention – en ayant à l’esprit les conclusions du rapport livrées la semaine dernière par l’OCDE : priorité doit être donnée en France à la réforme du marché du travail. Nous y venons.
Catherine Deroche a présenté des mesures tout à l’heure. Tous les experts en parlent. Le Gouvernement les met sur la table, au fil de déclarations perlées, considérant que ce sont de bonnes idées, mais qu’il convient d’attendre et qu’il faudra peut-être encore procéder à des changements.
Pour notre part, nous avons choisi de débattre de ces mesures et de les rendre opérationnelles. À cet effet, la commission spéciale a déposé des amendements. Vous voici donc placé devant vos responsabilités, monsieur le ministre : rester dans le flou ou faire des choix clairs. L’économie a besoin de simplicité et de clarté, tout comme le débat politique. Nous vous proposons par conséquent de revenir à la clarté, ou d’y venir tout simplement peut-être.
À vrai dire, à vous écouter, nous pourrions penser que nos divergences sur ce sujet tiennent uniquement à la temporalité. Vous nous demandez en effet d’attendre la fin de la négociation sociale. Or l’accroissement des difficultés de nos concitoyens et l’accélération du décrochage économique des entreprises, lesquelles créent les emplois, sont tels que le tempo du dialogue social devrait peut-être être accéléré.
Il me semble donc que les propositions que nous formulons méritent d’être mises en place. Il me semble surtout que l’argument du calendrier dissimule en fait un manque de volonté et l’absence d’objectifs clairement définis.
Cela étant, un autre grand sujet mérite une réflexion de la Haute Assemblée, celui du droit et de l’économie. François Pillet en a parlé avec talent.
Lors de son audition par la commission spéciale, Mme la garde des sceaux a déclaré : « S’il est important que les professions juridiques réglementées participent à la revitalisation de l’économie, la justice et le droit ne peuvent être abordés sous un angle uniquement économique. » C’est ce propos qui a guidé la réflexion de François Pillet. On peut tout dire du dispositif qu’il a présenté, mais on ne peut en aucun cas le caricaturer.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. M. le corapporteur a proposé des mesures qui, il faut le reconnaître, rendent la réforme applicable. C’est tout son talent.
Applaudissementssur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
Quant au volet « mobilité, économie pure », Dominique Estrosi Sassone a rappelé avec clarté et fougue les apports de la commission spéciale. Là encore, une clarification s’impose, en particulier concernant les sociétés de projet. Jean-Pierre Raffarin en parlera mieux que je ne saurais le faire. Un arbitrage du Président de la République est intervenu en la matière, mais il y a trois façons de le comprendre : soit la vente des fréquences hertziennes, soit les sociétés de projet, soit encore, selon Bercy, un autre dispositif à définir et à étudier si un problème se posait à la rentrée. Là encore, nous appelons très simplement à la clarté.
Pour ce qui concerne le secteur ferroviaire, Dominique Estrosi Sassone l’a dit à l’instant, nous pensons qu’il faut non pas refuser l’expérimentation de l’ouverture à la concurrence, mais l’encadrer. Nous ne rendrions pas service aux cheminots en renvoyant le sujet à plus tard, lorsque tout sera libéralisé d’un coup. Mieux vaut selon nous que la SNCF se prépare dès aujourd'hui à la libéralisation. Tel est le sens du dispositif, que je pense protecteur, adopté par la commission spéciale.
Pour conclure, je tiens à souligner l’excellent climat des travaux en commission, ainsi que l’implication très forte de tous les corapporteurs, leur talent et leur constance, de même que l’aide du personnel de la commission.
Monsieur le ministre, la majorité sénatoriale vous soumet aujourd'hui un texte amendé, c’était son devoir. Il est le fruit d’un travail effectué par la commission spéciale en concertation avec les présidents des groupes du Sénat que je tiens à saluer et à remercier de leur soutien et de leur exigence constructive.
En résumé, je rappellerai ce qu’a dit Jacques Attali lors de son audition par la commission spéciale : ce texte est anecdotique au regard du besoin d’adaptation du pays, mais votez-le, car cela peut être un starter. Nous avons fait d’un projet de loi anecdotique un texte bien plus musclé et ayant du pep. Nous en avons surtout fait un texte pour la croissance et pour l’emploi. Nous avons ajouté un moteur et du carburant au starter qu’évoquait Jacques Attali. Avançons !
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
Mme Nicole Bricq. Par la volonté réformatrice qu’il traduit, par son ampleur et sa diversité, grâce au recours à des méthodes innovantes d’évaluation d’expériences étrangères, du fait, monsieur le ministre, de votre personnalité et de votre implication dans le travail parlementaire à l’Assemblée nationale, le présent projet de loi est un texte d’exception
Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
J’évoquerai pour ma part plus particulièrement le contexte macro-économique dans lequel s’ouvrent nos débats au Sénat. Tout concourt aujourd'hui à ce que les entreprises se mettent en phase avec les facteurs macro-économiques favorables, qu’ils soient exogènes ou internes. Nous assistons à une reprise portée par la consommation. §L’INSEE table sur une nette remontée des marges des entreprises, favorisée en cela par les effets positifs du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. L’État lui-même voit la charge de sa dette allégée. Les conditions d’une accélération des réformes sont donc réunies.
À cet égard, les annonces en faveur de l’investissement faites par le Président de la République sont de bon augure. Le Premier ministre s’exprimera lui aussi sur ce sujet demain.
Il est également nécessaire, et tel est le mérite de ce texte, de redonner confiance tant aux entrepreneurs qu’aux salariés. Il faut en particulier leur donner de la prévisibilité et s’assurer que les décisions d’investissements publics et privés sont rapidement opérationnelles.
À cet égard, permettez-moi de répondre aux critiques qui sont faites sur toutes les travées de cet hémicycle sur l’habilitation à légiférer par ordonnance demandée par le Gouvernement au Parlement dans certains articles du projet de loi.
Je rappellerai tout d’abord que tous les gouvernements usent de cette faculté et qu’on ne saurait le leur reprocher. §Je rappellerai ensuite, une bonne fois pour toutes, qu’une ordonnance n’est pas un simple arrêté administratif. L’habilitation à légiférer par ordonnance est encadrée par le Parlement. Les parlementaires peuvent être associés à l’élaboration des ordonnances – il appartient au rapporteur du texte et au président de demander cette association. Enfin, les ordonnances sont ratifiées par le Parlement. Ce dernier n’est donc en aucun cas dépossédé de sa capacité à légiférer.
Cela étant dit, même si nous appuyons sur la pédale « investissements », le problème de l’emploi demeure, cela a été souligné, notamment dans le secteur marchand. Une économie doit en effet marcher sur ses deux jambes : il faut à la fois réaliser un investissement productif dans les bons secteurs, c'est-à-dire investir dans nos capacités de production plus que dans le bâtiment et dans l’immobilier, et agir sur la création d’emplois dans le secteur marchand.
De ce point de vue, deux mesures ont été évoquées : le travail du dimanche et l’ouverture régulée de lignes d’autocars. Toutes les évaluations indépendantes conduites sous l’égide de France Stratégie ont montré que ces mesures avaient eu des effets positifs sur l’emploi à l’étranger.
Permettez-moi également d’insister sur le fil rouge de l’action gouvernementale et sur ce qui constitue à mes yeux une contribution essentielle du projet de loi à la reconnaissance du rôle des salariés et de leurs organisations syndicales dans l’entreprise. Force est de le constater, la commission spéciale n’est pas en phase avec cette volonté. Le texte qui est issu de ses travaux contient trop d’exemples de la défiance de la majorité sénatoriale à l’égard des salariés.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Mme Nicole Bricq. Nous, socialistes, tenons au statut de salarié protégé du défenseur syndical dans la procédure prud’homale.
Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.
Nous, socialistes, tenons à la négociation pour l’ouverture des commerces le dimanche.
Nous, socialistes, sommes attachés au principe de la négociation des plans sociaux d’entreprise qui permet de responsabiliser les acteurs économiques.
Mme Nicole Bricq. Nous, socialistes, sommes favorables à la relance de l’actionnariat salarié et de l’épargne salariale.
Exclamations sur plusieurs travée s de l'UMP et du groupe CRC. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Nous, socialistes, sommes favorables à la dilution du capital si elle est nécessaire à une reprise de l’activité par une entreprise.
Monsieur le corapporteur, cette discussion nous donnera l’occasion, même si nous avons déjà eu ce débat en commission spéciale, de confronter notre vision de l’entreprise à la vôtre.
Mme Nicole Bricq. Notre vision de l’entreprise, c’est celle d’un bien collectif qui appartient autant aux salariés qui la font vivre qu’aux actionnaires, alors que, vous, vous en avez une conception purement patrimoniale.
Mais non ! au banc des commissions et sur plusieurs travées de l’UMP.
Depuis le mois d’octobre dernier, la majorité sénatoriale siège du côté droit de cet hémicycle. J’ai bien écouté les interventions que, les uns et les autres, vous avez faites, mes chers collègues. Elles sont empreintes d’un paradoxe. Vous ne pouvez pas dans le même temps, et souvent par les mêmes voix, prétendre que vous n’êtes pas dans une opposition systématique au Gouvernement et affirmer votre volonté de réécrire totalement le présent texte. C’est tout de même contradictoire !
J’ai même entendu employer le terme « détricotage »…
Alors, je vous laisse à votre paradoxe, mais tous ceux qui s’intéressent à nos travaux – j’ose espérer qu’il s’en trouve quelques-uns, …
(Protestations sur les travées de l'UMP.) à l’égard, notamment, des professions réglementées du droit, et, parallèlement, le très grand libéralisme qui l’a inspirée quand il s’est agi de rogner les droits des salariés et de leurs représentants syndicaux.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.
… des observateurs attentifs de la vie politique – ne pourront que constater le contraste évident qu’il y a eu dans le travail de la commission spéciale entre le protectionnisme acharné dont elle a fait preuve §
Je ne prendrai que deux exemples de votre démarche, puisque nous disposons de quinze jours pour revenir sur tous ces sujets.
Vous avez supprimé l’article visant à renforcer la présence des salariés – elle avait été portée à la majorité des deux tiers – dans les conseils de surveillance des fonds communs de placement d’entreprise et vous êtes revenus au texte initial, c'est-à-dire à la moitié seulement. Il s’agit quand même de l’épargne salariale ; comme son nom l’indique, elle appartient aux salariés. Eh bien non, vous n’êtes pas d’accord avec le fait qu’on augmente la proportion des salariés dans ces conseils de surveillance.
Dans le cadre du travail du dimanche, en conditionnant l’ouverture dominicale à la décision unilatérale de l’employeur, approuvée par référendum par les salariés, à défaut d’accord collectif, vous faites un choix politique très fort. Cela signifie que vous niez les vertus du dialogue social et du compromis social.
Protestations sur les travées de l'UMP.
Ce choix est contraire à toute l’action du Gouvernement, qui vise à renforcer le dialogue social et à permettre l’expression des salariés au travers de leurs représentants. C’est le sens du texte du ministre du travail qui vient d’être transmis aux partenaires sociaux et qui permettra, y compris dans les très petites entreprises, que cette représentation existe.
Cet immobilisme, associé à la non-reconnaissance des droits des salariés et de la négociation, est un très mauvais signal. Il ne ramène pas la confiance.
Il y a ceux qui disent que c’est trop et ceux qui estiment que ce n’est pas assez. En définitive, comme je l’ai déjà indiqué en commission, les vents contraires s’annulent et nous condamnent au blocage. Voilà ce qui apparaît au travers de vos interventions, mes chers collègues, alors que, vous le savez – les élections nous le rappellent d’année en année –, l’immobilisme politique nourrit le populisme.
Exclamations sur les travées de l'UMP et du CRC.
Je voudrais aussi que l’on évite les excès de langage.
Monsieur Capo-Canellas, vous avez déclaré ce matin que ce texte était une coquille vide.
(Exclamations sur les travées de l'UMP et du groupe CRC.) Mais en quoi aurions-nous amélioré la situation de la France et des Français ? En rien du tout ! Donc, épargnons-nous ces polémiques et ces joutes verbales stériles !
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Prenant le même ton que vous, je pourrais vous rétorquer que j’y vois pour ma part une corne d’abondance. §
Mme Nicole Bricq. Je terminerai en vous disant que le groupe socialiste croit que notre pays est capable de mouvement. Il soutient le Gouvernement dans sa volonté de réforme. Il s’agit de dégager de bons compromis, utiles à la France, dans une économie de marché régulée et face au processus de mondialisation. C’est à cela que vous invite, mes chers collègues, le texte du Gouvernement.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a été qualifié de « fourre-tout », de « catalogue de mesures », de « liste de courses » du Gouvernement : les adjectifs ne manquent pas dans la presse pour qualifier un texte volumineux, qui vise de très nombreux sujets, et dont la cohérence globale fait l’objet de questions. Mais qu’en est-il réellement ?
Monsieur le ministre, lors d’une audition, vous avez déclaré que le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a trois origines principales : tout d’abord, les réformes amorcées par votre prédécesseur, Arnaud Montebourg, à Bercy, notamment sur les professions réglementées ; ensuite, les apports du ministère du travail ; enfin, vos propres réflexions, alimentées par votre participation à la commission Attali, au début du quinquennat précédent.
Ces trois inspirations partagent un point fondamental : une certaine approche de la société, un fil rouge, dont a parlé Mme Bricq, bien que l’adjectif « rouge » ne soit pas spécialement adapté à ce projet de loi…
Rires et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du CRC.
Cela étant, on reproche souvent aux textes dont nous débattons dans cet hémicycle d’être seulement des outils de gestion, des projets technocratiques. Il faut le reconnaître, ce n’est pas le cas de votre projet de loi, monsieur le ministre, qui esquisse une idéologie.
Ce texte repose sur une idée simple – je n’ai pas dit simpliste : notre pays dispose d’un potentiel de croissance inexploité et pour parvenir à libérer celui-ci, il nous faut supprimer un certain nombre d’obstacles normatifs.
Plusieurs domaines jugés « réformables » sont ainsi identifiés et constituent l’ossature du projet de loi : transports collectifs, professions réglementées, commerce, urbanisme, environnement, droit du travail. Vous les avez, monsieur le ministre, détaillés assez précisément.
Le but est de favoriser l’arrivée de nouveaux entrants sur des secteurs jusque-là protégés, afin que cette mise en concurrence crée de l’emploi, de la richesse, de la croissance.
Cette vision peut se comprendre, mais elle comporte une différence fondamentale avec celle des écologistes. Là où vous voyez des obstacles, monsieur le ministre, nous voyons des garanties, celles d’avoir un environnement sain, un cadre de vie agréable, du temps pour s’épanouir en dehors du travail et un accès à des services de même qualité pour tous.
Si le transport par autocar n’est pas aujourd’hui complètement libéralisé, c’est parce que la priorité a été donnée au ferroviaire, moins polluant. Si les notaires ne sont pas des commerçants comme les autres, c’est parce qu’ils assurent des missions de service public.
Si le travail de nuit est très fortement limité, c’est parce qu’il a une incidence avérée sur l’espérance de vie.
Des ajustements doivent nécessairement être faits, mais il existe des garde-fous légitimes dont le projet de loi que nous examinons prévoit de s’affranchir.
Cette volonté de libéralisation est renforcée par la majorité sénatoriale pour ce qui concerne certaines parties du texte. On peut toujours compter sur vous, chers collègues qui siégez sur la droite de l’hémicycle, lorsqu’on commence à lever un frein, pour encourager la démarche…
Et, vous l’avez d'ailleurs dit, vous assumez parfaitement ! La majorité sénatoriale a ainsi adopté en commission une série d’amendements, visant notamment le travail du dimanche, et qui vont encore plus loin que la version votée à l’Assemblée nationale.
Le texte contient un nombre important de demandes pour légiférer par ordonnances. Cette manière de réformer est discutable, surtout lorsque ces ordonnances concernent des sujets aussi importants que le droit de l’environnement ou des grands travaux comme le canal Seine-Nord ou la liaison Charles-de-Gaulle Express. Le Parlement est ainsi prié de laisser toute latitude au Gouvernement pour agir dans ces domaines, ce qui traduit une conception de son rôle que nous ne partageons pas.
Dans son contenu, le projet de loi aborde en premier la question des transports terrestres, principalement l’ouverture à la concurrence des lignes d’autocars.
Il faut conduire un débat intéressant – nous l’avons fait au sein de mon groupe – sur la place de l’autocar dans nos modes de déplacement, monsieur le ministre, et ce n’est pas si simple que cela.
Votre objectif est que cinq millions de voyageurs utilisent l’autocar d’ici à un an. Cette mesure est supposée créer 10 000 emplois et permettre des voyages plus aisés sur des trajets qui ne sont pas desservis par le train. Mais quelle réflexion avons-nous, aujourd'hui, sur l’aménagement du territoire ? Les acteurs privés qui assureront ces services n’ont que faire de l’aménagement du territoire ; ils s’installeront là où c’est rentable, ce qui ne résoudra pas l’isolement de certains territoires. Il faut toutefois noter qu’une amélioration sensible a été introduite par la commission spéciale : le doublement de la limite kilométrique de déclaration. Ainsi, les régions continueront à assurer leur rôle d’organisatrice des transports.
Pour nous, le risque est que les autocars ne deviennent les moyens de transport sur moyenne et longue distance les plus utilisés par les personnes les moins aisées, créant ainsi des déplacements à deux vitesses : les riches se déplaceraient en train et par avion, tandis que les pauvres le feraient par autocar. Et cette situation existe déjà. On peut le constater, ce sont essentiellement des jeunes qui utilisent les TER en provenance de Lyon le dimanche soir, parce que le TGV est trop cher.
Il y a donc aujourd'hui une réflexion importante à mener sur les rôles respectifs de l’autocar et du train, de façon que ces modes de transport soient complémentaires. Cela n’apparaît pas clairement, monsieur le ministre, même si, je le sais, vous avez envie de soulever cette question, dont nous sommes prêts à débattre avec vous au cours des quinze jours qui viennent.
En revanche, toujours dans le domaine des transports, l’introduction par amendement à l’Assemblée nationale de deux grands projets coûteux et douteux réalisés par ordonnance – le canal Seine-Nord et le Charles-de-Gaulle Express – n’est pas acceptable. Ces deux projets méritent à eux seuls un débat parlementaire complet…
… et les écologistes en demandent le retrait du texte.
Pour ce qui concerne le permis de conduire, le projet de loi prévoit des avancées : en supprimant la durée minimale de vingt heures de conduite avant le passage de l’examen, en ouvrant la possibilité d’établir des contrats avec des auto-écoles en ligne et en interdisant la facturation de frais excessifs par les auto-écoles pour la présentation à l’examen, il permet de raccourcir les délais et de réduire le poids financier du permis.
En revanche, monsieur le ministre, nous ne souscrivons pas à votre projet relatif aux professions réglementées. Vous proposez de considérer les notaires et les avocats aux conseils comme des commerçants qui doivent être soumis à la concurrence comme toute profession. Or ces professionnels assurent avant tout un service public, le même pour tous. Les notaires sont assermentés et leurs actes sont obligatoires pour un grand nombre d’opérations. Ils assurent aussi, et ce n’est pas connu, une mission de lutte contre la fraude, avec près de 1 000 déclarations par an auprès de TRACFIN – traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins –, ce qui n’est pas rien. Un office notarial n’est donc pas un magasin soumis à une logique de marché.
La création d’entreprises interprofessionnelles donne lieu à une confusion des genres dangereuse, notamment entre les professions du droit et du chiffre. Les États-Unis ont démantelé les grands cabinets multiprofessionnels après des scandales comme l’affaire Enron. Quinze ans plus tard, vous nous proposez de refaire les mêmes erreurs en France.
Quant au fameux article 28 relatif aux ordonnances concernant le droit de l’environnement, le texte initial prévoyait une large habilitation à légiférer par ordonnance pour simplifier les règles d’urbanisme. Je n’entrerai pas dans le détail faute de temps, mais, là encore, le droit à l’environnement est perçu comme un frein à la croissance, alors que les écologistes le considèrent au contraire comme un garant de la qualité de vie et du respect de l’environnement.
Heureusement, la commission spéciale du Sénat a largement limité la portée de l’article susvisé aux seuls projets touristiques. Pour notre part, vous le comprendrez, nous demanderons néanmoins la suppression de cette disposition.
L’article 29 envoie un message catastrophique aux acteurs de la construction : « Privilégiez le passage en force, car une fois la construction réalisée, plus personne ne pourra s’y opposer. » En empêchant la démolition, hormis dans certains cas précis comme les constructions sans permis et les projets dans des zones sensibles, cet article constitue une attaque directe contre l’environnement. Nous nous y opposerons.
Viennent ensuite un certain nombre de privatisations qui ne disent pas leur nom. Il s’agit de Nexter, du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, des sociétés de projet dans le domaine de la défense, et des aéroports de Nice et de Lyon. Les écologistes s’opposent à ces privatisations injustifiées, qui traduisent une volonté de recherche de capitaux à court terme – on peut certes la comprendre –, sans aucune vision d’investissement et de planification. Il s’agit là d’un énième recul de l’État planificateur, auquel nous n’apporterons pas notre soutien.
L’article 64, qui prévoit un rapport annuel d’information sur les retraites chapeaux, et l’article 64 bis, qui encadre celles des mandataires sociaux dirigeants, vont dans le bon sens. Nous y sommes favorables.
À partir de l’article 71, le projet de loi aborde une autre dérégulation, celle du droit du travail. Il est prévu d’augmenter le nombre de « dimanches du maire » et de le porter de cinq à douze, de créer des zones internationales dans lesquelles les règles relatives au travail de nuit et dominical seront simplifiées, de réformer la justice prud’homale et d’adapter les conditions d’embauche des travailleurs handicapés.
Il y a là un raisonnement qui m’échappe. Comment peut-on considérer qu’ouvrir les magasins le dimanche ou le soir créera de la croissance et de l’emploi ? Un bien acheté le dimanche ne sera pas acheté en semaine, sauf dans quelques zones marginales. C’est simplement un autre rythme de consommation que vous nous proposez : acheter 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, « non-stop », sans espace préservé pour soi ou ses proches.
Le dimanche est un jour collectivement et culturellement accepté comme chômé. En brisant cette règle, cette convention, c’est l’individualisme qui progresse et certainement pas le bien-être collectif.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Quant au travail de nuit, les risques qu’il fait encourir sont connus : désadaptation et isolement social, professionnel et/ou familial, probabilité plus élevée de cancers, notamment du sein et colorectal. Je n’invente pas ces effets, ils sont écrits en toutes lettres sur le site du ministère du travail !
Si le Gouvernement est prêt à mettre en place ces rythmes de travail, tout en étant parfaitement conscient des risques pour les travailleurs, cela se fera sans l’assentiment des écologistes. Il faut reconnaître que, sur ce point, vous avez décidé d’en rajouter ! Vous comprendrez que, comme le disait Mme Bricq, nous n’allions pas dans votre sens.
En conclusion, vous le savez, monsieur le ministre, les députés écologistes ont majoritairement voté contre votre projet de loi. Je pense que vous avez compris le sens de l’analyse que fait mon groupe au Sénat de votre texte. Néanmoins, nous resterons pragmatiques, une qualité que vous appréciez. En fonction des amendements qui seront adoptés et du texte issu des travaux de notre assemblée, nous vous réserverons peut-être la surprise d’un vote positif.
Exclamations sur diverses travées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, appelé désormais « loi Macron », dont nous entamons la discussion aujourd’hui au Sénat, n’aurait jamais dû parvenir jusqu’à nous. Alors que le Gouvernement a été privé de majorité à gauche à l’Assemblée nationale, ce texte n’a dû son salut qu’au coup de force du Premier ministre et à l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. C’est donc un projet de loi démocratiquement entaché dont nous poursuivons l’examen.
Permettez-moi de formuler une remarque politique préalable. Depuis cet épisode bafouant la souveraineté parlementaire, la politique du Gouvernement a, une nouvelle fois, conduit à une lourde défaite électorale. Monsieur le ministre, nier le lien direct entre, d’une part, le contenu de votre projet de loi, de la politique gouvernementale en général, la persistance à imposer cette politique et, d’autre part, ces débâcles électorales relève soit de l’aveuglement idéologique, soit d’un choix assumé, et, sans doute, malheureusement, d’un peu des deux.
Le Premier ministre ne peut pas, d’un côté, regretter la forte abstention à gauche, le décrochage populaire des électeurs de 2012 et, de l’autre, continuer à appliquer à la ligne les recommandations du fascicule du « parfait petit libéral », alors que cette politique ne produit aucun résultat dans la lutte contre le chômage et pour l’amélioration de la vie quotidienne des Français qui souffrent le plus. C’est totalement contradictoire !
Les Français, qui attendent des changements sociaux importants, ne cessent de vous dire clairement qu’ils souffrent de cette politique à chaque occasion qui leur est donnée. Vous devriez les écouter au lieu d’enfoncer le pays dans cette dangereuse impasse !
Au lendemain des élections départementales, vous avez montré dans quelle considération vous teniez l’expression démocratique des Français. Dès le lendemain du second tour, vous avez lancé une de ces petites phrases dont vous avez le secret, en annonçant pour l’été prochain un second volet de votre dispositif de dérégulation, un « Macron II » en quelque sorte.
Devant le tohu-bohu déclenché y compris au sein du parti socialiste, le Premier ministre a repoussé cette annonce, mais nous savons que, avant même l’adoption définitive du texte dont nous discutons, vous pensez déjà à la seconde étape, qui vise en particulier à déstructurer le droit du travail dans les PME.
Notre discussion intervient dans un contexte économique et social toujours plus dégradé. Les dernières annonces de l’INSEE en témoignent. On nous prédit une petite reprise de la croissance, mais sans création d’emplois. Si l’on regarde les choses de près, c’est en réalité le contenu et les objectifs du développement économique qui doivent être repensés pour impulser un nouveau mode productif, social et écologique. Faute de le faire, l’effet de votre politique de soutien aux profits et des 50 milliards d’euros que vous avez offerts aux entreprises sera nul sur l’emploi et les investissements, contrairement à ce que vous annoncez. En revanche, notre pays reste le champion des dividendes versés aux actionnaires.
Mais revenons à votre texte, monsieur le ministre.
Votre projet de loi est un vrai fourre-tout. On s’y perd, on s’y noie. Nous ne sommes pas dupes : cette confusion est organisée ; elle relève d’une tactique déjà éprouvée pour soustraire du débat public les mesures les plus antisociales.
Mais cette profusion de dispositions masque mal une profonde cohérence, cette ligne dérégulatrice qui traverse l’ensemble du texte et qui est directement inspirée du rapport de la commission Attali dont vous fûtes le corapporteur, et dont M. Sarkozy jugeait les propositions « raisonnables ».
D’ailleurs, M. Attali ne s’y trompe pas en déclarant : « Ce n’est pas pour son contenu que la loi Macron doit être votée, mais parce qu’elle pourrait annoncer d’autres lois portant sur des sujets de fond. Elle est un peu comme le démarreur d’une voiture dont le conducteur appuiera ensuite sur l’accélérateur. » Votre démarrage, monsieur le ministre, est déjà en vérité une belle accélération libérale !
Je prendrai quelques exemples, puisque l’importance du texte ne me permet pas de tout traiter.
Alors que tout – le social, l’économique, l’écologique – appelle le développement du ferroviaire, rien dans ce projet de loi ne l’encourage. Ce dernier, en autorisant le développement massif du transport par autocar en concurrence de la SNCF, envoie le signal exactement contraire, et accompagne la mise en œuvre prochaine du quatrième paquet ferroviaire européen de déréglementation.
Plus de la moitié des lignes TER, de nombreuses lignes Intercités sont menacées de fermeture dans un délai très court, selon un rapport rendu public cette semaine. Comment ne pas faire le lien ?
J’ajoute que les conséquences porteront tant sur le service public que sur l’industrie. L’industrie ferroviaire, fleuron déjà en difficulté, risque, elle aussi, d’être entraînée vers le bas, avec des dizaines de milliers d’emplois menacés. Tout ce que vous préparez conduit à prendre en étau cette grande entreprise publique qu’est la SNCF pour réaliser le rêve libéral du tout-concurrentiel.
Le développement massif du transport par autocar, en lieu et place du développement attendu du secteur ferroviaire, représente une dérégulation non seulement économique, mais aussi sociale. Il induit également un risque écologique. Le transport routier pollue alors que le transport ferroviaire est propre.
Un tel développement conduit, enfin, à une dérégulation des territoires, puisque des zones entières ne seront plus desservies ni par le train, abattu par la concurrence, ni par les autocars. Car quel transporteur privé desservira des lignes non rentables ?
Les privatisations constituent un autre axe majeur de la dérégulation organisée par votre texte.
La vente au secteur privé – avec le soutien de la droite, comme je viens de l’entendre – de 50 % du capital de GIAT Industries pour permettre la constitution d’une nouvelle entreprise appelée NEWCO, en partenariat avec la société privée allemande KMW, n’est pas acceptable, et ce à plusieurs titres.
Tout d’abord, le bien public est, une nouvelle fois, bradé au nom d’un hypothétique développement de l’entreprise. Aucune garantie n’existe et aucune évaluation n’a été faite pour asseoir cette assertion.
Ensuite, au-delà de la capacité de la puissance publique à peser sur les choix industriels, la souveraineté est engagée en matière militaire, bien sûr, mais aussi diplomatique. Qu’en sera-t-il du contrôle du marché de l’armement terrestre lorsque les rênes seront, de fait, confiées au privé ?
Enfin, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer le curriculum vitae de cette entreprise privée allemande détenue par la famille Wegmann ? Pouvez-vous préciser ou démentir l’implication de cette société dans une affaire de corruption dans le cadre de vente d’armement à la Grèce en 2000 ?
Deuxième lot de privatisation : les aéroports de Nice et Lyon, après celui de Toulouse et avant celui de Marseille.
Là aussi, nous bradons le patrimoine public. Pensez-vous une seconde que les futurs actionnaires auront comme priorité le service public et un développement du territoire harmonieux ? Il faudrait un miracle ! La privatisation de ces grandes infrastructures relève du dogme libéral et répond directement aux injonctions de la Commission européenne de mettre tous les trafics en concurrence.
Ce bradage généralisé – nous évoquerons au cours du débat la privatisation du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies et la filialisation des CHU – a atteint des sommets caricaturaux dans toute l’Europe, particulièrement dans certains pays comme la Grèce, qui fait l’actualité en ce moment. Pour quel profit, hors celui des marchés et des actionnaires ?
L’ordonnance du 20 août 2014, qui, comme il se doit, n’a pas été débattue dans les enceintes parlementaires, est très importante et nous mènerons le débat, monsieur le ministre, sur des points qui, pour le moment, sont masqués dans le débat public. Car cette ordonnance ouvre la possibilité de privatiser toute entreprise publique à l’exception de celles qui sont protégées constitutionnellement, comme EDF ou ADP, alors que, auparavant, la liste en cause était limitative.
J’ai parfois l’impression que la conception gouvernementale de la gestion du patrimoine public relève plus du Monopoly que d’autre chose. Or il ne s’agit pas d’un jeu : c'est l’avenir de notre pays et de milliers de salariés qui est menacé par cette docilité à l’égard des exigences des marchés financiers.
Cette question des privatisations est, à nos yeux, cruciale. Le débat sur la nationalisation des autoroutes le montre. Il touche à des points essentiels et, là encore, vous avez décidé de renoncer.
Le troisième pilier de votre projet de loi, intitulé Travailler, apporte, quant à lui, de nombreuses satisfactions au MEDEF, qui – c'est un grand classique ! – en demande évidemment encore plus. Vous transcrivez dans la future loi les propos que vous avez tenus devant des patrons à Las Vegas : « Les entreprises pourront contourner des règles du travail rigides et négocier directement avec les employeurs. »
Par manque de temps, je ne détaillerai pas la liste des coups durs qui vont être portés, au nom de cette théorie, au monde du travail.
Vous banalisez le travail du dimanche – quoi que vous en disiez, c'est à cela qu’aboutira ce texte ! –, vous le généralisez, vous le déverrouillez. Vous assenez des poncifs : « Le travail du dimanche c’est plus de liberté et la liberté c’est une valeur de gauche. » Mais où est la liberté quand le travail du dimanche devient l’arme du chantage à l’emploi pour des salariés de plus en plus précarisés ?
Ce sont les salariés, les familles modestes, qui vont souffrir de cette disposition ; nous vous le prouverons au cours du débat. Le travail du dimanche ne permettra pas de créer plus d’emploi : aucune d’étude d’impact n’a pu démontrer le contraire. Il n’y a pas plus de consommation à la clé, car le budget reste identique; il a même régressé pour de très nombreuses familles.
Nous sommes, en vérité, en plein dogmatisme. Plus de déréglementation et la valeur consommation portée au pinacle : c'est comme cela qu’on va s’en sortir ! Sans doute est-ce votre monde idéal… D’ailleurs, quitte à étendre le travail du dimanche, pourquoi ne pas généraliser le travail de nuit, comme tendent à le faire certaines dispositions du projet de loi ?
Vous remettez en cause, dans le même esprit, les conseils de prud’hommes, dont vous limitez lourdement la capacité de jugement, sous prétexte de vouloir accélérer les procédures.
Vous dérégulez le droit du travail. Avec votre texte, le salarié et le patron pourront signer une convention dans le cadre du code civil, et non plus du code du travail. C’est un premier pas vers une justice à l’américaine : je le rappelle, aux États-Unis, les conflits du travail se règlent à 95 % entre avocats ! À votre avis, monsieur le ministre, qui aura les moyens de s’offrir les services des meilleurs cabinets ?
La réduction des compétences de l’inspecteur du travail et la simplification du droit du licenciement complètent ce tableau.
Dérégulation des transports, privatisations, attaques contre les droits des salariés sont donc des piliers de votre projet de loi.
Mais d’innombrables autres dispositions « simplifient » – pour ne pas dire « dérégulent » – les secteurs du logement et de l’urbanisme, ou encore la vie des entreprises, pour ce qui concerne les questions de transparence. Le Sénat pourra peut-être restreindre l’offensive démagogique contre les professions réglementées, mais la menace d’une libéralisation massive du secteur du droit est toujours présente.
Que dire, enfin, des cadeaux aux actionnaires, avec le développement des actions gratuites ou la validation des retraites chapeaux – c’est bien de cela qu’il s’agit –, que l’on nous avait promis de supprimer ?
Comptez sur nous pour revenir sur tous ces points au cours du débat. Et nous ne ferons pas que nous opposer : nous proposerons systématiquement des alternatives favorables aux salariés.
En revanche, ne comptez pas sur nous – et je m’adresse là aussi bien au Gouvernement qu’à mes collègues siégeant sur la droite de cet hémicycle – pour jouer les utilités dans le face-à-face de dupes que vous vous livrerez ! En effet, que fait la droite face à ce projet de loi ? Elle approuve à demi-mot. Elle minaude
Vives exclamations sur les travées de l'UMP. – M. le président de la commission spéciale s’exclame également.
… un peu gênée que d’autres fassent le travail qu’elle n’a pas pu faire hier.
Tout à l'heure, Mme Estrosi Sassone disait que le projet de loi était au milieu du gué. Autrement dit, la moitié du chemin est déjà faite !
Dans ce débat, la droite va chercher à appuyer sur l’accélérateur, comme le prédisait M. Attali.
Elle s’attaque aux seuils sociaux ; elle offre au secteur privé les TER ; elle remet en cause le compte pénibilité, elle double le plafonnement du dispositif ISF-PME, elle accélère la possibilité de vendre les HLM au secteur privé…
Monsieur le ministre, vous qui n’avez pas obtenu de majorité à gauche à l’Assemblée nationale, allez-vous rechercher cette majorité à droite au Sénat ?
Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.
Pour conclure, je voudrais évoquer une anecdote, qui, je l’espère, vous fera sourire.
Le 1er avril dernier, un petit article publié par La Tribune, intitulé Les 35 heures, c’est fini !, relatait une réunion à Matignon, avec le Premier ministre, vous-même, monsieur le ministre, MM. Attali, Kessler, Gattaz et Tirole, au cours de laquelle avaient été décidées la fin des 35 heures, au bénéfice d’accords d’entreprise, la fin des seuils sociaux pour les entreprises de moins de 300 salariés et la libéralisation du licenciement économique.
Figurez-vous qu’il a fallu beaucoup d’efforts pour démentir ce poisson d’avril, qui a été pris au sérieux par de nombreux lecteurs. C’est dire l’image du gouvernement auquel vous appartenez…
Nous qui défendons une gauche fière de ses valeurs et de ses engagements, nous nous battrons contre ce projet de loi pour proposer d’autres solutions.
M. Pierre Laurent. Nous serons dans la rue aux côtés des très nombreux salariés qui défileront le 9 avril prochain.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Je préviens ceux qui seraient tentés de le faire pendant le débat sur le présent texte qu’il sera inutile d’opposer les immobilistes aux réformateurs. En effet, il existe de vrais réformateurs à gauche.
Exclamations ironiques sur les mêmes travées.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre du projet de loi – pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – témoigne d’une forte et louable ambition.
Moderniser la France, faire bouger les lignes, faire reculer certains corporatismes : voilà des objectifs auxquels chacun peut souscrire.
Cependant, ce texte consiste, pour une large part, en un catalogue de mesures assez disparates. Or, comme dans tout catalogue, certains produits sont plus attirants que d’autres… Le problème, c’est que vous nous demandez, monsieur le ministre, de passer commande de tout ce que comporte le catalogue !
M. le ministre sourit.
Je vais surtout insister sur les points du texte qui nous posent problème. Vous me le pardonnerez, mais il me paraît essentiel de soulever un certain nombre de ces difficultés dans le débat, où le fond idéologique est important.
Par ses convictions et par son histoire, mon groupe a toujours été partisan, en matière économique, de favoriser la création de la production, à la condition de protéger les droits de ceux qui réalisent celle-ci et d’assurer une juste distribution des revenus qu’elle produit, ce qui implique une intervention de l’État dans le domaine économique pour préserver l’équilibre entre la finance et l’Homme.
Libérer la production, évacuer nombre de contraintes administratives étouffantes pour l’économie, sclérosantes pour le pays et, d’abord, pour les PME, les PMI et les artisans, nous y sommes favorables. Revenir à une véritable codification à la place d’une accumulation de textes de moins en moins compréhensibles et de plus en plus contradictoires, c’est une nécessité, mais c’est une vraie révolution, qui demande une véritable stratégie et un temps déconnecté de l’échéance présidentielle.
Votre projet de loi relève-t-il de cette stratégie ? Est-il un avant-propos ou un intermède ? À vous, monsieur le ministre, de nous donner la réponse.
Ce n’est pas la question du travail du dimanche qui posera problème à la majorité des membres de mon groupe, même si le texte initial fut l’œuvre d’un ministère où le rôle de Clemenceau fut essentiel.
C’est plutôt du point de vue de l’égalité entre les territoires que, selon nous, la question du travail dominical doit être posée, en évitant une fois encore de privilégier ceux qui, sur le plan économique, ont déjà le plus d’atouts.
De même, nous voyons d’un œil favorable les dispositions relatives à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique.
Pour ce qui concerne le volet « mobilité » et la libéralisation des services de transport par autocar, il conviendra que vous nous rassuriez – vous avez déjà commencé à le faire – sur la protection de nos lignes ferroviaires, encore utiles dans certains territoires où le réseau routier national est quasi abandonné.
Nous sommes aussi tout à fait d’accord sur les dispositions de votre projet de loi relatives au logement et à l’environnement, en particulier sur l’extension de l’autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l'environnement, les ICPE.
Toutefois, monsieur le ministre, nous tenons d’ores et déjà à attirer votre attention sur un problème à nos yeux très important – c’est vrai de ce projet de loi comme d’autres textes – et qui nous rend très circonspects : nous considérons qu’il n’est pas sain, dans une démocratie, d’accorder autant de pouvoirs à des autorités dites « indépendantes », dont personne, de fait, ne contrôle le fonctionnement.
Dans votre projet de loi, quelle place éminente, primordiale vous accordez à l’Autorité de la concurrence ! Est-ce bien raisonnable ? Nous ne le pensons pas. Imaginez, par exemple, que l’Autorité de la concurrence ait qualité pour exprimer son avis sur les avocats aux conseils. Ce serait aberrant ! Quelles sont les compétences réelles d’une telle autorité pour intervenir dans ces domaines ?
D’une manière générale, il est plus que temps de limiter les pouvoirs de telles autorités, de ne point en créer de nouvelles, voire d’en supprimer certaines. Elles sont plus souvent le refuge de la haute technocratie et le point d’orgue de carrières récompensées. §Voilà qui est dit !
Le groupe du RDSE a pris l’initiative, en vertu de son droit de tirage, de demander la constitution d’une commission d’enquête sur la création, l’organisation, l’activité et la gestion de ces autorités indépendantes. Nous nous ferons un plaisir de commencer, monsieur le ministre, par l’Autorité de la concurrence…
Que l’État se départisse d’une part de ses missions régaliennes au profit d’autorités dont la légitimité démocratique est pour le moins contestable nous paraît dangereux. C’est au pouvoir politique, dans le bon sens du terme, qu’il convient d’assumer ses responsabilités, …
M. Jacques Mézard. … en veillant à un équilibre de la diversité des sensibilités dans la haute fonction publique. Les grands corps de l’État, dont les compétences sont indéniables, doivent avoir toute leur place dans l’organisation de l’État, mais sous le contrôle des élus, et non l’inverse.
M. Michel Savin applaudit.
J’en viens aux articles relatifs à la justice prud’homale, aux professions réglementées, essentiellement dans le domaine du droit, auquel je porte une attention particulière. Il ne s’agit pas de préserver telle ou telle situation. Il s’agit de voter des dispositions qui soient efficaces, équilibrées et qui apportent un plus au niveau économique. Nous doutons que les propositions faites en la matière respectent ces conditions.
Tout d’abord, monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, nous sommes choqués qu’un texte émanant de votre ministère décide tant de la procédure judiciaire que de l’organisation des professions juridiques et judiciaires ; vous n’en serez pas étonné ! Cela s’appelle la victoire du chiffre sur le droit.
En cela, vous aggravez les mesures déjà prises par le gouvernement Fillon. Une fois de plus, les experts-comptables, que je suis amené à côtoyer, ainsi que les grandes structures financières jubilent. Or, monsieur le ministre, contrairement au monde du chiffre, le monde du droit a en charge l’accès à la justice et au droit de tous les citoyens, en particulier des plus défavorisés ! Comment imaginer que de tels projets ne puissent relever de la chancellerie, du garde des sceaux ? D’aucuns l’ont rêvé ; vous l’avez fait. Nous le déplorons.
Sur la question prud’homale, vous avez raison de vouloir raccourcir les délais, qui sont insupportables, mais dont une part relève des chambres sociales des cours d’appel, sans qu’une réponse – je veux dire par là de nouveaux moyens – soit apportée à ce niveau. Ce qui interpelle, c’est que, au nom de l’accélération, vous multipliez les choix de procédure, ce qui est source de conflits et de complexité.
En outre, vous voulez favoriser les modes de règlement alternatifs des litiges par la médiation et la procédure participative découlant de l’article 2064 du code civil. Cette procédure, création du gouvernement Fillon, a été vendue, en 2010, comme une compensation à l’entrée du chiffre dans le droit et s’est révélée un échec total. Cependant, le second alinéa de l’article 2064 l’avait écartée pour les litiges prud’homaux, à juste titre, car cela aurait été contraire aux fondements de notre droit du travail et à la protection des salariés. Nous ne pouvons souscrire à une modification qui consisterait à revenir sur cette disposition.
Le vrai moyen de développer la conciliation, c’est d’avoir des conseillers prud’homaux formés à celle-ci, qui est un exercice difficile. Quant au développement du départage, il ne saurait faire gagner du temps que si le nombre de magistrats professionnels est augmenté, mais nous n’avons pas vu de novation en la matière.
En ce qui concerne les professions réglementées, revenons aux fondamentaux. Il n’en existe pas de définition légale ; ce sont des professions auxquelles on accède par un diplôme. Il y en a des centaines. Ainsi, un rapport administratif en a recensé cent quinze.
Je commencerai par l’examen du cas des avocats aux conseils qui n’étaient pas concernés par votre projet initial. Disons la vérité – telle est notre habitude dans cette enceinte : quelques cabinets d’avocats d’affaires parisiens ont fait du lobbying auprès des députés pour pouvoir s’immiscer dans un nouveau marché.
Ce n’est pas bien. C’est même détestable ! Si le nombre d’avocats aux conseils peut, certes, encore augmenter – ce serait une bonne chose, et ce point semble admis –, la profession s’est aujourd’hui modernisée et rend un service de très grande qualité, y compris pour les affaires relevant de l’aide juridictionnelle et dans le domaine du droit du travail, où le rôle de ces avocats est reconnu au niveau syndical. Ce ne sont pas de grands cabinets d’affaires parisiens qui vont assumer cette charge !
Je le répète, mettre l’organisation et l’avenir des avocats aux conseils sous la houlette de l’Autorité de la concurrence est un non-sens. L’amendement que nous proposons convient à la profession. Nous espérons qu’il recueillera votre assentiment, monsieur le ministre.
D’une manière générale, si nous pouvons être favorables à l’organisation de structures juridiques interprofessionnelles – c’est une modernisation qui marque un progrès –, nous sommes totalement opposés à l’entrée de capitaux extérieurs dans ces structures.
Les autres articles du projet de loi concernant les avocats, les notaires, les huissiers, les commissaires-priseurs et la justice commerciale ont, pour nous, un défaut majeur : ils relèvent d’une vision strictement technocratique et parisienne – peut-être celle de M. Attali –, mais complètement déconnectée des réalités de nos territoires ruraux.
Marques d’approbation sur les travées du RDSE et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
Pour ce qui concerne les avocats, j’ai déjà eu l’occasion de vous exposer directement les conséquences négatives du projet de loi : la suppression de la postulation devant les tribunaux de grande instance va accentuer la désertification dans nos territoires ruraux.
La question n’est pas celle du tarif de la postulation, vous pouvez d’ailleurs la supprimer, puisqu’il n’a pas été réévalué depuis 1973. Mais la suppression de la postulation signifie pour les cabinets d’avocats implantés dans nos départements sans cour d’appel la perte programmée de toute clientèle institutionnelle, banque, assurance, agences régionales, etc., et, par voie de conséquence, une fragilité extrême et la charge totale de l’aide juridictionnelle. Or nous ne voulons pas de « sous-avocats » !
Ce sont encore de la matière grise et de l’activité économique qui vont quitter nos territoires et, à terme, une nouvelle carte judiciaire axée sur les grandes métropoles régionales se dessinera. Monsieur le ministre, pensez au barreau de Tulle. Le tribunal de grande instance vient d’être rétabli dans cette ville : il faut que des avocats de qualité puissent y travailler à l’avenir !
Sourires.
C’est pourquoi je vous suggère la suppression de l’article relatif aux avocats.
Je constate que la commission spéciale propose une expérimentation, manifestement pour gagner du temps jusqu’en 2017, mais les lobbies des cabinets d’affaires ne seront-ils pas alors encore plus puissants ? Je ne reviendrai pas sur le rôle prêté à Fiducial dans ce projet de loi !
Les experts-comptables sont très bien vus à Bercy et vous leur ouvrez de nouveaux champs de concurrence contre les avocats pour les clients aisés !
La situation des notaires est-elle la même à Paris que dans la plupart des autres départements ? Bien sûr que non ! La situation très privilégiée des notaires parisiens ne doit pas entraîner encore de nouveaux déséquilibres dans le maillage territorial.
Ne pouvant citer toutes les professions, je m’en tiendrai pour terminer à la justice commerciale. La création de juridictions spécialisées a une finalité louable : apporter davantage de compétences techniques lors du règlement des litiges. Toutefois, elle a aussi un revers. En effet, comment voulez-vous que des magistrats siégeant parfois à plusieurs centaines de kilomètres des territoires où se pose le problème puissent avoir la connaissance du temps et le souci de préserver le tissu territorial ?
Nous avons souhaité que vous remontiez le seuil de salariés de 150 à 250, voire à 400. Vous le savez, le seuil retenu est trop bas, tirez-en donc les conclusions !
Monsieur le ministre, l’égalité des territoires doit être non seulement proclamée, mais aussi pratiquée !
En conclusion, j’ai davantage insisté sur les points du présent projet de loi qui nous posent problème que sur ceux qui nous conviennent, mais les membres de mon groupe sont ouverts – comme toujours –, à la discussion si vous le souhaitez, ce que nous espérons profondément. Nous disposons de deux semaines pour parvenir à un texte d’équilibre et de compromis. C’est en tout cas le sens des amendements que nous avons déposés et le souhait, je le crois, de nombreux sénateurs.
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
Monsieur le ministre, selon vos termes mêmes, l’objet du présent projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques s’articule autour de trois grands principes : libérer, investir et travailler en vue de satisfaire l’intérêt général.
L’esprit qui anime ce texte me paraît louable et je me suis efforcé de l’aborder avec ouverture, sans esprit partisan, mais, je l’avoue, avec une certaine perplexité et des regrets.
En effet, je regrette que vous ayez souhaité assembler, dans un même projet de loi, une centaine d’articles très hétérogènes par leur contenu et leurs ambitions, et parfois très contradictoires. Cela pourrait nous conduire à rejeter globalement le texte, alors que certains de ses articles nous paraissent utiles, même s’il aurait été parfois souhaitable d’aller un peu plus loin.
Heureusement, la majorité sénatoriale a décidé de prendre à bras-le-corps ce projet de loi, de le réguler sous certains aspects, de l’améliorer sous certains autres, pour en faire un texte satisfaisant !
J’ai pris la décision de contribuer à ce travail collectif en déposant un certain nombre d’amendements, dont les plus importants ont trait au financement de l’entreprise.
Monsieur le ministre, à ce sujet, je note avec satisfaction que le Président de la République a pris l’initiative d’améliorations non négligeables, via soit la Banque publique d’investissement, la BPI, soit un fonds nouveau destiné à permettre aux entreprises de passer du stade de PME à celui d’ETI.
L’amendement que je défendrai concernant le plan d’épargne en actions destiné au financement des PME et ETI, ou PEA-PME, et l’article 34 bis A, issu de l’adoption par la commission spéciale d’un amendement que j’ai proposé sur l’assurance vie, vont exactement dans ce sens. Je souhaite donc que vous les examiniez, non sous l’angle d’une diminution de recettes budgétaires, mais, au contraire, en tant que catalyseurs de rentrées de recettes supplémentaires tant sociales que fiscales qui rendent actifs des fonds, qui jusqu’à présent dorment par crainte de taxation.
Il s’agit d’appréhender les finances publiques selon une approche non pas comptable, mais dynamique et génératrice de création de richesse.
Dans le même discours de soutien à l’investissement, le Président de la République a également présenté un volet « TVA » relatif aux collectivités locales, qui leur permet d’obtenir un remboursement anticipé de la TVA au bout d’un an. Seulement, je voudrais souligner l’incohérence qu’il y a à inciter celles-ci à investir, tout en diminuant leurs dotations et en créant une incertitude quant à leur devenir : cela ne peut que bloquer l’investissement.
S’agissant de votre texte, monsieur le ministre, je l’examinerai en ayant présent à l’esprit un certain nombre de critères essentiels à mes yeux. Je suis favorable à plus de liberté afin de favoriser l’entreprenariat, mais je refuse des mesures qui pourraient conduire à une réduction du maillage territorial et des services en milieu rural.
Nous savons, nous parlementaires, que s’il existe encore des pharmacies dans certains territoires, c’est parce qu’il n’y a pas de liberté totale d’installation. De même, nous savons que s’il y avait plus d’incitation réglementaire, le milieu rural aurait encore des médecins, et ceux-ci ne seraient aujourd’hui pas tous en ville ou dans le Sud de la France
Nous n’avons pas vocation à soutenir des textes qui pourraient conduire à constituer de grandes structures juridiques avec « petites mains » à l’étranger, dans des pays à fiscalité intéressante, ce qui obligerait par là même nos concitoyens à faire de longs déplacements pour consulter leur notaire.
Je ne vais pas passer en revue tous les articles, leur examen nous permettra d’entrer dans le vif du sujet, mais je souligne simplement que nous serons ouverts et vigilants.
Je souhaite terminer mon propos en renouvelant mon estime pour le travail effectué par les corapporteurs, sous l’autorité du président de la commission spéciale, et les assurer de mon soutien attentif.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu de l’ampleur et de la diversité des mesures du présent texte, depuis le début de nos travaux, j’ai souhaité concentrer principalement mon attention sur les réformes qui s’imposeront bientôt aux conditions d’exercice des professions juridiques réglementées. Ce sera donc l’objet de mon propos.
Je veux tout d’abord remercier le président de la commission spéciale, Vincent Capo-Canellas, qui a su créer un climat favorable pour aborder le texte de manière pragmatique et constructive.
La commission spéciale a effectué un judicieux toilettage rédactionnel, mais également un élagage nécessaire en ce qui concerne les demandes de rapports, bien trop nombreuses, et d’autorisations à légiférer par ordonnance qui dépossèdent totalement le législateur de son rôle.
M. Henri Tandonnet. Je salue également François Pillet pour la finesse de son travail. Sa proposition d’ensemble établit un équilibre entre l’aspect économique des prestations de service des professions réglementées et leur spécificité. Les grandes avancées apportées par la commission spéciale restent à confirmer ; elles doivent recueillir votre adhésion, monsieur le ministre, et j’ai bien compris qu’il fallait encore vous convaincre !
Sourires.
Le cap fixé dans le texte que nous examinons me paraît bien meilleur que celui du projet de loi initial. En effet, ce dernier semblait complètement excessif et visait à libéraliser à l’extrême un système qui fonctionne pourtant parfaitement dans son état actuel, et qui, de plus, est envié, voire même copié à l’étranger.
Cette réforme d’inspiration bruxelloise méconnaît l’approche de notre droit latin, structuré, écrit, focalisé sur la sécurité juridique et sur la protection des individus, notamment des plus faibles. Il faut bien le reconnaître, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale était mal construit : il mettait en péril le maillage juridique précieux du territoire, ainsi que l’accès de chacun au droit, à l’équité et à la protection.
Il me semble, monsieur le ministre, que le glissement vers l’approche anglo-saxonne que vous proposez est loin d’être une innovation. Le libéralisme a déjà montré ses limites. Votre réforme n’est donc pas très moderne, hélas !
C’est avant tout l’éthique qui favorisera la bonne marche des entreprises dans la vie économique. Notre économie souffre surtout d’un manque de déontologie et de nombreux conflits d’intérêts, comme les crises récentes l’ont révélé.
J’ai l’impression que vous êtes en retard d’une guerre. En effet, dans le domaine de l’économie, aujourd’hui, la notion de concurrence a trouvé ses limites et le développement des entreprises se fait aussi sur de nouvelles valeurs.
Les professions du droit et du chiffre doivent permettre d’apporter ces garanties de déontologie, et ce n’est pas en les remettant entre les mains de sociétés de capitaux que vous favoriserez cette légitime aspiration.
J’ai été très surpris de voir dans le projet de loi initial que l’Autorité de la concurrence déciderait seule de la carte de l’implantation des offices, par le jeu d’une liberté d’installation encadrée. Je pense que la solution préconisée à la suite des travaux de la commission spéciale est bien plus cohérente, puisqu’il s’agit de donner au seul ministre de la justice la compétence nécessaire pour établir la carte délimitant les zones où l’implantation de nouveaux offices est libre. L’Autorité de la concurrence formulera un avis simple, ce qui est suffisant à mes yeux.
Il est nécessaire de laisser les professions réglementées sous la coupe du garde des sceaux. Demander à un ministère d’en être responsable et attribuer à un autre la fixation du nombre de professionnels concernés tout en faisant dépendre celle-ci de l’avis d’une autorité indépendante ne fonctionnera pas.
Dans la mesure où les notaires manient à la fois des fonds privés et publics, la surveillance de la profession entraîne des responsabilités importantes, que l’Autorité de la concurrence n’assumera pas. Qui connaît mieux la profession que le ministre de la justice qui, par le réseau de ses procureurs généraux, suit l’activité et surveille la compétence de ces professionnels ?
Pour ce qui concerne les tarifs, nos collègues de l’Assemblée nationale ont rétabli une certaine cohérence en soutenant les professionnels qui se trouvent dans des territoires économiques moins favorables.
Je pense que l’apport du Sénat a fait avancer la réflexion sur la prise en compte des spécificités de l’activité juridique en extrayant les dispositions relatives aux tarifs du code de commerce pour les placer dans un code de l’accès au droit. En effet, rien ne justifiait un tel rattachement, puisque les professions juridiques règlementées sont incompatibles avec la qualité de commerçant. Le ministre de la justice sera donc seul compétent pour arrêter ces tarifs, ce qui une fois encore revient à redonner de la cohérence à cette réforme menée par Bercy.
Par ailleurs, la commission spéciale a supprimé le caractère interprofessionnel du fonds de péréquation prévu à l’article 12 et créé un fonds par profession. Ce fonds de péréquation favorisera, je le pense, l’installation des jeunes, et c’est ce que vous visez. Il ne serait pas cohérent de l’utiliser pour activer l’aide juridictionnelle, qui doit relever de financements publics et qui doit faire l’objet d’un débat plus général, dans le cadre du projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle.
Le fonds de péréquation par profession, tel qu’il a été proposé par la commission spéciale, est à même de faciliter l’installation des jeunes. Avec un fonds de péréquation interprofessionnel, comment un jeune peut-il élaborer un projet d’entreprise s’il ne connaît pas la charge financière qu’il devra assumer au bout de six ans ?
La solution retenue par la commission spéciale permet, à travers le fonds de péréquation, d’épargner le jeune installé de la charge d’une indemnité aussi imprévisible qu’inéquitable, puisqu’elle sanctionnerait en quelque sorte le fruit de son travail et de sa compétence.
En mutualisant la charge au plan national, on favorise donc l’installation et on évite les conflits de voisinage.
J’aborde maintenant les sociétés interprofessionnelles, qui viennent à peine d’être mises en place par un décret de 2014. Le projet de loi bouscule un fragile équilibre entre le chiffre et le droit, mais aussi entre la direction de ces sociétés par les professionnels eux-mêmes ou par des représentants de sociétés de capitaux. Le périmètre étendu de ces sociétés autorise des collaborations source de conflits d’intérêts.
Par conséquent, il était nécessaire de séparer les professions du chiffre et du droit en excluant les experts-comptables, les administrateurs et mandataires judiciaires, ainsi que les avocats aux conseils du périmètre de ces sociétés.
La barre est donc redressée par rapport aux grands principes de cette réforme, même si je suis convaincu que celle-ci entraînera un processus de concentration peu favorable aux territoires ruraux et au public aux revenus modestes.
Après un important travail accompli par la commission spéciale, certains amendements pourront permettre d’adopter d’autres avancées. Je pense, par exemple, à la création de la profession de commissaire de justice regroupant les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur. Je doute de la plus-value apportée par une fusion de ces deux professions, dont les modalités d’intervention sont différentes. Si, comme le souhaite le corapporteur, les exigences de qualification aujourd’hui propre à chaque profession doivent être préservées et favorisées, quel est alors l’intérêt de changer l’existant ?
En revanche, étendre aux commissaires-priseurs la vente de biens incorporels permettrait la valorisation d’actifs sociaux. Je présenterai un amendement en ce sens.
Dans ce même souci de qualification, il serait utile de remplacer le mot « expérience » par le mot « diplôme » pour toute personne sollicitant son installation en tant que notaire ou membre d’une autre profession réglementée. En effet, la seule référence à l’expérience ne peut suffire pour l’exercice d’une délégation de puissance publique.
Si nous libéralisons les professions juridiques réglementées comme vous le souhaitez, monsieur le ministre, essayons au moins de préserver les compétences professionnelles au moment où le droit se spécialise.
Enfin, si la réforme des conseils de prud’hommes apporte une meilleure formation des conseillers prud’homaux et une rationalisation de la procédure par un meilleur respect de l’échange contradictoire des moyens de droit et des pièces, la spécialisation des tribunaux de commerce statuant en matière collective est à prendre avec précaution. La solution trouvée en commission spéciale rétablit la proximité et la confiance nécessaires au redressement des entreprises.
En conclusion, si notre système réglementé de professions juridiques doit certainement évoluer, il ne me semblait pas utile de le mettre à terre ! Le travail du Sénat sur ce texte vise à préserver la déontologie, les compétences et l’expertise qui font la qualité des professions en cause. Il tend également à éviter les conflits d’intérêts qui viennent polluer une saine concurrence.
Je souhaite vivement, monsieur le ministre, que vous teniez compte de la qualité des apports du Sénat, afin de réduire les effets pervers que pourrait bien nous réserver l’application du présent texte dans la réalité.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
À la suite du président Gérard Larcher, je veux tout d’abord dire à mes collègues socialistes, au nom de l’ensemble du groupe que j’ai l’honneur de présider, notre sympathie. Il est des circonstances, des drames, qui rendent absolument dérisoires les clivages partisans. L’épreuve que nous traversons aujourd’hui fait partie de ces circonstances exceptionnelles. Je sais que nombre d’entre vous, mes chers collègues, sont extrêmement touchés et je tenais à marquer ici notre solidarité.
Cela étant, je salue le travail du président de la commission spéciale et des corapporteurs, qui ont énormément et intelligemment travaillé. Nous sommes absolument fiers de ce qu’ils ont dit et proposé voilà quelques instants. Je pense que tout cela est de bon augure pour les débats qui nous attendent.
« Quand on est en situation d’urgence économique, on ne peut pas accepter d’être stoppé par le déni de réalité, les corporatismes ou les jeux d’appareils politiciens ». Ces mots, monsieur le ministre, sont les vôtres. Vous les avez prononcés voilà à peine deux mois. Vous n’imaginiez pas alors à quel point ils sonnent juste aujourd’hui ; vous n’imaginiez pas non plus à quel point nous en partageons le sens.
Oui, la France est dans une situation d’urgence, de double urgence, à la fois économique et politique.
Toujours plus de chômage, toujours plus d’endettement, une production industrielle qui a reculé à son niveau d’il y a vingt ans et la perte de notre cinquième place du classement des grandes nations économiques… Cette urgence économique, ce déclassement, les Français les ressentent de façon douloureuse, parfois sous la forme d’une grande souffrance sociale.
Cette urgence revêt aussi un autre aspect : on nous dit que, en 2015, nous profiterons d’un filet de croissance, sans doute en raison d’une conjonction astrale…
M. Bruno Retailleau. Une croissance venue d’ailleurs, une croissance tombée du ciel !
Sourires.
Or dans cet hémicycle, monsieur le ministre, vous êtes sans doute l’un de ceux qui sait le mieux que cette fenêtre exceptionnelle – l’euro peu cher, les taux d’intérêt très bas, le pétrole bon marché – ne se reproduira pas. Dans dix-huit mois, les choses changeront ; dans dix-huit mois, si les réformes structurelles n’ont pas été faites, les ajustements qui devront être opérés seront extrêmement douloureux. Vous le savez parfaitement : dans dix-huit mois, il sera trop tard !
Il y a une urgence non seulement économique, mais aussi politique : en se dissipant, l’esprit du 11 janvier, comme la mer se retire au moment des grandes marées, a découvert un paysage politique français assez désolé. En douze mois, votre majorité a subi quatre défaites électorales. Le texte que vous avez proposé à l’Assemblée nationale a révélé – et consacré –, notamment par l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, des divisions profondes au sein de la majorité, voire au sein même du parti majoritaire.
La réponse à cette double urgence ne peut être ni la médecine douce ni le traitement politicien. Or le projet de loi que vous nous présentez, c’est – au mieux – de la médecine douce. Le Président de la République a eu ce mot d’esprit – il en a souvent – en déclarant qu’il ne s’agissait sans doute pas de la loi du siècle. Je crains qu’il ne s’agisse pas même de la loi de l’année. Ce texte est simplement destiné à faire patienter les autorités bruxelloises. Il ne représente au mieux que 0, 1 % de croissance, alors que la seule baisse des prix du pétrole rapportera à la France environ un demi-point de croissance. Ce n’est pas d’une loi « Macron I » ou « Macron II » dont nous aurions besoin pour atteindre le seuil de croissance permettant de faire basculer le chômage, mais bien plutôt de quinze textes Macron !
Sourires.
Si les traitements homéopathiques ne suffiront pas, je pense que rien ne serait pis que des traitements politiciens.
(Mêmes mouvements.) La seule question qui vaille, c’est celle du redressement de la France, du redressement de l’économie française.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
La question n’est pas de savoir quel marchandage permettra à tel ou tel de ne pas déposer de motion au prochain congrès de Poitiers. §La question n’est pas non plus de savoir à quelles conditions tel ou tel entrera au Gouvernement. §
C’est dans cette seule perspective que la commission spéciale du Sénat a travaillé d’arrache-pied, animée d’une certitude : celle que les Français sont lassés, fatigués des faux-semblants de réforme.
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Nous avons travaillé avec un objectif : faire de ce texte un accélérateur, un multiplicateur de croissance et d’activité.
Bien sûr, nous avons travaillé avec nos convictions ; ce n’est pas vous qui pouvez nous le reprocher. Nous avons toutefois veillé à ne pas faire preuve d’esprit partisan et à nous montrer pragmatiques. Je vous en donnerai quelques exemples, notamment concernant l’assouplissement du marché du travail.
Par ailleurs, ce qui est bon, nous l’avons retenu : 124 articles ont été votés conformes par la commission spéciale ! Bien évidemment, monsieur le ministre, quand il s’agit de détricoter la loi Duflot, vous ne pouvez trouver dans cette enceinte que des oreilles attentives et bienveillantes. §Mais nombre d’autres sujets sont abordés à travers ces 124 articles que, faute de temps, je ne pourrai traiter.
À l’inverse, face à certaines dispositions toxiques – je songe notamment à toutes celles qui concernent les professions réglementées qu’a mentionnées François Pillet et sur lesquelles il reviendra au cours du débat –, nous nous sommes souvenus de ce que nous ont dit les Français, ceux qui vivent en milieu rural, voilà quelques semaines seulement. Entendez ce peuple de France qui se sent abandonné ! Voyez cette fracture territoriale, la France des oubliés, la France des invisibles qui désespère qu’on s’occupe d’elle !
Protestations sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.
M. Bruno Retailleau. Autant nous serons très vigilants pour vous permettre d’aller plus loin sur certaines réformes structurelles, autant nous ne vous laisserons pas détricoter le tissu rural français, comme l’a très bien souligné M. Mézard !
Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.
Par ailleurs, nous souhaitons faire de ce texte un véritable texte de réformes, celles que nous pensons bonnes et utiles pour la France, notamment en termes d’emploi.
Encore une fois, nous avons adopté une approche constructive. Nous avons écouté ce que vous avez déclaré ici ou là, monsieur le ministre. Nous avons retenu vos propos et, dans les prochains jours, nous vous dirons : « Chiche ! »
Vous avez déclaré à Beaune, il y a quelques jours : « Il faut accélérer les réformes maintenant, sinon on va rater ce train ». Or nous souhaitons justement que la France ne rate pas le train.
Les propositions que nous vous ferons ne seront pas des marqueurs idéologiques. Elles seront parfaitement compatibles avec votre corpus de pensée, ainsi qu’avec celui de tous les réformistes, peu importe qu’ils soient du centre, de droite ou de gauche… Car l’important, c’est de lutter contre le chômage.
Quelles sont ces propositions ?
S’agissant de l’accès au marché du travail, nous ne vous proposerons pas, monsieur le ministre, d’instaurer un contrat unique, qui pourrait, nous le savons, heurter tel ou tel. Nous vous soumettrons un contrat de mission, qui permettrait d’assouplir le marché du travail. §Vous le savez parfaitement, la rigidité de celui-ci se paie par la précarité et le chômage de millions d’hommes et de femmes.
Pourquoi, en France, plus de 80 % des CDD, qui constituent les contrats d’entrée dans les postes de travail, durent-ils moins d’un mois ? C’est bien évidemment le modèle des insiders-outsiders !
À propos des 35 heures, nous aurions pu vous proposer une solution brutale : la sortie du dispositif. Nous ne l’avons pas fait, Vincent Capo-Canellas vous l’a dit. Nous préférons assouplir, parce qu’ils ne marchent pas, les accords défensifs. Comme vous l’aviez déclaré à un hebdomadaire à la fin du mois d’août dernier – vous le pensiez, et peut-être le pensez-vous encore aujourd'hui si votre fonction ne vous a pas complètement transformé, puisque, à l’époque, vous n’aviez pas encore été nommé ministre –, pourquoi ne pas étendre ce qui est bon pour les entreprises en difficulté à celles qui sont en bonne santé, au travers d’accords de maintien de l’emploi offensifs ? N’attendons pas que les entreprises aillent mal pour développer des accords offensifs ! Nous défendrons aussi bien la première formule que la seconde.
Pour ce qui concerne la simplification de la vie des entreprises et la question des seuils, vous nous dites qu’il faut attendre. Nous vous répondons qu’il faut décider. Il y a un temps pour le dialogue social et un temps pour la décision. La démocratie, c’est la souveraineté du peuple, qui s’exprime dans notre assemblée, surtout lorsqu’il y a tant de chômeurs en France. Nous prenons nos responsabilités, de façon non pas violente ou brutale, mais en vous proposant de faire sauter un certain nombre de seuils.
Une autre mesure de simplification a trait au dispositif de M. Hamon, avec lequel nous ne souhaitons toutefois pas vous brouiller. §Nous ne défendrons donc pas une sortie brutale de son système d’information des salariés ; nous limiterons simplement celui-ci, par pragmatisme, aux cessations d’activité.
Enfin, nous aurions pu supprimer le compte pénibilité, mais telle n’est pas notre volonté. Nous proposerons des dispositifs qui sont réclamés par les petites et moyennes entreprises, pour sauver l’emploi et tuer cette peur de l’embauche, dont même le Président de la République se plaint. C’est aujourd'hui qu’il faut des actes et, surtout, des réformes.
Telles seront donc nos propositions, monsieur le ministre. J’espère que vous y serez attentif, plus attentif que ce que la séquence de vendredi nous a laissé craindre. Au demeurant, vous vous êtes tout à l’heure expliqué à cette tribune, et je vous en donne acte. Ce sera sur vos actes et votre capacité à réformer et à prendre en considération le travail de la commission spéciale que nous jugerons de vos intentions.
Je conclurai très brièvement. À titre personnel, vous avez sans doute joué un rôle déterminant dans la conversion du Président de la République à l’économie de l’offre. Car vous établissez souvent le bon diagnostic, mais vos remèdes sont trop faibles. Certes, nous comprenons vos contraintes politiques. Toutefois, l’urgence que j’ai évoquée tout à l’heure, et que vous ne remettez pas en cause, ne permet plus les demi-mesures ou les faux-semblants.
La France est dans un entre-deux : elle est en panne économiquement, mais voit se profiler à l’horizon une petite croissance exogène, comme on dit dans les manuels. C’est un entre-deux, dans lequel, je le sais, le Président de la République se complaît.
Ce que la France subit aujourd'hui, c’est beaucoup plus qu’une crise. J’emprunterai à Antonio Gramsci – je suis sûr que vous ne refuserez pas cette référence – son analyse : la crise, c’est le moment où le vieux monde ne veut pas mourir et où le monde nouveau tarde à naître. Monsieur le ministre, appuyez-vous sur le Sénat et sa majorité pour que ce monde nouveau puisse naître, pour que la France connaisse demain, enfin, un redressement, un renouveau, pour les générations actuelles et futures.
Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt-et-une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.